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lundi, 14 octobre 2019

Red As A Rose Is She, II.3.

(Le projet.

Le texte du roman)

 

Des armées d'écoliers dévorent des sandwiches desséchés et des petits pains rassis dans les buvettes des gares, des écoliers qui se déversent de toutes les écoles, de tous les séminaires et de toutes les universités du pays. Des moniteurs aux tarifs élevés étirent leurs jambes engourdies sur les pentes abruptes du Helvellyn et du Mont-Blanc, et surveillent « l'ouragan glacé » des glaciers de leurs yeux de savants. Et le dernier chargement de foin du jeune Craven (de Glan-yr-Afon) a été rentré en toute sécurité, comme vous l'a appris le journal de sa sœur. Ce matin, le point culminant des hautes terres résonnait des cris de tétras : ce soir, il est aussi plat que la plaine de Salisbury. Toute la journée, les chariots ont arpenté, avec force fracas, la route rocailleuse de montagne qui mène du champ à la grange. Toute la journée, Evan et Hugh et Roppert (oui, ça s’écrit ainsi), gilets ouverts, manches remontées sur leurs bras burinés, aidés et encouragés par diverses matrones cambriennes au bonnet fiché tout droit sur la tête et tenant la fourche dans leurs mains d’une blancheur de lys, ont jeté les ballots odorants – ces ballots qui embaument davantage morts que vifs, comme la réputation d’un honnête homme – dans les charrettes, les ont chargés jusqu'à ce qu’on ne voie, du cheval de trait, plus que les oreilles, le nez et les pattes avant, à moins de contempler ce tableau avec les yeux de la foi. Toute la journée, Esther est restée assise sous un meulon, comme on s’imagine l’épouse sage dont parle Salomon, elle qui « veille à la bonne marche de sa maison ». Le foin fait bientôt un fauteuil souple adapté à sa silhouette jeune et gracile, et les grosses argiopes lui grimpent dans le dos à leur guise jusqu’à explorer les forêts vierges de ses cheveux épais et sombres. On lui a apporté son déjeuner, du pain et du lait dans un bol blanc. Ce n’est pas agréable, et c’est rebutant, de manger seul ; on se sent réduit à la condition d'un chien qui croque des os et lape la sauce dans son écuelle, tout seul, la queue baissée comme la poignée d’une pompe, prêt à grogner et à rabrouer tout autre chien qui s'approcherait pour partager son festin.

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dimanche, 13 octobre 2019

Red As A Rose Is She, II.2.

(Le projet.

Le texte du roman)

 

Cette feuille de journal est signée Esther Craven, à Glan-yr-Afon, et datée du 10 juillet 186–. Le mois de juillet est en général un mois plutôt humide, ce qui n'est pas le cas cette année : tout au long de ses trente-et-une journées, le ciel est demeuré pareil à du cuivre, semblable à ce qu’en vit Elie (le Prophète) au sommet du Carmel, quand, par sa seule foi, il fit monter, des tréfonds de la mer, la pluie tant attendue. Londres déverse sa noble armée de tailleurs et de maraîchers dans Ramsgate et Margate, dans Scarborough et Llandudno. Les John Gilpins d'aujourd'hui ne se contentent pas d'une modeste sortie au Bell, à Edmonton, « dans une chaise à deux chevaux ».

 

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mercredi, 02 octobre 2019

Red As A Rose Is She, II.1.

(Le projet.

Le texte du roman)

 

« Jack et moi avons fini de rentrer le foin aujourd'hui, sans une goutte de pluie ; la première fois, depuis je ne sais quand, que nous sommes aussi chanceux. Si nous avions de la terre, on se dirait qu’il s’y trouve un lopin de terre consacrée, et ça expliquerait notre infortune ; mais comme nous n'avons pas assez de terrain pour y faire paître une oie, il doit y avoir une autre explication. Il s’est produit aujourd’hui quelque chose d’étrange : Robert Brandon m'a demandée en mariage. C'est la première demande que je reçois, quoique j’aie eu dix-sept ans le mois dernier. Si c’est toujours aussi désagréable qu'aujourd'hui, j'espère sincèrement qu’il n’y en aura pas d’autre. Et j’ai dit ‘oui’, en plus ; ou plutôt une sorte de oui, après une demi-douzaine de non ; je ne comprends pas trop pourquoi, car mon corps ne me disait pas oui. Je suppose que j'ai dû être heureuse de voir que quelqu'un, peu importe qui, souhaitait vivre en ma compagnie pendant la durée de son existence ici-bas. »

 

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mardi, 01 octobre 2019

Red As A Rose Is She, I.6.

(Le projet.

Le texte du roman)

 

Cette vallée regorge de maisons, gentilhommières et maisons de paysans, dans lesquelles les Cambriens prennent soin de croître et multiplier ; des maisons grandes et petites – rouges, blanches ou sales – anciennes ou nouvelles. Pour l'instant une seule de ces maisons nous intéresse ; c’est une petite maison, et elle est ancienne. À mi-chemin d'une colline elle se dresse, et fait face à d'autres monts plus hauts, qui, de l’autre côté de la vallée, s'élèvent doucement vers le ciel, et qui descendent en pente douce vers la mer à vingt milles de là. Ces monts me rappellent toujours – j’ignore pourquoi – les collines lointaines dans le tableau de John Martin, Les Plaines du Ciel, sans doute par la façon dont ils émergent doucement de leur halo bleuté. C'est une petite maison confortable et sans prétention, avec ses colombages noirs et blancs, son jardin potager sans murs qui s'élève en pente raide à l'arrière. Il y a belle lurette qu’elle est là, à voir passer les générations et se succéder les modes ; elle est là depuis l'époque lointaine où les hommes portaient des perruques frisées jusqu’à mi-dos et des manteaux bleu ciel, se battaient et mouraient pour le roi Charles et pour la prérogative royale, ou se battaient et vivaient pour l'Angleterre et pour la liberté, depuis l’époque où la plupart des maisons étaient en noir et blanc, tout comme elle, la bonne petite vieille, longtemps avant qu’on ait même eu l’idée des vitrages, des stucs, des hôtels particuliers à cinq minutes de la gare. Cette petite maison se nomme Glan-yr-Afon.

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samedi, 28 septembre 2019

Red As A Rose Is She, I.5.

(Le projet.

Le texte du roman)

 

Il était une fois – j'aime bien cet incipit ancien, marqué du sceau du temps, car il donne les coudées franches et offre de la place pour y déployer ses ailes, n’attache l’histoire à aucun règne identifiable, ne l’enferme dans aucun siècle étouffant – il était une fois une vallée dans le pays des Taffies… et elle y est encore, à moins que quelque convulsion très récente l'ait hissée au sommet d'une montagne, ou submergée sous les grandes vagues de l'Atlantique… il était une fois, donc, une vallée plus belle que celle d'Ida, la vallée où « le beau Pâris, le méchant Pâris » faisait paître ses moutons et ses chèvres noires de jais, et se lançait dans ses menées néfastes... une vallée où il n'y a pas de Pâris à la beauté dangereuse, seulement un ou deux gentilhommes gallois, rouquins, qui ont épousé tous deux ou qui, avec le temps, épouseront tous deux une femme légitime, rouquine idem, très probablement… ni l’un ni l’autre n’a jamais fait, ni ne fera oncques la cour à la moindre Œnone ni à aucune autre jeune bergère dépravée. A la vérité, dans cette Arcadie, il n'y a pas de telles bergères : les filles des Cymri n’exercent pas « le métier de bergère », et, quand bien même ce serait le cas, ça n’aurait rien de bien romantique ; car, disons-le tout de go, même si cela nous chagrine, elles sont souvent débraillées, édentées, et elles ont les traits durs ; et puis les petits moutons maigres, agiles et efflanqués qui se bousculent, gambadent et se baladent sur les rochers et les pentes abruptes n'ont besoin ni de Jeannetons vicieuses ni  de Phyllis à la voix mélodieuse pour les surveiller et les guider dans le droit chemin.

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mercredi, 25 septembre 2019

Red As A Rose Is She, I.4.

(Le projet.

Le texte du roman)

 

Pourquoi continuer à m’épancher, tel un jet d’eau, sur les manières et le tempérament de cette nation, laquelle n’est, à mon avis, guère intéressante ? Il ne sert à rien que je continue de les « camplimonter », car les hommes et les femmes dont je vais vous parler, et que je veux que vous aimiez un peu, à moins que vous ne préfériez les détester un peu, selon le cas, ne sont pas des Taffies, mais ils se trouvent avoir planté leur tente au pays des Taffies, et c’est dans ce pays qu’ils vous salueront bien bas. Ces hommes et ces femmes n’étaient pas plus mal partis que tant d’autres, que ce soit pour la bonté, la beauté ou le talent ; chacun d’eux, sans exception, s’est livré à cent mille actions condamnables. Certains ont agi en toute impunité, en tout cas pour ce qui concerne la justice des hommes ; certains d'entre eux ont subi le fouet capricieux de Mégère et de Tisiphone, en châtiment de leurs écarts. Ce livre ne sera ni une Vie des Saints, ni une Démonologie ; ce ne sont ni les mémoires du brave capitaine Hedley Vicars, ni La Dame aux Camélias, de sorte que quiconque s’attend en salivant d’avance à l'un ou l’autre de ces deux styles peut immédiatement refermer ce volume, et le jeter – s’il lui appartient, bien sûr, mais pas si c’est un exemplaire usé emprunté à quelque bibliothèque ambulante – au feu. Ceux qui aiment une morale violente, ou une condamnation violente des péchés et des folies (un homme foudroyé pour avoir lancé un juron, ou une femme pour être allée à un bal, selon les voies de la Providence, ou du moins selon la version qu’en propose le Record), tout comme ceux qui ont le goût du déchaînement et du vice, tous seront déçus s’ils cherchent ici l’assouvissement de leurs goûts particuliers. De mes amis que vous allez bientôt rencontrer et que vous jaugerez, «  beaucoup demeurent parmi nous, mais il en est aussi qui se sont endormis ».

 

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mardi, 24 septembre 2019

Red As A Rose Is She, I.3.

(Le projet.

Le texte du roman)

 

Peut-être êtes-vous allé en voyage de noces à Llanberis, assis en haut d’une calèche lourdement chargée qui se déportait dangereusement dans les virages serrés, manquant de flanquer votre Angelina par terre en lui faisant mordre la dure poussière galloise. Peut-être avez-vous pleuré avec Angelina sur la fausse tombe du martyr Gelert, à moins que vous n’ayez découvert, en mangeant à belles dents de la truite rose au Capel Curig, que votre Angelina avait un solide coup de fourchette. Mais avez-vous déjà vécu au pays des Cymri ? avez-vous déjà vu de vos yeux l’étendue de l’ivresse des Gallois les jours de marché, ou la façon dont les Galloises se muent en vieilles sorcières vers leur trentième année ? Avez-vous déjà éprouvé la vérité des vers suivants :

« Taffy était gallois,
Taffy était un voleur »

Le Pays de Galles, j’y ai vécu, donc je sais de quoi je parle ; et pour ma part, je ne pense pas que Taffy soit beaucoup plus enclin à briser le huitième commandement que les canailles de tout autre pays. Non, Taffy n'est pas un homme brillant ; le plus heureux du monde, je pense, quand il a un coup dans le nez ou quand il crie des psaumes dans son conventicule ou dans son échoppe de schismatique, car le schisme lui tient à cœur… Il vous racontera pas mal de mensonges sans les assaisonner de cet esprit vif et désinvolte qui caractérise Pat. Par contre, il est très affable, et plutôt inoffensif ; son voisin qui vit de l’autre côté de la mer est plus dégourdi, mais plus enclin aussi à chaparder traîtreusement les cuillères de son prochain, ou à cogner son épouse avec le tisonnier. Taffy n’est pas comme ça.

 

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lundi, 23 septembre 2019

Red As A Rose Is She, I.2.

(Le projet.

Le texte du roman)

 

Êtes-vous déjà allé au Pays de Galles ? Si vous avez déjà visité ce beau pays vert et sale où prospèrent Patoche et son accent, les pommes de terre, l'absentéisme et les grands-maîtres, autrement dit l'Irlande, vous avez sans aucun doute traversé une partie du pays, très probablement à bord de la malle-poste ; mais dans ce cas, vos yeux, votre nez et vos oreilles étaient si pleins de poussière et de cendres, vous étiez tellement occupé à cligner des yeux, à tousser et à profiter pleinement de la poésie des cahots, que vous n’étiez pas du tout en mesure de voir, d'entendre ou de sentir les beautés, les bruits agréables ou les bonnes odeurs qui, dans des circonstances plus heureuses, se seraient offertes à votre attention. Peut-être avez-vous l'habitude, au milieu de l’été, d’aller promener votre famille d'olives verdâtres des deux sexes afin de remettre le rose à leurs grosses joues (douze, si je compte bien) au moyen de balades rugueuses du côté d’Orme’s Head, ou grâce à des fouilles en règle sur la plage de Rhyl.

 

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dimanche, 22 septembre 2019

Red As A Rose Is She, I.1.

(Le projet.

Le texte du roman)

 

    Êtes-vous déjà allé au Pays de Galles ? Je ne pose cette question à personne en particulier ; je m'adresse simplement à l’ensemble des Britanniques ou, plutôt, aux Britanniques qui auront la sagesse de lire calmement l'histoire d'amour vraie et émouvante qui va suivre ; elle est aussi vraie que les amours du méchant Abélard et de son Héloïse, aussi émouvante que celles du bon Paul et de sa Virginie. Ces sages lecteurs seront probablement peu nombreux ; on pourra les compter au nombre de quelques dizaines, peut-être même sur les doigts de la main : ils ne formeront pas, je gage, la majeure partie de la nation. Aussi élevée que puisse être l’estime en laquelle je tiens mes talents de narratrice, aussi grande soit l'estime de moi-même que m’a donné la Providence, je gage cela car les seuls livres à connaître une large diffusion sont le missel anglican et le Bradshaw. Je ne m’apprête pas à écrire un livre édifiant sur la religion ou sur les trains, alors autant me résoudre à un lectorat plus limité et entonner un air tout simple (quoiqu’un peu grinçant et désaccordé, peut-être), et autant remercier la fortune si ce lectorat limité ne me fait pas taire sous ses huées avant que j’aie atteint la septième strophe de cette vieille rengaine monotone.

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vendredi, 20 septembre 2019

#JeLaLis #ChallengeXIXe #JeLaTraduis : c'est parti

Connaissez-vous Rhoda Broughton ?

 

Il y a encore quelques semaines, je n'avais jamais entendu parler d'elle. Le hasard fait les choses, bien ou mal, on ne sait. Toujours est-il qu'on fêtera l'an prochain le centenaire de la mort de cette romancière prolifique.

 

Rhoda Broughton (1840-1920).

 

Pour commémorer ce centenaire, je m'étais mis en tête de lire un de ses romans, pourquoi pas celui dont on fêtera les 150 ans en cette même année 2020, Red As A Rose Is She (1870) ? Ce roman présente plusieurs intérêts, outre l'obsession arithmétique qui me l'a fait distinguer (centenaire, sesquicentennial, tout ça...) :

 

  • il fait partie des rares textes de son auteure qui soit disponible sur le Projet Gutenberg (il y en a beaucoup sur Internet Archive, mais IA est nettement moins commode).

 

  • son titre le rapproche d'une autre auteure à qui j'ai consacré récemment un projet #JeLaLis, à savoir Gertrude Stein.

 

  • son incipit, la seule chose que j'ai lue, est piquant.

 

  • 1870, l'année de la mort de Dickens, constitue aussi, à peu de temps près, le milieu du règne de Victoria

 

 

Ce matin, tôt, au cours d'une insomnie pas désagréable, j'ai appris que commençait aujourd'hui un autre projet collaboratif sur twitter et la blogosphère, le #ChallengeXIXe. Je vais donc entreprendre dès maintenant, à mes moments perdus, de lire/traduire simultanément le roman de Rhoda Broughton, en accompagnant chaque publication des 3 hashtags (ou mots-dièse si on veut tout franciser), et en ajoutant aussi sur Twitter le hashtag #Broughton2020. Pour ce qui est de la publication ici, sur ce blog, tous les billets seront regroupés dans une seule et même rubrique.

 

Il y aura peut-être aussi des vidéos. Nous verrons bien.