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dimanche, 13 mars 2016

Par les lettres, 7 : Merikanto, Mielck, Madetoja, Merilaïnen

Histoire de tricher un peu (mais mieux vaut tricher que se taire (aphorisme à retenir)), je vous propose ce matin un parcours par la lettre M, avec quatre compositeurs finnois, par ordre chronologique, du plus ancien au plus récent.

 

Oskar Merikanto. — Son fils, Aarre, est plus connu que lui. (Je meurs de rire en écrivant ceci.) — Quoique légèrement languissante, sa Romance pour piano op. 12 ferait une très bonne musique d'accompagnement d'une de mes vidéos (sur Zola, peut-être).

Ernst Mielck. — Mort à vingt-et-un ans de la tuberculose, en 1899, il a notamment composé une très belle Romance pour violoncelle et piano, que j'écoute en écrivant ces lignes.

Leevi Madetoja. — C'est le seul des 4 que je connaissais avant aujourd'hui. Le point de départ de ce billet est d'ailleurs une notation du 12 mars 2015 retrouvée aujourd'hui, et claire par sa brièveté : « Leevi Madetoja, oui. Erkki Melartin, non. » — Il peut, et doit, être compositeur du vingtième siècle à part entière, notamment pour sa Suite lyrique (ma pièce favorite de ce que je connais de son œuvre, aussi pour piano et violoncelle).

Usko Aatos Merilaïnen. — Pour ne pas rester confiné au cadre de la musique post-romantique, il “me fallait” un moderne, et même un des représentants les plus éminents de l'avant-garde finnoise, dont voici Eros & Psykhe, une œuvre pour électronique de 1961, qui me paraît valoir très largement les débordements ultérieurs, et devenus si datés, d'un Pierre Henry. (On ne trouve pas, hélas, en écoute sur le Web, ses symphonies ou ses quatuors.)

jeudi, 03 mars 2016

Par les lettres, 6 : autour de R

Comme il m’est impossible de ne pas toujours tout compliquer – sauf quand je fais cours, où il m’arrive souvent, et fort heureusement, de simplifier à l’extrême – voici un nouveau bouquet, un qui n’est pas composé d’albums, mais de poètes.

J’ai choisi, sur cinq des six étagères du rayon poésie de la bibliothèque, cinq recueils dont l’auteur a le R pour initiale et me suis mis à écrire ce billet en lançant le disque de Joseph Racaille, paru en 1997 sans titre. [Première composition, sans paroles : “Cléo mambo”.]

 

Quelques animaux de transport & de compagnie est une mince plaquette de Jacques Rebotier publiée par Harpo& avec des bidulogravures de Virginie Rochetti (double R, donc (pas fait exprès)). Il s’agit d’un recueil de brefs poèmes en prose qui hésitent entre la notation facétieuse ou absurde et l’exploration du réel par le langage (à la Ponge). Prenant pour indice le travail de lundi dernier autour de la traduction de “et ça c’est du nougat ?”, je citerai

L E   N O U G A T

Un tiers, un tiers, un tiers… Le nougat se démange d’être compté à la juste. L’espoir lui manque. A commencer par celui de ne pas être mangé.

D’abord le nougat n’a pas le temps ; et puis après, ça s’arrange.

[Lecture qui va à merveille avec “Le squelette humain”, deuxième chanson de l’album de Joseph Racaille — mandoline, violon & clarinette & nonsense.]

 

Instants de plus est un recueil de Joseph Rouffanche, publié aux éditions Rougerie en 2004. Il s’agit de haïkaï irréguliers, dont voici un que je trouve assez réussi et énigmatique :

Mâchure du cerveau pourtant,

tombes,

souches du cœur

(p. 32)

 

Régis Roux est un poète dont je ne sais à peu près rien. J’avais acheté Questions posées au paysage, son livre de poèmes en vers libres en 1999, par correspondance, directement auprès du Dé bleu, son éditeur, avec cinq autres. [Je m’interromps. “Maud l’esquimaude” est la seule chanson de l’album de Racaille dont je pourrais au moins chanter le refrain. Autant dire que je n’écoute quasiment jamais ce disque.] Pour en revenir au livre de Régis Roux, j’en reparcours une des sections, “Forge en ruine”, qui rappelle — pour l’attention à un lieu précis, le rythme et la manière dont les poèmes s’enchaînent en creusant le motif — à Guillevic, mais s’en distingue sur un point primordial : l’emploi de métaphores et d’images complexes. J’en extrais l’avant-dernier poème, très réussi pour la construction d’un univers visuel et sonore :

Dans le hangar désaffecté

Quelques pneus

Quelques plots

Et le tour d’une épave

 

Le capot

Se rabat dans un gong

(p. 43)

 

[Tiens, il faudra que je fasse écouter “L’Été” à Oméga : très beau solo de hautbois en introduction. (Le reste de la chanson est casse-pieds. Ce qui me frappe, c’est que Racaille chante quasiment faux, ainsi que dans “Jouets du destin” ou “Duel singulier”...) “Au fil de l’eau” est très fersenien. Rien d’étonnant : Racaille a signé les arrangements de plusieurs disques de Fersen, pile à la même époque.]

 

En remontant d’étagère en étagère, on s’approche de poètes plus connus. Notre quatrième larron, toujours français, est Pierre Reverdy, dont je n’ai qu’un seul volume, Sources du vent, en Poésie/Gallimard. Ce fut un de mes premiers cadeaux à C***, en 1992. Par paresse, j’en donne un beau poème (“Un cri dans la nuit”) en lien, qui pis est vers Google Books.

 

Dernière étagère, les Lettres à un jeune poète, dans l’édition bilingue de Poésie/Gallimard, dans la traduction de Marc B. de Launay. J’aurais pu hésiter entre ce recueil et celui des Élégies de Duino, ou les six tomes des Sämtliche Werke, mais mon choix se porte sur le célèbre recueil épistolaire, car, si ma mémoire ne me fait pas défaut (l’intéressée corrigera, si elle lit ce paragraphe, elle qui attend par ailleurs depuis des journées un travail que je lui ai promis), une amie m’a dit que c’était un des seuls livres qu’elle avait gardés quand elle était partie à l’aventure et à la découverte des danses et des cultures de plusieurs pays.

[Dans “Blues impérial”, romance sans paroles → → → dialogue entre hautbois et saxophone alto. Faire écouter ça aux garçons, décidément.]

N’ayant ni le temps, ni les compétences, ni la prétention de parler ici de Rilke, je citerai une phrase qui me semble particulièrement importante :

Die körperliche Wollust ist ein sinnliches Erlebnis, nicht anders als das reine Schauen oder das reine Gefühl, mit dem eine schöne Frucht die Zunge füllt; sie ist eine große, unendliche Erfahrung, die uns gegeben wird, ein Wissen von der Welt, die Fülle und der Glanz alles Wissens.

(Texte complet de la lettre ici, et traduction de la phrase .)

 

Pour clore ce billet, en illustrant une part de l'univers loufoque de Rebotier avec une brève chanson de Racaille interprétée par Pascale Jaupart :



 

[Je publie ce billet à 9 h 18, sur les dernières notes de la dernière chanson, “Ne me parle pas”.]

mercredi, 02 mars 2016

Par les lettres, 5 : Górecki, Guem, Guerbas

Cette rubrique — dont le titre, je m'en avise tardivement, est erroné (il serait plus judicieux de la nommer Par les initiales) et qui vient de faire l'objet d'une sorte de plébiscite parmi les cinq premiers votants du grand référendum d'initiative populaire, dans une veine “les auditeurs ont la parole” dont je m'étonne moi-même que j'aie pu y céder tant il s'agit là de menées démagogiques et de machinations afin de tenter de ressusciter un vague lectorat pour ce carnétoile qui, de fait, n'en a plus, et n'en a cure (s'il est permis de risquer la personnification, voire la métonymie) — est très vite restée au point mort.

Ce mercredi après-midi, pouvant compter sur mes parents, qui sont de passage, pour accompagner Oméga à sa leçon de formation musicale et de chant choral, je me suis installé à la table de la salle à manger et ai fait une petite sélection de disques selon le principe de voisinage alphabétique qui est le seul point de départ de cette rubrique. Le premier disque est la symphonie n°3 de Henryk Górecki ; le deuxième est une anthologie de compositions de Guem pour percussions (Le Serpent) ; le troisième est un disque de tarab arabo-andalou intitulé Nawba Hsin. Maître Sid Ahmed Serri et l'ensemble Albaycin dirigé par Maître Rachid Guerbas, que, de façon probablement fantaisiste, j'ai classé à Guerbas.

 

Górecki. Guem. Guerbas.

Se succèdent donc sur les étagères de ma discothèque.

Le disque de Górecki est le seul que je possède, même si on trouverait dans ma discothèque, dans certains coffrets ou sur certains albums classés au nom de leur interprète, d'autres pièces de lui. Il y avait quelque temps que je n'avais pas écouté la Symphonie n°3, son œuvre la plus connue, ici dans une version un peu marginale mais très émouvante, par l'Orchestre Philharmonique de Grande-Canarie sous la direction d'Adrian Leaper. La soprano est Doreen de Feis. La symphonie se compose de trois mouvements, tous lents, ce qui est déjà particulier. L'orchestre, à la fois poignant et coloré, est une synthèse assez habile de certains éléments avant-gardistes et d'une tradition plus habituellement qualifiée (péjorativement) de post-romantique. Le texte chanté dans le premier mouvement est celui d'une lamentation du quinzième siècle ; celui du deuxième mouvement est un appel au secours lancé à la Vierge Marie et gravé par une jeune fille emprisonnée par la Gestapo, Helena Błażusiak, sur les murs de sa cellule ; celui du troisième mouvement est un chant populaire silésien, repris sur un mode lancinant, répétitif, qui en fait, selon moi, le mouvement le plus marquant.  La WP anglophone propose une analyse musicologique détaillée, qui ne vaut peut-être pas tripette mais me passe en tout cas en partie au-dessus de la tête : je laisserai les experts en juger. Pour une liste semble-t-il exhaustive des compositions de Górecki, on peut se reporter au site de l'University of South California. — Il y aurait, selon la WP francophone, seize enregistrements de cette œuvre. YouTube en propose plusieurs, dont une avec la soprano polonaise Zofia Kilanowicz.

Après une œuvre aussi émouvante, l'album du percussionniste algérien Guem demande un temps de pause... quelques minutes de silence... s'arracher au lent et beau finale de la symphonie de Górecki. Pour écrire ce billet, je n'ai réécouté que trois titres de ce disque que j'écoute souvent et qui me fut offert par ma sœur, à Noël 2001 je dirais (mon point de repère étant le salon de chez mes parents, à Cagnotte, et Alpha, notre fils aîné, tout bébé, ne tenant pas encore assis) : “Forêt vierge”, “Poursuite”, “Le Serpent”. On comprend bien pourquoi c'est ce dernier morceau qui donne son titre au disque : jamais polyrythmie ne fut à la fois plus entraînante et plus mélancolique. Pourtant, “Forêt vierge” reste mon morceau préféré, le plus audacieux dans sa façon d'associer bruitages, tambourinages, crotales.

 

L'album de tarab arabo-andalou est double. Il a été enregistré en 1997, publié en 2001... et je n'ai aucun souvenir de l'avoir acheté (cela arrive)... Suis en train d'en écouter le début, et c'est un travail tout à fait formidable à partir de la structure élaborée au fil des siècles, qui, si mes souvenirs sont bons, insiste sur l'alternance entre la suggestion du repos et le glissement progressif vers l'extase (attarab). Si j'écoutais sans rien faire (sans me distraire d'écriture, notamment), nul doute que je m'attarabiserais... ——— Cela posé, à chaque fois que j'écoute de la musique arabo-andalouse, comme des musiciens gnaouas ou — plus loin encore, bien que les affinités avec le tarab soient plus nombreuses — des interprètes de râg, je suis enthousiaste, curieux, mais n'ai jamais eu assez de goût pour aller plus avant dans l'exploration. Quelques disques isolés, rarement écoutés, témoignent de cette présence très à la marge.

 

mardi, 26 janvier 2016

Ping-pong, 10 : habiter & tuer

Aujourd'hui, à la faveur du jour de grève, j'ai enfin pu prendre une journée pour ce qui traînait depuis deux mois, à savoir l'achat de nouvelles étagères pour la bibliothèque (ou le bureau, c'est selon). Après un aller-retour maison/Ikea qui a battu un nouveau record, je pense (cinquante minutes, déchargement compris), j'ai donc monté ces merveilleuses planches avec leurs surmeubles et autres fariboles, pour passer ensuite deux bonnes heures, en milieu d'après-midi, à ranger les livres qui avaient dû gésir en piles pitoyables depuis la mi-novembre et le remploi de la bibliothèque située à ma droite quand je suis à mon bureau (comme en ce moment) comme séparation entre le bureau et un minuscule coin lecture.

(Je crois que le bureau est, dans cette maison, la pièce à avoir connu le plus de modifications, infimes ou plus significatives. Assez logique, en un sens.)

Du coup, j'ai réorganisé totalement le classement des ouvrages de poésie et profite donc de cela pour saisir, sur l'étagère quasiment la plus à portée de main (sur la droite), deux livres que je n'ai pas ouverts depuis longtemps, voisins d'alphabet et de rayonnage (ce qui n'est pas souvent le cas — le classement alphabétique m'intéresse peu, pour nos livres), Peintures de Segalen et L'écolier sultan suivi de Rodogune Sinne de Schehadé.

J'en extrais deux phrases, (presque) au hasard.

L'auberge habitait un cheval carmin. (“Rodogune Sinne”, ch. II / p. 66)

Avant tout, avez-vous tué en vous le regret innombrable comme les poissons vibrants ? (“Cortèges et Trophées...”, p. 111)

 

Vienne à présent la chaleur noire du mercure.

mardi, 01 décembre 2015

Par les lettres, 3

La voix de Sidsel Endresen, grave et souple, presque trop belle.

“Here the Moon” —belle lurette que je n’avais pas écouté cet album, Exile.

Ce matin, on l’aura deviné, choix aléatoire arrêté à la lettre E, sur les étagères consacrées au jazz.

Je me rappelle en hypokhâgne, avoir lu ou parcouru – au C.D.I. où sévissait une cerbère – un article au sujet de Saint-John-Perse ; cet article s’intitulait ‘Trop de beauté ?’ ou quelque chose d’approchant. Il me semble que l’auteur en était un poète connu, quoique inconnue de moi alors : Jaccottet ? Steinmetz ? —— Cela m’a beaucoup marqué, m’a rendu sensible, non pas à une sorte de modération ou de tiédeur de principe, mais à la question de l’emphase poétique, de l’exagération formelle.

D’un trop-plein de beauté peut naître une forme de déséquilibre, d’inharmonie, qui rompt le lien entre le texte et son lecteur. Cette question se repose, comme parfois, avec cet album de Sidsel Endresen, que je connais très bien. (Parenthèse, encore : hier soir, écoutant fourbu au retour de l’université le tout premier album de Julien Jacob, mon fils cadet m’a demandé si c’était un nouveau disque. Il ne le connaît pas car, comme je le connais par cœur, je ne l’écoute presque plus jamais.) Il me semble, pour en revenir à Exile, que la voix de Sidsel Endresen ne m’a jamais vraiment ému, contrairement à sa presque jumelle (si différente pourtant) Susan Abbuehl. En revanche, les harmoniques de Django Bates (sur “Stages” par exemple) ou le violoncelle de David Darling (à la fin de “Quest”) sont très prenants, sans oublier la radiance irrésistible du trompettiste Nils Petter Molvær – cf le final de “Dust”, en dialogue avec l’orgue de Bugge Wesseltoft.

“Waiting Train”, plus électrique et déjanté, offrant un havre de (très relative) approximation, il en ressort que, comme l’auteur de l’article lu en 91 ou 92, je suis plus sensible à des œuvres majeures quand il y a des petits quelques choses qui dépassent.

Autre remarque, histoire de dire aussi que ce choix de la lettre E n’a peut-être pas été entièrement guidé par le hasard. Hier soir, devant l’émission préférée d’Alpha (…), Le Petit Journal, je faisais remarquer à mon épouse, tandis que vocalisait quelque pop singer danoise : tiens, tu devrais aimer, non, c’est un clone d’Agnes Obel… Boutade, évidemment, d’autant que j’aime plutôt l’univers musical soporifique fouillé d’Agnes Obel. Il n’en demeure pas moins qu’il existe une sorte, sinon d’école, du moins de forme particulière de modulation dans le chant en anglais des Scandinaves : Abbuehl, Endresen, Nina Persson (des Cardigans), Obel…

 

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Pour faire suite (ou pièce) à Exile, j’ai choisi, le jouxtant, The Individualism of Gil Evans : absolument aucun rapport… et signe encore et toujours que sur les étagères de « jazz » se trouvent des essais si dissemblables que le jazz, comme le “roman” ou le “baroque” — à des degrés divers — sont des étiquettes dissimulant de bien incommodes baggy monsters.

Ici aussi, album que je n’avais pas écouté depuis des années.

“Time of the Barracudas” : arrangement très beau, solos et volutes hallucinées de Wayne Shorter avec répons de flûtes et clarinettes, tandis qu’à certains instants on finit par n’entendre que le toucher baraqué d’Elvin Jones sur cymbales. En revanche, aucun souvenir d’avoir prêté attention à Kenny Burrell sur ce morceau (on m’aurait demandé ce que je connaissais de Burrell, j’aurais cité les trois disques que j’ai d elui en leader ou co-leader, mais pas ceci).

“The Barbara Song” : aucun souvenir, là encore. Jamais dû écouter cet album attentivement ; or, il demande une attention soutenue. Atmosphère déliée, suffocante, endormante, tour à tour lascive et poivrée.

“Las Vegas Tango”. Ce titre me paraît familier. L'aurais-je entendu ailleurs, autrement ? Le solo de trombone est extraordinaire. Le saxophoniste soprano (sans doute Steve Lacy – il y a quatre “reeds & woodwinds” répertoriés, mais qui d'autre cela pourrait-il être ?) reprend le flambeau, et ça arrache (à l'intérieur). Comment travailler, sinon s'arrêter et rester saisi ?

“Flute Song / Hotel Me”. On nage en plein cinéma des années cinquante. Gangsters, séductrices über-gaulées dans leurs jupes droites. Le piano ironise, les flûtes tentent de roucouler, on s'amuse. Parade sauvage, non.

“Nothing Like You” : machin classique de big band, gaieté factice façon West Coast, générique d'émission de radio, à oublier.

“Concorde” : arrangement qui tourne entièrement autour du “violon ténor” (?) et des solos de tuba. Épatant, si je peux risquer un anachronisme lexical (mais l'album sonne tellement sixties, it's in keeping).

“Spoonful”. — Étonnant, ce que devient le blues beau et râpeux de Willie Dixon. Kenny Burrell, à la guitare, est, il me semble, à côté de la plaque : dilettante, détaché, doucement diurne. Vous m'offrez du brouet quand j'attendais des crèmes. [Ça marche dans les deux sens. D'ailleurs, dans Les Poulpes, les collages de citations sont déroutants : on n'est même pas sûr de reconnaître ce qui est citation, et ce qui est parole inventée rapportée de tel prisonnier.] Avec la trompette, on reprend un territoire plus crevassé, on se crame les pieds à fouler des arpents dangereux. Mais enfin, le salut ne passe pas par les lettres !

dimanche, 29 novembre 2015

Par les lettres, 2 : K²

Tant qu'à être lancé sur la lettre K...

Ce matin, donc, triple programmation encore avec compositeurs dont le nom commence par cette lettre, et ordre kronologique (sans Kurtag, pourtant, ni le Kronos Quartet).

 

L'album Naxos de concertos pour clarinette de Franz Krommer, c'était l'occasion de le réentendre.

De son “vrai” nom František Vincenc Kramář en tchèque, Franz Krommer a laissé, si l'on en croit la toujours précieuse et si injustement vilipendée Wikipedia, plus de 300 œuvres... Dans cet album, les trois concertos op. 35, 36 et 91 sont interprétés par la Nicolaus Esterhazy Sinfonia placé sous la direction de Kálmán Berkes, clarinettiste et chef d'orchestre. Ils ont été enregistrés en juillet 1994 (à l'époque où je glandouillais à Saint-Pierre et Hagetmau après avoir appris mon admission rue d'Ulm). L'opus 35, pour deux clarinettes (la seconde ici jouée par Kaori Tsutsui), est très mozartien, surtout dans son large premier mouvement (Allegro), mais regarde plus du côté de la musique du 17e siècle (hommage ? parodie ? impression erronée de ma part ?) dans le bel Adagio et dans le Rondo final. L'opus 36, pour clarinette et orchestre, est plus convenu. Dans l'opus 91, selon Frédéric Castello, l'auteur des notes d'accompagnement, « on remarque en premier lieu un usage plus poussé des ressources de la clarinette qui, ne l'oublions pas, était alors un instrument dont la facture évoluait » . Il s'agit, de fait, d'une œuvre plus complexe, pas totalement envahie par les mélismes, émouvante ; si j'ai une réserve, ce serait plutôt sur les tutti, souvent envahissants ou lourdauds, pour le coup.

 

[Sonate pour violoncelle et piano & Sonate pour violoncelle seul op. 8 de Zoltán Kodály, par Maria Kliegel.]

 

[Jo Kondo. Works for Piano. Interprète : Satoko Inoue / hat[now]ART 135, 2001.]

Réécouter — là encore, pour la première fois depuis longtemps — ce disque acheté à l'époque par hasard, ou presque, me replonge dans ces harmoniques très automnales ; ça tombe bien, le ciel fait grise mine avant de passer le cap de décembre. Ces compositions pour piano seul semblent construites sur des hésitations, ou plutôt même : construire l'hésitation par petites touches. Grâce à la WP (toujours elle), je découvre le titre de nombreuses œuvres de Jō Kondō, titres qui à eux seuls suscitent la rêverie ou l'interrogation : Click Crack, Metaphonesis, Syzygia*, A Volcano Mouth, Antilogue, Aesculus, Knots, Serotinous ou encore Threadbare Unlimited

 

* Il n'y a pas trois semaines, j'apprenais ce qu'était une syzygie* à des étudiants de master. Comme quoi...

* « La mer commençait à monter, et, poussée par le vent, cette marée, qui était une marée de syzygie, menaçait d'être très forte. » (Verne)

 

samedi, 28 novembre 2015

Par les lettres, 1

Il faisait froid, ce soir-là, sur le quai de la gare, à Dijon.

Était-ce en 2000 ? Avec le baladeur CD (oui, oui), j'écoutais Pression, le premier album de Kartet, acheté quasi par hasard un ou deux ans plus tôt, d'occasion, à Paris.

Que de découvertes capitales faites à l'époque des razzias chez Gibert, tiens c'est 30 francs, pourquoi ne pas tenter ? (Ainsi, tout de même, Julien Jacob, en 2000, justement.)

Ne nous éloignons pas du sujet.

Pression. Album fondamental, s'ouvrant et s'achevant sur deux versions différentes de “High Steak”. Guillaume Orti, l'ai-je déjà écrit, est un des saxophonistes les plus sous-estimés ou méconnus de sa génération. Les trois autres compères ont aussi suivi leur chemin.

Ligne interrompue.

Lignes coupées.

Décision d'écouter, dès que je le pourrai, certains de mes disques par genre et par lettre de l'alphabet, histoire de refaire le tour de mes étagères (question que l'on ne se pose pas, ou frustration que l'on n'a que plus temporairement pour les livres : est-ce l'effet des contraintes temporelles ? pourtant, il m'arrive de me dire que je relirais volontiers Les Géorgiques de Claude Simon, par exemple, ou Look Homeward, Angel — et je ne le fais jamais).

Tout proche de Pression, il y a la réédition de deux albums de Roland Kirk, Domino et Reeds and Deeds. Au moment où j'écris ce §, j'écoute la version de “Get Out of Town” (avec un phrasé déboulé étonnant de Wynton Kelly au piano). Kirk, bien sûr, on l'imagine toujours en train de siffler/parler tout en tenant en bouche quatre instruments différents, mais l'émotion ne passe pas par ces prouesses, mais par la teneur particulière du souffle. (Note to self : réécouter “A Stritch in Time”, composition symptomatique.)

Après cela...

Après que le soleil aura séché la minuscule flaque au centre de la table noire...

[Stéphane Kerecki Trio]