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mardi, 02 février 2016

2013-2016

2 février 2013.

Je vais mettre un crêpe noir pour relire Raymond Chandeleur.

2 février, jour du calembour pourri.

 

Aujourd'hui (même jour, en 2016)

En mangeant une crêpe accompagnée d'un gobelet de thé aromatisé à je ne sais déjà plus quoi au stand de l'association des étudiants anglicistes, j'ai eu une discussion tout à fait passionnante avec deux anciens étudiants, actuellement en M2, et avec une étudiante de L1 que je n'ai pas dans mes cours, notamment sur l'évaluation des enseignements.

(Moins pourri.)

 

(Lointain écho d'“Exister est un plagiat”, sous une autre forme, et du Temps immobile.)

mardi, 18 février 2014

Kartet

Kartet.jpg

vendredi, 11 novembre 2011

Exister est un plagiat : 36 et 37

36

 

En janvier, v’là que je dois déneiger encore les cinquante mètres de trottoir qui entourent la maison. Les nèfles en novembre, la neige gelée en janvier. Ritournelle du temps qui passe. En février, me voici affublé, pour quelques secondes, d’une sorte de bonnet en plastique avec des oreilles de Mickey – jamais on n’a été aussi près de la Folie Couvrechef (sans que je puisse dire quoi que ce soit de Sophronyme Beaujour, décidément, ça me taraude). En avril, le 11, je lis des inscriptions à même les solives ; Montcaret ni Bergerac ne sont loin, et nous nous égarons aussi à Villefranche-de-Lonchat (petite bourgade où, très sincèrement, ne doivent passer que des égarés). En mai, c’est enfin l’Australie, qui m’avait pas mal inspiré mais où je n’étais jamais allé, d’où ces moments de solitude très intense face à une bière, ou face à une sculpture de Bert Flugelman, à Canberra. J’ai failli, à l’instant, rebaptiser le sculpteur Spiegelman, c’est dire si j’ai frôlé la fusion encore plus que la schize. Louis Grosbois est un des élèves « morts pour la France » dont on peut lire le nom sur l’impressionnante plaque commémorative du « collège de Chinon » (c’est-à-dire du lycée). A Saint-Cricq-Chalosse, par un cagnard terrible, les frères Deyris, toujours impériaux et jamais impérieux, parviennent à placer toujours les coursières : ce n’est que la deuxième course landaise que l’on voit cet été-là, pas la meilleure, mais comme c’est l’anniversaire d’Alpha elle a bien sûr une saveur particulière. Par quelques détours mon regard en revient à Canberra, surtout à la route entre Wollongong et Canberra, sur laquelle j’ai vu de nombreux panneaux avertissant l’automobiliste de traversées éventuelles de kangourous et de wombats, mais de wombats ou de kangourous pas la queue d’un. On ne les encorde pas. On n’encorde pas non plus cette grille majestueuse, ni surtout cette magnifique fontaine du château du Fayet, que nous visitons le 11 août 2010 – nous n’étions pas à Hagetmau pour le dernier anniversaire de la grand-mère de C*** –, ni le dolmen de Coste-Rouge, auquel on accède par un chemin sec qui suggère un foisonnement modéré. Il est très adéquat d’achever cette liste incohérente (et immodérément foisonnante (ce pourrait être pire)) avec l’image d’un bus qui s’éloigne (la ligne 1, je la fréquente rarement), me laissant sur le trottoir avec ma serviette et mon exemplaire du Moyen de parvenir de Béroalde de Verville, scène qu’impassible contemple Rabelais sur son socle, flou, de traviole, ne filant pas de vers.

 

 

37

 

Comme, en ce jour de mes trente-sept ans, je dois me trouver ailleurs, sans connexion, et – ironie absolue et en partie involontaire, si l’on songe que j’écris là les derniers fragments du livre – hors Touraine, donc pas en Indre-et-Loire, pas dans le département qui est affecté du numéro 37, me voici, je l’avoue, en train d’écrire ces lignes le 10 novembre, et non, petite irrégularité dans la machine, le 11.11.11, comme il était initialement prévu. Qu’importe, tout ce livre n’est que petits dérèglements, minuscules grains de sable, kyrielles de négations en litanie. Merdouiller, ou tricher légèrement, fait un beau point d’orgue.

L’année qui finit de s’écouler, et qui sert de contrepoint à celle où je fus conçu – dont je ne peux rien savoir, ni directement ni même par de tiers truchements –, je pourrais en détailler les journées, les moments saillants, avec plus de précision et de maestria que pour des années envolées, échappées du sablier. Ce serait tricher un peu, là encore, et je préfère trancher. Ainsi, pour le fragment 36, que j’écrirai après celui-ci, je parlerai du 11ème jour de certains mois, et pour ce fragment-ci, du 1er jour de certains mois, peut-être tous, nous verrons.

— Le 1er décembre, candidat à la direction de l’U.F.R. Lettres et Langues, j’ai échangé des mails avec un collègue, qui a fini par m’écrire les phrases suivantes : « Quant à ma monomanie helléniste, c'est celle de l'opprimé qui ne pense qu'à une seul chose, se libérer ! Une fois notre département de grec libéré, redevenus citoyens libres, nous nous soucierons  du reste en bons citoyens de l'UFR ! »

—— Le 1er janvier, nous avons réveillonné, comme la veille, aux bougies – pour le charme de la chose, pas pour coupure d’électricité.

——— Le 1er février, nous avons achevé, avec une petite dizaine de collègues, de mettre au point le planning des réunions de travail de notre « Groupe Afrique ».

———— Le 1er mars, rien, que je sache.

————— Le 1er avril, j’ai empoissonné mes collègues avec le message suivant : « Chers Collègues, je viens d'apprendre que les seuils officiels des groupes de TD passeraient l'année prochaine de 45 à 60 étudiants. Je ne sais pas si la Langue orale est concernée...Heureusement, cette info arrive au moment où je m'apprête à attribuer les cours et faire les EDT. C'est mieux ainsi... » Plusieurs sont tombés dans le panneau.

—————— Le 1er mai, contrairement aux deux années précédentes, je n’ai pas « fait la manif ».

——————— Le 1er juin, nous avons célébré, in memoriam, les 64 ans de mon beau-père, qui est sans doute la personne dont j’aurais le plus souhaité qu’elle puisse lire ce livre. Nous étions à Saint-Denis, puis à Senlis. Le village de Brasseuse est un véritable nid de plaques Michelin.

———————— Le 1er juillet, je me suis ridiculisé – pour faire plaisir à Priscilla, qui m’avait supplié et dont on fêtait le départ en retraite – à chanter Les Cornichons devant tous mes collègues. Collègues qui m’ont offert quatre volumes de la Pléiade pour me remercier de mes trois années à la direction du département, ce qui m’a beaucoup touché.

————————— Le 1er septembre, la barbe que je laissais pousser depuis quelques jours a commencé à faire mieux que s’esquisser.

——————————Le 1er octobre, j’ai archivé dans mon dossier « Sujets éventuels » un article de P. Quinio sur l’affaire de Karachi, intitulé Fin de règne.——————————— À la date du 1er novembre dernier ont été publiés, sur mon blog, les deux fragments 26 et 47, que je n’ai en fait écrit que le lendemain, au retour des Landes – comme quoi la boucle de la tricherie est bouclée (mais je dois avouer qu’à quatre exceptions près, tous les billets publiés l’ont été en direct).

 

Pourtant, la boucle n’est jamais bouclée. Peut-être l’ouvrirai-je une fois encore, pour revenir à l’année 0, et qui sait, perçant bientôt le secret d’improbables galaxies interminablement éloignées, ce en citant un passage de la lettre de rupture de Nathan Zuckerman à la fin de la Contrevie (The Counterlife) :

Do you remember the Swedish film we watched on television, that microphotography of ejaculation, conception, and all that? It was quite wonderful. First was the whole sexual act leading to conception, from the point of view of the innards of the woman. They had a cam­era or something up the vas deferens. I still don't know how they did it—does the guy have the camera on his prick? Anyway, you saw the sperm in huge color, coming down, getting ready, and going out into the beyond, and then finding its end up somewhere else—quite beautiful. The pastoral landscape par excel­lence.

jeudi, 10 novembre 2011

Exister est un plagiat : 35 et 38

35

 

Revenir, un été pluvieux, sur les traces d’un des lieux de mon enfance (la rue principale de Chicheboville), ne m’a pas remué autant que j’aurais cru. Et je ne parviendrai jamais à métaphoriser de manière pas trop pesante l’insurrection, non loin de là, d’un immense champ d’éoliennes.

 

Le globe de papier cerclé « japonais » de Roubaud a rappelé le studio de Talence.

Pour la première fois, à Lyon, et, outre les traboules, que pouvais-je faire dans une laverie automatique ?

Le miel des promesses n’est pas le fiel des « réformes ».

Il y a, à Navarrenx, un excellent bouquiniste.

Au stade Guy-Drut, pour la première fois, nous avons vu jouer, en novembre, l’équipe de handball de Saint-Cyr, qui recevait l’U.S. Saintes. La ville sauvée des eaux met en avant : des lettres, trois zozos. Près de la crèche s’ouvrent des brèches.

Il attaque, il attaque drôlement.

Paronomase encore. Une troisième ? Laquelle ?

J’ai lu, et relu, et repris, et redécouvert des volumes, et des volumes, de V.S. Naipaul.

Tu cours de loin en loin, mais à Courances, ce jour-là, même les statues sont fatiguées.

Baugé coule dans mon bathyscaphe. Orléans redevient Acapulco 72. Et j’ai encore oublié qui était Sophronyme Beaujour.

 

Ainsi, revenir, un été normand, sur les traces d’une forêt déboisée où je n’étais jamais allé, cela constitue la forme la plus intéressante du retour. Aucun homme n’a la force du crabe, ni sa pugnacité. Toujours on avance, et, le plus souvent, des hypothèses.

 

 

 

38

 

Je bois, je mange, je dors, que vous dire.

Je voudrais croire que ma dernière année sera aussi paisible. Mais l’insouciance est toujours derrière nous. Sinon, on n’écrirait pas.

Si on me lance « fais risette », je ne suis pas sûr que j’obtempère.

Les images sont mensongères.

 

Tu te grattes, tu es un wombat.

mercredi, 09 novembre 2011

Exister est un plagiat : 34 et 39

34

 

Je ne tiens plus debout, et même assis à mon bureau je ne tiens pas. Mais ça me fait prodigieusement râler de laisser se déliter ce livre. Ainsi, de même, en 2008, je ne voulais pas laisser se faner les roses trémières de Cherbonnières, alors j’ai fui Cherbonnières (bien entendu). Je tiens à résister, vent debout contre moi-même. Un bel imbroglio.

En avril, Eric m’héberge quand viennent les réunions de barème, et je lis Sibylle Lacan.

Sur du papier kraft, une trace retient les progrès difficiles d’un élève en tutification des prosopopées.

———— C’est ça, ton autobiographie ? numérote tes abattis.

 

 

39

 

Le tableau au-dessus de la cheminée de la maison de mes grands-parents que n’occupent pas mes grands-parents représente des fruits et ce que j’ai mis très longtemps à identifier comme un vase. On met les patins, sur le parquet. Dans les salles de classe de l’école, nous jouons, ma sœur et moi, mais l’odeur des toasts vient du logement, l’odeur des jeux printaniers vient du jardinet, et tout ça n’a pas lieu près de la maison de mes grands-parents que n’occupent pas mes grands-parents.

mardi, 08 novembre 2011

Exister est un plagiat : 33 et 40

33

 

J’ai repensé, avant d’avoir trente-trois ans, au puzzle préféré de mon enfance. Il représentait la France par départements, soit 95 pièces, plus quelques morceaux périphériques pour les pays limitrophes. Je refaisais maniaquement ce puzzle dix, vingt, trente fois, en variant les « attaques », comme aux échecs en quelque sorte. Mon « attaque » préférée était par l’Espagne, en commençant ensuite par les départements de la côte Atlantique. J’aimais bien aussi commencer par la Bretagne, avec son bec bifide.

Je me rappelle que, dès que j’ai su compter, passionné par les numéros des départements, les préfectures, les sous-préfectures etc., j’ai su faire ce puzzle, et j’ai souvent associé ensuite les âges des différents membres de ma famille à des départements. Ainsi, quand ma mère était la Haute-Garonne, ma sœur était encore les Ardennes, puis l’Ariège après son anniversaire.

Lors de ma trente-troisième année, j’ai surtout vécu en Indre-et-Loire. Je note cela trois jours avant mon 37ème anniversaire. On ne parlera pas du Christ. (Trop tard.)

—— Les deux seules fois où j'ai dû revenir à Bordeaux, en 2007, furent d'une grande tristesse.

 

 

40

 

Dans les Landes, où j’ai passé, comme tous les ans jusqu’au baccalauréat, le plus clair de mon temps, je n’ai connu, apprécié, qu’assez tard les forêts de pins. C’était la petite ville où nous vivions ; c’était le jardin de mes grands-parents, qui me semblait immense ; c’étaient les fumées puantes de la papèterie de Tartas ; c’était aussi le petit train de Marquèze, au milieu des pins, donc mes souvenirs écrivent n’importe quoi.

En classe de petite section, à trois ans, avec Mme Séverin, notre maîtresse, nous avons appris une chanson d’Yves Duteil. Je me rappelle que cette même année je préférais « ricmer » sur Jamais content d’Alain Souchon. Let’s All Chant, mon 45 tours préféré, ce doit être légèrement postérieur.

Eternel retour. Les Landes, pour moi, c’est la Chalosse, c’est-à-dire, en fait, pas la Chalosse, le pays d’Orthe, autant dire presque le Béarn, et donc pas les Landes. Il fallait bien tenter de cerner deux fois, et même des myriades, ce sujet qui ne cesse de s’échapper.

lundi, 07 novembre 2011

Exister est un plagiat : 32 et 41

32

 

Je ne dois pas me mettre martel en tête. Une tête d’halco, autant dire, un singe en décembre avec un duffle-coat. Pourquoi rien en janvier, et après ça une foison, la main de Balzac, le toit tranquille où marchent des flocons, un balai à gazon sur une épaisse couche de glace. Dynamo se met en marche, un tamarin parisien fait signe, un autre singe encore un autre singe, au printemps celui-là. (Au Salon du livre, si j’ai existé, c’est par le sourire et la main, l’attente dans une cabine de photomaton.) Ensuite, j’enfile la série des Virevoltes (sur fond de bassine à linge, sur fond de radiateur en fonte, sur fond de nappe, sur fond de carrelage, sur fond de miroir avec ma gueule, sur fond de matelas moiré, j’en passe), Chambord, le chambard au jardin d’enfants, Landes-le-Gaulois un toponyme de totale prédestination avec notices pancartes fautives vieille 2 CV des années 50, le chambard encore, la guimbarde au retour de Chambord, Saintes avec une couronne jaune, d’autres Virevoltes, Watt, la fée électricité, le chambard, une vie c’est compliqué, Mammouth dans la courette où enfant je jouais aux petites voitures – avec les joints entre les dalles qui faisaient les meilleures routes de toute mon enfance –, la fontaine d’eau chaude, l’aquarium de Biarritz et le mur(et) d’escalade, Lussac Civaux Montmorillon, une nuit à Saint-Savin, tout ça pour finir par un matin au bord de la Mer rouge. Je ne dois pas me mettre martel en tête mais ça continue de plus belle, et depuis belle lurette. Alors ne rien oublier, ni le banc rouge à Ménil, ni le violon de faïence dans une vitrine à Blois (à quoi m’avait servi de lire Champfleury ?), ombres sur le bleu de ciel, keep me covered, un porc-épic, mes parents peignant des planètes, la rue des Fossés-du-Château. D’un château l’autre, donc, ça continue, de plus belle toujours de plus belle, quand s’arrêtera mes aïeux cette effroyable accélération du temps, dire que ce midi encore on parlait de ça, de l’éternelle jeunesse, je confonds toujours un peu Faust et Dorian Gray, pour ne rien dire de ce mois de jouvence, juin pardon, un panda roux au zoo de Doué, des grimaces, un malaise, une fête avec une danse de rubans, une promenade au château du Rivau avec les Québécois d’adoption (Clément venait de naître), quelques jours dans les Landes car C*** faisait passer les examens d’un quelconque BTS dans un quelconque faubourg de Pau (d’Orthez ?) et son père allait très mal, alors à côté de cela Descartes Preuilly La Guerche le Grand-Pressigny ça n’a pas de poids, c’est le jour de l’été, la fête de la musique, en remontant l’avenue en voiture on double ma collègue Fabienne en vélo qui ne nous voit pas. Ça continue, pourtant, le tintamarre de la mémoire ne connaît pas d’interruption, alors j’enchaîne j’enfile je circonflexise à fond, and here we come André Markowicz au prieuré Saint-Cosme, la mosaïque infernale au Musée Labenche, les travaux à Tulle, je me mets toujours plus Martel en tête, d’immenses dinosaures en béton armé menacent de se casser la gueule sur moi, même pas peur, la religion tue le monde, l’illumination à Souillac, le faux derche à Commarque et le vrai François Hollande à Arnac-Pompadour, à la fête de l’âne je n’invente rien. Le mois de juillet s’est-il achevé sur la guimbarde (encore une guimbarde) 110 Cuites 210 Cuites, il fallait que le mois d’août fût modéré, alors on ne retient que la cible rouge d’Arthous, elle suffit à plonger dans le bain d’un mois à la chaleur modérée, aux pluies modérées, aux dernières joies d’une vie comme un feu vif, je pleure en écrivant cela, ce n’est pas bien de l’écrire mais le bien maintenant… Après la mante religieuse pour de vrai, le scorpion pour de faux de Jean-Luc Goupil, donc Tutuola, ergo des orangs-outangs à Beauval, tout cela se tient, on sait se tenir croyez-moi. Je termine ce calendrier cet almanach façon Jean-Louis Murat (je veux dire par là que c’est obscène et dénué de sens), les chrotomis sont très gentils, ma mère boquillonne, octobre est sobre malgré le décor de carton-pâte rouge, un cornichon géant me salue à Montlouis, décidément me dis-je à la fin du mois en lisant Virginia Woolf, le scorpion n’a qu’à bien se tenir. Au moment de fêter mon anniversaire, je suis totalement épuisé (c’en sera de même cette année je le crois) : « jets de pierre interdits » et statue verte de Vigny (sous peine de poursuites).

On poursuit en 41. (Non, j’aurai 67 ans en 2041, hors de question que j’arrive jusque là.)

 

 

41

 

Coquetterie. Dans l’œil. Pan dans les dents.

 

Nous revoici à Bristol. Le texte fait mosaïque, ou plutôt kaléidoscope (on en ramène un, motifs du Magic Roundabout à l’extérieur, petits cristaux multicolores dans la lunette).

Cette année-là, je ne sais plus pour quelle raison, mon père avait ramené à la maison, et déversé près du portillon du jardin, un tombereau indistinct dans lequel se trouvaient surtout des myriades de petits carreaux de faïence bleues, vertes et jaunes, ébréchés pour la plupart. Souvenir d’avoir joué avec ces petites merveilles, plus ébloui que si la caverne d’Ali Baba s’était ouverte devant mes yeux.

On passe un temps fou avec les aïeux, ceux de Fadesse ou ceux de Normandie. Bientôt ces derniers ne seront plus qu’à Saintes, ville dont je ne dis rien dans ce livre, mais dont le nom ne cesse de revenir, comme un mantra.

Mater. Anagramme ? Ma terre, celle dans laquelle je fouaille avec les doigts, aussi en jouant avec les petits carreaux de faïence ébréchés, c’est l’image de ma mère, il n’y a qu’elle. (Trop d’images pour en choisir une seule.)

 

― Tout de même, ce sera étrange, quand j’aurai tout réagencé à la suite, cette convergence vers le centre, et puis ces symétries.

― Tu ne veux tout de même pas dire que tu es allé chercher le souvenir du kaléidoscope pour une satanée, une foutue mise en abyme ?

― Hmmm… non, mais du coup, il se trouve…

― Tu es plus irrécupérable que je ne pensais. Je vais t’apprendre à manier la gomme, moi.

― On verra, je te passerai l’ordinateur. Après.

dimanche, 06 novembre 2011

Exister est un plagiat : 31 et 43

31

 

Pour la deuxième fois, c'est moi qui me chargeai des emplois du temps. J'ai toujours trouvé fascinant le mélange d'abrutissement répétitif et de complexité intellectuelle de cette tâche.

Pour la première fois, j'utilisai un appareil photo numérique de qualité. La première photographie que je me rappelle avoir faite représente mon fils, Alpha, et ma femme en train de lire la notice de l'appareil. Je crois avoir aussi cadré, depuis le jardin de la maison du 14 rue Guillaume Apollinaire, deux melons dans un sac plastique accroché au volet métallique de notre cuisine.

Pour la première aussi, le 6 juin 2005, je débarquai activement dans ce que l'on nomme, de plus en plus ridiculement, la blogosphère. L'été qui suivit, malgré la connexion modem à bas débit, je publiai tous les jours, dans les Landes, plusieurs textes. J'eus l'idée, en octobre, de rassembler les cent premières journées de ce blog sous le titre général Un bel éténébreux, mais la faiblesse globale des textes, ainsi que leur manque de cohérence, me retint.

Le 7 août, nous avons assisté, C*** et moi, à notre première course landaise depuis belle lurette. Alpha a aussitôt mordu à l'hameçon. Depuis, il est devenu très amateur et expert. Et, ce jour-là, c'était, à Pomarez, l'occasion de voir à l'œuvre pour la dernière fois le cordier Jeannot Dussarat. Et pour la première fois le sauteur Dominique Larié, dont le saut pieds joints capturé par moi ce 7 août montre assez tous les progrès qu'il a accomplis depuis…

 

 

 

42

 

L'été 80 – n'est-ce pas le titre d'un livre de Marguerite Duras ?

L'hiver 80, je ne sais pas. Dernières journées de pluie à Saint-Paul-lès-Dax. Séances de piscine avec la classe de grande section.

S'il y a effectivement eu des élections cantonales à l'automne 1979 ou au printemps 1980 (vérifier serait tricher), alors c'est bien ici que se place mon souvenir d'être allé coller, avec mon père, des affiches pour le candidat écologiste local. Les villages de Gourbera et de Herm (leurs noms, surtout) sont restés liés, pour moi, à cette journée.

 

samedi, 05 novembre 2011

Exister est un plagiat : 30 et 43

30

 

Tu me devances, sur le chemin de l’école, non sans regimber parfois.

Au Jardin botanique, le plus souvent le mercredi, nous ramassons des feuilles de paulownia. (Sept ans plus tard, en CM2, tu étudies les jungleries du douanier Rousseau.)

Et moi, je n’ai pas su me débarrasser de ce foutu rythme ternaire.

 

Toi, le tout petit enfant

Qui vois dans la maison

Danser les poussières

 

 

43

 

Pour la première fois de ma vie, j’ai pris le train. Bizarrerie, un jour de juin, ma mère nous emmena avec elle, ma sœur et moi, à Saintes, chez nos grands-parents paternels. Mon père nous y rejoignit plus tard, me semble-t-il. Entre Bordeaux et Saintes, la climatisation s’est déréglée ; il faisait une chaleur épouvantable.

Ici s’accrocherait à merveille, comme à une cimaise discrète, les nombreux souvenirs que je conserve des cerises, du cerisier de Saintes, des cueillettes, des dénoyautages, des stérilisations, des dégustations sous l’arbre, des feuilles de cerisier encore attachées aux queues, des cerises des cerises.

Mais le musée a fermé pour la nuit.

Il reste le train du soir.

vendredi, 04 novembre 2011

Exister est un plagiat : 29 et 44

29

 

Certains souvenirs persistent à me fuir comme un pestiféré.

 

Je me souviens d'un lundi soir d'hiver, où je mis un temps infini à m'endormir, dans ma chambre du Régina. Et d'un mardi soir d'été, torride, où je me filmai dans cette même habituelle chambre, afin de faire le point, narrativement, sur les différents logements que j'avais visités ce jour, et notamment sur la maison que je n'avais pu filmer mais avais fini, repartant en course arrière, haletant, alourdi, affolé, par accepter de louer séance tenante, damant le pion, de quelques secondes à peine, et encore, aux visiteurs suivants. (Peut-être n'ai-je damé aucun pion ; peut-être n'auraient-ils pas craqué pour cette maison de la rue Guillaume Apollinaire.)

Me revient un nom, celui d'une étudiante que j'interrogeai un soir au lycée Descartes, mais c'était déjà l'automne suivant, juste avant mes 29 ans : Silithone Photirath.

Je me rappelle les trajets entre Tours et Paris, avec l'ordinateur portable, puis entre Paris et Beauvais, ou encore la gare de Beauvais le lundi matin à 5 h 07 (le train partait à 5 h 07). Commuting, un mot que j'avais appris à ne guère aimer au cours des trois années nanterroises, et que j'ai définitivement détesté après quelques mois à peine à jouer les turboprofs.

 

Je me rappelle, bien sûr, les promenades à la maladrerie, avec Alpha.

 

 

44

 

Elle m'a écrit des lettres et des lettres et des lettres et des lettres et des lettres…

 

En Angleterre, dans les jardins circumvoisins de la cathédrale d'Ely, j'ai donné des graines à des pigeons en compagnie d'une petite fille habillée comme une princesse de conte de fées. Un polaroïd que nous a donné illico son père a permis de fixer ce moment dans ma mémoire.

Quelques jours plus tôt, dans un camping sis non loin de Crystal Palace, j'avais trouvé, à demi enfouie dans la terre, une cuillère à café dont le manche était orné d'un motif très complexe et très beau. Je sais que j'avais encore cette cuillère quand nous vivions à Beauvais. Où est-elle passée ?

 

(Cet objet, qui m'a accompagné pendant vingt ans au bas mot, n'est immortalisé, s'il est bel et bien perdu, que dans mon souvenir. Aucun polaroïd, aucun astronef ne s'y attarde.)

jeudi, 03 novembre 2011

Exister est un plagiat : 28 et 45

28

 

Chaussure de Nathalie Quintane, c’était bien avant, en 1998 je dirais. Mais pourquoi Chaussure ? je suis passé du 38 au 44 puis au 49ter, avant de redescendre au 44. Avouez que c’est cocasse. Enfin, cela n’a rien à voir ici.

Pourquoi un tel principe de pointure ?

 

Pourquoi cette coiffure ? Tronche de ma tante.

ICI INSERER ALBUM ENTIER, ALBUM AUX PAGES NOIRES, COUVERTURE VIOLETTE, EFFET GARANTI.

On n’y comprend rien, c’est bien pour ça qu’on écrit.

 

À plus d’un titre, le très peu (pourtant) d’heures passées dans la salle des professeurs, à Nanterre, a dû avoir une grande importance. Mais l’année 2002 est celle où, la fleur au fusil, le lendemain du jour où le président Chirac fut réélu avec un score de république bananière, je fus auditionné à Bordeaux et Tours. Je n’ai peut-être dû mon classement en première position à Tours qu’au fait que j’ai déclaré forfait pour Paris-X, et que ça s’est su (et que personne ne donne la priorité à la province). En septembre, je prenais vaillamment mon poste. À quoi tient une vie…

 

Pourquoi cet hôtel, le Régina ? Et pourquoi ce nom ? Dans le bureau que je partage avec cinq autres collègues, il y a une magnifique tenture représentant les rois d’Abomey avec leurs symboles.

 

 

45

 

J’ai beau chercher, me triturer la matière que l’on dit grise, je ne vois rien d’autre, vraiment que Jézeau. Bon, allez, si : Vaison-la-Romaine, la Suisse, trois jours en carafe à Graz pour la énième panne de cette foutue Renault 16 TL, et la pétanque à Chicheboville.

Chicheboville n’est pas un nom inventé.

Quand elle nous écrivait de là-bas, ma grand-mère paternelle (avec qui j’entretenais une correspondance énergique et volumineuse) abrégeait en Chichebo (qui, rétrospectivement, a un petit côté orateur romain mâtiné de légume sec). En 2009, je suis retourné dans le petit village normand, avec sa rue, son église, ses maisons de pierre, le jardin où je jouais et dont toute une moitié a été saccagée en courette de gravier. J’ai revu aussi la tombe, où mon arrière-grand-mère nous conduisait, ma sœur et moi, en pèlerinage, pour pleurer sur son pauvre homme, sur son gars, dont elle essuyait la photo de son mouchoir trempé de larmes. Sûr, je préférais quand même, dans cette même direction, aller promener le chien Titus.

En carafe à Graz : titre à retenir pour un roman, ou pour un poème en prose.

Matière grise. Titre à ne pas retenir.

La Renault 16 TL. Les guimbardes improbables de mon enfance (c’est-à-dire aussi qui m’entouraient – l’époque de la fascination pour les plaques minéralogiques – l’époque où il n’y avait pas de ceinture de sécurité), non, ça, c’est trop tout un roman. Il faudrait raconter la peluche usée de la vieille 304, le trou dans le plancher de la 4L, non franchement, vous voyez ça, vous ?

Ce n’est pas cet été 1983, pourtant, que nous lisions, ma sœur et moi, un gros florilège de L’Os à moelle à Chicheboville. C’est cet été-là, ma mémoire me le remonte pour ma longue honte, que j’ai composé, aussi à Chichebo, une chanson qui s’intitulait Construire un banc de pierre. (Opération tout à fait fictive, au demeurant.)

Qu’est-ce que j’ai pu trafiquer du reste de ma neuvième année ?

mercredi, 02 novembre 2011

Exister est un plagiat : 27 et 46

27

 

Au printemps, à chaque chapitre écrit de la thèse (soit, à un moment de production particulièrement poussé, un par semaine), je me récompense en nous invitant au restaurant, C*** et moi. Avant de m’atteler d’arrache-clavier à ces chapitres, entre janvier et mars, j’ai traduit – au rez-de-chaussée de la petite maison de Beauvais, dans ce qui allait être la chambre d’Alpha, et sur le vieil ordinateur Macintosh dont je transférais ensuite les fichiers sur le PC quasi neuf, à l’étage – la totalité de Yesterday, Tomorrow.

Je crois que c’est dans ces eaux-là que nous écoutions Défloration 13 de Thiéfaine.

 

 

46

 

À Vincennes, dans la petite chambre mansardée, encombrée autant que décorée de divers petits objets et cadres, je joue au guide de château, ou de musée. Ce jeu, ou cette manie, m’a accompagné quelque temps, et avait sans doute commencé avant cet été 1984, même si c’est dans ce lieu que je me revois le plus distinctement le pratiquer.

Souvenir sans lien avec le précédent, mais beaucoup plus traumatisant, j’ai décidé, de retour à la maison à la veille de la rentrée en sixième, que le coiffeur n’avait pas bien fait son travail et me suis fait un trou dans la tignasse déjà bien ratiboisée par le vieux coiffeur à l’ancienne de la place du Gond. Peur d’attirer l’attention des camarades, au collège, par cette bizarrerie capillaire. Personne, je crois, ne me fait pourtant de remarque.

mardi, 01 novembre 2011

Exister est un plagiat : 26 et 47

26

 

Je lis Anachronisme de Tarkos, qui m’impressionne, auquel je ne comprends rien. Ce mois de mai-là, bien chaud, j’ai pris l’habitude de m’installer sur le toit en zinc de notre maisonnette. Je grimpe là-haut au moyen de l’échelle, en passant par la courette. Là-haut, bien installé en plein soleil (soleil dont nous ressentons cruellement le manque, habituellement, en Picardie), je lis comme un lézard. Comme un forcené je lis, et pas seulement Tarkos.

À Pâques nous avons fait une escapade en Irlande, quatre jours autour de Dublin.

Tout le monde casse les pieds de tout le monde avec l’an 2000.

Même moi, pieds cassés plus que cassés par tout ce cinéma idiot, je me surprends à retrouver, dans ma mémoire, une chanson assez inepte de Jean-Pierre Mader, en effet l’an 2000 n’est plus ce qu’il était (et, écrivant ces lignes onze ans après l’an 2000, je ne vous dis pas).

D’autres questions me taraudent sur cette vingt-sixième année de mon existence. Entre autres. Très entre autres. Est-ce vraiment Huck Finn que Frédéric lisait impassiblement à l’arrière du louage où nous avons failli trouver la mort, entre Nabeul et Sousse ?

 

 

47

 

Cette ville, qui fut un enchantement si profond, n’est aujourd’hui (blême mémoire) quasiment plus qu’un nom.

Argols : avec Gracq bâtir des châteaux d’encre, qui n’existent pas.

Golias (l’air est pointu comme un ciseau) : des catholiques qui ne reconnaissent pas la papauté, voici qui m’intrigua.

Sol râg : musique musique musique.

Tout de même, où est passée mon Allemagne ?

lundi, 31 octobre 2011

Exister est un plagiat : 25 et 48

25

 

The outward trade consists chiefly of coal and lime, in both of which the immediate district abounds.

 

Tu as souri, moi aussi – au prieuré de Serrabone.

 

When I turned again, Sherlock Holmes was standing smiling at me across my study table.

 

 

48

 

1986. Mois de juillet parfait, dans le Roussillon, à nous gaver d’abricots par kilos, avant un périple à Font-Romeu, puis un passage en Catalogne.

Peyrepertuse aussi ? Sans doute.

dimanche, 30 octobre 2011

Exister est un plagiat : 23 et 50

23

 

J'avais passé les trois années précédentes à lire, avec passion, pas tout Dickens, mais presque. Les premiers me tombaient déjà des mains, mais j'en avais dévoré tant et plus. Cette année-là, étudiant de nouveau David Copperfield, pour l'agrégation désormais, j'ignorais que j'allais, ce faisant, lui faire mes adieux. Après, je n'avais plus la tête à ces gigantesques machines.

 

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50

 

Nicolas me tape la tronche contre un pilier. J'ai des crises de colite qui m'obligent à aller à l'infirmerie. Un autre énergumène encore, prénommé crois-je me rappeler Christophe, me fout un coup de boule. Ce n'est pas que j'aie la tête ailleurs, mais je ne suis pas vraiment en phase avec mes camarades.

L'année suivante, je lis Le Don paisible.

samedi, 29 octobre 2011

Exister est un plagiat : 24 et 49

24

 

Tous les soirs, tous les soirs veux-je dire où tu rentrais du collège, tu rentrais du collège après une première cellule de décompression en salle des professeurs, puis, jusqu’à l’heure du dîner et souvent aussi pendant le dîner, tu avais encore besoin de raconter par le menu, et d’en discuter avec moi, tout ce qui s’était passé d’anormal, c’est-à-dire d’habituel, et nous savons depuis, toi surtout, ce que veut dire « enseigner en banlieue ».

On écoute 2043, Sclavis, Creil City et Bojan Z. (que nous avons vu et entendu en quintette à Creil).

Malgré le brouillard, le ciel bas et lourd comme un couvercle, le soleil peut briller, et ce n’est pas une année facile.

Lors de la grève, le Courrier picard finit par titrer : « Du baume au cœur de Baumont ». (Sur la photo, je ne vois que toi tenir la banderole.)

Ciel bas et lourd. On écoute Ferré, on visite sillonne en tous sens la région.

En tous sens Senlis Amiens Esquennoy Laon Blérancourt Gerberoy.

Mais le sens nous échappe, c’est une très belle année quand même allez comprendre.

 

 

49

 

Pendant les jours de convalescence de la scarlatine, pendant que les charpentiers construisaient le toit au-dessus de la terrasse côté Campot, j’apprenais les verbes forts, et recopiai dans un cahier de brouillon les paroles d’une bonne quinzaine de chansons de Reinhardt Mey (que je ne connais plus, vingt-cinq ans plus tard, que très partiellement).

Quelques années plus tôt, mes grands-parents maternels m’avaient offert un double album Frédérik Mey à Bobino. Longtemps avant Beckett, peut-être sur un mode mineur, la dyade Frédérik/Reinhardt a constitué ma principale initiation au bilinguisme absolu absolument créatif.

Quelques années plus tard, à Varel, j’ai entendu des chansons du versant allemand que je ne connaissais pas. Je crois que son œuvre en français est plus intense, plus réussie. (Ce n’est pas vrai de Beckett, qui vibre avec autant d’intensité des deux côtés.) Il me semble que, de cet auteur-compositeur-interprète germano-français, je pourrais encore chanter de mémoire certaines chansons : Le politicien ? Le Vieil ours ? Deux kangourous devant la véranda ? Le formulaire ? Daddy Blue ?

Le passé simple est forcément parfait, le futur antérieur parfaitement forcené.

Ne cherchez pas : blême mêmoire.

vendredi, 28 octobre 2011

Exister est un plagiat : 22 et 51

22

 

Was there a “secret” at Bly—a mystery of Udolpho or an insane, an unmentionable relative kept in unsuspected confinement?

 

 

51

 

It was not that the young man disliked her; on the contrary, he regarded her with a tender admiration, and he had not forgotten how, when his cousin had brought her home on her marriage, he had seemed to feel the upward sweep of the empty bough from which the golden fruit had been plucked, and had then and there accepted the prospect of bachelorhood.

jeudi, 27 octobre 2011

Exister est un plagiat : 21 et 52

21

 

Cet été-là, en visitant le château de Castelnau, nous piquons un fou rire à cause du son & lumière.

 

 

52

 

Dans Cabaret Zap, je joue un rôle muet très secondaire, qui consiste à montrer au public des pancartes Applaudissez et Fermez vos gueules.

mercredi, 26 octobre 2011

Exister est un plagiat : 20 et 53

20

 

Un soir, avec Sébastien, nous sommes allés voir Arizona Dream, au cinéma UGC.

Un autre soir, en rentrant aussi du cinéma, un molosse placide nous a barré la route ; nous ne savions que faire, et tout ce que j’ai trouvé à dire, c’est « C’est con, comme situation, ça ».

Je faux. J’ai tout faux. Ces deux anecdotes ont eu lieu pendant la première khâgne.

De même les promenades au Jardin botanique.

Mais alors, que s’est-il passé au cours de ma vingtième année ? Je ne me suis pas contenté, tout de même, à Talence, d’aller le mercredi matin, faire des prises de sang en me faisant un thé, de retour au studio, et en écoutant Le Chant du cygne de Manset ?

On n’a pas tous les jours vingt ans, d’accord, mais tous les jours de cette année-là, banalement, je m’apprêtais à avoir bientôt vingt ans. Et ça n’avait aucune importance. Il m’est arrivé de me projeter dans l’avenir, comme on dit, mais pas comme ça : devoir écrire une autobiographie rétrospective, en racontant deux fois chaque année ? mais ça ne tient pas debout… Pourquoi ce que j’ai écrit dans le §56, il y a trois jours, me semble-t-il suffire amplement (et même déborder) ? Tout cela n’est-il pas casse-berlon, indigeste ?

 

 

53

 

Pendant les premières semaines de cours, en hypokhâgne, je reviens le soir dans le petit studio de la rue Frédéric-Sévène, et j’écoute Je suis une guitare de Moustaki. (En faisant la vaisselle, un soir, le plan de ma première dissert de philo me vient d’un bloc, en écoutant une autre chanson de Moustaki.) Quand je rentre, j’ai souvent, outre mon cartable, un sac plastique rempli de nectarines un peu talées mais très goûteuses, que je me rappelle avoir acheté à des vendeurs du boulevard Victor-Hugo pour dix francs les trois kilos.

—— Fragments autobiographiques. En faisant des choix, même dans les années lointaines, on se rend compte qu’il y a tant de choses qu’on ne racontera pas : la quinzaine à Dungeness, huit jours à Madrid (l’émerveillement devant les Ribera), le séjour au mois de février dans une famille de Frise (à Varel), ou encore les deux méchouis de fin d’année, en terminale, chez le professeur de philosophie, à Saint-Lon-les-Mines. Si on racontait tout, ce serait insupportable, et même comme ça, déjà, on s’inquiète, n’est-ce pas indigeste, inintéressant, casse-pieds ?

mardi, 25 octobre 2011

Exister est un plagiat : 19 et 54

19

 

Ce n’est qu’hier, seulement, que j’ai raconté douze journées partiellement imaginaires de ma dix-neuvième année. Qu’attend-on de moi ? que je recommence ? n’en ai-je pas assez fait ? n’ai-je pas déjà assez de paragraphes, de palimpsestes aux basques ?

Hein, que veut-on que je raconte ? Pourquoi tel regard noir me donne-t-il à penser que je n’ai pas assez parlé, dans ces pages, de ma famille ? Dois-je vraiment raconter cette journée du 14 février 1993 où nous avons enterré mon arrière-grand-mère, qui était atteinte depuis deux ans, la pauvre, de sénilité (elle si intensément tout au long de mon enfance – ce regard absent !) ? Non.

Ou le 21 janvier, quand j’ai appris, par téléphone, la mort de ma grand-tante, Thérèse, la sœur aînée de ma grand-mère paternelle, pieuse et aveugle ? Pour cette fois-là, je me souviens précisément de toute la soirée, car C*** m’a raconté des choses très belles et très dures, sur ses deuils à elle.

La mémoire est une bête curieuse.

Et ce n’est pas un animal.

Ni un supplément d’âme.

Juste un ressort.

 

 

54

 

Novembre 1991. Il y a eu, ce mois-là, un des très rares week-end où je ne suis pas rentré chez mes parents. En un jour, tantôt sur le lit, tantôt dans l’un des confortables fauteuils orange mais recouverts d’un drap blanc, j’ai lu Vous m’avez fait former des fantômes, que mes parents m’avaient offert pour mes dix-sept ans.

Pas sérieux. Décembre. Avant le Nouvel An, j’ai écrit un texte en fragments, La Mort d’Hervé. Décembre. Avant. Un soir, au Jean-Vigo, cinéma avec Laurence (Lady for a Day de Capra).

Janvier et ses ardeurs. Coup de chauffe, malgré l’hiver bordelais : me voilà premier au concours blanc. Quelle blague. — Février. En dix-huit mots, je ne retiendrai rien. Si : L’Inquisitoire. Que je n’ai pas lu en un jour. — Mars. Je vais au cinéma avec Stéphanie, ris bruyamment, comme un gros rustaud (Delicatessen, revu depuis, trouvé mauvais). — Avril. Nos nouveaux cours de philosophie – sur l’esthétique, l’art et les questions de la représentation – sont un choc. — Mai. Tout le mois, je me gave de cerises, entre autres, et j’écris Sempiternel, quand je fus mort. — Juin. Tout est parti d’une passoire et d’un prétexte fallacieux, emprunter un Gaffiot je vous demande un peu. — Juillet. Est-ce fin juin que je lis Fiesta (The Sun Also Rises) de Hemingway – fancy a coupla drinks? — Août. J’écris des textes de chansons, le ridicule ne tue pas, et j’ai toujours très bien survécu. — Septembre. Les deux chansons qui marquent, à tout jamais pour moi, cette rentrée, sont Sacré géranium et L’Antéchrist. — Octobre. Faut l’accepter, c’est pas surprenant, tout de même, la vie, eh bien la vie n’est pas facile.

lundi, 24 octobre 2011

Exister est un plagiat : 18 et 55

18

 

Me voici au fragment 18, et à son fragment-miroir, le §55. J’allais avoir – cinq mois plus tard – dix-huit ans. C’était le 18 juin, dans le petit studio de la résidence Coppélia.

Le reste nous appartient.

(J’écris une autobiographie pudique.)

 

 

55

 

Puis-je imaginer douze jours précis de ma dix-neuvième année ? Allons, jouons – on n’est pas si loin de la fiction, après tout.

Le 19 novembre 1992, un jeudi, disons que nous avons, toi et moi, déjeuné au réfectoire du lycée Montaigne, puis discuté avec Cyril autour d’un café (ou d’un chocolat chaud). N’est-ce pas le jeudi que nous travaillions ensemble sur les versions latines, attablés à la planche à tréteaux qui servait de bureau, dans le studio de la résidence Coppélia ?

Le 19 décembre, un samedi, est, d’après certaines sources, le jour où est mort Louis Ducreux. (Une année en creux, douze journées à deux ?) Pour nous deux, c’était le départ pour les vacances en famille, chacun de son côté. (On sortait sans doute d’une semaine de concours blanc. Je me gavais de pralinés bon marché.)

Le 19 janvier 1993, un mardi, nous avons dû avoir, comme chaque mardi, cours de français (et de quoi d’autre ? aucun souvenir), puis le déjeuner, les révisions de vocabulaire latin dans la minuscule et ridicule bibliothèque du lycée Montaigne, puis le cours de latin de M. Robert.

Le 19 février, un vendredi, j’ai beau me creuser l’esprit – quoi ? pas l’once du début d’un quadrillage. N’est-ce pas dans ces eaux-là, juste avant les vacances d’hiver, que nous sommes tombés très malades, moi d’abord, puis toi, la différence étant que tu as traîné cette saloperie pendant toutes les vacances ?

Le 19 mars, aussi un vendredi (not a leap year, my dear), je sais que nous avons acheté Info Matin avant d’aller en cours, pris un café avec Edwige et Stéphanie, profité un peu des premiers rayons féroces du soleil printanier dans la rue Sainte-Catherine. Peut-être avons-nous traîné nos guêtres du côté de chez Aner, avant de prendre le bus.

Le lundi 19 avril, selon que c’étaient les vacances ou pas, nous avons pu nous écrire une longue lettre, chacun de son côté, ou alors, peut-être… quoi… un concours blanc… lectures, révisions… Mais enfin, tu sais très bien ce que nous faisions le lundi.

Le 19 mai, un mercredi, nous étions à Hagetmau. Tu fêtais tes vingt ans, j’étais là. Comment se fait-il que nous fussions en vacances si tard dans l’année ? quelque chose cloche. Est-ce que je confonds ? avec quoi ? Noël ? le 19 mai de l’année suivante (mais ça ne marche pas vraiment non plus) ? y avait-il un pont (Ascension) ? Toujours était-il que, je le sais, nous étions à Hagetmau le 19 mai 1993. Et puis non, suis-je idiot, nous avons fêté ton anniversaire dans le petit studio, avec une dizaine d’amis, nous serrant autour de la table à tréteaux, mangeant des pizzas (nous n’avions pas de quoi faire vraiment la cuisine dans le kitchenette, donc à plus de deux c’était compliqué) et buvant du cidre (sages années). Etaient là Hannelore, Anne-Laurence, Stéphanie et son copain de l’époque (Jérôme ?), Cyril bien sûr, Carine, Sébastien, Laurence. Le voisin d’en face, qui, avec sa pétasse, foutait souvent du barouf (alors que nous nada, niente), est sorti pour gueuler au moment où nos amis s’en allaient, c’était minuit je pense et on riait un peu fort, moment qui n’a pas duré plus de deux minutes – cette « sortie » inattendue (& quite unfair) t’a un peu gâché la fin de journée.

Le 19 juin, lendemain de nos noces de coton (précision pour tout autre lecteur que toi : j’emploie la formule rétrospectivement et au second degré), je ne pense pas que nous soyions restés à Talence (en général, nous rentrions chacun chez soi le week-end – tes parents ont mis du temps, pourrait-on résumer), et j’allais embarquer, à peine quelques jours plus tard, pour Paris, passer les oraux de Normale Sup’. (Je crois que les résultats d’admissibilité sont tombés le lundi 21.)

Le 19 juillet, un lundi, je n’ai évidemment pas la moindre idée d’où je pouvais me trouver. Si j’étais dans les Landes au moment d’écrire ces lignes, je farfouillerais sans vergogne dans notre correspondance amoureuse et j’aurais la réponse. Peut-être étais-je à Paris, pour mon stage à Radio France Internationale. (Mais non, je confonds, ça c’était en août 1992.) Peut-être avions-nous trouvé un moyen d’être, toi à Cagnotte, ou moi à Hagetmau. Ou pas. Ainsi se passaient les vacances, en plans, manigances, prévisions et subtiles programmations – cela nous a bien stimulés pour le permis de conduire. Il n’y avait pas d’internet, et je n’ai jamais été très fou du téléphone. Combien de lettres quotidiennes, longues de surcroît, nous écrivions-nous ? —— Attends, qu’ai-je écrit plus haut : « j’écris une autobiographie pudique ». Mince, un oxymore.

Le 19 août, même jeu.

Le 19 septembre (dimanche), ce devait être – même si, une fois que tu as fait ta rentrée en Licence de Lettres à Bordeaux, nous avons pris la nouvelle et bienheureuse habitude de rester à Talence un week-end sur deux – un dimanche à Cagnotte. Les dimanches d’hypokhâgne et de la première khâgne, je ne travaillais pas beaucoup, mais je me promenais, je lisais énormément, je faisais des bricoles afin de diminuer la masse de travail de la semaine suivante. Les trajets en train, etc., tout cela était indispensable pour rompre ce qui, sans cela, eût été monotone. Avec toi, en revanche, rien de tel, bien sûr.

Le 19 octobre (mardi), peut-être avais-je une khôlle d’allemand, de philosophie ou d’histoire. Cela arrivait. Toi, tu n’avais pas repris les cours. (Depuis quelques années, la rentrée universitaire est calée sur le calendrier de l’enseignement secondaire, mais nous avons connu, nous qui n’avons pourtant pas quarante ans, les rentrées à la fac juste avant et même juste après Toussaint.) Peut-être m’avais-tu rejoint quand même, je me rappelle que tu as fait croire à ton père, assez évasivement car tu n’as jamais aimé mentir, que tu devais y être pour la fac. Cette année-là, nous avons beaucoup déliré à cause de Gadoffre Gilbert (et non Gilbert Gadoffre).

dimanche, 23 octobre 2011

Exister est un plagiat : 17 et 56

17

 

Se poursuit une existence banale d’adolescent qui veut se croire à part (et en souffre).

La philosophie est une profonde découverte. (Banal.)

Alors que j’aurais aimé sortir avec telle, telle ou telle, dont aucune même ne m’a jeté un regard, je repousse, certes gentiment, la déclaration courageuse et digne d’une camarade de classe, parce qu’elle ne me plaît pas. (Banal.)

Je fais du théâtre amateur, joue Théramène ultra-maquillé et tout en rose fluo dans une parodie de Phèdre, en fais des tonnes, et ça marche. (Banal.)

J’ai mon bac, échoue à deux doigts de la mention TB, ce qui m’agace. (Banal.)

Une semaine à Madrid. Tombe amoureux sans espoir. (Banal.) Ai oublié la fille en question trois semaines plus tard. (Banal.)

Avant de fêter mon dix-septième anniversaire, je suis pris dans un tourbillon enchanteur – qui s’appelle l’hypokhâgne. (Banal.) Ce n’est pas le défilé en toge avec des Gaffiot en chantant Vara tibi khâgna, mais le travail ; j’adore tout ce qu’on nous apprend. J’essaie d’avoir quelque distance vis-à-vis de mon propre enthousiasme.

(Mince, quoi, je voulais devenir journaliste. (Banal.))

 

 

56

 

Banalités de ma vingtième année : je khûbe, et je boutonne tellement sacrément que la dermato (dont les crèmes grasses et casse-pieds me passent par-dessus la tête) me met sous Roaccutane avec des prises de sang mensuelles, ça ne rigole pas. On ne va quasiment plus jamais passer la nuit dans la chambre de C***. Notre appartement, c’est le studio de Coppélia.

Et puis, du moins banal, peut-être ?

Je sèche tous les cours de philo. Le prof est un vieux dingue totalement irrécupérable. Six heures de gagnées, chaque semaine, pour le reste du travail : comme je passe la Licence d’anglais en parallèle de la préparation du concours de Normale Sup’, mais par télé-enseignement, ce n’est pas du luxe. (Je me souviens qu’indépendamment de la traduction, des cours de linguistique et de civilisation, ainsi que de quatre cours de littérature française des 19e et 20e siècles que j’avais choisis en option, le programme de littérature comportait pas moins de huit œuvres : deux pièces de Shakespeare, 1984, David Copperfield, Frankenstein – le reste devait être américain, curieux que je n’en ai aucun souvenir !)

Chronotope du printemps 1994 : l’après-midi, vers 5 heures, le parc Peixotto.

En juin, par une chaude soirée, alors que nous revenons du cinéma, je mets une pièce de deux francs (c’était ma pièce préférée) dans la fente d’un distributeur de boissons en très net dysfonctionnement, car, au lieu d’une, C*** et moi repartons avec huit ou neuf canettes (Orangina et Cherry Coke). Cette anecdote stupide a été, par la suite, prétexte à de nombreux fous rires.

L’après-midi du jour où j’apprends, par le Minitel, que je suis admis à l’E.N.S., je téléphone à C*** pour lui annoncer la mauvaise nouvelle (nous allons vivre séparés :

toutefois, dès octobre, je réussis à m’arranger, et je rentre une semaine sur deux à Bordeaux pour un week-end prolongé de cinq jours).

samedi, 22 octobre 2011

Exister est un plagiat : 16 et 57

16

 

Crise d’appendicite. Le médecin remplaçant met trois jours à comprendre. Opération. (Passé à deux doigts de la péritonite). C’est en novembre, je manque les cours trois semaines, pendant que notre professeur de français n’est pas remplacé. C’est en novembre, il fait beau, je passe six jours à l’hôpital, dont trois à n’avoir droit qu’à des tamponnages de coton humide sur les lèvres (c’est long). C’est en novembre, un ami m’apporte La Montagne magique, que je lis en quatre jours, sans aucune identification (je tiens à le dire) aux tuberculeux. Un autre ami, Christoph, vient me voir et je lui fais découvrir une planche géniale de Gai-Luron. L’infirmière laisse passer une bulle d’air dans la perfusion, la rattrape in extremis ; pendant le très bref incident, Christoph, avec qui je fais du théâtre et qui est très extraverti (plus que moi, au moins à l’époque), mime l’agonie, ou l’épouvante

Crise d’adolescence. Se caractérise par le désir totalement et grotesquement conventionnel d’être différent des autres. J’y arrive assez bien, c’est-à-dire bien grotesquement.

Printemps. Je deviens « le plus jeune juré » du Prix du Livre Inter. Le jour des débats, je défends Guibert – dont je dévorerai ensuite tous les livres (même Les Chiens – vous imaginez, ça, vous, un puceau hétéro qui lit Les Chiens ???) – et Jean Rolin. C’est Pennac qui a le prix, il est très sympa, on discute beaucoup, il est très sympa. (Entrée pour le Dictionnaire des idées reçues : PENNAC (Daniel) – très sympa.)

Eté. Aux Etats-Unis, banlieue de Detroit, chez un couple de retraités, très gentils. Ils ont un chat énorme, Buff. J’apprends l’adjectif declawed, et, par la même occasion, qu’on peut être assez dégénéré pour faire dégriffer son chat. Me rappelle notamment avoir regardé, certains jours, trois épisodes différents de Bewitched sur trois chaînes différentes. Le tube de l’été, c’était Opposites Attract de Paula Abdul. L’odeur de l’année, c’était celle des nouveaux bâtiments de mon lycée, en 1ère et en Terminale – nous y avions cours de français et cours de mathématiques (aussi cours de latin et d’histoire en terminale). Dans l’avion, au retour des Etats-Unis, les autres ados exhibent leurs clichés, étalent le pognon familial. Moi, je vais retrouver mes parents.

 

 

57

 

L’hiver, parties effrénées de tarot dans les turnes du 3ème Rataud. Bonheur infini de ne pas en foutre une rame, après trois années de classes préparatoires. Bonheur, comme l’année d’après à Oxford, de dévaliser les rayonnages de la Bibliothèque, d’acheter et de lire des dizaines de poètes, tout à trac, sans système.

Je n’ai quasiment aucun souvenir du texte des Visionnaires – ni d’Architruc, que j’ai mis en scène pour quatre représentations à la salle Dussane. Axel jouait le rôle de Baga, moi celui du roi. A la demande de Pinget, nous avions supprimé le personnage de la Mort : Architruc succombe à une crise cardiaque. (Plus ou moins.) Odeur du lino de la salle Dussane, et des câbles électriques que j’ai fixés au sol avec des mètres et des mètres de scotch fort.

――――Je sais que j’aurais pu poursuivre dans le théâtre, je suis très heureux de ne pas l’avoir fait. Je lis et je traduis e. e. cummings, j’affiche certaines traductions sur la porte de ma turne, je n’ai conservé aucune de ces traductions, pourtant sous traitement de texte.

Juin, souvenir d’avoir regardé France-Ecosse dans la salle télé rue d’Ulm : le demi d’ouverture écossais ne se prénommait-il pas Gavin ?

Le jour où je quitte Paris, Cyril, qui est dans la capitale pour passer une fois encore les oraux de Normale Sup’, m’aide à trimbaler jusqu’à la gare Montparnasse mes six ou sept valises et sacs remplis de bouquins.

Et, l’été, nous passons, C*** et moi, une semaine formidable, chez Cyril, à Prigonrieux. Il a encore été collé, mais c’est un garçon d’une force morale impressionnante.

Puis il faut reprendre une année, C*** avec l’agrégation de lettres, moi partir pour Oxford, une année. En arpentant les rues, les parcs d’Oxford, le premier jour (un samedi), conviction absolue que ce ne sera pas facile, mais que ce sera une très belle année. (Mes convictions absolues ne m’ont jamais abusé. De même, j’ai toujours su que je ne m’enliserais pas à Paris. Ce n’est pas une ville où vivre.) C*** s’envoie des pages et des pages d’ancien français, et Le Lotissement du ciel.

vendredi, 21 octobre 2011

Exister est un plagiat : 15 et 58

15

 

Sur ma calculatrice Texas Instruments (une vraie poubelle, nous dirait l’année d’après le professeur de mathématiques, qui exigea une Casio), il y avait un jeu d’échecs. Le mois de juin 1989, j’alterne entre ce jeu et les chansons de Brel.

 

En juillet, je passe trois semaines à Malvern, chez Stuart.

Je deviens dingue de cricket – ça ne m’est jamais vraiment passé.

 

En septembre, Christoph et moi nous passionnons pour la langue de Montaigne.

 

Janvier et février d’avant, j’écris, je ne sais quoi.

 

 

58

 

Ada de Nabokov.

——— Oxford, Londres, Cambridge, allers-retours incessants.

————— (Mes amis se nomment Jean-Pascal, Rob, Ted, Julie, et Gavin (Gavin Best).)

——————— Trois gigantesques cuites.

————————— Des heures et des heures de cricket.

——————————— Une folle virée au Portugal (par Tordesillas et Salamanque).

————————————— 24 heures dans la vie d’un faune.

——————————————— Le goût du pain beurré, au réfectoire, à Ulm.

————————————————— Années insensées.

jeudi, 20 octobre 2011

Exister est un plagiat : 14 et 59

14

 

La seule fois de ma vie où j’ai fait du canoë, c’était avec mon père, à Escource, lors d’une réunion estivale des Verts. Etait-ce vraiment en juin 1988 ? je crois que oui, car, si j’ai souvent confondu ces deux événements, c’est bien en juillet 1989, après mon année de seconde, que mon père et moi avons passé un week-end dans les Pyrénées, sous la tente, après avoir gravi le chemin de la Mâture, pour une réunion de la SEPANSO.

En juin 1988, j’ai sauvé un petit merle tombé du nid, que j’ai nourri avec de la pâtée pour chat et des lombrics que j’allais chercher à la pelle dans le tas de fumier. Je l’ai surnommé Grandgousier, et, un matin, après deux semaines, peut-être, de ce régime fortifiant, il a quitté sa cage à tire d’ailes, profitant du moment où j’ouvrais la porte.

C’est juste avant, ou juste après, qu’il y avait eu cette journée à Escource.

 

Je pense que c’est à treize ans, aussi, que j’ai écrit, sur des feuilles à carreaux de petit format, une sorte de roman d’anticipation inspiré autant par Giono que par Robert Merle, et que j’avais intitulé Une rose au jardin de la mort. Même à l’époque, je trouvais ce titre très cucul-la-praline, mais il me semblait ne pas pouvoir en choisir un autre. C’est dans ce texte-là, je crois (mais ne peux vérifier – le manuscrit a dû en être perdu), que j’ai changé le nom de l’héroïne pour la rebaptiser Lirena. Je me revois en train d’écrire les divers chapitres de ce roman inachevé, à mon bureau. Je revois très bien aussi les blocs de papier brouillon que mon père avait ramenés de je ne sais où et sur lesquels j’avais commencé à écrire une autre œuvre, assez utopique également, vaguement robinsonienne, et tout autant passée depuis longtemps à la trappe, Voyage en Cétonie.

 (L’été suivant, à presque quinze ans donc, juste après le fameux week-end en vallée d’Aspe, j’avais entrepris un autre roman, très vite avorté celui-là : Les Lagopèdes. Pour le coup, j’en suis certain, il y avait un personnage féminin qui se prénommait Lirena. --- Je m'en avise à présent, c'est lors du week-end en vallée d'Aspe que j'ai entendu pour la première fois la plaisanterie sur le fromage de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours. Pagaie.)

Pour en revenir à l’autre roman, Une rose au jardin de la mort, je sais qu’il m’est arrivé, pour l'écrire, de m’isoler même le dimanche, quand mes grands-parents maternels nous rendaient visite avec mon arrière-grand-mère. C’est cette année-là, aussi, je pense, que j’ai enregistré, à son insu, une conversation avec mon arrière-grand-mère, qui était une extraordinaire raconteuse. Elle tricotait, assise dans un fauteuil, sur la terrasse, une belle après-midi ensoleillée d’automne, et je l’écoutais, lui posais des questions.

 

 

 

59

Aujourd’hui, 20 octobre 2011, Frédéric a trente-cinq ans.

Même les jeunes vieillissent. Nous nous perdons de vue. C’est triste.

 

En 1997, j’ai joué le rôle du jeune homme dans Lorsque cinq ans seront passés de Lorca, mis en scène par mon autre ami Frédéric (que je perds un peu moins de vue).

J’ai préparé le concours de l’agrégation, ai été reçu deuxième (et mon beau-père de m'appeler Poulidor pendant des mois après ça).

Le 26 juin, C*** et moi étions à Beauvais, pour chercher un appartement – nous avons emménagé, aidés par mes beaux-parents, aux alentours du 15 août.

Les deux Frédéric ont été les premiers hôtes, l’un après l’autre, puis très régulièrement, dans notre F4 de la rue du 51ème Régiment d’Infanterie. Ce nom de rue claquait assez bien, au vu de la situation, car je n’ai dû mon passage du statut d’élève de l’Ecole Normale Supérieure à celui de doctorant et d’allocataire moniteur (et donc la possibilité de vivre avec C*** à Beauvais, où elle avait été nommée titulaire dans un collège pourri) qu’à des prorogations incessantes de mon service militaire, tandis que le plus âgé des deux Frédéric (le metteur en scène de Lorca, pas celui du 20 octobre) venait souvent nous voir car il était, à cette époque-là, objecteur de conscience au Mans, et, pour le dire sans ambages, sans un rond.

Je pense que je pourrais raconter avec une infinité de détails nos premiers mois à Beauvais, septembre par exemple : nos visites dans la région le week-end, les premières semaines de cours de C*** avec les banlieusards déchaînés, les promenades, l’achat de la Fiat Punto, mes voyages hebdomadaires à Paris (le mardi ou le jeudi, je crois) par la ligne ultra-lente qui permettait, au départ de Beauvais, de rallier la gare du Nord en  1 h 15 en moyenne, le séjour du Frédéric manceau au moment du Festival des Cathédrales, etc. Il y aurait là tout un livre. La fixation photographique ferait un chapitre à elle seule, la vie dans l’appartement un autre, et les textes que j’écrivais sur le Macintosh Performa 475 (la suite de Féerie, la traduction de Spicer, les premières recherches pour mon DEA) encore un autre chapitre.

mercredi, 19 octobre 2011

Exister est un plagiat : 13 et 60

13

 

Il m’est impossible de me rappeler si j’ai eu la scarlatine avant ou après mon douzième anniversaire. Il m’est impossible de raconter les souvenirs précis de mon séjour d’un mois à Francfort, en août 1987, chez Tim, ni sa venue en juin dans les Landes.

 

 

60

 

Il m’est impossible de raconter comment, le 12 juillet au soir, chez Frédéric, à Douai, nous avons pris la Fiat Punto et sommes allés célébrer le titre de champion du monde dans des embouteillages monstres, et au milieu des concerts de klaxon.

mardi, 18 octobre 2011

Exister est un plagiat : 12 et 61

12

 

En classe de cinquième, je me suis mis à écouter avec passion, tous les soirs, le hit-parade de la station de radio locale Acqs 95. L’émission se nommait Star Max et était présentée par le dénommé Yohann (Johan ? Yoan ? il aurait fallu que je demande à mes grands-parents maternels à l’époque, car l’un d’eux l’avait eu comme élève à Saint-Pierre-du-Mont). L’essentiel des chansons ou des tubes qui étaient diffusés étaient, comme il se doit, de la plus pure variétoche, ou du post-disco synthétisé comme il en fleurissait dans ces années-là (milieu des années 80). Je crois que cette passion agaçait mes parents, qui ont été assez gentils pour ne pas le montrer, et surtout assez habiles pour ne pas s’y opposer – la métaphore du lâchage de lest est, à mon avis, la meilleure pour désigner l’équilibre précaire entre principes pédagogiques, autoritarisme et permissivité démagogique. De fait, cela ne dura que deux ans ; il me semble qu’à la fin de la quatrième, déjà, j’étais passé à autre chose.

Si mes souvenirs sont bons, l’émission du lundi était consacrée aux entrées et aux meilleures progressions de la semaine, ainsi qu’à un jeu grâce auquel je remportai un jour quinze maxi 45 tours (c’est la seule fois que j’ai gagné quoi que ce soit dans un jeu). Les émissions du mardi au vendredi étaient consacrées à la diffusion des chansons dans l’ordre inverse du classement : de la 61e à la 80e place le mardi, et ainsi de suite jusqu’aux vingt premières places le vendredi, de sorte que j’essayais de noter, sur des feuilles de papier, le classement, au fur et à mesure qu’il était annoncé. Ma principale difficulté consistait à comprendre les noms des artistes et les titres des chansons, pour une bonne majorité anglophones. Je n’ai commencé à apprendre l’anglais qu’en classe de quatrième (en LV2), ce qui, associé à la prononciation (je m’en rends compte rétrospectivement) approximative du susnommé Yohann, ne me rendait pas la tâche très facile. Il se trouve que le jeu du lundi se déroulait par téléphone, mais qu’il y avait un autre jeu, par voie postale, qui consistait à tenter de deviner les 5 premières places : pour ce faire, il fallait orthographier les noms des artistes de manière à peu près compréhensible. Je ne peux m’empêcher de songer que, dans la mesure où je n’étais certainement pas le seul à envoyer des propositions de classement truffées de fautes, l’animateur devait, en lisant ces tombereaux, se dire soit qu’il avait un anglais pourri, soit que les auditeurs étaient à côté de la plaque. (Et, avec un anglais impeccable, il aurait sûrement été plus mal compris encore, de moi tout le premier.)

Peut-être certains ne se trompaient-ils guère, dans la mesure où, en cette époque brontosaurienne d’avant Internet, il y avait des magazines spécialisés – comme Top 50, je crois – dans lesquels on devait pouvoir suivre plus précisément les « artistes ».

L’exemple qui me revient en mémoire est celui d’un Britannique (là, c’est moi qui reconstruis, car j’ai encore la chanson en tête et l’accent est probablement gallois ou irlandais – peut-être mancunien, mais j’en doute), dont, à entendre Yohann, j’avais reconstruit le nom de la façon suivante : Fibol Sharky. (Le tube était A Good Heart, un sirop pas permis.) L’année d’après, je crois, mes parents ramenèrent de Bristol une compilation de tubes : il y avait, dans l’une des cassettes, une autre chanson de cet artiste, et je pus alors lire le nom du chanteur : Feargal Sharkey. Je ne sais absolument pas comment se prononce ce que je pense, depuis lors (mais pas depuis ce moment de mon adolescence – ma compétence en anglais n’en était pas là), être un pseudonyme (feargal : gamine, faut avoir peur ou avoir peur de la fille / sharkey = dragueur), mais ce qui est sûr, c’est que, si j’avais entendu Fibol, l’animateur de radio devait insister trop sur la deuxième syllabe. Feargal, cela doit rimer avec une version affaiblie de Cingal, voire avec le goéland (seagull) – non ?

 

 

61

 

Déménagement. Camionnette que je manœuvre.

Mai. La maison que nous avons achetée, entre la signature du compromis de vente et la vente proprement dite, se trouve ouverte à tous les vents, un jour que ma sœur, de passage, avait voulu la voir. (À l’agence, je fais un esclandre contre la propriétaire – un autre agent immobilier a oublié de refermer la maison. Le directeur de l’agence, qui était quelqu’un de très bien – une exception dans le métier –, téléphone devant moi à la vendeuse, à qui il doit expliquer (fermement) que, le compromis signé, elle ne peut pas continuer à faire visiter dans l’espoir d’obtenir un meilleur prix.) Juillet.

Déménagement. Juillet. Début juillet.

Pelures d’oignon oubliées dans un tiroir de la cuisine de l’appartement.

Pelures d’oignon n’empêche point reversement de la caution.

De la camionnette sortent nos meubles. Je manœuvre. Pour les encombrants, notre ami F., perdu de vue depuis que nous vivons à Tours, me donne un sacré coup de main.

Robinetterie à refaire. Cumulus à changer.

Maison d’ouvrier, mitoyenne, petites briques picardes. Nid. Tout le monde s’imagine qu’on a acheté un taudis. Nid.

Tout le monde. (Quand mes parents découvrent la maison, plus tard, s’avouent agréablement surpris.) Le couple qui tenait l’agence s’appelait Paillette. Leur fils avait pris un pet au casque (accident de moto). Tout le monde. Briquettes picardes.

Je manœuvre. Nid. Déménagement.

Manège. Odeur si particulière, douce, de cette maison. Odeur que nous retrouvons à chacun de nos retours.

La chambre avec ses placards immenses.

Nid. La chambre.

Beauvais, juillet.

Villette, Dhaenens, Baillière, Jolivier, tout un passé enfoui, fait de visages, de noms et de discussions. Tout un passé enfoui. Ne peut pas remonter.

C’est à nous de creuser.

(Tout un passé enfoui. Nid.)

C’est à nous de creuser.

Je manœuvre.

lundi, 17 octobre 2011

Exister est un plagiat : 11 et 62

11

 

Curieux comme cette partie de mes souvenirs d’enfance ne fait guère appel à des souvenirs d’écolier, alors qu’à cette époque-là (et cela même avant de lire Pagnol (ce devait être l’été 85)) je voyais constamment la vie d’écolier comme le centre d’intérêt principal de mon existence. (Je crois avoir, plus tard ou même cette année-là (je n’en suis plus sûr à cause de la mort de mon arrière-grand-mère paternelle, dont je ne sais plus si elle intervint après cette « œuvre »), commencé d’écrire une autobiographie dont l’essentiel était constitué par mes journées/années d’écolier.)

 

Et, pour ma onzième année, encore, j’aurais envie de raconter les soirées passées – en juillet – à jouer au badminton avec Tim, à Francfort. En quelques heures, en ne parlant que peu l’allemand (j’allais entrer en cinquième et n’avais donc commencé que depuis un an), j’étais devenu très ami avec Tim, de deux ans mon aîné et le fils du l’ex-correspondant de mon père. Cette amitié devait sans doute beaucoup à la soudaine possibilité de jouer longtemps, durablement, avec un camarade : badminton, jeux de société, tout y passa. (Une qui a bien dû s’emmerder, lors de ce séjour allemand, ou plutôt lors de la petite semaine à Francfort, c’est ma mère.)

 

Alors, pourquoi ne pas raconter la vie d’écolier, ou les longues après-midi d’automne ou d’hiver dans le bois à Cagnotte ? L’Allemagne ou la Tunisie apportent-elles plus d’exotisme narratif, plus de variété ? N’y a-t-il pas un risque, dont je m’aperçois depuis quelques jours, de céder au contraire, en choisissant de tels épisodes saillants, à la monotonie stylistique d’un album de photographies feuilleté nonchalamment, d’un œil distrait, le menton semi-somnolent, sans se fouler ?

Puisque l’objectif est de publier à terme les textes de ce projet dans l’ordre arithmétique – alors que leur ordre d’écriture aura épousé des cercles concentriques de plus en plus rapprochés du centre (à l’inverse du galet jeté dans l’étang) – il sera amusant de voir quel effet ces éventuels soubresauts stylistiques, souvent dus à la fatigue et à la précipitation (je n’ai qu’une dizaine de minutes à consacrer à l’écriture du double fragment quotidien), feront dans la trame globale de l’ouvrage.

Il n’en demeure pas moins que les notes en miroir se répondent bizarrement, un peu comme les coups mal emmanchés d’une partie de badminton ficelée de traviole, ou se dressent chichement, comme des tiges dans un toit.

 

 

62

 

Je me rappelle ce toit dans lequel étaient fichées, lancées vers le haut, des tiges de fer dont la fonction principale était, comme sur tous les autres toits de cette ville tunisienne, d’éviter la taxation puisque, si tige il y avait, la maison n’était pas achevée (et, de fait, aucune maison, ou presque, n’était, du coup, achevée, toutes attendant, assez babéliennement, une troisième ou un quatrième étage), ce toit sur lequel, tous ces jours d’août brûlants, nous déjeunions et dînions, et où nous côtoyâmes, pas longtemps, un mouton bien gras et bien laineux qui fut égorgé puis mangé le soir du mariage de notre ami M., dont les noces nous avaient conduits dans cette ville de Tunisie dont on a, à l’hiver dernier, beaucoup entendu parler lors de la révolution qui a mis à bas le régime du dictateur Ben Ali, lui qu’en cet été 2000 nous voyions, photographié ou peint, sur tous les murs, dans le moindre recoin du moindre souk populaire – pas trop dans le souk du centre ville, destiné aux touristes (à qui, sans doute il serait malséant de donner à voir le culte de la personnalité dans toute sa triste hideur), mais partout ailleurs – et donc, dans cette ville, dans ce quartier aux rues non bituminées de cette ville tunisienne, sur ce toit qu’alternativement je serais tenté de nommer le toit du mouton, ou le toit de la tante (car M. avait une tante d’onze ans plus jeune que lui, dix-sept ans, très belle (comment tu parles de ma tante, toi ? avait-il dit en rigolant (mais pas seulement)), qui, invitée avec sa mère, branche pauvre de la famille, pour trimer lors du mariage, résidait donc, si mes souvenirs sont bons, dans une piécette attenante à ce fameux toit), lieu qui a la particularité de m’évoquer des souvenirs très précis (trous d’aération, étente à linge, repas de demi-thon très pimenté) tout en n’ayant plus, in my mind’s eye, de topographie aisément descriptible, puisque, comme la longue parenthèse relative à la très jeune et très belle tante de M. me l’a montré, je ne vois plus bien comment s’y accrochait la cahute des deux demi-esclaves (la tante et sa mère). Sur ce toit, un soir, tu as hasardé le rituel du henné. Et es tombée enceinte moins de deux mois après.

dimanche, 16 octobre 2011

Exister est un plagiat : 10 et 63

10

 

Au début de l’été 1984, marqué par la première victoire (que je ne vis pas) de l’équipe de France de football dans une compétition internationale (l’Euro), mes grands-parents maternels m’emmenèrent à Paris, via Loches et Versailles (& étape à Fontainebleau au retour). Nous avons passé une semaine dans le petit appartement qu’occupait alors, à Vincennes, avec son compagnon, ma tante. J’ai de nombreux souvenirs précis de ce séjour, et notamment d’avoir été ébloui, fasciné par l’univers du métro : les noms des gares en grandes lettres blanches sur fond bleu, le compostage, les lignes dont le trajet est en partie à ciel ouvert, les escalators… Avec mes grands-parents, nous déjeunions chaque jour au restaurant, ce qui était tout à fait nouveau pour moi.

Je me souviens très bien du musée Grévin – absolument pas de Carnavalet (que j’ai revu en 2009 – rien ne m’a rien rappelé).

Au mois d’août – ma sœur se trouvait près de Hambourg dans la famille de sa correspondante – mes parents ont hébergé une prof de français américaine qui encadrait (de très loin) un groupe de lycéens américains résidant chez des hôtes payants. Originaire de l’Iowa et maîtrisant assez moyennement le français, elle se prénommait L’Louise (je n’invente rien), et, malgré son patronyme, n’avait aucune espèce de rapport avec Isabella Archer. Son séjour, qui a laissé un souvenir assez ambigu car, quoique souvent exaspérante par sa sottise, L’Louise était très gentille, a essaimé en une multitude de souvenirs, phrases, situations, mimiques. (Ce fut, au demeurant, un très bel été.)

 

 

63

 

Ce n’est pas à Paris, mais à la maternité de Beauvais, le 11 juillet 2001, à dix heures moins dix, en soirée, qu’est né Alpha.

Le 11 août, ce n’est pas à Paris, mais à Dax, lors du concours landais des fêtes, que Jean-Pierre Rachou est mort en piste.

Ce n’est pas à Paris, mais à New York, le 11 septembre… [compléter la phrase à votre guise]

 

Ce n’est pas à Paris que j’ai soutenu ma thèse, le 9 novembre, mais à Dijon.

 

(Je garde le reste pour moi, ou pour plus tard – le deuxième récit de cette même année.)

samedi, 15 octobre 2011

Exister est un plagiat : 9 et 64

9

 

Au mois d’avril, notre classe de CM1 s’est rendue, pour une quinzaine, en classe de neige à Jézeau, dans les Pyrénées. Ce n’était pas la première fois que j’allais à la montagne, où mes parents nous emmenaient chaque année, pendant une semaine, aux vacances de février. En revanche, c’était la première fois que j’allais passer aussi longtemps loin de ma famille. Je me rappelle l’angoisse de ne pas savoir faire mes lacets (mon grand-père maternel m’a appris peu avant le séjour, au pied du mur en quelque sorte), et je me souviens que ma mère, dans sa première lettre, m’écrivit, entre autres recommandations : « essaie de mettre ton pantalon à l’endroit ; c’est plus confortable, comme ça, tu sais ». (J’avais huit ans, et en raison de mon année d’avance, il s’agissait certes d’une exagération, mais d’une inquiétude vaguement légitime.)

Lors de cette quinzaine, qui s’est transformée, par la force des choses (du temps), en classe verte, j’ai appris le mot mortadelle – et j’en ai goûté pour la première fois.

Lors de cette quinzaine, nous vivions dans un centre d’hébergement spécialisé dans l’accueil des classes. Il y avait, avec nous, une classe de CM2 de Villeneuve-de-Marsan, et une dizaine de trisomiques que l’on nous apprit, par euphémisme métonymique, à nommer enfants de Lourdes.

Un soir, lors d’une des nombreuses parties de football que nous avons disputées au fil de la quinzaine, j’ai failli marquer un but. (Cela était suffisamment rare pour mériter d’être souligné.) ―――Pas mal de coupures de courant…

 

 

64

 

Au mois d’avril, Alpha, âgé de neuf mois, avait appris à se déplacer en trotteur, ce qui était, pour lui, source d’extase et d’hilarité. Des photographies de la même époque le montrent aussi en train de jouer avec la télécommande du magnétoscope, ou en train de chercher à enfoncer joyeusement la chaînette en plastique de sa tétine dans le nez de mon grand-père paternel (à Saintes). Nous avons commencé à nous rendre avec lui à la médiathèque de Beauvais, avec arrêt (prolongé, souvent) à l’espace réservé aux (petits) enfants.

Peu après, il apprenait à se mettre debout tout seul.

Il y avait, non loin de chez nous, à Beauvais, une grande place de terre battue, la Place du Jeu-de-Paume (où un de nos amis, languedocien d’origine, jouait, avec des « collègues », à la balle au tambourin), et un parc arboré assez vaste, le Parc Kennedy.

Pas mal de journées sont passées… Pas mal de journaux sont parus…

vendredi, 14 octobre 2011

Exister est un plagiat : 8 et 65

8

 

J’ai une fâcheuse tendance, dans les chapitres déjà écrits de cette autobiographie en 74 fragments (0, 73, 1, 72, 2, 71, 3, 70, 4, 69, 5, 68, 6, 67, 7, 66 et 65), à me fixer sur des moments très particuliers, notamment des voyages, ou à partir de photographies. Faut-il éviter ce qui peut s’apparenter à de la facilité ? Comment raconter, autrement qu’en saisissant un ou deux éclats, toute une année ? L’autobiographie rétrospective est à des années-lumière du journal intime.

Pour ma huitième année, j’étais tenté de raconter un nombre non négligeable de souvenirs du voyage en Angleterre et en Ecosse de l’été 82. Tout se bouscule, et la tentation est grande, soit d’ouvrir un nouveau projet d’écriture et de tenter de faire une liste exhaustive de tous mes souvenirs de ce voyage qui a duré six bonnes semaines (en caravane), voire ensuite de s’appuyer sur le journal de bord que ma sœur et moi avons dû tenir à la demande de nos parents, soit de ne rien dire, de ne rien garder, de repousser tous ces souvenirs et ces mots qui demandent accès.

Alors, je raconterai quelque chose de minuscule, sans rapport avec ce long périple de plusieurs semaines, ni avec mon hospitalisation grotesque à Caen au retour d’Angleterre. Quelque chose de minuscule, et de quasi quotidien. Une fois notre famille bien installée dans la nouvelle maison de Cagnotte – et sans doute ce que je vais narrer à présent avait-il commencé avant mon septième anniversaire – ma sœur et moi allions tous les soirs, juste avant l’heure du dîner, chercher le lait à la ferme de Sarraillot. Nous portions un pot à lait en… en quoi… en aluminium ? Il y avait deux cents mètres jusqu’à la ferme où le métayer, Gaston, nous accueillait, trayait les vaches devant nous, nous disait leurs noms, nous invitait à leur donner à manger. Ma préférée était la troisième en partant de l’entrée de l’étable – Poupette, je crois. Gaston (dont le vrai prénom était Jean-Baptiste) nous racontait diverses anecdotes tout en trayant les six (ou sept ?) vaches à la main. Nous ramenions le lait à la maison, et le buvions le lendemain matin, avant d’aller à l’école, avec du chocolat en poudre de la marque Poulain.

 

 

65

 

Ce n’est pas seulement en manifestant tout le printemps contre la réforme des retraites que nous avons célébré nos derniers mois à Beauvais. Nous avons mis notre petite maison de la rue Jean-Baptiste Baillière en vente, multiplié les petites brocantes, les dernières fois – dernier tour à Amiens, dernière visite à la médiathèque, dernière fête de fin d’année au collège de C***, derniers repas dans la minuscule courette, etc. Le Noël précédent avait été le premier vrai Noël d’Alpha. En juin, il jouait, dans la ruelle, au ballon ou avec sa locomotive en plastique (la cocoto).

Quant à la fameuse canicule de l’été 2003, nous l’avons subie dans les Landes, et, pour ma part, à m’envoyer le déménagement entre Cagnotte, Beauvais et Tours. La première soirée dans la nouvelle maison, beaucoup plus spacieuse mais en location, de la rue Guillaume Apollinaire, je la passai seul, chaudement débarqué de Beauvais et à la veille de la livraison de nos meubles et cartons. Je me revois, après pas mal de rangement, pianoter sur mon ordinateur portable d’alors, dans le bureau-placard du séjour. Il faisait chaud. Le lendemain soir, j’étais de retour à Hagetmau.

Lors des premiers mois de notre installation à Tours, le climat assez particulier de la région n’a guère réussi à la famille. (L’automne reste délicat chaque année, d’ailleurs.)

jeudi, 13 octobre 2011

Exister est un plagiat : 7 et 66

7

 

En 1980, mes parents ont acheté un terrain d’un bon demi-hectare, à la campagne, à douze kilomètres au sud de Dax. Les travaux ont commencé à l’automne, et je me rappelle qu’au début nous y allions le dimanche. Mes parents arrachaient les ronces qui avaient, depuis des années d’abandon, envahi le bois. Ma sœur et moi jouions. Il ne passait presque jamais de voiture sur la petite route.

Au cours de l’hiver, comme la construction du sous-sol semi-enterré était achevée, et comme – je suppose – mes parents avaient déjà trouvé acquéreur pour la maison de Saint-Paul-lès-Dax, nous avons déménagé, et vécu pendant quatre mois au sous-sol : dans la pièce qui deviendrait ultérieurement salle de jeux, salle de musique, deuxième bureau de mon père, mes parents avaient installé trois lits et un radiateur à bain d’huile. Dans la partie du sous-sol où l’on installerait après la table de ping-pong, se trouvait la caravane, où mes parents cuisinaient et où nous prenions nos repas. Tous les dimanches, nous allions chez mes grands-parents, à Saint-Pierre-du-Mont, afin d’y prendre un vrai bain.

C’est à la fin juin (ou début juillet ? je ne sais pourquoi, dans mon premier vrai souvenir de ma chambre d’enfant, je me revois ouvrant les volets le matin du 7 juillet), nous avons emménagé pour de bon dans la maison. Au cours de l’été, et ce en dépit de finances un peu serrées, nous sommes allés en voyage, pendant une quinzaine de jours, et en caravane, dans le Massif Central. Je me rappelle les Puys, La Bourboule, le camping de Millau avec sa piscine biscornue en petits carreaux verdâtres, et Chaudes-Aigues (où un monsieur m’a donné une pièce de vingt centimes parce que je notais sur un petit carnet son n° de plaque d’immatriculation et qu’il a fait semblant de croire que je lui mettais une contravention).

Contrairement à mes nombreux souvenirs très précis des premiers mois en CE1, je n’ai aucun souvenir de la rentrée de CE2.

 

 

 

66

 

De notre première année à Tours, j’ai surtout gardé le souvenir de promenades au Jardin botanique avec Alpha le mercredi matin (nous ramassions les feuilles de paulownia), des embouteillages sur le chemin de la crèche, des pleurs le matin à l’école maternelle, des lectures au salon ou dans le petit salon attenant à la chambre d’Alpha, à l’étage. Le garçon adorait passer des heures à jouer dans le tout petit cagibi (que, tout jeune, il nommait le cajagibi) où se trouvait l’accès à la cave.

 

C’est au début de l’automne que le père de C*** a appris que lui aussi avait un cancer (de la plèvre).

 

Le 11 novembre 2004, jour de mes trente ans, C*** m’a fait une surprise, et plusieurs amis que nous n’avions pas vus depuis un certain temps sont arrivés pour le déjeuner. Il y avait aussi mes parents, ma sœur et son compagnon de l’époque. Outre le Haut-Médoc, le vin blanc moelleux (Pacherenc, bien entendu) coule à flots.

mercredi, 12 octobre 2011

Exister est un plagiat : 6 et 67

6

 

Le jour de mes cinq ans (ou était-ce au passage de la petite souris pour une dent perdue ? si c’était l’anniversaire, il y avait autre chose comme cadeau – si c’était une dent perdue au cours de ma sixième année, il serait facile de le vérifier avec les dates de sortie des disques), mes parents m’ont offert trois 45 tours : Aux armes etc. de Gainsbourg, Des ailes dans le dos de Michel Fugain et Sentimentale-moi de Plastic Bertrand. Je note cela afin de me tendre un miroir à moi-même et de bien continuer à ne pas en vouloir à mes fils quand ils m’imposent René ou Rihanna la taupe.

La même année, apprenant à lire en catimini grâce à ma sœur aînée qui jouait à la maîtresse d’école, j’achevai aussi de me passionner pour les chiffres et les nombres, en particulier grâce aux plaques minéralogiques et aux numéros des départements français. Sans doute est-ce sous le poids de cette obsession que je chantais alors, à ma façon, le refrain (ou plutôt la litanie finale, car ce n'est pas un refrain) de Message in a bottle, une chanson que l’on entendait sans arrêt et que mes parents aimaient beaucoup ; ainsi « Sendin’ out an SOS », tel que je l’ai compris depuis, devenait dans ma bouche

Seine-et-Marne un S.O.S. !

Seine-et-Marne un S.O.S. !

Seine-et-Marne un S.O.S. !

Seine-et-Marne un S.O.S. !

 

(Cet exemple plaide à lui seul pour l'apprentissage oral des langues. Un enfant qui ne voit pas écrit le mot sending mais l'entend dans une chanson n'a pas même l'idée de former une dentale, ou d'aller pêcher le son vocalique /i/. Sendin' out se dit en fait senène a-out, donc un enfant francophone peut comprendre Seine-et-Marne.)

 

À l’automne 1980, ayant fait ma rentrée directement en CE1 après avoir appris à lire et compter, mais aussi, plus sommairement, à écrire, au cours de ma dernière année d’école maternelle, j’en ai un peu bavé. Je me souviens d’être rentré un soir, en voiture, ma mère au volant, et que nous nous sommes retrouvés dans un énorme bouchon dont l’origine fut bientôt connue : le grand magasin du centre ville de Dax, Le Friand, était en flammes. On voyait d’ailleurs de gigantesques volutes noires dans le ciel. Pour des raisons essentiellement métonymiques, le souvenir de cet incendie est lié, pour moi, à la chanson L’Encre de tes yeux, de Francis Cabrel, et à Babooshka de Kate Bush. Je me revois aussi, le lendemain matin de cet incendie, en train de faire un exercice de grammaire dans le Bled, sur la table de la cuisine chez mes grands-parents, à Saint-Pierre-du-Mont, et lire (ou tenter de déchiffrer, dans mon peu de familiarité avec les codes de la presse écrite) ensuite l’article du quotidien Sud-Ouest relatif à cet événement.

 

 

67

 

C’est en juin 2005 que m’a saisi la frénésie des blogs, qui continue jusqu’à ce jour.

Ecrire dans un blog a été pour moi le moyen de me mettre vraiment à l’écriture, alors que je n’avais plus écrit que très occasionnellement, par secousses, depuis la fin de mon adolescence. Par exemple, en décembre 2004 et janvier 2005, je m’étais lancé dans une entreprise baptisée Multijournal, et qui n’a avorté, ou capoté, qu’en raison de l’impossibilité de faire foisonner le texte simplement : c’est la simplicité technique qu’a apporté le recours au blog. Depuis 2005, j’ai lancé, au sein de ces sites personnels utilisant le format blog, des projets d’écriture nombreux, dont certains portent la marque, heureuse ou malheureuse, de leur nature webmatique.

Il m’arrive de me dire que ces séries de textes, une fois parachevées, pourront faire l’objet de recueils ou d’ouvrages que je devrais tout de même tenter de placer auprès d’éditeurs.

 

En juin 2005, également, nous avons acheté, tardivement si l’on compare la date de cet achat à la plupart des gens de notre entourage, un appareil photo numérique. Il s’est développé depuis, là aussi, une forme de folie.

 

J’ai intitulé mon premier blog, comme plus tard mon site de photos, Touraine sereine. Tout aussi topographiquement, ma sœur a baptisé son propre blog Au Four et à Melun. (Elle vit en Seine-et-Marne.)

mardi, 11 octobre 2011

Exister est un plagiat : 5 et 68

5

 

Au cours de ma cinquième année, je me revois, dans la cuisine de la maison de Saint-Paul-lès-Dax, en train d’écouter la copie sur cassette du dernier album de Brel. Ma chanson préférée était Le Bon Dieu, qui m’a longtemps ému jusqu’aux larmes. (Aujourd’hui, je suis un cœur de pierre, et plus rien ne m’émeut.) Comme ma sœur l’a déjà raconté avant-hier, les dames pipi de l’école maternelle s’amusaient aussi à me faire chanter Les Remparts de Varsovie, qui n’est pas la chanson la plus enfantine que l’on peut imaginer, que je connaissais par cœur et à laquelle, bien évidemment, je ne comprenais rien. Je ne sais pas très bien comment je pouvais restituer des vers comme Madame promène les gènes de vingt mille officiers de marine.

C’est dans ces eaux-là, aussi, que j’ai commencé à jardiner avec mon père.

Sinon, ma mère a retenu deux images, ou deux souvenirs :

Lors d’une journée à la Mongie en 79 (Pâques) et pendant que ton père et ta sœur skiaient, nous avons arpenté le parking de l'époque, tout en longueur le long de la route menant au col, fermé bien sûr, en regardant les voitures. Tu me donnais leur nom et je te lisais les numéros des départements, ce qui a fait démarrer ta passion des chiffres : grâce à ta mémoire et à ton intérêt pour les voitures, le soir même tu connaissais 40, 64, 65, 33, 31, 32 et quelques autres. Et tu as continué apprenant ainsi de façon très globale !

L'été suivant tu es en photo en train de pagayer sur le lac de Christus à Saint-Paul (avec ton père) tandis que ta sœur est dans un optimiste.

 

(Les souvenirs forment une traînée de poussière.)

 

 

68

 

Fin novembre 2005, je me rappelle m’être promené seul, à Bouchemaine, sur les bords de la Loire la Maine, un matin frisquet. Il y avait un colloque organisé par le centre de recherches angevin spécialisé dans l’étude de la nouvelle et des fictions brèves. Ce n’était que le début d’une longue série de communications enthousiastes donnant lieu à des échanges intellectuels très vifs lors du colloque, et ne débouchant sur aucune publication en raison d’un researcher’s block qui dure encore. J’étais absolument seul à longer la Loire, et à photographier, si mes souvenirs sont bons (car je n’ai retrouvé aucune de ces photographies dans mes archives), la devanture d’un petit restaurant de poissons.

Vers cette même époque, ce même automne, j’ai commencé à écrire plusieurs romans intertextuels dont aucun n’est allé bien loin. L’un d’eux s’intitulait Le Vil Landru à Villandry.

Au cœur de l’hiver, après un très bref séjour à Bagnères-de-Bigorre, j’ai commencé à publier des textes dans un nouveau blog, plus expérimental. Ses teintes grises et noires miroitaient de façon paradoxale le rythme très coloré de ma vie à cette époque. (En fait, c’était juste avant les vacances de février et Bagnères. Mais, je ne sais pourquoi, mes souvenirs persistent à fixer la vraie naissance de ce carnétoile au mois de mars.)

Au printemps 2006, la lutte sociale contre le CPE a donné lieu, non seulement à quelques manifestations auxquelles j’ai participé, avec Alpha, mais aussi au premier blocage de longue durée du site des Tanneurs. Alors que j’avais très peu de cours ce semestre-là, je me suis retrouvé, en tant que responsable des études de Licence 3ème année, à travailler dix fois plus pour répondre aux questions des étudiants démunis, égarés, à participer à des réunions « de crise », à maudire cette forme de lutte sociale qui ne sert qu’à exacerber les positions des uns et des autres sans offrir ne serait-ce qu’une once de début de solution au problème.

Une photographie que j’ai retrouvée de ce printemps montre que je lisais Eric Vuillard, Tariq Goddard, Yémy, Sergio Pitol et Roberto Bolaño (Les Détectives sauvages). À côté de la pile des livres, un flacon de Toplexil. Voilà quelque chose qui n’a pas changé en cinq ans. Autre détail, sur la table de chevet : le réveil rouge, que j’avais acheté en septembre 1994 en arrivant rue d’Ulm, et qui a fini par ne plus fonctionner.

À l’été 2006, après avoir remballé The Good Soldier de Ford Madox Ford, qui n’était plus l’année suivante au programme des concours d’enseignement, j’ai passé une très belle semaine en famille et en Corrèze (est-ce un zeugme ?). Nous avons vu François Hollande à la Fête de l’âne, à Arnac-Pompadour.

En octobre, par une très belle journée, nous avons traîné mes parents au Festival des jardins, à Chaumont-sur-Loire. Ma mère, qui devait finir par se faire opérer de la hanche au printemps suivant, se traînait sans se plaindre. 

lundi, 10 octobre 2011

Exister est un plagiat : 4 et 69

4

 

Au cours de l’année 1978, on m’aura vu me couronner les genoux, vouloir la fève lors de l’Epiphanie, faire du triporteur en plastique, de la voiture à pédales – ramasser les escargots ? Faire de la bouillie de jus de craies colorées, c’était plus tard, car je m’en souviens… à quatre ans… ?

(Peu court.)

 

 

69

 

Bréhémont est un joli village, au bord de la Loire, en aval de Langeais, mais sur la rive gauche. Presque toujours, on y accède en remontant le fleuve, par une route dégagée, sous des ciels crépusculaires d’hiver, ou des nuages mordorés, l’été.

(Une grippe.)

 

Un soir où je suivais l’atelier d’écriture de François Bon, à l’université, j’ai été saisi par une douleur atroce, morale. Je savais que j’avais vu, le 20 janvier, mon beau-père pour la dernière fois. J’ai écrit un texte, qui n’a rien changé, pas même ma douleur.

(Un texte.)

 

Dans les jardins du château de la Chatonnière, il y a une statue représentant un angelot qui tient, enroulé autour de ses cuisses et de son ventre, un serpent inoffensif. La statue est recouverte de lichens jaunâtres qui donnent à l’enfant une expression mélancolique. Il a pu faire, en avril, une chaleur quasi estivale.

(Un peu tôt.)

 

Oméga est né le 20 mai au soir, un dimanche, et presque dans la voiture. Un mois plus tard, quand il lui arrivait d’avoir des crises, des refus de sommeil (ce qui ne lui est presque pas arrivé, de sorte que je peux dater assez précisément ces journées : entre le 20 et le 30 juin), je le berçais en lui chantant Méthode de dissection du pigeon à Zone-la-Ville. En août, en Bretagne (où il ne faisait pas une chaleur estivale), il dormait à poings fermés à Carnac, Josselin, Brasparts, et Locronan. Quand il ne dormait pas, il avait déjà son sourire hilare.

(Une accumulation.)

 

Il n’y aura pas de photographies en regard de ces textes.

(Un refus.) Mais des liens. (Une complication.)

dimanche, 09 octobre 2011

Exister est un plagiat : 3 et 70

3

 

S’il le faut, je raconterai la balançoire installée dans le petit carré de gazon devant la maison du 4, rue Jean-Jacques Rousseau. Je raconterai la vieille voisine, en face, qui nous donnait, à ma sœur et moi, des petits beurre dont je mangeais tout d’abord – semblable en cela, je crois, à des millions d’enfants – les quatre coins arrondis puis longeais le périmètre de mes dents grignotantes. Je raconterai la nounou, au bout de la même rue, et des moments d’ennui dans sa cuisine.

Mais tout cela… n’était-ce pas plus tard que 1977 ?

Alors, s’il le faut, je raconterai ma rentrée à l’école maternelle, les dames pipi, les tabliers, la poussière de la cour, et Jamais content (mais pour cela aussi, j’avais au moins trois ans révolus).

Aussi, je tapais sur un tambour.

 

 

 

70

 

L’été 2008, je suis devenu directeur du département d’anglais de mon université, après quelques années à accumuler de plus en plus de responsabilités administratives. Mon prédécesseur était un vrai modèle, et j’étais le seul candidat.

“It is not sour grapes to say that it is a a finicky scissors-and-paste job after which nobody else on the staff had particularly been whoring.” (Letting Go, I, 4)

 

Ce même été, nous avons passé une semaine de vacances dans un gîte en Charente-Maritime, et ce fut, dans les Landes, le début de la furia coursayre. Oméga avait un an, et une très belle photographie prise par mon beau-frère le montre avec son frère aîné au pied de la tour Moncade.

Si je cherche à trouver un épisode, une scène, une journée qui donne son sens à cette trente-quatrième année, je n’ai que l’embarras du choix. À l’inverse, pour décrire une époque de ma vie dont je ne peux pas avoir de souvenir, et n’ayant pas sous la main d’album photos de ma petite enfance, je suis contraint d’aller farfouiller dans des souvenirs approximatifs, des dates obligées, des objets ou des lieux peut-être anachroniques (la balançoire, le petit beurre, la cuisine des Barragan).

Faudrait-il décrire par le menu, en détail, les journées allant de novembre 2007 à novembre 2008 ? Ne serait-ce pas fastidieux, déjà pour moi ? Ne faut-il pas, malgré tout, tenter de trier, de précipiter, et par exemple évoquer la journée de pré-rentrée (le 1er septembre 2008, si je ne m’abuse), où, ayant posé Oméga chez sa nounou, Alpha et moi sommes allés, tout d’abord à l’université où je devais régler quelques affaires, puis – histoire de marquer la fin des vacances d’été – à Suèvres, Cléry, Meung et Beauregard.

samedi, 08 octobre 2011

Exister est un plagiat : 2 et 71

 

2

 

Au cours de ma deuxième année, dont je n’ai – bien entendu – aucun souvenir personnel, j’ai fait mon premier voyage à l’étranger : en famille, à Bristol. Le seul souvenir d’enfance qu’il me reste de ce voyage de l’été 76 – outre les récits de mes parents (c’est grâce au voyage en avion que tu es devenu propre, etc.) –, c’est d’avoir, plus tard, quand je commençai à écrire des textes « personnels » dans des cahiers de brouillon, tenté d’écrire des fragments autobiographiques en revenant sur mes différents étés. Le chapitre consacré à l’été 76 s’intitulait L’AVION.

Je n’ai pas beaucoup changé depuis l’époque de cette première autobiographie (1982 ? plus tard ?). On se répète. On dit « je ». Ça s’appelle raconter sa vie, aussi au sens vulgaire. Il est difficile de ne pas choisir un événement précis, une image, un souvenir-écran. Je n’avance qu’à peine dans cette entreprise, mais j’espère de plus en plus vivement que ceux qui ont vécu avec moi m’y aideront °.

Faut-il ressortir des fiches cartonnées ? il n’y en a pas.

Faut-il parler d’un modèle d’avion dont je viens seulement d’apprendre l’existence en parcourant l’ouvrage de Charles Vivian, A History of Aeronautics, le Bristol Badger ? Un blaireau furèterait, n’aurait pas tort – fouaillerait — trouverait. Peut-être vaudrait-il mieux se consacrer à autre chose (traduire ?). Ou faire les deux.

En tout cas, ce n’est pas cet été-là, l’été 76, à Bristol, que j’ai entendu Video Killed the Radio Star. Longtemps, je me suis imaginé l’avion du vol Bordeaux-Bristol sous l’aspect du dessin de la couverture d’un livre d’enfant que mes parents m’avaient acheté plus tard en Angleterre, et dont le titre, de mémoire, était Henry’s Aeroplane.

 

 

71

 

La veille de Noël, nous déménageâmes – ma compagne, nos deux fils et moi-même – pour la maison dans laquelle nous vivons actuellement, dans le quartier de la Petite Arche (que je m’amuse à rebaptiser le quartier des sçavans en raison des noms de rues). Mes parents étaient là, nous donnèrent un fier coup de main. Le soir même, le soir du 24, le sapin de Noël était en place. On ne plaisante pas avec la famille.

La soirée du 31 mars 2009, je la passai dans une cellule du commissariat de Tours, en garde à vue.

Le 30 mai, j’épousai C., après déjà dix-sept ans de vie commune. — La mairie n’est pas loin du commissariat, mais il y avait tout de même moins d’invités, à la sauterie qui suivit dans notre jardin, que de manifestants battant le pavé deux mois auparavant pour réclamer qu’on me relâche. — Nos deux fils descendirent les marches avec nous, et avec tous les amis, la famille – nous avons tous posé dans l’escalier d’honneur de l’Hôtel de Ville, devant l’immense et pompeux monument aux morts.

(J’écris ces lignes le 8 octobre 2011, alors que j’ai cassé il y a trois jours mon alliance, que je n’avais jamais enlevée depuis le 30 mai. Il ne faut pas trop prêter garde aux symbolismes objectifs.)

 

 

En octobre 2009, nous passâmes deux jours à Paris avec Alpha, et en laissant Oméga à Tours sous la bonne garde de ma mère. Place des Vosges, Carnavalet, Cluny, le Louvre. 3 amis mènent l’enquête. (Mais pas le film.)

 

 

° Les autres ont le droit de mettre leur grain de sel, aussi.

vendredi, 07 octobre 2011

Exister est un plagiat: 1 et 72

 

1

J'ai failli naître dans l'ascenseur de la maternité, non loin du lycée où travaillait ma mère et où j'ai préparé, quelques années plus tard, mon baccalauréat, à Dax. On ne doit pas avoir l'air très malin, la tête en bas.

Accoucher debout, pourtant, reste souvent une image africaine.

(Tout, en fin de compte, s'est passé à l'horizontale.)

 

Ensuite, quoi ? de nombreux mois paisibles ? ce n'est pas sûr. Je n'ai rien à en raconter, devrais demander à mes parents, à ma sœur.

 

 

72

Un des souvenirs les plus marquants de ma trente-sixième année restera mon voyage (déplacement professionnel) en Australie. Première fois que je franchissais l'Equateur, de plus pour me rendre down under.

Dans le vol Paris-Singapour, dans la nuit du 2 au 3 mai, je notais ceci :

J’ai déjà lu, entre l’heure et demie à attendre l’embarquement et le début du vol, la moitié du roman (très bref) de B.S. Johnson que m’a prêté ma mère. Ça date de 1973, c’est très potache, entre Queneau et Flann O’ Brien. Assez amusant, c’est déjà ça. Après avoir jeté un œil à son Petit Fûté Australie, T*** lit Les Croix de bois de Dorgelès (quite an unexpected choice).

 

L'avion était comme une sorte de grand vaisseau amiral, en zinc.

jeudi, 06 octobre 2011

Exister est un plagiat : 0 et 73

0

 

Mes parents m’ont raconté comment, devant s’installer de toute urgence dans la région dacquoise, et ma mère enceinte de moi, ils ont trouvé à acquérir la maison du 4, rue Jean-Jacques Rousseau, à Saint-Paul-lès-Dax, non loin de la Pelouse (« ce Saint-Paul-lès-Dax est bien laid, décidément »), et comment les propriétaires, désarmés devant la situation financière du jeune couple et les taux d’intérêt usuraires de l’époque, n’avaient pas voulu de versement de caution, ce en dépit des objurgations du notaire.

(Tout comme dans Balzac, ça commence par se résumer à du pognon.)

Ma sœur avait trois ans, cet été-là. Est-ce à cette époque qu’a été prise d’elle la photographie noir et blanc sur laquelle on la voit – assise au petit bureau que mes parents ont gardé jusqu’à présent pour leurs petits-enfants – en train de téléphoner ?

 

 

73

Je forme une entreprise qui a eu quelques exemples.

Exister est un plagiat, dixit Cioran, si j’en crois Lejeune. Seule la forme est de mise.

 

L’été dernier, à Cagnotte, pendant les flamboiements attardés de ma trente-septième année, ma mère a évoqué, je ne sais plus pourquoi, l’histoire du notaire et de la caution. Si, je sais pourquoi : à cause des rebondissements multiples de l’affaire immobilière de mon oncle paternel.

Immobilier. Mobilité de l’écriture, immobilité – dans la vie – que permet la mémoire. Aller de l’avant, dans ce projet d’écriture, consiste à revenir en arrière. → Les Vases bleues (chanson de 1976). En 2011, bien des questions restent en suspens, et même en suspension : la mer descend, c’est la vie.

 

Je ne sais pas ce que j’écrirai demain, mais peut-être pourrai-je imaginer la maison de mon enfance au moment de ma naissance.

Nous verrons.