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vendredi, 27 juin 2025

27062025

Lire en traduction, c’est, toujours davantage, se poser plein de questions que seule résoudrait la connaissance de la langue-source, ou – même sans cela – la consultation du texte-source. Dire cela, c’est un truisme, mais je me demande si cela a été, tant que ça, étudié.

 

Hier soir j’ai commencé la lecture du roman de Jón Kalman Stefánsson, Ásta, qui fait partie des dizaines de livres entassés sur mes piles à lire depuis des années (celui-là, je me rappelle l’avoir acheté au Bibliovore il y a un ou deux ans). D’emblée, un des narrateurs cite le célèbre poème de Brecht, An die Nachgeborenen, mais sous un titre français, tout en précisant que le narrateur l’avait connu dans la traduction en islandais de Sigfús Daðason. Le texte français (remarquable – la traduction d’Eric Boury semble vraiment excellente, je le précise à ce stade, pour lever toute ambiguïté sur la suite de mon propos [j'ai déjà lu plusieurs traductions de lui, et c'est toujours très bon]) est ainsi cité (Folio, p. 43) :

Se tenir à l’écart des querelles du monde, et sans crainte,

passer son peu de temps sur terre.

 

Les deux vers du poème de Brecht sont :

Sich aus dem Streit der Welt halten und die kurze Zeit

Ohne Furcht verbringen.

Le « sur terre » est donc ajouté… mais est-ce que c’est Éric Boury qui l’ajoute ? cite-t-il une traduction française identifiable ? ou cet étoffement (conséquent, étant donné qu’il vient créer un redoublement monde/terre qui n’est pas présent dans le poème allemand) provient-il de la traduction de Sigfús Daðason, justement ?

Plus loin, la narratrice évoque une chanson de Nick Cave qu’elle entend chez ses voisins. De façon très plurilingue, une fois encore, le texte de la chanson est cité en anglais puis en français. On suppose que cela reproduit le dispositif du texte-source et que, dans le roman de Stefánsson, la traduction en islandais est accolée au texte anglais. La question de la traduction se pose donc de la même manière que pour Brecht :

And babe, you turn me on…

Mais chérie, tu m’émoustilles…

 

La traduction turn on > émoustiller (p. 120) n’est pas très bonne, ni du point de vue du registre, ni du point de vue du contexte. (Et d’ailleurs, c’est peut-être aussi un faux-sens : exciter ou chauffer n’ont pas le même sens qu’émoustiller.) Je me suis demandé si cette petite erreur venait du traducteur du roman, ou s’il avait voulu restituer une disparité de la traduction islandaise accolée au texte de Nick Cave.

Tout cela n’empêche aucunement d’apprécier le roman, et même, serais-je tenté de dire, ce genre de questionnement enrichit la lecture. Mais c’est, en soi, un sujet d’étude.

 

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