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samedi, 27 janvier 2024

A Shard of Silence

Il y a quelques semaines seulement, j’ai découvert Amy Lowell. Jusque là c’était à peine un nom ; peut-être même pensais-je vaguement qu’elle était de la famille de Robert Lowell (spoiler : pas du tout).

A Shard of Silence (27012024)

 

Découverte car née en 1874, il y a 150 ans, et je cherchais des idées pour relancer éventuellement ma chaîne Twitch. L’idée aurait été, comme pour ma lecture d’Ulysses en 2022, ou comme le Projet Pinget en 2018-9, de fixer un rendez-vous hebdomadaire et d’avancer dans ma connaissance de l’œuvre.

Je doute d’avoir le temps à consacrer à un tel projet comme je l’aurais voulu et dans le délais idéaux (AL est née le 9 février), mais je la lis tout de même. Outre les recueils qu’on trouve en format numérique sur Gutenberg, ce recueil paru à titre posthume en 1957 contient une préface scandaleusement condescendante (et bête, au fond) d’un certain G. Ruihley ; l’exemplaire provient des collections de la B.U. Lettres de Tours, et plus particulièrement du fameux Fonds Kennedy.

 

Lowell est généralement ramenée à deux identités : poète du mouvement imagiste (dont Pound, ce facho bien viriliste, disait qu’elle l’avait confisqué/abêti) et lesbienne. Je n’ai pas trouvé trace d’une biographie en bonne et due forme d’Amy Lowell ; il semble que ça manque. Et oui, ça fait défaut.

Ici, je note que sa poésie, même avec quelques traits parfois démonstratifs, fait entendre une voix singulière qui est aussi – et cette conjonction est en soi admirable – celle d’une époque. Dans deux genres très différents, lyrique et mémoriel – disons : ‘White Currants’ (p. 45) & ‘The Congressional Library’ (pp. 57-60).

L’avant-dernière section (Eleonara Duse) est composée de six sonnets qui ne se présentent pas comme tels : un rien d’Edna St Vincent Millay ici. La forme sonnet retenue par Lowell mélange le schéma italien/pétrarquiste (quatrains de rimes embrassées avec deux rimes – ABBAABBA) et le schéma élisabéthain (sizain qui ne se partage pas en deux tercets mais en un quatrain de rimes croisées et un distique final – CDCDEE). Ce n'est ni le sonnet miltonien, qui est en fait une très légère variante sur le modèle italien – CDECDE au lieu de CCDEDE) ni le sonnet spensérien, qui est une variante intéressante (à laquelle je ne pense jamais) du sonnet élisabéthain (ABAB BCBC CDCD EE au lieu de ABAB CDCD EFEFE GG). Pourtant, je crois déjà avoir vu cette forme hybridant les deux principaux modèles.

 

Le dernier poème, « Nuit Blanche », est tel également, subtil sans être génial, sauvant la rime un peu forcée (feet/sleet) au moyen d’une comparaison astucieuse :

Ghostly and vaporous her gown sweeps by   

The twilight dusking wall, I hear her feet   

Delaying on the gravel, and a sigh,

Briefly permitted, touches the air like sleet.

 

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En écoute : Bedrock du trio d’Uri Caine (Tim Lefebvre à la contrebasse, Zach Danziger à la batterie). Difficile d’évoquer en quelques phrases la figure majeure d’Uri Caine. Majeure, pour moi ; presque aucune des personnes à qui j’ai fait écouter, depuis vingt ans, son double album des Variations Goldberg n’a partagé mon enthousiasme. Ici, dans la formation trio, c’est plus conventionnel, mais ça ne l’est pas du tout.

 

Rousse

Quand j’ai cherché le livre dans une librairie où je vais rarement – trop grande, trop généraliste – le libraire à qui je l’ai demandé, pensant que j’en avais entendu parler de cette façon, m’a montré du doigt la table réservée aux ouvrages « passés à la télé ». Et effectivement, ce que je vais dire est méchant, mais Rousse est un livre parfaitement calibré Grande Librairie (du trapen-art).

Rousse (27012024)

 

Mais bref. Reprenons au commencement. Rousse, premier roman publié de Denis Infante (« envoyé aux éditions Tristram par la poste » dit – dans un exaspérant mensonge plein d’affèterie – le rabat de la 3e de couverture), est l’histoire d’une renarde, racontée du point de vue de la renarde (et aussi, par bribes, du point de vue de plusieurs autres animaux non humains). Comme beaucoup de livres commencent à filer ce filon, je me dis à chaque fois que je devrais relire La dernière harde de Genevoix ou De Goupil à Margot de Pergaud – très lointains souvenirs.

Le livre est en trois parties de longueur inégale : « La matière » (pp. 9-94 ; récit à la troisième personne mais du point de vue de Rousse), « L’esprit » (pp. 95-128 ; récit de Rousse à la première personne), « L’existence » / ‘Eau amère du monde’ (les trois dernières pages, encore narrées par Rousse). Pour dire la différence de point de vue, pour tenter d’écrire en non-humain (c’est tout le paradoxe, voire l’aporie, du perspectivisme [cf travaux d’Emilie Dardenne notamment]), Denis Infante invente une syntaxe qui s’écarte partiellement de la langue française standard. Le trait le plus saillant est l’absence d’articles définis, toujours remplacés par des articles ø. D’autres traits moins évidents s’ajoutent à ce dispositif, en particulier la surabondance d’adjectifs (au point qu’autour des pages 30-40, ne voyant plus que ça, je lisais en repérant tous ceux qui n’apportaient absolument rien, voire affadissaient le récit).

Autre écart, le choix de procéder fréquemment à des inversions sujet/verbe que pas grand-chose n’explique : « Puis, au point du jour nouveau, aussi brusquement qu’elles avaient commencé, cessèrent rafales, s’évanouirent hurlements, se turent grondements, retomba poussière. » (p. 92) Je pense que c’est juste un écart, juste une manière d’affecter des marqueurs linguistiques à la différence, à ce qui différencie fondamentalement l’instance focalisatrice des narrateurices ou protagonistes habituel·les des récits publiés.

Donc dans cette langue – et j’insiste sur le fait qu’en ce sens c’est un livre très littéraire, très écrit, expérimental – nous est raconté une sorte de conte. Ce conte, comme on va finir par le comprendre quand Rousse aura franchi le grand fleuve, est un récit post-apocalyptique : curieusement, l’espèce humaine a été anéantie, mais les animaux ont survécu. Les animaux ont survécu, mais peut-être en mutant (cf les kraken/krakodiles), et surtout dans un espace géographique difficile à définir, dont le paysage pourrait être celui de l’Amérique du nord, mais où vivent et cheminent des éléphants. Hypothèse commode : le désastre a modifié totalement le climat des continents. Mais est-ce si sûr ?

C’est sans doute cela, la grande réussite du roman de Denis Infante : cette incertitude. Ce qui est moins réussi, c’est la façon dont le récit ne cesse d’investir la nature et les animaux non humains d’un spiritualisme new age pas très inventif et faussement apolitique, avec le personnage du corbeau « Noirciel, qui est Maître, qui sait » (passim), grand initiateur qui relève plus de Yoda que de Bouddha (même si en fait ici ça revient au même).

 

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En écoute : Evgueni Galperine – Theory of Becoming (ECM, 2022). Beaucoup écouté cet album à l’automne, et de nouveau ces jours-ci. Avec sa couverture faite de deux œuvres (gravure et huile) représentant un loup usant d’un masque humain, l’album était idéal pour accompagner la fin de ma lecture de Rousse. Par contre, rien de kitsch dans ce projet dont les compositions électroniques / samples s’ornent sur certains titres de phrases trompette et violoncelle, l’ensemble très beau, très poignant, et plutôt in-ouï.

Touche pas à mon peuple

Enfin pris le temps de lire le petit essai que Claire Sécail consacre à une lecture de l’émission de Hanouna – et à tout le système qui l’accompagne – comme d’une démarche populiste.

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Moi qui lis très peu de sciences politiques, ça m’a permis d’affiner la définition même de populisme, que Claire Sécail appuie sur les travaux de Cas Mudde et Cristobal Rovira Kaltwasser (« idéologie peu substantielle ») :

 

Cyril Hanouna élabore un système de valeurs bien plus qu’un système de pensée : chez lui, les qualités humaines sont un moteur plus important que les idées pour concevoir l’organisation et les objectifs d’une société. […] En effet, la morphologie rudimentaire et malléable du populisme fonctionne comme un moule dans lequel peuvent se côtoyer plusieurs « idéologies denses »… (p. 52)

 

Moi qui ne regarde jamais Hanouna (mais vois passer les séquences les plus choquantes, celles qui devraient valoir des sanctions de l’ARCOM), ça m’a permis d’avoir une meilleure vision de l’histoire de cette émission, et surtout de l’évolution tant de l’émission elle-même que de Hanouna en tant qu’animateur/prescripteur manipulateur. En un sens, ça a commencé ainsi : « Registre verbal simple, direct et fleuri d’argot, identification à l’ « homme de la rue », valorisation de l’inculture, stéréotypes sexistes, familiarité avec les invités : ce style est mis en avant pour rejeter le langage technique ou précieux attribué aux élites et ainsi faire corps avec le « sens commun » du peuple. » (p. 17) Et ça se poursuit / termine ainsi : « Le gagnant ? L’extrême-droite politique et culturelle, qui a bien compris l’intérêt d’investir la scène d’un divertissement dévoyé pour y promouvoir la version ripolinée de sa guerre de civilisation et imposer des idées d’autant plus dangereuses qu’elles avancent au nom d’un bon sens populaire. » (p. 77)

Ça coûte 6 euros, ça se lit en une heure, et c’est indispensable.

 

En écoute – un des disques offerts par ma mère : le disque de 2001 du trio de Sylvain Beuf (avec Diego Imbert à la contrebasse et Franck Agulhon à la batterie). Je connaissais ce disque, écouté chez ma mère quand elle l’avait acheté, back in the days. Il y a des compositions magnifiques (‘Ornette’ / ‘Catering de Médicis’ / ‘31 janvier’), et cette formule du trio m’évoque – un cas flagrant de plagiat par anticipation – les disques du groupe tourangeau Steak !

 

dimanche, 07 janvier 2024

07012024

Après une trouée de soleil, la grisaille est revenue. Je suis allé jusqu’au lieu-dit de la Vinogerie à Chanceaux, puis je me suis réattelé à quelques bricoles, en l’occurrence à écrire des mails de vœux de bonne année en écoutant Kind of Blue sur la platine que C* m’a offerte pour mes 49 ans.

C’est étrange : avec ce principe d’écrire un billet même bref et mal construit pour chaque livre lu, je me retrouve à hésiter à poursuivre la série je range mon bureau, mais aussi sans nécessité de publier d’autres billets.

 

Au début de l’année, j’ai créé la sous-rubrique Disques 2024 dans l’idée surtout d’évoquer les nouveaux disques. Mais voici qu’après avoir redescendu au sous-sol les quatre Zappa de décembre, j’ai remonté tous les Miles Davis hérités de mon beau-père – et donc j’écoute Kind of Blue ; à cet instant précis, “All Blues” même. Le solo de Coltrane au ténor n’est pas du tout coltranien. S’il n’y avait pas le nom de Coltrane sur la pochette, je n’entendrais pas Coltrane. D’ailleurs je n’entends pas Coltrane. (Et depuis combien de temps n’avais-je pas écouté cet album ultra-classique ?)

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Tu parles d’un nouveau disque.

 

Oui, mais c’est nouveau, puisque par exemple, de toutes les années hagetmautiennes, jamais je n’avais lu le texte de pochette, un texte qui s’intitule “Improvisation in Jazz” et dont l’auteur est le pianiste, Bill Evans. (C’est un peu claudicant, d’ailleurs, comme lecture ou comme découverte, car le piano est le seul instrument qui résonne de façon décalée avec cette platine vinyle (rien à faire).) Ce texte commence ainsi :

There is a Japanese visual art in which the artist is forced to be spontaneous. He must paint on a thin stretched parchment with a special brush and black water paint in such a way that an unnatural or interrupted stroke will destroy the line or break through the parchment. Erasures or changes are impossible. These artists must practice a particular discipline, that of allowing the idea to express itself in communication with their hands in such a direct way that deliberation cannot interfere.

 

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Hier, Patrice Nganang écrivait que tous les portraits photo en couleur de Miles Davis étaient ratés : « C'est littéralement comme ces actrices qui avaient raté le passage du muet au parlant. » Armelle Touko l’a contredit avec cette image-ci, à raison.

 

jeudi, 04 janvier 2024

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Je m’étais attelé à mes copies, en écoutant Radiance, double album solo de Keith Jarrett constitué de deux lives japonais de 2002, quand mon collègue co-directeur m’a appelé pour parler de diverses choses de boulot. Nous avons aussi discuté de choses plus personnelles, et de son emménagement dans la maison qu’il vient d’acheter à l’autre bout du département, et où il vient de se faire livrer un piano, de sorte qu’on a parlé de pianos et que, me trouvant à lui dire que pour quelqu’un qui savait en jouer un vrai piano c’était essentiel – banalité absolue –, il m’a répondu quelque chose comme « je ne sais pas jouer du piano, mais en tout cas je m’amuse ». Après notre conversation, reprenant mes copies, et écoutant la dernière plage du second CD, je repensais à cette phrase : « je ne sais pas jouer du piano, mais je m’amuse ».

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A* a obtenu le permis de conduire, à la seconde tentative.