Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 13 janvier 2016

L’Opéra du ciel

Vendredi dernier, inaugurant cette série de textes consacrée à commémorer le centenaire de la naissance de Léo Ferré, mais, surtout, pour moi, à creuser plus avant tout ce que j’ignore de lui, je m’interrogeais sur l’absence (peut-être) de commémorations.

Il y a dix-huit ans, quand j’ai vraiment découvert Ferré, à l’occasion d’un achat presque aléatoire, chez Gibert (il s’agissait du grand disque Baudelaire, celui de 1967), le Web n’en était qu’à ses balbutiements, et ni Wikipedia ni youTube n’existaient. Je ne pouvais donc me référer à celle-ci pour constater que, dans la liste des titres enregistrés par Ferré, il y en a d’innombrables dès 1946, ni à celui-là pour découvrir la plupart des titres en question. J’y reviendrai.

Vraiment découvert, oui, car j’avais certes entendu “Jolie môme” ou “Avec le temps”, ou, sans doute, “C’est extra”, mais pas plus… Je n’ai probablement même pas su quand il était mort.

 

Un jour de 1998, je crois, j’ai donc ramené de Paris le CD du disque Baudelaire de 1967, et là, à Beauvais, dans le salon de notre appartement, ce fut un vrai choc. J’avais passé quelques années sans me replonger dans Baudelaire, et ce disque a été aussi l’occasion de reprendre en profondeur les Fleurs du mal, et de faire un certain nombre de découvertes, grâce à Ferré, sur la prosodie, le travail de la forme sonnet, ou sur le placement si particulier des adjectifs.

Si j’évoque ceci, c’est que, dans la Wikipedia, justement, je découvre que le premier disque Baudelaire de Ferré est paru en 1957, à l’occasion du centenaire de la parution des Fleurs du Mal… donc commémorations et centenaires, d’une certaine manière, n’horripilaient pas forcément Ferré.

Quelques méandres ici, donc, mais c’est normal —— je n’ai aucune idée de la direction.

 

Tout ça pour en venir à la méthode de croisement Wikipedia + youTube, qui m’a permis de retrouver un des plus anciens enregistrements disponibles de Ferré, “L’Opéra du ciel”. D’après la WP, ce titre (qui se trouve désormais sur un double CD La Vie d’artiste) a été chanté dès 1941 sous le pseudonyme de Forlane.

Préhistoire de Ferré, sans doute, mais étonnante : tout est déjà là, en quelque sorte, dans l’écriture et la composition, et pourtant on reconnaît à peine la voix, grêle et comme mal assurée, roulant les r à la mode des chanteurs réalistes (ce que l’on appelait pousser une goualante, je crois, et dont Ferré a fait un trait de son chant, mais d’une façon très adaptée). Que l’on s’intéresse à un seul mot du refrain, crèverais (entre 1’13” et 1’17” dans la captation donnée en lien), et on trouve l’allongement du mot avec forte de l’accompagnement pianistique, l’accent porté sur le mot fort (crève), mais aussi cette sorte d’incertitude mi-rêveuse mi-gouailleuse qui sera là, toujours, après, mais en sourdine, à nourrir l’imaginaire mais non sa traduction en chant (interprétation).

 

Pschiiit & albatros

Il y a, sur l’autre site, une rubrique Unissons, par laquelle j’essayais (essayai (elle est plus ou moins inactive)) de croiser les formes esthétiques, de faire se croiser des auteurs dissemblables. J’écris ceci en préambule, car, après avoir publié hier deux brefs billets, l’un pour les Larcins, l’autre pour le projet Ferré, celui-ci va, brièvement aussi, juxtaposer les deux.

 ▓▒░▓▓░▒▒▓

Ce matin, en m’éveillant, le rêve très complexe que je venais de faire s’est aussitôt évanoui, pschiiiiit, un génie de conte oriental qui fait pschiiiiiiit en ne laissant même pas de fumée dans le ciel bleu jaune. Or, hier soir, avant de dormir, j’ai poursuivi ma lecture de La Piste mongole, avec ce Chen rêveur qui commente ses propres rêves et se trouve à se voir dicter ses rêves, à se rendre en rêve dans des lieux qu’il n’a pas choisis (mais que le lecteur a déjà rencontrés dans les deux premières parties du roman et identifie progressivement), de sorte qu’il (Chen-le-maigre, pas le lecteur) pense que quelqu’un d’autre lui dicte son rêve, avec des comparaisons étranges, qui viennent d’un autre, avant que (c’est le chapitre auquel j’ai arrêté ma lecture hier soir, donc autres développements métanarratifs à suivre peut-être) ce même Chen Wanglin avoue être le narrateur qui parle de plusieurs voix, prétend épouser tel ou tel point de vue, chaotiquement, sans logique, « sans se soucier de la cohérence narrative du résultat » (p. 77). La complexité des strates oniriques dans ces chapitres de La Piste mongole sont responsables, je l’écris ici sans me soucier de la congruité de mes propos, de l’évanouissement pschiiiitesque de mon rêve complexe de fin de nuit.

 

 ▓▒░▓▓░▒▒▓

Sans transition, Ferré. Lundi après-midi, en route pour la leçon de hautbois de mon fils cadet, nous avons écouté, en voiture, Les Albatros, sorte de chaînon puissant entre la version chantée du célèbre poème de Baudelaire et le Syndrome albatros de Thiéfaine. Nous n’arrivions pas à déterminer si l’instrument qui accompagne les deuxième et quatrième couplets est le cor anglais ou le sax soprano. Ce n’est pas évident à éclaircir à l’oreille, et les informations que l’on peut glaner sur le Web au sujet du groupe Zoo (qui accompagnait ici Ferré) sont maigres. Toutefois, deux éléments me font de plus en plus pencher – j’ai réécouté Les Albatros ce matin au retour du collège – vers le sax soprano : le bouquet final, très cuivré tout de même, et le fait que, dans les autres titres avec le groupe Zoo, il y a plusieurs saxophones, mais jamais de hautbois ou de cor anglais. Incertitude à lever, appel aux plus doués que moi.

mardi, 12 janvier 2016

Qui de nous deux inventa l’autre ?

Pour une fois, je ne serai pas volubile ou disert. Mais ça va être coton.

Il m’a fallu découvrir, en 2011 je crois, le live de Thiéfaine à Bercy – album par lequel, d'ailleurs, mes fils sont ‘entrés dans Thiéfaine’ – pour que l’héritage assumé (with a pinch of salt) par Thiéfaine me saute à la gueule : oui, depuis vingt ans j’écoutais Thiéfaine, et depuis onze ans j’écoutais les disques de Ferré, ceux des années 60 puis ceux des années 70, et ça ne m’avait jamais sauté à la gueule.

Alors, quand on est aussi à la ramasse, on s’écrase. À la rigueur, on lance un chantier pour tenter de s’éclairer soi-même.

Et on met en ligne un billet bref à seule fin de donner le lien de “Je vous attends” (extrait de L’Opéra du pauvre) et d’une version live d’“Alligators 427”. Seulement, voilà, la chanson de Thiéfaine est de 1978, et celle de Ferré de 1983. Qui de nous deux inventa l’autre ?

vendredi, 08 janvier 2016

“je pue du Waterman”

Comme pour 16 en 16, j’ai plusieurs fois failli commencer.

(Où ai-je lu cette phrase sur ceux qui croient être écrivains parce qu’ils ne cessent de dire qu’ils pourraient écrire, alors que les vrais écrivains sont simplement ceux qui s’y mettent ?)

 

Avec les bonnes résolutions, et avec la nouvelle année, vient le temps de nouveaux chantiers. 2016, année Ferré bien qu’on ne puisse pas dire que la présence du diable ait beaucoup occupé les médias*, est donc l’occasion, pour moi, de nouvelles élucubrations.

Après avoir songé à commencer, samedi dernier ou lundi, autrement, je vais donc partir de Poète, vos papiers ! En écoutant une énième fois la chanson ce matin, sur la route du turbin, je me suis aperçu que ce qui la rend totalement singulière (et qu’il faudrait creuser plus généralement pour la diction de Ferré), c’est que les couplets sont écrits en alexandrins parfaits dont la perfection est systématiquement déstructurée et reconfigurée (disloquée) par le chant, et que l’avant-refrain, en revanche, impose des octosyllabes sans césure ni pause (les seules variations étant sur le ton ou la hauteur de certaines syllabes). Dans le chant même, Ferré profère un texte qui n’est plus du tout celui qu’il avait écrit ; peut-être est-ce cette tension que viennent commenter, ironiquement, les répons des cuivres aux longs aplats des cordes accompagnées des bois.

Pas le temps de peaufiner ici, mais l’art poétique que développe Ferré dans le texte repose, comme toujours, sur le triple héritage Baudelaire-Verlaine-Rimbaud, avec une torsion contemporaine qui vient de l’argot et de Dada (faire rimer le bifteck avec les engelures). La performance orale permet d’ajouter un élément d’ambiguïté phonique : seins/saints, rock/rauque, “cons dits modernes” / “qu’on dit modernes”.

 

 

* Est-ce le désir de ne pas commémorer l’“anarchiste” ? À moins qu’il n’ait, lui, donné d’explicites instructions en ce sens, je ne sache pas que la peur de commémorer ait jamais saisi la presse, les maisons de disques ou les institutions culturelles. Moi, mes raisons sont autres : 2016 est une année qui en vaut d’autres pour essayer de préciser, pour moi, ce que me représente Ferré. Par ailleurs, ma fixette sur les nombres n’a pu manquer de me faire remarquer que Ferré est né le 24 août et que 24 x 8 = 192 (24 octosyllabes, mais tout aussi bien 16 alexandrins) = 2016 divisé par 10 et demi. (Si ç’avait été 8 ½ j’aurais pu croiser ça même avec Fellini.)