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mardi, 18 octobre 2011

Exister est un plagiat : 12 et 61

12

 

En classe de cinquième, je me suis mis à écouter avec passion, tous les soirs, le hit-parade de la station de radio locale Acqs 95. L’émission se nommait Star Max et était présentée par le dénommé Yohann (Johan ? Yoan ? il aurait fallu que je demande à mes grands-parents maternels à l’époque, car l’un d’eux l’avait eu comme élève à Saint-Pierre-du-Mont). L’essentiel des chansons ou des tubes qui étaient diffusés étaient, comme il se doit, de la plus pure variétoche, ou du post-disco synthétisé comme il en fleurissait dans ces années-là (milieu des années 80). Je crois que cette passion agaçait mes parents, qui ont été assez gentils pour ne pas le montrer, et surtout assez habiles pour ne pas s’y opposer – la métaphore du lâchage de lest est, à mon avis, la meilleure pour désigner l’équilibre précaire entre principes pédagogiques, autoritarisme et permissivité démagogique. De fait, cela ne dura que deux ans ; il me semble qu’à la fin de la quatrième, déjà, j’étais passé à autre chose.

Si mes souvenirs sont bons, l’émission du lundi était consacrée aux entrées et aux meilleures progressions de la semaine, ainsi qu’à un jeu grâce auquel je remportai un jour quinze maxi 45 tours (c’est la seule fois que j’ai gagné quoi que ce soit dans un jeu). Les émissions du mardi au vendredi étaient consacrées à la diffusion des chansons dans l’ordre inverse du classement : de la 61e à la 80e place le mardi, et ainsi de suite jusqu’aux vingt premières places le vendredi, de sorte que j’essayais de noter, sur des feuilles de papier, le classement, au fur et à mesure qu’il était annoncé. Ma principale difficulté consistait à comprendre les noms des artistes et les titres des chansons, pour une bonne majorité anglophones. Je n’ai commencé à apprendre l’anglais qu’en classe de quatrième (en LV2), ce qui, associé à la prononciation (je m’en rends compte rétrospectivement) approximative du susnommé Yohann, ne me rendait pas la tâche très facile. Il se trouve que le jeu du lundi se déroulait par téléphone, mais qu’il y avait un autre jeu, par voie postale, qui consistait à tenter de deviner les 5 premières places : pour ce faire, il fallait orthographier les noms des artistes de manière à peu près compréhensible. Je ne peux m’empêcher de songer que, dans la mesure où je n’étais certainement pas le seul à envoyer des propositions de classement truffées de fautes, l’animateur devait, en lisant ces tombereaux, se dire soit qu’il avait un anglais pourri, soit que les auditeurs étaient à côté de la plaque. (Et, avec un anglais impeccable, il aurait sûrement été plus mal compris encore, de moi tout le premier.)

Peut-être certains ne se trompaient-ils guère, dans la mesure où, en cette époque brontosaurienne d’avant Internet, il y avait des magazines spécialisés – comme Top 50, je crois – dans lesquels on devait pouvoir suivre plus précisément les « artistes ».

L’exemple qui me revient en mémoire est celui d’un Britannique (là, c’est moi qui reconstruis, car j’ai encore la chanson en tête et l’accent est probablement gallois ou irlandais – peut-être mancunien, mais j’en doute), dont, à entendre Yohann, j’avais reconstruit le nom de la façon suivante : Fibol Sharky. (Le tube était A Good Heart, un sirop pas permis.) L’année d’après, je crois, mes parents ramenèrent de Bristol une compilation de tubes : il y avait, dans l’une des cassettes, une autre chanson de cet artiste, et je pus alors lire le nom du chanteur : Feargal Sharkey. Je ne sais absolument pas comment se prononce ce que je pense, depuis lors (mais pas depuis ce moment de mon adolescence – ma compétence en anglais n’en était pas là), être un pseudonyme (feargal : gamine, faut avoir peur ou avoir peur de la fille / sharkey = dragueur), mais ce qui est sûr, c’est que, si j’avais entendu Fibol, l’animateur de radio devait insister trop sur la deuxième syllabe. Feargal, cela doit rimer avec une version affaiblie de Cingal, voire avec le goéland (seagull) – non ?

 

 

61

 

Déménagement. Camionnette que je manœuvre.

Mai. La maison que nous avons achetée, entre la signature du compromis de vente et la vente proprement dite, se trouve ouverte à tous les vents, un jour que ma sœur, de passage, avait voulu la voir. (À l’agence, je fais un esclandre contre la propriétaire – un autre agent immobilier a oublié de refermer la maison. Le directeur de l’agence, qui était quelqu’un de très bien – une exception dans le métier –, téléphone devant moi à la vendeuse, à qui il doit expliquer (fermement) que, le compromis signé, elle ne peut pas continuer à faire visiter dans l’espoir d’obtenir un meilleur prix.) Juillet.

Déménagement. Juillet. Début juillet.

Pelures d’oignon oubliées dans un tiroir de la cuisine de l’appartement.

Pelures d’oignon n’empêche point reversement de la caution.

De la camionnette sortent nos meubles. Je manœuvre. Pour les encombrants, notre ami F., perdu de vue depuis que nous vivons à Tours, me donne un sacré coup de main.

Robinetterie à refaire. Cumulus à changer.

Maison d’ouvrier, mitoyenne, petites briques picardes. Nid. Tout le monde s’imagine qu’on a acheté un taudis. Nid.

Tout le monde. (Quand mes parents découvrent la maison, plus tard, s’avouent agréablement surpris.) Le couple qui tenait l’agence s’appelait Paillette. Leur fils avait pris un pet au casque (accident de moto). Tout le monde. Briquettes picardes.

Je manœuvre. Nid. Déménagement.

Manège. Odeur si particulière, douce, de cette maison. Odeur que nous retrouvons à chacun de nos retours.

La chambre avec ses placards immenses.

Nid. La chambre.

Beauvais, juillet.

Villette, Dhaenens, Baillière, Jolivier, tout un passé enfoui, fait de visages, de noms et de discussions. Tout un passé enfoui. Ne peut pas remonter.

C’est à nous de creuser.

(Tout un passé enfoui. Nid.)

C’est à nous de creuser.

Je manœuvre.

lundi, 17 octobre 2011

Exister est un plagiat : 11 et 62

11

 

Curieux comme cette partie de mes souvenirs d’enfance ne fait guère appel à des souvenirs d’écolier, alors qu’à cette époque-là (et cela même avant de lire Pagnol (ce devait être l’été 85)) je voyais constamment la vie d’écolier comme le centre d’intérêt principal de mon existence. (Je crois avoir, plus tard ou même cette année-là (je n’en suis plus sûr à cause de la mort de mon arrière-grand-mère paternelle, dont je ne sais plus si elle intervint après cette « œuvre »), commencé d’écrire une autobiographie dont l’essentiel était constitué par mes journées/années d’écolier.)

 

Et, pour ma onzième année, encore, j’aurais envie de raconter les soirées passées – en juillet – à jouer au badminton avec Tim, à Francfort. En quelques heures, en ne parlant que peu l’allemand (j’allais entrer en cinquième et n’avais donc commencé que depuis un an), j’étais devenu très ami avec Tim, de deux ans mon aîné et le fils du l’ex-correspondant de mon père. Cette amitié devait sans doute beaucoup à la soudaine possibilité de jouer longtemps, durablement, avec un camarade : badminton, jeux de société, tout y passa. (Une qui a bien dû s’emmerder, lors de ce séjour allemand, ou plutôt lors de la petite semaine à Francfort, c’est ma mère.)

 

Alors, pourquoi ne pas raconter la vie d’écolier, ou les longues après-midi d’automne ou d’hiver dans le bois à Cagnotte ? L’Allemagne ou la Tunisie apportent-elles plus d’exotisme narratif, plus de variété ? N’y a-t-il pas un risque, dont je m’aperçois depuis quelques jours, de céder au contraire, en choisissant de tels épisodes saillants, à la monotonie stylistique d’un album de photographies feuilleté nonchalamment, d’un œil distrait, le menton semi-somnolent, sans se fouler ?

Puisque l’objectif est de publier à terme les textes de ce projet dans l’ordre arithmétique – alors que leur ordre d’écriture aura épousé des cercles concentriques de plus en plus rapprochés du centre (à l’inverse du galet jeté dans l’étang) – il sera amusant de voir quel effet ces éventuels soubresauts stylistiques, souvent dus à la fatigue et à la précipitation (je n’ai qu’une dizaine de minutes à consacrer à l’écriture du double fragment quotidien), feront dans la trame globale de l’ouvrage.

Il n’en demeure pas moins que les notes en miroir se répondent bizarrement, un peu comme les coups mal emmanchés d’une partie de badminton ficelée de traviole, ou se dressent chichement, comme des tiges dans un toit.

 

 

62

 

Je me rappelle ce toit dans lequel étaient fichées, lancées vers le haut, des tiges de fer dont la fonction principale était, comme sur tous les autres toits de cette ville tunisienne, d’éviter la taxation puisque, si tige il y avait, la maison n’était pas achevée (et, de fait, aucune maison, ou presque, n’était, du coup, achevée, toutes attendant, assez babéliennement, une troisième ou un quatrième étage), ce toit sur lequel, tous ces jours d’août brûlants, nous déjeunions et dînions, et où nous côtoyâmes, pas longtemps, un mouton bien gras et bien laineux qui fut égorgé puis mangé le soir du mariage de notre ami M., dont les noces nous avaient conduits dans cette ville de Tunisie dont on a, à l’hiver dernier, beaucoup entendu parler lors de la révolution qui a mis à bas le régime du dictateur Ben Ali, lui qu’en cet été 2000 nous voyions, photographié ou peint, sur tous les murs, dans le moindre recoin du moindre souk populaire – pas trop dans le souk du centre ville, destiné aux touristes (à qui, sans doute il serait malséant de donner à voir le culte de la personnalité dans toute sa triste hideur), mais partout ailleurs – et donc, dans cette ville, dans ce quartier aux rues non bituminées de cette ville tunisienne, sur ce toit qu’alternativement je serais tenté de nommer le toit du mouton, ou le toit de la tante (car M. avait une tante d’onze ans plus jeune que lui, dix-sept ans, très belle (comment tu parles de ma tante, toi ? avait-il dit en rigolant (mais pas seulement)), qui, invitée avec sa mère, branche pauvre de la famille, pour trimer lors du mariage, résidait donc, si mes souvenirs sont bons, dans une piécette attenante à ce fameux toit), lieu qui a la particularité de m’évoquer des souvenirs très précis (trous d’aération, étente à linge, repas de demi-thon très pimenté) tout en n’ayant plus, in my mind’s eye, de topographie aisément descriptible, puisque, comme la longue parenthèse relative à la très jeune et très belle tante de M. me l’a montré, je ne vois plus bien comment s’y accrochait la cahute des deux demi-esclaves (la tante et sa mère). Sur ce toit, un soir, tu as hasardé le rituel du henné. Et es tombée enceinte moins de deux mois après.

dimanche, 16 octobre 2011

Exister est un plagiat : 10 et 63

10

 

Au début de l’été 1984, marqué par la première victoire (que je ne vis pas) de l’équipe de France de football dans une compétition internationale (l’Euro), mes grands-parents maternels m’emmenèrent à Paris, via Loches et Versailles (& étape à Fontainebleau au retour). Nous avons passé une semaine dans le petit appartement qu’occupait alors, à Vincennes, avec son compagnon, ma tante. J’ai de nombreux souvenirs précis de ce séjour, et notamment d’avoir été ébloui, fasciné par l’univers du métro : les noms des gares en grandes lettres blanches sur fond bleu, le compostage, les lignes dont le trajet est en partie à ciel ouvert, les escalators… Avec mes grands-parents, nous déjeunions chaque jour au restaurant, ce qui était tout à fait nouveau pour moi.

Je me souviens très bien du musée Grévin – absolument pas de Carnavalet (que j’ai revu en 2009 – rien ne m’a rien rappelé).

Au mois d’août – ma sœur se trouvait près de Hambourg dans la famille de sa correspondante – mes parents ont hébergé une prof de français américaine qui encadrait (de très loin) un groupe de lycéens américains résidant chez des hôtes payants. Originaire de l’Iowa et maîtrisant assez moyennement le français, elle se prénommait L’Louise (je n’invente rien), et, malgré son patronyme, n’avait aucune espèce de rapport avec Isabella Archer. Son séjour, qui a laissé un souvenir assez ambigu car, quoique souvent exaspérante par sa sottise, L’Louise était très gentille, a essaimé en une multitude de souvenirs, phrases, situations, mimiques. (Ce fut, au demeurant, un très bel été.)

 

 

63

 

Ce n’est pas à Paris, mais à la maternité de Beauvais, le 11 juillet 2001, à dix heures moins dix, en soirée, qu’est né Alpha.

Le 11 août, ce n’est pas à Paris, mais à Dax, lors du concours landais des fêtes, que Jean-Pierre Rachou est mort en piste.

Ce n’est pas à Paris, mais à New York, le 11 septembre… [compléter la phrase à votre guise]

 

Ce n’est pas à Paris que j’ai soutenu ma thèse, le 9 novembre, mais à Dijon.

 

(Je garde le reste pour moi, ou pour plus tard – le deuxième récit de cette même année.)

samedi, 15 octobre 2011

Exister est un plagiat : 9 et 64

9

 

Au mois d’avril, notre classe de CM1 s’est rendue, pour une quinzaine, en classe de neige à Jézeau, dans les Pyrénées. Ce n’était pas la première fois que j’allais à la montagne, où mes parents nous emmenaient chaque année, pendant une semaine, aux vacances de février. En revanche, c’était la première fois que j’allais passer aussi longtemps loin de ma famille. Je me rappelle l’angoisse de ne pas savoir faire mes lacets (mon grand-père maternel m’a appris peu avant le séjour, au pied du mur en quelque sorte), et je me souviens que ma mère, dans sa première lettre, m’écrivit, entre autres recommandations : « essaie de mettre ton pantalon à l’endroit ; c’est plus confortable, comme ça, tu sais ». (J’avais huit ans, et en raison de mon année d’avance, il s’agissait certes d’une exagération, mais d’une inquiétude vaguement légitime.)

Lors de cette quinzaine, qui s’est transformée, par la force des choses (du temps), en classe verte, j’ai appris le mot mortadelle – et j’en ai goûté pour la première fois.

Lors de cette quinzaine, nous vivions dans un centre d’hébergement spécialisé dans l’accueil des classes. Il y avait, avec nous, une classe de CM2 de Villeneuve-de-Marsan, et une dizaine de trisomiques que l’on nous apprit, par euphémisme métonymique, à nommer enfants de Lourdes.

Un soir, lors d’une des nombreuses parties de football que nous avons disputées au fil de la quinzaine, j’ai failli marquer un but. (Cela était suffisamment rare pour mériter d’être souligné.) ―――Pas mal de coupures de courant…

 

 

64

 

Au mois d’avril, Alpha, âgé de neuf mois, avait appris à se déplacer en trotteur, ce qui était, pour lui, source d’extase et d’hilarité. Des photographies de la même époque le montrent aussi en train de jouer avec la télécommande du magnétoscope, ou en train de chercher à enfoncer joyeusement la chaînette en plastique de sa tétine dans le nez de mon grand-père paternel (à Saintes). Nous avons commencé à nous rendre avec lui à la médiathèque de Beauvais, avec arrêt (prolongé, souvent) à l’espace réservé aux (petits) enfants.

Peu après, il apprenait à se mettre debout tout seul.

Il y avait, non loin de chez nous, à Beauvais, une grande place de terre battue, la Place du Jeu-de-Paume (où un de nos amis, languedocien d’origine, jouait, avec des « collègues », à la balle au tambourin), et un parc arboré assez vaste, le Parc Kennedy.

Pas mal de journées sont passées… Pas mal de journaux sont parus…

vendredi, 14 octobre 2011

Exister est un plagiat : 8 et 65

8

 

J’ai une fâcheuse tendance, dans les chapitres déjà écrits de cette autobiographie en 74 fragments (0, 73, 1, 72, 2, 71, 3, 70, 4, 69, 5, 68, 6, 67, 7, 66 et 65), à me fixer sur des moments très particuliers, notamment des voyages, ou à partir de photographies. Faut-il éviter ce qui peut s’apparenter à de la facilité ? Comment raconter, autrement qu’en saisissant un ou deux éclats, toute une année ? L’autobiographie rétrospective est à des années-lumière du journal intime.

Pour ma huitième année, j’étais tenté de raconter un nombre non négligeable de souvenirs du voyage en Angleterre et en Ecosse de l’été 82. Tout se bouscule, et la tentation est grande, soit d’ouvrir un nouveau projet d’écriture et de tenter de faire une liste exhaustive de tous mes souvenirs de ce voyage qui a duré six bonnes semaines (en caravane), voire ensuite de s’appuyer sur le journal de bord que ma sœur et moi avons dû tenir à la demande de nos parents, soit de ne rien dire, de ne rien garder, de repousser tous ces souvenirs et ces mots qui demandent accès.

Alors, je raconterai quelque chose de minuscule, sans rapport avec ce long périple de plusieurs semaines, ni avec mon hospitalisation grotesque à Caen au retour d’Angleterre. Quelque chose de minuscule, et de quasi quotidien. Une fois notre famille bien installée dans la nouvelle maison de Cagnotte – et sans doute ce que je vais narrer à présent avait-il commencé avant mon septième anniversaire – ma sœur et moi allions tous les soirs, juste avant l’heure du dîner, chercher le lait à la ferme de Sarraillot. Nous portions un pot à lait en… en quoi… en aluminium ? Il y avait deux cents mètres jusqu’à la ferme où le métayer, Gaston, nous accueillait, trayait les vaches devant nous, nous disait leurs noms, nous invitait à leur donner à manger. Ma préférée était la troisième en partant de l’entrée de l’étable – Poupette, je crois. Gaston (dont le vrai prénom était Jean-Baptiste) nous racontait diverses anecdotes tout en trayant les six (ou sept ?) vaches à la main. Nous ramenions le lait à la maison, et le buvions le lendemain matin, avant d’aller à l’école, avec du chocolat en poudre de la marque Poulain.

 

 

65

 

Ce n’est pas seulement en manifestant tout le printemps contre la réforme des retraites que nous avons célébré nos derniers mois à Beauvais. Nous avons mis notre petite maison de la rue Jean-Baptiste Baillière en vente, multiplié les petites brocantes, les dernières fois – dernier tour à Amiens, dernière visite à la médiathèque, dernière fête de fin d’année au collège de C***, derniers repas dans la minuscule courette, etc. Le Noël précédent avait été le premier vrai Noël d’Alpha. En juin, il jouait, dans la ruelle, au ballon ou avec sa locomotive en plastique (la cocoto).

Quant à la fameuse canicule de l’été 2003, nous l’avons subie dans les Landes, et, pour ma part, à m’envoyer le déménagement entre Cagnotte, Beauvais et Tours. La première soirée dans la nouvelle maison, beaucoup plus spacieuse mais en location, de la rue Guillaume Apollinaire, je la passai seul, chaudement débarqué de Beauvais et à la veille de la livraison de nos meubles et cartons. Je me revois, après pas mal de rangement, pianoter sur mon ordinateur portable d’alors, dans le bureau-placard du séjour. Il faisait chaud. Le lendemain soir, j’étais de retour à Hagetmau.

Lors des premiers mois de notre installation à Tours, le climat assez particulier de la région n’a guère réussi à la famille. (L’automne reste délicat chaque année, d’ailleurs.)

jeudi, 13 octobre 2011

Exister est un plagiat : 7 et 66

7

 

En 1980, mes parents ont acheté un terrain d’un bon demi-hectare, à la campagne, à douze kilomètres au sud de Dax. Les travaux ont commencé à l’automne, et je me rappelle qu’au début nous y allions le dimanche. Mes parents arrachaient les ronces qui avaient, depuis des années d’abandon, envahi le bois. Ma sœur et moi jouions. Il ne passait presque jamais de voiture sur la petite route.

Au cours de l’hiver, comme la construction du sous-sol semi-enterré était achevée, et comme – je suppose – mes parents avaient déjà trouvé acquéreur pour la maison de Saint-Paul-lès-Dax, nous avons déménagé, et vécu pendant quatre mois au sous-sol : dans la pièce qui deviendrait ultérieurement salle de jeux, salle de musique, deuxième bureau de mon père, mes parents avaient installé trois lits et un radiateur à bain d’huile. Dans la partie du sous-sol où l’on installerait après la table de ping-pong, se trouvait la caravane, où mes parents cuisinaient et où nous prenions nos repas. Tous les dimanches, nous allions chez mes grands-parents, à Saint-Pierre-du-Mont, afin d’y prendre un vrai bain.

C’est à la fin juin (ou début juillet ? je ne sais pourquoi, dans mon premier vrai souvenir de ma chambre d’enfant, je me revois ouvrant les volets le matin du 7 juillet), nous avons emménagé pour de bon dans la maison. Au cours de l’été, et ce en dépit de finances un peu serrées, nous sommes allés en voyage, pendant une quinzaine de jours, et en caravane, dans le Massif Central. Je me rappelle les Puys, La Bourboule, le camping de Millau avec sa piscine biscornue en petits carreaux verdâtres, et Chaudes-Aigues (où un monsieur m’a donné une pièce de vingt centimes parce que je notais sur un petit carnet son n° de plaque d’immatriculation et qu’il a fait semblant de croire que je lui mettais une contravention).

Contrairement à mes nombreux souvenirs très précis des premiers mois en CE1, je n’ai aucun souvenir de la rentrée de CE2.

 

 

 

66

 

De notre première année à Tours, j’ai surtout gardé le souvenir de promenades au Jardin botanique avec Alpha le mercredi matin (nous ramassions les feuilles de paulownia), des embouteillages sur le chemin de la crèche, des pleurs le matin à l’école maternelle, des lectures au salon ou dans le petit salon attenant à la chambre d’Alpha, à l’étage. Le garçon adorait passer des heures à jouer dans le tout petit cagibi (que, tout jeune, il nommait le cajagibi) où se trouvait l’accès à la cave.

 

C’est au début de l’automne que le père de C*** a appris que lui aussi avait un cancer (de la plèvre).

 

Le 11 novembre 2004, jour de mes trente ans, C*** m’a fait une surprise, et plusieurs amis que nous n’avions pas vus depuis un certain temps sont arrivés pour le déjeuner. Il y avait aussi mes parents, ma sœur et son compagnon de l’époque. Outre le Haut-Médoc, le vin blanc moelleux (Pacherenc, bien entendu) coule à flots.

mercredi, 12 octobre 2011

Exister est un plagiat : 6 et 67

6

 

Le jour de mes cinq ans (ou était-ce au passage de la petite souris pour une dent perdue ? si c’était l’anniversaire, il y avait autre chose comme cadeau – si c’était une dent perdue au cours de ma sixième année, il serait facile de le vérifier avec les dates de sortie des disques), mes parents m’ont offert trois 45 tours : Aux armes etc. de Gainsbourg, Des ailes dans le dos de Michel Fugain et Sentimentale-moi de Plastic Bertrand. Je note cela afin de me tendre un miroir à moi-même et de bien continuer à ne pas en vouloir à mes fils quand ils m’imposent René ou Rihanna la taupe.

La même année, apprenant à lire en catimini grâce à ma sœur aînée qui jouait à la maîtresse d’école, j’achevai aussi de me passionner pour les chiffres et les nombres, en particulier grâce aux plaques minéralogiques et aux numéros des départements français. Sans doute est-ce sous le poids de cette obsession que je chantais alors, à ma façon, le refrain (ou plutôt la litanie finale, car ce n'est pas un refrain) de Message in a bottle, une chanson que l’on entendait sans arrêt et que mes parents aimaient beaucoup ; ainsi « Sendin’ out an SOS », tel que je l’ai compris depuis, devenait dans ma bouche

Seine-et-Marne un S.O.S. !

Seine-et-Marne un S.O.S. !

Seine-et-Marne un S.O.S. !

Seine-et-Marne un S.O.S. !

 

(Cet exemple plaide à lui seul pour l'apprentissage oral des langues. Un enfant qui ne voit pas écrit le mot sending mais l'entend dans une chanson n'a pas même l'idée de former une dentale, ou d'aller pêcher le son vocalique /i/. Sendin' out se dit en fait senène a-out, donc un enfant francophone peut comprendre Seine-et-Marne.)

 

À l’automne 1980, ayant fait ma rentrée directement en CE1 après avoir appris à lire et compter, mais aussi, plus sommairement, à écrire, au cours de ma dernière année d’école maternelle, j’en ai un peu bavé. Je me souviens d’être rentré un soir, en voiture, ma mère au volant, et que nous nous sommes retrouvés dans un énorme bouchon dont l’origine fut bientôt connue : le grand magasin du centre ville de Dax, Le Friand, était en flammes. On voyait d’ailleurs de gigantesques volutes noires dans le ciel. Pour des raisons essentiellement métonymiques, le souvenir de cet incendie est lié, pour moi, à la chanson L’Encre de tes yeux, de Francis Cabrel, et à Babooshka de Kate Bush. Je me revois aussi, le lendemain matin de cet incendie, en train de faire un exercice de grammaire dans le Bled, sur la table de la cuisine chez mes grands-parents, à Saint-Pierre-du-Mont, et lire (ou tenter de déchiffrer, dans mon peu de familiarité avec les codes de la presse écrite) ensuite l’article du quotidien Sud-Ouest relatif à cet événement.

 

 

67

 

C’est en juin 2005 que m’a saisi la frénésie des blogs, qui continue jusqu’à ce jour.

Ecrire dans un blog a été pour moi le moyen de me mettre vraiment à l’écriture, alors que je n’avais plus écrit que très occasionnellement, par secousses, depuis la fin de mon adolescence. Par exemple, en décembre 2004 et janvier 2005, je m’étais lancé dans une entreprise baptisée Multijournal, et qui n’a avorté, ou capoté, qu’en raison de l’impossibilité de faire foisonner le texte simplement : c’est la simplicité technique qu’a apporté le recours au blog. Depuis 2005, j’ai lancé, au sein de ces sites personnels utilisant le format blog, des projets d’écriture nombreux, dont certains portent la marque, heureuse ou malheureuse, de leur nature webmatique.

Il m’arrive de me dire que ces séries de textes, une fois parachevées, pourront faire l’objet de recueils ou d’ouvrages que je devrais tout de même tenter de placer auprès d’éditeurs.

 

En juin 2005, également, nous avons acheté, tardivement si l’on compare la date de cet achat à la plupart des gens de notre entourage, un appareil photo numérique. Il s’est développé depuis, là aussi, une forme de folie.

 

J’ai intitulé mon premier blog, comme plus tard mon site de photos, Touraine sereine. Tout aussi topographiquement, ma sœur a baptisé son propre blog Au Four et à Melun. (Elle vit en Seine-et-Marne.)

mardi, 11 octobre 2011

Exister est un plagiat : 5 et 68

5

 

Au cours de ma cinquième année, je me revois, dans la cuisine de la maison de Saint-Paul-lès-Dax, en train d’écouter la copie sur cassette du dernier album de Brel. Ma chanson préférée était Le Bon Dieu, qui m’a longtemps ému jusqu’aux larmes. (Aujourd’hui, je suis un cœur de pierre, et plus rien ne m’émeut.) Comme ma sœur l’a déjà raconté avant-hier, les dames pipi de l’école maternelle s’amusaient aussi à me faire chanter Les Remparts de Varsovie, qui n’est pas la chanson la plus enfantine que l’on peut imaginer, que je connaissais par cœur et à laquelle, bien évidemment, je ne comprenais rien. Je ne sais pas très bien comment je pouvais restituer des vers comme Madame promène les gènes de vingt mille officiers de marine.

C’est dans ces eaux-là, aussi, que j’ai commencé à jardiner avec mon père.

Sinon, ma mère a retenu deux images, ou deux souvenirs :

Lors d’une journée à la Mongie en 79 (Pâques) et pendant que ton père et ta sœur skiaient, nous avons arpenté le parking de l'époque, tout en longueur le long de la route menant au col, fermé bien sûr, en regardant les voitures. Tu me donnais leur nom et je te lisais les numéros des départements, ce qui a fait démarrer ta passion des chiffres : grâce à ta mémoire et à ton intérêt pour les voitures, le soir même tu connaissais 40, 64, 65, 33, 31, 32 et quelques autres. Et tu as continué apprenant ainsi de façon très globale !

L'été suivant tu es en photo en train de pagayer sur le lac de Christus à Saint-Paul (avec ton père) tandis que ta sœur est dans un optimiste.

 

(Les souvenirs forment une traînée de poussière.)

 

 

68

 

Fin novembre 2005, je me rappelle m’être promené seul, à Bouchemaine, sur les bords de la Loire la Maine, un matin frisquet. Il y avait un colloque organisé par le centre de recherches angevin spécialisé dans l’étude de la nouvelle et des fictions brèves. Ce n’était que le début d’une longue série de communications enthousiastes donnant lieu à des échanges intellectuels très vifs lors du colloque, et ne débouchant sur aucune publication en raison d’un researcher’s block qui dure encore. J’étais absolument seul à longer la Loire, et à photographier, si mes souvenirs sont bons (car je n’ai retrouvé aucune de ces photographies dans mes archives), la devanture d’un petit restaurant de poissons.

Vers cette même époque, ce même automne, j’ai commencé à écrire plusieurs romans intertextuels dont aucun n’est allé bien loin. L’un d’eux s’intitulait Le Vil Landru à Villandry.

Au cœur de l’hiver, après un très bref séjour à Bagnères-de-Bigorre, j’ai commencé à publier des textes dans un nouveau blog, plus expérimental. Ses teintes grises et noires miroitaient de façon paradoxale le rythme très coloré de ma vie à cette époque. (En fait, c’était juste avant les vacances de février et Bagnères. Mais, je ne sais pourquoi, mes souvenirs persistent à fixer la vraie naissance de ce carnétoile au mois de mars.)

Au printemps 2006, la lutte sociale contre le CPE a donné lieu, non seulement à quelques manifestations auxquelles j’ai participé, avec Alpha, mais aussi au premier blocage de longue durée du site des Tanneurs. Alors que j’avais très peu de cours ce semestre-là, je me suis retrouvé, en tant que responsable des études de Licence 3ème année, à travailler dix fois plus pour répondre aux questions des étudiants démunis, égarés, à participer à des réunions « de crise », à maudire cette forme de lutte sociale qui ne sert qu’à exacerber les positions des uns et des autres sans offrir ne serait-ce qu’une once de début de solution au problème.

Une photographie que j’ai retrouvée de ce printemps montre que je lisais Eric Vuillard, Tariq Goddard, Yémy, Sergio Pitol et Roberto Bolaño (Les Détectives sauvages). À côté de la pile des livres, un flacon de Toplexil. Voilà quelque chose qui n’a pas changé en cinq ans. Autre détail, sur la table de chevet : le réveil rouge, que j’avais acheté en septembre 1994 en arrivant rue d’Ulm, et qui a fini par ne plus fonctionner.

À l’été 2006, après avoir remballé The Good Soldier de Ford Madox Ford, qui n’était plus l’année suivante au programme des concours d’enseignement, j’ai passé une très belle semaine en famille et en Corrèze (est-ce un zeugme ?). Nous avons vu François Hollande à la Fête de l’âne, à Arnac-Pompadour.

En octobre, par une très belle journée, nous avons traîné mes parents au Festival des jardins, à Chaumont-sur-Loire. Ma mère, qui devait finir par se faire opérer de la hanche au printemps suivant, se traînait sans se plaindre. 

lundi, 10 octobre 2011

Exister est un plagiat : 4 et 69

4

 

Au cours de l’année 1978, on m’aura vu me couronner les genoux, vouloir la fève lors de l’Epiphanie, faire du triporteur en plastique, de la voiture à pédales – ramasser les escargots ? Faire de la bouillie de jus de craies colorées, c’était plus tard, car je m’en souviens… à quatre ans… ?

(Peu court.)

 

 

69

 

Bréhémont est un joli village, au bord de la Loire, en aval de Langeais, mais sur la rive gauche. Presque toujours, on y accède en remontant le fleuve, par une route dégagée, sous des ciels crépusculaires d’hiver, ou des nuages mordorés, l’été.

(Une grippe.)

 

Un soir où je suivais l’atelier d’écriture de François Bon, à l’université, j’ai été saisi par une douleur atroce, morale. Je savais que j’avais vu, le 20 janvier, mon beau-père pour la dernière fois. J’ai écrit un texte, qui n’a rien changé, pas même ma douleur.

(Un texte.)

 

Dans les jardins du château de la Chatonnière, il y a une statue représentant un angelot qui tient, enroulé autour de ses cuisses et de son ventre, un serpent inoffensif. La statue est recouverte de lichens jaunâtres qui donnent à l’enfant une expression mélancolique. Il a pu faire, en avril, une chaleur quasi estivale.

(Un peu tôt.)

 

Oméga est né le 20 mai au soir, un dimanche, et presque dans la voiture. Un mois plus tard, quand il lui arrivait d’avoir des crises, des refus de sommeil (ce qui ne lui est presque pas arrivé, de sorte que je peux dater assez précisément ces journées : entre le 20 et le 30 juin), je le berçais en lui chantant Méthode de dissection du pigeon à Zone-la-Ville. En août, en Bretagne (où il ne faisait pas une chaleur estivale), il dormait à poings fermés à Carnac, Josselin, Brasparts, et Locronan. Quand il ne dormait pas, il avait déjà son sourire hilare.

(Une accumulation.)

 

Il n’y aura pas de photographies en regard de ces textes.

(Un refus.) Mais des liens. (Une complication.)

dimanche, 09 octobre 2011

Exister est un plagiat : 3 et 70

3

 

S’il le faut, je raconterai la balançoire installée dans le petit carré de gazon devant la maison du 4, rue Jean-Jacques Rousseau. Je raconterai la vieille voisine, en face, qui nous donnait, à ma sœur et moi, des petits beurre dont je mangeais tout d’abord – semblable en cela, je crois, à des millions d’enfants – les quatre coins arrondis puis longeais le périmètre de mes dents grignotantes. Je raconterai la nounou, au bout de la même rue, et des moments d’ennui dans sa cuisine.

Mais tout cela… n’était-ce pas plus tard que 1977 ?

Alors, s’il le faut, je raconterai ma rentrée à l’école maternelle, les dames pipi, les tabliers, la poussière de la cour, et Jamais content (mais pour cela aussi, j’avais au moins trois ans révolus).

Aussi, je tapais sur un tambour.

 

 

 

70

 

L’été 2008, je suis devenu directeur du département d’anglais de mon université, après quelques années à accumuler de plus en plus de responsabilités administratives. Mon prédécesseur était un vrai modèle, et j’étais le seul candidat.

“It is not sour grapes to say that it is a a finicky scissors-and-paste job after which nobody else on the staff had particularly been whoring.” (Letting Go, I, 4)

 

Ce même été, nous avons passé une semaine de vacances dans un gîte en Charente-Maritime, et ce fut, dans les Landes, le début de la furia coursayre. Oméga avait un an, et une très belle photographie prise par mon beau-frère le montre avec son frère aîné au pied de la tour Moncade.

Si je cherche à trouver un épisode, une scène, une journée qui donne son sens à cette trente-quatrième année, je n’ai que l’embarras du choix. À l’inverse, pour décrire une époque de ma vie dont je ne peux pas avoir de souvenir, et n’ayant pas sous la main d’album photos de ma petite enfance, je suis contraint d’aller farfouiller dans des souvenirs approximatifs, des dates obligées, des objets ou des lieux peut-être anachroniques (la balançoire, le petit beurre, la cuisine des Barragan).

Faudrait-il décrire par le menu, en détail, les journées allant de novembre 2007 à novembre 2008 ? Ne serait-ce pas fastidieux, déjà pour moi ? Ne faut-il pas, malgré tout, tenter de trier, de précipiter, et par exemple évoquer la journée de pré-rentrée (le 1er septembre 2008, si je ne m’abuse), où, ayant posé Oméga chez sa nounou, Alpha et moi sommes allés, tout d’abord à l’université où je devais régler quelques affaires, puis – histoire de marquer la fin des vacances d’été – à Suèvres, Cléry, Meung et Beauregard.

samedi, 08 octobre 2011

Exister est un plagiat : 2 et 71

 

2

 

Au cours de ma deuxième année, dont je n’ai – bien entendu – aucun souvenir personnel, j’ai fait mon premier voyage à l’étranger : en famille, à Bristol. Le seul souvenir d’enfance qu’il me reste de ce voyage de l’été 76 – outre les récits de mes parents (c’est grâce au voyage en avion que tu es devenu propre, etc.) –, c’est d’avoir, plus tard, quand je commençai à écrire des textes « personnels » dans des cahiers de brouillon, tenté d’écrire des fragments autobiographiques en revenant sur mes différents étés. Le chapitre consacré à l’été 76 s’intitulait L’AVION.

Je n’ai pas beaucoup changé depuis l’époque de cette première autobiographie (1982 ? plus tard ?). On se répète. On dit « je ». Ça s’appelle raconter sa vie, aussi au sens vulgaire. Il est difficile de ne pas choisir un événement précis, une image, un souvenir-écran. Je n’avance qu’à peine dans cette entreprise, mais j’espère de plus en plus vivement que ceux qui ont vécu avec moi m’y aideront °.

Faut-il ressortir des fiches cartonnées ? il n’y en a pas.

Faut-il parler d’un modèle d’avion dont je viens seulement d’apprendre l’existence en parcourant l’ouvrage de Charles Vivian, A History of Aeronautics, le Bristol Badger ? Un blaireau furèterait, n’aurait pas tort – fouaillerait — trouverait. Peut-être vaudrait-il mieux se consacrer à autre chose (traduire ?). Ou faire les deux.

En tout cas, ce n’est pas cet été-là, l’été 76, à Bristol, que j’ai entendu Video Killed the Radio Star. Longtemps, je me suis imaginé l’avion du vol Bordeaux-Bristol sous l’aspect du dessin de la couverture d’un livre d’enfant que mes parents m’avaient acheté plus tard en Angleterre, et dont le titre, de mémoire, était Henry’s Aeroplane.

 

 

71

 

La veille de Noël, nous déménageâmes – ma compagne, nos deux fils et moi-même – pour la maison dans laquelle nous vivons actuellement, dans le quartier de la Petite Arche (que je m’amuse à rebaptiser le quartier des sçavans en raison des noms de rues). Mes parents étaient là, nous donnèrent un fier coup de main. Le soir même, le soir du 24, le sapin de Noël était en place. On ne plaisante pas avec la famille.

La soirée du 31 mars 2009, je la passai dans une cellule du commissariat de Tours, en garde à vue.

Le 30 mai, j’épousai C., après déjà dix-sept ans de vie commune. — La mairie n’est pas loin du commissariat, mais il y avait tout de même moins d’invités, à la sauterie qui suivit dans notre jardin, que de manifestants battant le pavé deux mois auparavant pour réclamer qu’on me relâche. — Nos deux fils descendirent les marches avec nous, et avec tous les amis, la famille – nous avons tous posé dans l’escalier d’honneur de l’Hôtel de Ville, devant l’immense et pompeux monument aux morts.

(J’écris ces lignes le 8 octobre 2011, alors que j’ai cassé il y a trois jours mon alliance, que je n’avais jamais enlevée depuis le 30 mai. Il ne faut pas trop prêter garde aux symbolismes objectifs.)

 

 

En octobre 2009, nous passâmes deux jours à Paris avec Alpha, et en laissant Oméga à Tours sous la bonne garde de ma mère. Place des Vosges, Carnavalet, Cluny, le Louvre. 3 amis mènent l’enquête. (Mais pas le film.)

 

 

° Les autres ont le droit de mettre leur grain de sel, aussi.

vendredi, 07 octobre 2011

Exister est un plagiat: 1 et 72

 

1

J'ai failli naître dans l'ascenseur de la maternité, non loin du lycée où travaillait ma mère et où j'ai préparé, quelques années plus tard, mon baccalauréat, à Dax. On ne doit pas avoir l'air très malin, la tête en bas.

Accoucher debout, pourtant, reste souvent une image africaine.

(Tout, en fin de compte, s'est passé à l'horizontale.)

 

Ensuite, quoi ? de nombreux mois paisibles ? ce n'est pas sûr. Je n'ai rien à en raconter, devrais demander à mes parents, à ma sœur.

 

 

72

Un des souvenirs les plus marquants de ma trente-sixième année restera mon voyage (déplacement professionnel) en Australie. Première fois que je franchissais l'Equateur, de plus pour me rendre down under.

Dans le vol Paris-Singapour, dans la nuit du 2 au 3 mai, je notais ceci :

J’ai déjà lu, entre l’heure et demie à attendre l’embarquement et le début du vol, la moitié du roman (très bref) de B.S. Johnson que m’a prêté ma mère. Ça date de 1973, c’est très potache, entre Queneau et Flann O’ Brien. Assez amusant, c’est déjà ça. Après avoir jeté un œil à son Petit Fûté Australie, T*** lit Les Croix de bois de Dorgelès (quite an unexpected choice).

 

L'avion était comme une sorte de grand vaisseau amiral, en zinc.

jeudi, 06 octobre 2011

Exister est un plagiat : 0 et 73

0

 

Mes parents m’ont raconté comment, devant s’installer de toute urgence dans la région dacquoise, et ma mère enceinte de moi, ils ont trouvé à acquérir la maison du 4, rue Jean-Jacques Rousseau, à Saint-Paul-lès-Dax, non loin de la Pelouse (« ce Saint-Paul-lès-Dax est bien laid, décidément »), et comment les propriétaires, désarmés devant la situation financière du jeune couple et les taux d’intérêt usuraires de l’époque, n’avaient pas voulu de versement de caution, ce en dépit des objurgations du notaire.

(Tout comme dans Balzac, ça commence par se résumer à du pognon.)

Ma sœur avait trois ans, cet été-là. Est-ce à cette époque qu’a été prise d’elle la photographie noir et blanc sur laquelle on la voit – assise au petit bureau que mes parents ont gardé jusqu’à présent pour leurs petits-enfants – en train de téléphoner ?

 

 

73

Je forme une entreprise qui a eu quelques exemples.

Exister est un plagiat, dixit Cioran, si j’en crois Lejeune. Seule la forme est de mise.

 

L’été dernier, à Cagnotte, pendant les flamboiements attardés de ma trente-septième année, ma mère a évoqué, je ne sais plus pourquoi, l’histoire du notaire et de la caution. Si, je sais pourquoi : à cause des rebondissements multiples de l’affaire immobilière de mon oncle paternel.

Immobilier. Mobilité de l’écriture, immobilité – dans la vie – que permet la mémoire. Aller de l’avant, dans ce projet d’écriture, consiste à revenir en arrière. → Les Vases bleues (chanson de 1976). En 2011, bien des questions restent en suspens, et même en suspension : la mer descend, c’est la vie.

 

Je ne sais pas ce que j’écrirai demain, mais peut-être pourrai-je imaginer la maison de mon enfance au moment de ma naissance.

Nous verrons.