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jeudi, 14 mars 2024

14032024

Une heure avant le début de la journée d'études Le Web des poète·sses (à l'invitation de Marie-Anaïs Guégan et de son équipe), j'ai fait une petite vidéo dans ma chambre d'hôtel.

 

 

Je crois que le son est dégueulasse. Ou alors c'est mon ordi qui, après réinstallation du disque dur, a un son dégueulasse...?

 

dimanche, 10 mars 2024

10032024

Commencé de lire Littérature et révolution, entretien en trois parties entre Kaoutar Harchi et Joseph Andras. Andras, dont j’ai bien aimé deux livres au moins, a tendance à être assez poseur, assez mascu finalement. Harchi, que je ne connais que via les réseaux sociaux, propose les argumentations et les analyses les plus intéressantes. Le dialogue, en tout cas, est très fertile.  

 

mercredi, 06 mars 2024

06032024

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De retour à Tours immense plaisir de trouver dans la boite aux lettres mes exemplaires. Ce livre, dont on a vu naître et se dessiner les contours sonnet après sonnet, il y a quelques années sur Facebook, quel bonheur de le découvrir, avec ses belles pages, sa typographie soignée... et les collages de Françoise Guichard, décidément douée de tous talents.

 

vendredi, 16 février 2024

War Dances

War Dances (16022024)

Recueil de nouvelles et de poèmes acheté presque par hasard au Bibliovore, il y a dix jours.

On retrouve l’ironie mordante de Sherman Alexie, le côté faussement je-m’en-foutiste de son écriture, sa manière très directe de parler des « grands sujets » de la société américaine contemporaine. À noter : ‘Invisible Dog on a Leash’, ‘Big Bang Theory’, ‘Salt’.

mardi, 13 février 2024

Dele Weds Destiny

Il y a quelques années j’avais ironisé sur une liste des 100 African Books You Have to Read, ou quelque chose d’approchant, dont 85% étaient écrits en anglais, et une bonne partie de ceux-là écrits par des écrivain·es nigérian·es. Dele Weds Destiny n’est pas un mauvais roman, mais il fait un peu penser à ces textes produits à la chaîne, un roman comme il s’en publie tant d’autres chaque année, à la sortie des masters de creative writing, sous la plume d’une Nigériane dont la troisième de couverture nous apprend qu’elle vit à New York (bien sûr).

Dele Weds Destiny (13022024)

Je suis un peu méchant, car s’il était si conventionnel que cela, je n’aurais pas lu ce roman jusqu’au bout. Or, je l’ai lu, même avec un certain plaisir, et en m’attachant à ces trois personnages de femmes d’âge moyen lors de leurs retrouvailles pour les noces somptueuses (mais qui vont rater (ceci n’est pas un spoil car dès le titre, et les premiers chapitres, on pressent que la cérémonie de mariage va virer au vinaigre)) de la fille de l’une d’entre elles. Le livre marque notamment par la façon dont il fait revivre la période assez particulière des grèves d’étudiants contre la dictature dans les années 80, et aussi par le récit des cérémonies proprement dites, vers la fin : on sent que Tomi Obaro a tenté de restituer ce qui l’a elle-même marquée, avec ce regard à la fois de l’intérieur et un peu de l’extérieur. À cet égard, le roman intéressera beaucoup les spécialistes de diaspora studies.

dimanche, 11 février 2024

Défions l’augure

 

Qu’est-ce qui s’est passé ?
On attend l’explication.
Et finalement elle ne vient pas.
Ce qui s’est passé je vais te le dire

 

C’est ma mère, passé avenir au présent

 

Je poursuis une traversée rapide de l’œuvre récente de Cixous.

Toujours l’impression qu’une grande partie m’échappe et que l’autobiographie est là pour faire sens, une lampe dans la nuit du sens.

Tout cela vient de ce fait que quand je naquis à Oran je naissais par ma mère à Osnabrück. Cette originalité est cause que mon livre et moi nous avançons par embardées. À plusieurs scènes. Et il arrive qu’un des livres du livre me fasse une scène. (p. 83)

On s’y raccroche.

Difficile de se raccrocher à une lampe.

 

Après tout ce n’est pas la personne d’Ulysse qui nous lie à l’Odyssée, c’est la somme de ses aventures, et qu’elle soit finie en vérité, et que la fin soit domiciliée. (p. 89)

 

Ici j’ai corné plein de pages – ouh, pas bien, exemplaire de bibliothèque. (Oui, mais d’abord ce sont des cornages très discrets, que je déplie aussitôt avant de les rendre, et surtout tous ces livres n’ont apparemment jamais été empruntés par quiconque hors moi.)

Je me suis servi de deux phrases pour deux sonnets de ma nouvelle série, pas encore publiée ailleurs que sur Facebook (sonnets braqués). Mais même en se mouchant du pied curieux que Cixous après 80 bouquins et combien de séminaires confonde l’antiphrase et la litote ( p. 77)

 

Elle note que dans la lettre il n’y a pas de fautes d’orthographe. Puisque c’est Alice qui prend sous la dictée. — Alice, pourriez-vous laisser les fautes de mon mari, svp ? C’est comme si Alice avait lavé les pieds de son mari. Ma grand-mère pense et ne dit pas. Les deux femmes se déplacent lentement, lourdement, autour de la table, comme des baleines ventrues qui changent en or jaune le sel vert de la vérité. (p. 105)

 

Défions l'augure (11022024)

 

J’ai commencé à lire un roman inachevé de Heine à cause de ce livre. Et de cette page :

Ce récit a survécu caché dans les trois volumes d’œuvres de Heine qui n’ont jamais quitté son étagère. Je ne l’ai jamais lu. Je ne sais pas pourquoi. Il est resté caché comme un enfant mort sous la nappe. (p. 50)

 Le livre est là, en allemand – existe-t-il en français ?

 

Selon moi, confirmer que chez nous on se mouche dans les draps n’est pas mentir. Selon moi tout a commencé dans la Bible. Il y a eu une faute. Et l’histoire de l’écriture a commencé. Tout a commencé par un procès. À la question : qui a commencé ? je réponds : d’un côté, c’est ma mère, de l’autre côté c’est ma grand-mère, où est la vérité ? Là, la vérité en est où, entre les lits, entre les mères. (pp. 56-7)

 

samedi, 10 février 2024

Partout le feu

Ce roman en vers libres m’avait échappé lors de sa parution en 2022. Il est centré autour du personnage d’une jeune femme, la narratrice, Laetitia, qui a abandonné un cursus plutôt classique et même assez élitiste pour participer aux activités d’un groupe genre Extinction Rébellion mais en plus radical : invasion d’une centrale nucléaire pour y lancer un incendie, cassage de pare-brises de SUV (p. 116), etc. Le dernier chapitre s’achève sur son immolation par le feu.

 

Partout le feu (10022024)

Le livre n’est pas mauvais, mais il est un peu convenu/complaisant, et surtout il est très rare que les vers libres soient autre chose que de la prose découpée différemment. Un peu déçu, donc.

 

mercredi, 07 février 2024

Trois livres de Guy Bennett traduits par Frédéric Forte aux éditions de L'Attente

Trois pour (même pas) le prix d’un ——— On s’est demandé s’il fallait placer la parenthèse du titre entre pour et le ou entre le et prix : car ce que j’ai voulu dire, c’est – comme on le voit avec les codes-barres – c’est que ces livres ont été empruntés à la B.U. (Et ce n'est même pas le titre retenu pour le billet de blog. (Pondre ces billets me prend trop de temps. L’exhaustivité prend trop de temps. Même pour gagner du temps sur les vidéos, ces billets me prennent trop de temps. Et tiens, l’alarme sonore indiquant que la lessive est terminée résonne.))

 

Ce fut donc, hier et ce matin, la découverte de Guy Bennett, oulipien et américain. Je sens que je vais toujours le confondre avec Guy Davenport. On n’a pas idée de ne pas être francophone et de se prénommer Guy. J’ai lu ces trois petits livres de Guy Bennett car ils ont été traduits (en fait : co-traduits) par Frédéric Forte, qui m’a demandé en ami il y a quelques jours sur Facebook, sans que je sache trop pourquoi (j’ai lu naguère voire jadis son Dire ouf, mais c’était avant le vlog donc je n’en ai jamais parlé).

 

Trois livres de Guy Bennett (07012024)

 

Ces trois recueils traduits par F.F. (j’écris ces lignes en écoutant les deux premiers albums de Franz Ferdinand) ont chacun leur couleur :

Capture2.PNGPoèmes évidents – rose : le plus ludique, le plus abordable sans doute – avec quelques jolies trouvailles.

 

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Ce livre – taupe : le plus expérimental, il « détaille les clés théoriques et techniques de la matière textuelle qui le constitue ». Ou : « où cela mène-t-il le lecteur qui cherche à en découdre avec le présent ouvrage ? » (p. 71 [j’aimerais bien savoir quel verbe anglais est ici traduit par en découdre avec])

 

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Œuvres presque accomplies – rouille : le plus profond et le plus jouissif, selon moi. Mais je ne suis pas objectif : la question des livres que j’ai échafaudés et été trop flemmard pour écrire me taraude continuellement. Il y a deux jours, Milène Tournier a commenté sous un des sonnets que je publie ces jours-ci sur Facebook en disant « ils sont incroyables tes sonnets ». J’étais à deux doigts de lui répondre : personne n’en veut. Et je ne l’ai pas fait car ça aurait été faux. En 2016 j’ai autoédité mes 135 sonnets de la décennie précédente sans les avoir jamais proposés à aucun éditeur. Pour en revenir au livre de couleur rouille de Guy Bennett, car c’est censé être le sujet ou l’objet de ce billet, difficile d’en parler, sinon à faire l’inventaire des projets non réalisés et qui me semblent le plus excitants : bokéogrammes, glissandi, Le Projet des ponts, « Mon contenu » (cette idée, je l’ai eue aussi, et on est nombreuxses à l’avoir eue)… Quel est ce sonnet en anglais de la page 41 dont le titre est le premier vers du sonnet en -yx ? Guy Bennett l’a-t-il écrit par anagrammes de chaque vers du sonnet de Mallarmé ? ai-je été inattentif ? Je juxtapose ce qui s’ajoute et se jouxte. Débrouillez-vous.

 

J’étais parti pour y passer dix minutes, et ça fait la demi-heure sans faire la rue Michel. D’ailleurs, aucun écrivain anglophone, même oulipien, ne se prénomme Michel.

 

lundi, 05 février 2024

Aliène

Je reparlerai forcément de ce livre en vidéo.

Le continuum humain-animal-cyborg-“alien” est au centre du roman qui n’a justement pas de centre.

Ou est-ce un discontinuum : Hannah la chienne clonée n’est pas Hannah l’empaillée n’est pas Fauvel avant d’être éborgnée n’est pas Fauvel un œil en moins n’est pas etc. Où la confiscation de la ressource en eau potable par les multinationales rejoint la « pacification » par flashball, le récit décrit un monde qui tente d’aliéner.

Aliène (05022024)

Le texte interroge sans arrêt l’envie d’analogie, et la déroute : « Elle pense à la colère qui anime la chienne et la voit comme pouvant être la sienne. Une vie et un corps qu’elle n’a pas choisis. » (p. 80)

L’écriture est puissante, parfois un peu excessive, mais nécessairement.

Le sujet du premier roman de P.H.C., Tabor, retraverse visiblement ce récit. Est-ce que P.H.C. est en train de construire une œuvre dans laquelle les livres forment un continuum ?

 

dimanche, 04 février 2024

Insurrection de la poussière

 

En 2018 à Lyon on avait vu l’exposition d’Adel Abdessemed avec l’installation Shams, dont il est beaucoup question ici. Cixous la décrit très bien (p. 93).

En empruntant plusieurs – et donc très peu, à peine une dizaine de – livres de Cixous j’ai donc découvert l’amitié qui la liait à Adel Abdessemed, et ce gros livre carré contenant de très belles photographies d’œuvres d’A.A., ainsi que la correspondance entre H.C. et A.A. (c’est comme ça sur la couverture), avec reproduction des pages manuscrites. J’ai survolé la correspondance, le temps de me confirmer le caractère insupportablement poseur, trop souvent, de Cixous (qui réussit à commencer une très longue lettre par la notation qu’elle a « un peu, très peu de temps, autour de mon stylo », p. 130 (on croirait la parodie de Proust dans À la manière de…, sauf que pour Cixous c’est premier degré)).

D’ailleurs, A.A. le 26 juin 2013 :

Insurrection de la poussière (04022024)

Peut-être aussi ne suis-je pas proustien parce que je traite des images… et non des mots… Toutes mes œuvres sont des autoportraits présents… J’ai toujours fait des autoportraits… et tout ce que je fais est un autoportrait… Un autoportrait dans un EXIL perpétuel… Je suis toujours là… et je ne suis jamais là… (p. 228)

 

Je n’avais pas compris, ou j’avais oublié (est-ce que ça revient au même ?), que Shams commémore – Cixous abuse ici encore de son néologisme-valise commémourant – les travailleurs (africains surtout) qui meurent chaque jour sur les chantiers au Qatar. Cixous :

Au Qatar on ne voit pas. Invisibles les maîtres. Invisibles les esclaves. Au Qatar on sent qu’on ne voit pas. La sensation que l’on est qatarisé croît de jour en jour. On nonvoit ce que l’on sent. Le ciel est fiévreux. La qatarisation des sens menace. (p. 97)

 

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Il est opportun que je dise que ce genre de livres que je parcours, ou dans lesquels je pioche plus que je ne les lis, résonnent particulièrement d’échos des autres lectures simultanées : pour les sens, L’Appel des odeurs de Ryoko Sekiguchi ; pour le chien de Goya (j’y viens), Aliène de Phoebe Hadjimarkos Clarke (que je finirai ce soir).

 

J’y viens, au chien d’A.A. (celui qu’il a enlevé, qui « n’aurait pas survécu dans cet enfer sans ciel », p. 108) et celui de Goya, auquel H.C. le rapporte :

Il [Goya] a créé le chien et l’être chien, la vérité de la vérité, le chien qu’il était et qui meurt, et pour rien, il n’y a pas de rédemption, ça ne sert à rienni à personne de mourir comme un chien, ni qu’un chien meure pour vous, il n’y a personne à appeler, personne pour dire votre nom, le monde est sans témoin. Sauf ce sourd fou de peintre qui dépose sur les murs de sa cellule. Une déposition que lui seul recueille. (p. 105)

 

Aussi : la poussière (qui me travaille beaucoup ces temps-ci, entre le Dust Bowl de Guthrie à McGrath, et la paronomase dust/rust (le roman de Khadija Abdalla Bajaber dont je me suis convaincu que seule S* était en mesure de savoir pouvoir le traduire)). Aussi : la cote en 700 du livre dans les collections de la B.U. et son classement à ABD (pas à CIX).

 

samedi, 03 février 2024

Lettre à un ami imaginaire

Pour les 30 ans de la librairie Le Livre, Laurent Evrard a décidé de soutenir la publication d’un projet un peu fou, la traduction du long poème – Laurent a dit épique hier, mais je ne suis pas trop d’accord – en quatre parties de Thomas McGrath (1916-1990) Letter to an Imaginary Friend. Ce travail, sur lequel Vincent Dussol a travaillé plus de dix ans après une thèse sur le poète américain, vient de paraître en coédition chez Grèges, sous le titre Lettre à un ami imaginaire, dans le même format que l’édition américaine, avec la même police et la même disposition de vers par page. L’éditeur Lambert Barthélémy, présent hier au Livre aux côtés du traducteur pour le lancement de l’ouvrage, a d’ailleurs précisé que cela avait donné un travail colossal à la personne chargée de la mise en page, et que les coûts d’imprimerie s’en étaient trouvés largement augmentés.

Lettre à un ami imaginaire (03022024)

 

J’ai acheté le livre il y a une dizaine de jours et j’étais arrivé hier en fin d’après-midi quasiment à la fin de la troisième partie (il s’agit d’un poème en quatre parties, écrit entre 1954 et 1984), soit à la page 344 (pour un poème « pris » entre la page 27 et 437). J’avoue être très impressionné par de nombreux aspects de ce grand poème, et dont certains ont été longuement expliqués et commentés par le traducteur hier : grands espaces, poésie des gestes concrets de l’ouvrier, allers-retours de la mémoire etc. Ce dont Vincent Dussol a parlé, et qui ne m’avait pas frappé – sans doute parce que je n’ai pas fini la lecture –, c’est la transition progressive d’une poésie de l’image vers une poésie du langage (et des jeux de mots, jeux de langage). Il m’a semblé que les jeux de langage nourrissent aussi les 12 sections de la première partie, mais je peux me tromper.

Je commençais à dire que, tout en étant très impressionné, je ne comprends pas très bien la nécessité de ce long poème, au sens où certaines sections me semblent incluses de façon presque fortuite à tel ou tel endroit, sans vraie logique, et au sens aussi où certaines sections sont comme une reprise, une réitération de telle ou telle section antérieure. Je n’en comprends pas la nécessité : cela veut dire que souvent la cohérence générale, voire même le sens autonome de telle section, m’échappe. Mieux vaut, au fond, le lire comme un recueil aux thèmes récurrents – et même obsessionnels – et non comme un poème.

 

Bien qu’il n’ait pas été possible de poser de questions au traducteur et à l’éditeur (tout était un peu bouclé ou verrouillé pour une conversation, certes passionnante, entre Laurent Evrard et les deux invités), les lectures de passages choisis étaient très pertinentes et très belles. Vincent Dussol, qui est aussi passionné que passionnant, a peu parlé de son travail de traducteur proprement dit, ce qui était assez frustrant ; il a toutefois indiqué qu’avant de se lancer dans la traduction de cette Lettre, il avait lu Anna Karénine et le Kalevala afin de muscler, en quelque sorte, son lexique dans divers domaines, agricole et forestier notamment. Lambert Barthélémy a signalé que la présence d’une préface était exceptionnelle pour Grèges, et que l’appareil de notes situé en fin de volume pouvait se lire, selon lui, comme un texte autonome.

Vincent Dussol a expliqué qu’il avait découvert Thomas McGrath, quasi inconnu, à la faveur d’une interview de Michael Cimino lors de la sortie de Sunchaser. Laurent Evrard et lui ont aussi évoqué la parenté entre certaines sections du poème et le film de Terrence Malick Days of Heaven (qui lui est postérieur), notamment pour les aspects sonores. Vincent Dussol a fait remarquer que la plus grande influence du cinéma sur la Lettre est la question du montage cinématographique, qui, dans la lignée d’Eliot, Pound et alii, propose un modèle de montage poétique (pagination, aspects visuels, structure des sections).

Pour les influences littéraires, outre Whitman (dont certaines strophes sont quasiment des pastiches, à mon sens), Dussol a cité le Canto general de Neruda, et la phrase du poète chilien pour « revendiquer l’impureté ».

 

La première question que j’aurais aimé poser, et que je garderai donc par-devers moi, est relative au rapport éventuel avec la protest song de Woody Guthrie, et ce même rapport aux espaces intermédiaires (entre les côtes) et au travail des ouvriers et des fermiers dans les grandes plaines : McGrath a lancé l’écriture de son poème au moment où Woody Guthrie était devenu très célèbre, et quelques années après qu’il eut commencé d’écrire son roman House of Earth (qui n’a été publié qu’en 2013, puis traduit en français par Nicolas Richard, mais dont McGrath pouvait avoir eu vent), et les éléments intertextuels, y compris d’un point de vue politique, ne manquent pas. L’autre question, toujours pour les espaces des grandes plaines, avait trait aux liens avec une poésie des fermiers et du « Western » au sens large qui est encore plus méconnue que celle de McGrath et qui se prolonge encore aujourd’hui, dans un même rapport d’ambivalence à la confiscation des terres aux Amérindiens (j’avais tenté de proposer la traduction d’un recueil de Red Shuttleworth à un éditeur il y a une dizaine d’années, en vain).

 

jeudi, 01 février 2024

Le Voisin de zéro

C’est le premier jour de février, et j’étais aux Tanneurs à 6 h 55. Je ne sais même pas s’il y a un mot d’ordre de grève dans l’enseignement supérieur, où tout est à vau-l’eau, en débandade ; habituellement, je préfère verser ma journée de salaire aux caisses de grève ; aujourd’hui, je ne pourrai même pas manifester, c’est nul (je suis nul).

 

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Cet opuscule de Cixous, paru l’année du centenaire de la naissance de Beckett, m’avait échappé, comme m’échappe généralement ce qu’écrit Cixous : je n’y comprends rien.

Ici encore impression que HC garde tout, ne jette rien, et après tout pourquoi pas si nous acceptons d’être engloutis dans son galimatias. Pourquoi va-t-elle pêcher le Purgatoire de Dante ? Et Kafka, ça s’entend, lui dont c’est cette année le centenaire (de la mort).

 

On ne devrait parler que du centenaire des centenaires, ça apprendrait aux autres.

 

L’analyse, c’est l’art de découper à l’infini. L’art d’approcher, de Beckett le découpeur. En approchant de la chose exacte, donc première approximation et erreur, pour corriger l’erreur tu estimes l’erreur en commettant une erreur plus petite, tu approches la chose exacte, la fin, en faisant des erreurs de plus en plus fines. (p. 62)

 

mercredi, 31 janvier 2024

31012024 (La Désolation)

C’est le dernier jour du mois, à la veille d’une grève probablement massive dans l’Education nationale, mais qui ne donnera rien, ou presque rien, prise qui pis est au milieu du mouvement des agriculteurs, à qui le gouvernement – passé pourtant maître dans l’art de la répression violente et démesurée des mouvements sociaux – laisse faire absolument n’importe quoi depuis maintenant plus d’une semaine, tout en dévoyant leurs revendications et en les manipulant.

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Dans ce contexte, rentré à la maison pour un bon thé après la réunion de jury de L1, j’ai lu la bande dessinée La Désolation, qui tourne autour de l’hypothèse d’un groupe de Norvégiens survivalistes retournés « à l’état de nature », ou plus justement à l’état paléolithique, dans les îles Kerguelen. Bon scénario, dessins et planches magnifiques.

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mardi, 30 janvier 2024

Baba Yaga a pondu un œuf

Ce roman composite est à peu près impossible à résumer, car le récit le plus « classique » occupe la deuxième partie, autour de la trinité des trois vieilles dames Pupa, Kukla et Beba, en vacances dans un spa à Prague. La 4e de couverture ne mentionne d’ailleurs que ce récit, alors que la première partie attaque sous un angle différent, celui d’une écrivaine narratrice qui se rend, à la demande de sa mère, dans la petite ville de Bulgarie d’où elles sont originaires afin de voir ce qui a changé. La narratrice s’y rend en compagnie d’une jeune universitaire folkloriste nommée Aba Bagay (anagramme transparente de Baba Yaga) ; cette universitaire, désormais en poste, est l’autrice de la 3e partie, qui développe sur une bonne centaine de pages, à la demande de l’éditeur du manuscrit des deux premières parties, les liens entre les différentes versions du mythe de Baba Yaga à travers l’Europe de l’Est et la Russie (mais pas seulement) et le manuscrit en question.

Le dernier chapitre de cette dernière partie, « MON CONTE EST FINI ! », est une sorte de péroraison féministe en forme de cri de la sorcière :

Comprenons-nous bien, je ne suis pas comme votre autrice. Je n’ai pas laissé passer cette épée sous l’oreiller, je crois en sa signification. Plus, je suis convaincue que quelque part, tout est soigneusement consigné, qu’il existe quelque part un monstrueux registre des réclamations, et que les comptes seront réglés un jour ou l’autre. Tôt ou tard, mais ils seront réglés. (p. 452)

 

Comment suis-je venu vers ce livre ? D’une, je voyais passer régulièrement le nom de Dubravka Ugrešić depuis quelques années. De deux, et surtout, à Arles Chloé Billon a reçu le Grand Prix de la Traduction pour ce livre, et ce qu’elle en a dit lors de l’entretien suivant la remise du prix donnait forcément envie d’aller lire ce livre.

Et prouesse de traduction, très frappante. Pour la dernière partie, bien entendu, qui – comme le récit aussi – jongle entre de nombreuses langues (russe, tchèque, croate entre autres), et entre tant de références anthropologiques. Mais aussi pour tous les “effets de comptine”, comme je tente de nommer les différentes transitions d’un chapitre à l’autre dans la deuxième partie : ces transitions se fondent systématiquement sur une antithèse entre « la vie » et « l’histoire (au sens de fiction), et sont des sortes de distiques en prose. Voici comment Chloé Billon a traduit quelques-uns de ces distiques :

Tandis que la vie est pleine d’aléas, l’histoire ne tourne qu’autour de son canevas ! (p. 212)

Tandis que les histoires personnelles s’éternisent dans la confusion, la nôtre sans encombre file vers sa conclusion. (p. 232)

Et nous ? Nous poursuivons notre route. Tandis que la vie s’arrête, cligne des yeux et tergiverse, l’histoire vers sa fin se presse. (p. 296)

Tandis que la vie regorge de détours et d’anicroches, l’histoire, elle, est sans peur et sans reproche. (p. 309)

Tandis que la vie erre dans les bois et les taillis, l’histoire à mi-chemin prend déjà des raccourcis. (p.  315)

 

Ces éléments métafictionnels sont particulièrement ironiques, étant donné qu’ils appuient sur le caractère linéaire et comme évident des histoires, alors que le livre lui-même n’est ni une seule histoire, ni linéaire, et qu’il est même difficile de lui assigner une conclusion, si ce n’est de prendre au pied de la lettre le long essai d’Aga Bagay qui constitue la troisième partie.

 

Baba Yaga a pondu un œuf (30012024)

lundi, 29 janvier 2024

Les Mots rares

 

Je ne sais d’où sort ce livre. M’a-t-il été offert (et qui vais-je vexer en écrivant ce qui suit) ? L’ai-je trouvé d’occasion ? Aucun souvenir.

Ce qui est étrange, si je l’ai acheté, c’est qu’en le feuilletant seulement j’aurais dû voir que ce n’était pas du tout le genre de poésie qui me plaît.

Pourquoi ? C’est verbeux. Voilà.

Il suffit de feuilleter.

Allons-y.

Les Mots rares (29012024)

 

L’épigraphe en italiques : un poème de trois strophes et onze vers où l’on trouve les mots iridescence, ineffables, indicibles et inénarrables.

Redflag total.

Premier poème : « Iridescence ». La deuxième strophe : Phosphor-essence poème / Phénomène fluor-essence / savant. On dirait un truc parodique.

Deuxième poème – le titre : « Géodésie poétique Poésie géodésique ». En fait, la poète a voulu canularder les éditions Galilée (qui éditent Cixous et Jean-Luc Nancy, je le rappelle)… et l’éditeur a accepté ça au premier degré. Bravo, Juliette Brevilliero !

Et ça continue, en jeux de mots infralapointe : le poème intitulé « Chair Rubis » commence par le vers « Chère Ruby » !!! Notons aussi « Le bétail qui bayait aux corneilles » (p. 60), qui s’achève sur le jeu de mots baye/baille (mais avec oubli du circonflexe). Plus on avance dans le recueil, plus on se dit que ça ressemble à des punchlines de Grand Corps Malade. (Ce n’est pas censé être un compliment.)

 

samedi, 27 janvier 2024

A Shard of Silence

Il y a quelques semaines seulement, j’ai découvert Amy Lowell. Jusque là c’était à peine un nom ; peut-être même pensais-je vaguement qu’elle était de la famille de Robert Lowell (spoiler : pas du tout).

A Shard of Silence (27012024)

 

Découverte car née en 1874, il y a 150 ans, et je cherchais des idées pour relancer éventuellement ma chaîne Twitch. L’idée aurait été, comme pour ma lecture d’Ulysses en 2022, ou comme le Projet Pinget en 2018-9, de fixer un rendez-vous hebdomadaire et d’avancer dans ma connaissance de l’œuvre.

Je doute d’avoir le temps à consacrer à un tel projet comme je l’aurais voulu et dans le délais idéaux (AL est née le 9 février), mais je la lis tout de même. Outre les recueils qu’on trouve en format numérique sur Gutenberg, ce recueil paru à titre posthume en 1957 contient une préface scandaleusement condescendante (et bête, au fond) d’un certain G. Ruihley ; l’exemplaire provient des collections de la B.U. Lettres de Tours, et plus particulièrement du fameux Fonds Kennedy.

 

Lowell est généralement ramenée à deux identités : poète du mouvement imagiste (dont Pound, ce facho bien viriliste, disait qu’elle l’avait confisqué/abêti) et lesbienne. Je n’ai pas trouvé trace d’une biographie en bonne et due forme d’Amy Lowell ; il semble que ça manque. Et oui, ça fait défaut.

Ici, je note que sa poésie, même avec quelques traits parfois démonstratifs, fait entendre une voix singulière qui est aussi – et cette conjonction est en soi admirable – celle d’une époque. Dans deux genres très différents, lyrique et mémoriel – disons : ‘White Currants’ (p. 45) & ‘The Congressional Library’ (pp. 57-60).

L’avant-dernière section (Eleonara Duse) est composée de six sonnets qui ne se présentent pas comme tels : un rien d’Edna St Vincent Millay ici. La forme sonnet retenue par Lowell mélange le schéma italien/pétrarquiste (quatrains de rimes embrassées avec deux rimes – ABBAABBA) et le schéma élisabéthain (sizain qui ne se partage pas en deux tercets mais en un quatrain de rimes croisées et un distique final – CDCDEE). Ce n'est ni le sonnet miltonien, qui est en fait une très légère variante sur le modèle italien – CDECDE au lieu de CCDEDE) ni le sonnet spensérien, qui est une variante intéressante (à laquelle je ne pense jamais) du sonnet élisabéthain (ABAB BCBC CDCD EE au lieu de ABAB CDCD EFEFE GG). Pourtant, je crois déjà avoir vu cette forme hybridant les deux principaux modèles.

 

Le dernier poème, « Nuit Blanche », est tel également, subtil sans être génial, sauvant la rime un peu forcée (feet/sleet) au moyen d’une comparaison astucieuse :

Ghostly and vaporous her gown sweeps by   

The twilight dusking wall, I hear her feet   

Delaying on the gravel, and a sigh,

Briefly permitted, touches the air like sleet.

 

 ___________________________________________

 

En écoute : Bedrock du trio d’Uri Caine (Tim Lefebvre à la contrebasse, Zach Danziger à la batterie). Difficile d’évoquer en quelques phrases la figure majeure d’Uri Caine. Majeure, pour moi ; presque aucune des personnes à qui j’ai fait écouter, depuis vingt ans, son double album des Variations Goldberg n’a partagé mon enthousiasme. Ici, dans la formation trio, c’est plus conventionnel, mais ça ne l’est pas du tout.

 

Rousse

Quand j’ai cherché le livre dans une librairie où je vais rarement – trop grande, trop généraliste – le libraire à qui je l’ai demandé, pensant que j’en avais entendu parler de cette façon, m’a montré du doigt la table réservée aux ouvrages « passés à la télé ». Et effectivement, ce que je vais dire est méchant, mais Rousse est un livre parfaitement calibré Grande Librairie (du trapen-art).

Rousse (27012024)

 

Mais bref. Reprenons au commencement. Rousse, premier roman publié de Denis Infante (« envoyé aux éditions Tristram par la poste » dit – dans un exaspérant mensonge plein d’affèterie – le rabat de la 3e de couverture), est l’histoire d’une renarde, racontée du point de vue de la renarde (et aussi, par bribes, du point de vue de plusieurs autres animaux non humains). Comme beaucoup de livres commencent à filer ce filon, je me dis à chaque fois que je devrais relire La dernière harde de Genevoix ou De Goupil à Margot de Pergaud – très lointains souvenirs.

Le livre est en trois parties de longueur inégale : « La matière » (pp. 9-94 ; récit à la troisième personne mais du point de vue de Rousse), « L’esprit » (pp. 95-128 ; récit de Rousse à la première personne), « L’existence » / ‘Eau amère du monde’ (les trois dernières pages, encore narrées par Rousse). Pour dire la différence de point de vue, pour tenter d’écrire en non-humain (c’est tout le paradoxe, voire l’aporie, du perspectivisme [cf travaux d’Emilie Dardenne notamment]), Denis Infante invente une syntaxe qui s’écarte partiellement de la langue française standard. Le trait le plus saillant est l’absence d’articles définis, toujours remplacés par des articles ø. D’autres traits moins évidents s’ajoutent à ce dispositif, en particulier la surabondance d’adjectifs (au point qu’autour des pages 30-40, ne voyant plus que ça, je lisais en repérant tous ceux qui n’apportaient absolument rien, voire affadissaient le récit).

Autre écart, le choix de procéder fréquemment à des inversions sujet/verbe que pas grand-chose n’explique : « Puis, au point du jour nouveau, aussi brusquement qu’elles avaient commencé, cessèrent rafales, s’évanouirent hurlements, se turent grondements, retomba poussière. » (p. 92) Je pense que c’est juste un écart, juste une manière d’affecter des marqueurs linguistiques à la différence, à ce qui différencie fondamentalement l’instance focalisatrice des narrateurices ou protagonistes habituel·les des récits publiés.

Donc dans cette langue – et j’insiste sur le fait qu’en ce sens c’est un livre très littéraire, très écrit, expérimental – nous est raconté une sorte de conte. Ce conte, comme on va finir par le comprendre quand Rousse aura franchi le grand fleuve, est un récit post-apocalyptique : curieusement, l’espèce humaine a été anéantie, mais les animaux ont survécu. Les animaux ont survécu, mais peut-être en mutant (cf les kraken/krakodiles), et surtout dans un espace géographique difficile à définir, dont le paysage pourrait être celui de l’Amérique du nord, mais où vivent et cheminent des éléphants. Hypothèse commode : le désastre a modifié totalement le climat des continents. Mais est-ce si sûr ?

C’est sans doute cela, la grande réussite du roman de Denis Infante : cette incertitude. Ce qui est moins réussi, c’est la façon dont le récit ne cesse d’investir la nature et les animaux non humains d’un spiritualisme new age pas très inventif et faussement apolitique, avec le personnage du corbeau « Noirciel, qui est Maître, qui sait » (passim), grand initiateur qui relève plus de Yoda que de Bouddha (même si en fait ici ça revient au même).

 

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*              *

 

En écoute : Evgueni Galperine – Theory of Becoming (ECM, 2022). Beaucoup écouté cet album à l’automne, et de nouveau ces jours-ci. Avec sa couverture faite de deux œuvres (gravure et huile) représentant un loup usant d’un masque humain, l’album était idéal pour accompagner la fin de ma lecture de Rousse. Par contre, rien de kitsch dans ce projet dont les compositions électroniques / samples s’ornent sur certains titres de phrases trompette et violoncelle, l’ensemble très beau, très poignant, et plutôt in-ouï.

Touche pas à mon peuple

Enfin pris le temps de lire le petit essai que Claire Sécail consacre à une lecture de l’émission de Hanouna – et à tout le système qui l’accompagne – comme d’une démarche populiste.

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Moi qui lis très peu de sciences politiques, ça m’a permis d’affiner la définition même de populisme, que Claire Sécail appuie sur les travaux de Cas Mudde et Cristobal Rovira Kaltwasser (« idéologie peu substantielle ») :

 

Cyril Hanouna élabore un système de valeurs bien plus qu’un système de pensée : chez lui, les qualités humaines sont un moteur plus important que les idées pour concevoir l’organisation et les objectifs d’une société. […] En effet, la morphologie rudimentaire et malléable du populisme fonctionne comme un moule dans lequel peuvent se côtoyer plusieurs « idéologies denses »… (p. 52)

 

Moi qui ne regarde jamais Hanouna (mais vois passer les séquences les plus choquantes, celles qui devraient valoir des sanctions de l’ARCOM), ça m’a permis d’avoir une meilleure vision de l’histoire de cette émission, et surtout de l’évolution tant de l’émission elle-même que de Hanouna en tant qu’animateur/prescripteur manipulateur. En un sens, ça a commencé ainsi : « Registre verbal simple, direct et fleuri d’argot, identification à l’ « homme de la rue », valorisation de l’inculture, stéréotypes sexistes, familiarité avec les invités : ce style est mis en avant pour rejeter le langage technique ou précieux attribué aux élites et ainsi faire corps avec le « sens commun » du peuple. » (p. 17) Et ça se poursuit / termine ainsi : « Le gagnant ? L’extrême-droite politique et culturelle, qui a bien compris l’intérêt d’investir la scène d’un divertissement dévoyé pour y promouvoir la version ripolinée de sa guerre de civilisation et imposer des idées d’autant plus dangereuses qu’elles avancent au nom d’un bon sens populaire. » (p. 77)

Ça coûte 6 euros, ça se lit en une heure, et c’est indispensable.

 

En écoute – un des disques offerts par ma mère : le disque de 2001 du trio de Sylvain Beuf (avec Diego Imbert à la contrebasse et Franck Agulhon à la batterie). Je connaissais ce disque, écouté chez ma mère quand elle l’avait acheté, back in the days. Il y a des compositions magnifiques (‘Ornette’ / ‘Catering de Médicis’ / ‘31 janvier’), et cette formule du trio m’évoque – un cas flagrant de plagiat par anticipation – les disques du groupe tourangeau Steak !

 

dimanche, 21 janvier 2024

Odyssée des filles de l’Est

« Selon le Petit Larousse des expressions, ce genre de situation s’appelle un cul-de-sac. Selon Rada Goranova, ça s’appelle une agression sexuelle. » (pp. 128-9)

20240121_102049    Ce bref roman est décapant. C’est le deuxième livre de son autrice, Elitza Gueorguieva, et elle y fait se croiser une étudiante en cinéma arrivée à Lyon au tournant du siècle et d’une prostituée appartenant à la génération précédente. Les commentaires « de biais » sur la langue française rappellent un peu kantaje (quant à je) de Katalin Molnar, mais d’une façon à la fois moins formaliste et peut-être plus politique.

Lors de leur improbable rencontre, Dora raconte comment, juste avant l’effondrement du régime communiste, les Bulgares de la minorité turcophone ont été forcé·es de changer leur identité et de renoncer entre autres à leur langue, ou d’être déporté·es en Turquie.

Pour user d’une expression à la mode, Elitza Gueorguieva dit les termes. Et même : elle les forge, les scrute, les élabore. Elle ouvre le texte aux termes. Il y a là du Quintane et du Leiris, un soupçon aussi de Herta Müller.

(Aller lire à présent son premier livre.)

 

sans son stylo avec mon stylo

D’emblée en librairie c’est un volume tête-bêche.

˙ǝɹʌıן ǝן ʇıɐןqɯǝssǝɹ ıonb à ɹǝɹébbns ɹnod sǝɔnʇsɐ’p éןqnopǝɹ ʇuɐʎɐ ɹnǝʇıpé’ן 'xnɐıɔos xnɐǝɹ sǝן ɹns sɐd sıɐɯ ǝɥɔêq-ǝʇêʇ ǝɯnןoʌ un ʇsǝɔ ǝıɹıɐɹן uǝ

Le mot tête-bêche est parfait : un circonflexe de chaque côté du trait d’union. Un peu comme ce volume, ou ce livre ou cet ouvrage : dans un sens, on lit sans son stylo et dans l’autre avec mon stylo.

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Il n’y a pas de pagination, mais sans son stylo « fait » 80 pages, tandis qu’avec mon stylo n’en fait « que » 72.

Le nom de l’auteur n’apparaît nulle part mais il paraît – merci le paraîtexte – que c’est Philippe Annocque. Ce serait bien son genre. Avec son genre.

 

On ne va pas vous raconter ce que racontent ces deux récits qui n’en forment qu’un seul ; Enfin, on va peut-être vous le raconter. Comptez pas sur moi.

Si : c’est un livre répétitif. C’est un livre un peu répétitif. C’est un livre répétitif. C’est un livre à peine répétitif. C’est un livre répétitif. C’est un livre passablement répétitif. Il paraît que c’est un livre répétitif. Un jazzman allemand — mais il est mort — m'a suggéré que c'était un livre répétitititititititititif.

C’est un livre répétitif. Et en même temps c’est un livre diffracté. Je, il, on, son, mon. Un livre de pronoms et de prépositions.

 

Il paraît que je pourrais multiplier les paragraphes à faire le malin comme ça mais ça n’a aucun intérêt donc je vais plutôt vous dire comment j’ai lu ce livre. J’ai commencé par lire un petit tiers de avec mon stylo, puis j’ai lu les 8 ou 10 premières pages de sans son stylo. Puis, j’ai alterné un peu avant de finir avec mon stylo d’une traite – ce n’est pas « d’une traite » puisque tu es en train d’expliquer que tu l’as lu en plusieurs fois – puis de lire sans son stylo jusqu’au dénouement.

Peut-on dénouer les pronoms ?

Pourrai-je dénouer cette absence de stylo – vu qu’on j’écrits au clavier.

 

Qu'importe. Allez lire, avec vos yeux et sans mes yeux. Si vous choisissez de lire à tour de rôle une page de chacun des deux textes, prenez d'ores et déjà rendez-vous avec votre médecin, car la tendinite vous guette.

 

Le colorisme (Alessandra Devulsky, trad. Paula Anacaona)

L’éditrice et traductrice Paula Anacaona poursuit son travail précieux et essentiel de faire connaître en français tout un corpus de sociologie et d’anthropologie brésilienne. J’avais recensé en 2021, pour Littéralutte, deux essais fondamentaux de Djamila Ribeiro. Ici, j’ai eu le grand plaisir de lire l’essai d’Alessandra Devulsky Le colorisme. Métissage, nuances de couleurs de peau et discriminations (2021, 2023).

Il se trouve que ma lecture de l’essai a commencé peu après plusieurs billets de Patrice Nganang lors de la mort de Henri Lopes, et dans lesquels il disait notamment – dans le contexte africain, donc – qu’il fallait rétablir la vérité, et que le « métissage » vanté par Lopes n’était qu’une dissimulation néo-coloniale des spectres coloristes :

Ce qui reste, c'est le sang qui a coulé sous sa responsabilité, le sang, le sang, le sang de son propre peuple. Ce qui n'est pas dit, et qui se manifeste au Cameroun aussi, est que le colorisme était son instrument de pouvoir – le fait d'être métisse, tel qu'on le voit au Cameroun aussi, bref, le racisme à l'envers qu'il appelle “métissage”. Non, c'est le colorisme. (P. Nganang, post Facebook au sujet de la nécro de Henri Lopes dans le NY Times, 3 décembre)

 

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Comme plusieurs passages de l’essai d'Alessandra Devulsky sont très importants et qu’ils vont me servir à articuler plusieurs arguments lors de mes cours (en particulier séminaire de master et cours de 2e année sur les écritures féminines décoloniales de la Caraïbe), je les reproduis ici tout en vous incitant à vous procurer cet essai (et à aller explorer le catalogue des éditions Anacaona).

 

Le colorisme ne se limite pas seulement à l'aspect physique ; il reflète une hiérarchie raciale pernicieuse qui correspond à un projet politique : diviser les Noir·es pour entraver l'émancipation socio-raciale. Au Brésil, l'esclavage et le processus colonial se sont servis de ses hiérarchies raciales, ce qui a impacté la construction identitaire de ces sociétés. (p. 12)

 

Le capital se sert de données culturelles pour fragiliser la majorité des femmes – qui, dans le cas du Brésil, sont noires – hiérarchisant ainsi les corps par la stratification des oppressions basée sur le colorisme, et fragmentant le corpus politique noir en lui imposant la falsification de ses négritudes et blanchités. Le colorisme est donc un témoignage vivant de la plasticité des technologies du capital. (pp.69-70)

 

La manière dont sont exploités les pays africains, asiatiques et latino-américains est la preuve vivante que certaines pratiques prédatrices sur les êtres humains et l'environnement sont tolérées dans le Sud parce que c'est là qu'habitent celles et ceux dont l'humanité peut être bafouée. Les crimes environnementaux comme ceux de Brumadinho et de Mariana, l'esclavage moderne dans les campagnes du Brésil, qui touche en grande majorité les Noir·es, le recours au travail infantile dans les mines de cobalt et de diamants au Congo, montrent à quel point la racialisation de ces populations autorise l'exploitation irrationnelle des ressources – quitte à menacer directement leur vie. (p. 75)

 

Penser que le métissage mettra fin au racisme par la superposition de traits et d'origines revient à oublier que le colorisme ne se résume pas à des traits et marqueurs raciaux. Le colorisme se développe main dans la main avec le racisme, ce qui en fait une technologie sociale intersectionnelle qui intériorise aussi des vecteurs socio-économiques, culturels et historiques dans ses classifications et attribution de valeurs. (p. 78)

 

Contre les accusations de communautarisme ou d'identitarisme 

Confondre le processus de réécriture des récits et de rétablissement de la vérité avec un identitarisme à la seule recherche d'un statut est une simplification vulgaire de ce que signifie, historiquement parlant, l'opposition à des processus d'oppression systématique. (p. 80)

 

Voyant la négritude comme un objet d'étude et un vecteur d'orientation politique, les femmes noires à peau claire ont progressivement trouvé une appartenance politique et raciale. Abandonner la subalternité de la « presque » Blanche pour l'agentivité de « l'orgueil noir » dépend de la place que l'on trouve pour soi dans la multiplicité des africanités existantes, et de la reconnaissance de ce que l'on sait avoir toujours été.

L'abandon des pratiques de blanchiment dépasse de loin le seul domaine esthétique, le désir d'être accueilli·e ou accepté·e par les groupes de pouvoir : il s'agit de comprendre tout ce que nous avons perdu dans les processus coloristes d'assimilation de l'africanité au sein des modèles normalisateurs blancs. de fait, se reconnecter avec les liens familiaux et communautaires, religieux et culturels, aidera celles et ceux qui ont fini par comprendre que l'assimilation raciale fait partie du projet de blanchiment – un projet qui, bien loin de vouloir intégrer ce qui n'est pas blanc aux sphères de pouvoir, cherche seulement à discréditer et à vider de valeur tout ce qui s'éloigne de la norme érigée par les Blancs pendant des siècles. (p. 120)

 

Tourner le dos aux réflexes dissimulés offerts par la blanchité est un acte politique, qui requiert de se libérer du racisme et du colorisme pour être vécu dans sa plénitude. S'affirmer Noir·e ou autochtone au Brésil exige bien plus qu'une seule volonté, ou des arrières grands-parents esclavagisés ou appartenant à une ethnie en voie de disparition. Cela exige d'embrasser les luttes d'un peuple qui n'a jamais renoncé à sa liberté même sous le viol, la perte de ses caractéristiques et d'une partie de son histoire. (p. 121)

 

samedi, 20 janvier 2024

The Promise

C’est le roman qui a valu à Galgut des torrents d’éloges – il n’est que de voir l’insupportable double rabat qui sert de couverture à cette édition de poche Vintage – et le Booker Prize 2021. Malgré les réserves que j’ai formulées, j’ai nettement préféré The Impostor, et je me dis à présent que c’est The Good Doctor qu’il faudrait lire, et – après en avoir parlé avec mon amie M*, qui est spécialiste des littératures sud-africaines, et de Galgut notamment – les premiers romans, car ce qui me retient (beaucoup) dans l’écriture de Galgut, c’est son côté trop maîtrisé, trop abouti, trop parfait en un sens. Il faudrait que je m’explique de ce « trop parfait ».

 

The Promise (19012024)

 

C’est donc un très bon roman, sans doute, si on s’en tient aux questions de maîtrise formelle et narrative : les changements de point de vue fréquents s’entrelacent de façon subtile à un point de vue omniscient ; le narrateur omniscient,  quoique très discret, donne une forme de tonalité morale mais difficile à interpréter ; les notations ironiques succinctes, qu’il est difficile d’attribuer à tel personnage ou à la voix narrative, participent d’un portrait pessimiste de la société sud-africaine.

Mais… mais… mais…

Plus j’avançais dans la lecture, plus je trouvais les personnages factices, creux. La fameuse promesse du titre, dévoilée d’emblée, sert de fil conducteur – en fait, c’est cousu de fil blanc, jusqu’à sa fonction de décryptage des relations entre Blancs privilégiés de la société d’apartheid et Noirs victimes de ségrégation jusque dans les années 2000-2010. De plus, beaucoup de remarques misogynes émanent de la voix narrative principale (cf description, grossophobe pour tout arranger, de la notaire à la p. 280), sans compter un certain nombre de clichés sexistes qui servent d’astuces narratives (le dernier § sur la ménopause est totalement hallucinant pour un roman publié au 21e siècle – j'ai quasiment hurlé en lisant ça).

 

À force de vouloir dresser un portrait réaliste, sans fioritures de l'Afrique du Sud, le récit est d'un cynisme qui finit par rejoindre le discours suprémaciste blanc sur l'incompétence des Noirs. C’est ce qui m’avait déjà gêné dans The Impostor. Dans The Promise, les Noirs – catégorie homogène, fourre-tout – restent totalement marginalisés, sans voix dans le récit, et même ceux qui expriment une révolte sont ridiculisés, réduits au traumatisme de la prison, comme si l'argument de la confiscation du pouvoir économique par les Blancs était dérisoire : quand Lukas s’insurge contre la bienveillance paternaliste d’Amor, dans le dernier chapitre, je me suis dit que Galgut allait vraiment proposer ce point de vue à contre-courant du reste du roman… mais non… il choisit de raconter cet échange houleux du point de vue d’Amor, et donc d’en conclure que Lukas se trompe de colère et ne comprend pas qu’Amor est du bon côté.

Comme pour The Impostor, je n’ai pas cherché longtemps mais je m’étonne de ne pas trouver d’articles qui analysent ces traits néo-coloniaux qui usent de stéréotypes raciaux au lieu de les déconstruire.

 

jeudi, 18 janvier 2024

Les Âmes aux pieds nus

Les Âmes aux pieds nus (18012024)

 

Ce recueil, d’une poète d’origine syrienne dont je connaissais déjà les Métro-poèmes, est émouvant, avec quelques portraits très rudes. Maram al-Masri, qui écrit en arabe et se traduit elle-même (si j’ai bien compris – l’édition est peu claire), a écrit cet ensemble de poèmes pour tenter de creuser le sujet des VSS – et justement d’aller au-delà d'un acronyme qui devient trop souvent commodité : le recueil parle des violences faites aux femmes, des discours qui les entourent, des hypocrisies, de ce qui demeure indicible ou ineffable ou insupportable à dire.

 

lundi, 15 janvier 2024

Vivent les corneilles

Vivent les corneilles, lu en 4 ou 5 jours, à raison d’un chapitre par ci par là. (C’est le bon mode de lecture, à mon sens : ça imprègne davantage.)

Le sous-titre résume bien le propos : un plaidoyer pour une cohabitation responsable.

Je n’aurais pas connu ce livre si je ne suivais pas, depuis quelque temps, sur Twitter, Marie-Lan Taÿ-Pamart, ornithologue qui participe très activement au comptage et au suivi des populations de corneilles à Paris (et qui a beaucoup d’humour).

Vivent les corneilles (15012024)

 

L’auteur est Frédéric Jiguet, directeur du CRBPO (Centre de recherches sur la biologie des populations d’oiseaux) au Muséum, et, depuis 2015, coordinateur des projets Corvidés pour la région parisienne. L’objectif du livre est de démontrer que : i) les corneilles (spécifiquement) sont des oiseaux sociaux et territoriaux passionnants ii) il ne s’agit pas de nuisibles à éradiquer, c’est-à-dire avec lesquels la cohabitation est impossible iii) le coût financier de l’effarouchement, du piégeage et des destructions est élevé… et inutile, voire – dans certaines cas – contre-productif.

Pour aider les agriculteurs, notamment, face aux déprédations dans leurs champs, il est primordial, selon F. Jiguet, de ne pas exterminer ou effaroucher bêtement les corneilles et les autres corvidés. Il y a une page très belle sur la manière dont l’essor de la maïsiculture bretonne et le fonctionnement même de cette culture sont les principaux responsables de l’augmentation des populations de choucas dans l’ouest de la France (ch. 11).

De même, les corneilles ne font pas courir de risque à la population humaine parisienne, ni par leur comportement – l’agressivité ponctuelle de certains individus est très bien expliquée, au sens où F. Jiguet explique comment il a fini par la comprendre (ch. 7) – ni au plan épidémiologique (ch. 13 et 17).

 

Le livre se décompose en brefs chapitres thématiques, entrecoupés de QR-Code qui permettent d’accéder directement à des vidéos illustrant le propos scientifique / éthologique / technique du chapitre. Le ton est enjoué et drôle, ce qui n’empêche pas d’apprendre des dizaines de choses, et l’humour se cache dans les détails : l’épigraphe est de Pierre Corneille, et les dessins d’illustration de Guillaume… Reynard.

Il me reste à lire la bande dessinée La Femme corneille (shortlistée pour le Prix Maya 2024).

 

dimanche, 14 janvier 2024

Clèves

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Clèves de M.D. : fini hier soir. Vite lu ; c’est l’avantage de M.D., même si on se dit qu’on manque des choses, qu’il faudrait lire M.D. plus lentement, en approfondissant.

 

Pas le temps ? tant pis. Mieux lu vite que pas lu.

M.D. n’est pas Duras ; je fais exprès.

 

 

Quand Clèves est paru en 2011, j’ai bien sûr pensé à une réécriture de Mme de Lafayette. Comme je ne suis pas un lecteur très assidu/convaincu de M.D., je ne l’ai pas lu. Et puis voyez comme on s’amuse : en lisant Fabriquer une femme la semaine dernière, j’ai compris que Clèves était une commune imaginaire du Pays basque – loin de la côte – dans laquelle M.D. a situé son dernier roman, et donc, au cours de la dernière décennie, trois autres.

Me voici donc à être assez curieux pour ajouter les précédents – lus déjà par C* - sur ma pile à livres.

 

Sacré roman tout de même sur l’adolescence, et surtout sur la manière dont une adolescente travaillée par la puberté – les règles, les seins, l’envie de baiser, la masturbation, l’envie de vivre des baises – voit le monde, aimerait comprendre (génial passage sur la célèbre photo de Yalta, pp. 258-9) « l’Histoire de la bite, c’est comment on fait et comment on vit quand on a ça au lieu de ça ». le roman tourne exclusivement autour du point de vue de Solange, 12 ans dans le premier chapitre et plutôt 14-15 dans les suivants. Avoir lu d’abord Fabriquer une femme construit différemment le regard : je m’imagine (ou tente de le faire) comment j’aurais lu ce livre en 2011, sans savoir la suite, et je le lis en sachant ce qui s’est passé. (Jusqu’à la dernière page j’ai pensé qu’on saurait que Solange finit enceinte. Bah non : la fin, ce sera pour un autre volet du cycle. (Et ce n'est pas la fin.)

Y a-t-il des livres sur la façon dont un adolescent se fixe sur ce que ça peut signifier d’avoir une chatte (je prends délibérément le contrepoint de « l’Histoire de la bite ») ? ça ne me dit rien. Pourtant garçon on y pense souvent, à cette uchronie : et si j’étais une fille ? et ça fait quoi, les règles ? Donc : comment on vit quand on a ça au lieu de ça. En ça le roman est vraiment très puissant.

 

Ça se passe nettement à l’intérieur de son corps (la sensation se confirme), ça doit monter environ sous le nombril, il faudrait mesurer, ce n’est pas sensible sur tout le trajet mais plus ou moins à différents points. Elle se débrouille pour qu’il insiste où elle veut (« dis-moi ce que tu veux » – qu’il se taise), ce n’est pas toujours évident de se faire comprendre alors elle s’assoit sur lui, c’est terriblement pratique, elle va au rythme qu’elle veut, elle se tend peu à peu comme un arc (ou comme ce réveil qu’elle remontait jusqu’à ce qu’il se mette à tourner sur lui-même dans un grand barouf de clochettes excitées). Toutes les parties de son sexe tubulaire, feuilleté, rond, creux et protubérant (une maison de Barbapapa) sont touchées, frottées, pleines et vidées, pressantes et pressées – alors c’est vraiment bon, mieux même que quand elle se masturbe, c’est vraiment super. (p. 295)

 

Le roman est en trois parties : les avoir (les règles) ; le faire (elle suce Arnaud lors d’une soirée au château puis lors du date suivant elle « se fait enculer » par lui) le refaire (elle ne cesse de se bagarrer – euphémisme pour baiser – avec « Monsieur Bihotz », son voisin de 27-28 ans qui s’occupe souvent d’elle depuis qu’elle est enfant. Ce qui se passe dans la 3e partie, c’est qu’un homme de presque 30 ans couche régulièrement avec une adolescente de 14-15 ans ; c’est vu par la jeune fille, et on dirait que c’est presque elle qui le force ; quand elle le quitte, c’est lui tente de se suicider en avalant du désherbant. Pour abuser d’une formule que je n’aime pas, je ne sais pas si M.D. écrirait ce roman de la même façon en 2024. Et d’ailleurs elle l’a écrit en 2024, très différemment : Fabriquer une femme.

 

Est-ce que ce cycle de Clèves (quatre romans à ce jour) ne permet pas, au fond, à M.D. d’écrire plusieurs fois la même histoire, en adoptant plusieurs points de vue narratifs certes, mais – de façon plus intéressante – en adoptant différents points de vue d’époque : les années SIDA, la puberté, le consentement etc. vus en 2011, en 2013, 2017, 2024 ?

 

vendredi, 12 janvier 2024

La quête infinie de l'autre rive (Inter Pares 2014-1)

jeudi, 11 janvier 2024

The Impostor

The Impostor (11012024)      Il y a longtemps déjà que je voulais lire Galgut. Et ma mère m’en ayant offert deux romans pour mes 49 ans, en novembre, j’ai donc attaqué celui-ci lundi soir, toujours dans l’idée d’essayer de faire descendre la pile de livres en souffrance. (En fait il y a plusieurs piles. Trois ou quatre. C’est une autre histoire.)

 

Comme l’idée de cette chronique n’est pas de passer une heure ou davantage, à chaque fois, à écrire une recension détaillée, mais plutôt de pouvoir tenir le compte des livres lus / parcourus / interrompus, voici donc très en bref l’intrigue de ce roman publié en 2008, et qui fait partie des livres de Galgut qui ont été traduits en français :

Le roman raconte, du point de vue d’Adam, quadragénaire au chômage et en plein désarroi existentiel, les années de la transition arc-en-ciel. Adam déménage au fin fond du Karoo, dans une maison un peu déglinguée, au jardin envahi de ronces et de mauvaises herbes, que lui prête son frère ; il s’imagine qu’il va reprendre sa carrière de poète abandonnée après un seul recueil juvénile ; il se retrouve à converser avec un être imaginaire, façon Horla mais pacifique. Son voisin, Blom, est mystérieux ; il apprend vers la fin du roman qu’il s’agit d’un ancien criminel du régime d’apartheid engagé dans un programme de protection des témoins. (Par une forme d’ironie narrative très téléphonée – le roman n’est globalement pas du genre subtil – Blom finit assassiné par les mafieux qui le prennent pour Adam.) Adam croise, presque dès le début du roman, un homme, Canning, qui lui dit qu’ils sont amis d’enfance, dont Adam n’a aucun souvenir alors qu’il est, lui, la personne que Canning admirait le plus quand ils étaient ensemble en pensionnat. Canning a hérité de son père, qu’il détestait, un gigantesque ranch qu’il entreprend de démolir et de convertir – avec l’aide de politiciens véreux et d’un certain Mr. Genov, gros mafieux richissime – en golf. Adam passe tous ses week-ends dans la propriété (qui n’est jamais appelée ranch, c’est moi qui use de cet américanisme inadéquat par commodité), et finit par avoir une liaison avec la femme de Canning, une Noire sublime censée se nommer Baby.

 

Du point de vue des principaux motifs :

 * le veld, encore et toujours (p. 25 p. ex.)

 * la centralité d’un personnage ab-errant, Adam (notion d’aberration à creuser à partir de la p. 238 p. ex.), permet de mettre en lumière une société entièrement composée de figures dysfonctionnelles – tout à fait intéressant en tant que ressort littéraire/esthétique, mais cela m’embarrasse un peu comme la façon dont les romans post-apartheid de Coetzee sont beaucoup plus négatifs et critiques que les textes pré-apartheid (je n’ai pas creusé tout cela, il y a bien longtemps que je ne prétends plus, et de loin, avoir une quelconque expertise concernant la littérature sud-africaine

 * la première rencontre entre Adam et Baby (pp. 62-5) est très dérangeante : est-ce que Galgut fait exprès de jouer avec le male gaze racialisant et de surdéterminer les clichés sur la prostitution ? je n’en suis pas sûr – Adam est dépeint comme un homme blanc en pleine crise de la quarantaine (Galgut ne le dit jamais ainsi, heureusement) et entièrement détaché de ses propres expériences (cf la dernière fois qu’il fait l’amour avec Baby, pp. 196-7)

 * la bipolarité de Canning (nommée « ambivalence » à plusieurs reprises), p. ex. p. 116 : très intéressante en tant qu’allégorie politique (cf aussi dans le chapitre de dénouement, ch. 21, p. 245)

 * la dualité Adam/Canning signifie que chacun des deux est l’imposteur de l’autre (d’où le titre) ; la mémoire (personnelle et historique) comme imposture ; dualité redoublée par la dualité Baby/Nappy [pendant la majeure partie du récit, Canning appelle Adam  « Nappy », son surnom de leurs années d’enfance < Adam Napier, mais le surnom vient du fait qu’il se pissait dessus], comme si Galgut ironisait sur une nation à l’état d’enfance, incapable de dépasser le stade des pulsions primaires (Baby férocement individualiste / Adam qui rentre en fin de compte dans le giron de la classe moyenne/aisée blanche)

mercredi, 10 janvier 2024

La pièce manquante

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Avant-hier soir, ma collègue Katy Testemale organisait, au lycée Descartes, une rencontre avec Jean Harambat, autour de la parution de sa B.D. La pièce manquante, avec la participation de mes collègues Frédérique Fouassier et Laurent Gerbier. Comme j’avais une réunion d’une de mes équipes de recherche à 15 h, je n’ai pas pu y aller, mais C* m’a résumé tout cela avec pas mal de détails tout de même (cf son compte Instagram aussi, d’où provient aussi l’image ci-contre). Elle a trouvé l'ensemble de la table ronde très intéressant, très stimulant.

 

La B.D., que j’ai lue dimanche, m’a un peu laissé sur ma faim : c’est plutôt sage, et également un peu verbeux. L’idée de faire se rencontrer, dans l’Angleterre du 18e siècle (avec un hommage appuyé au genre picaresque) l’actrice Peg Woffington (dont je n’avais jamais entendu parler (mais la WP anglophone m'apprend qu'elle a fait l'objet de plusieurs romans et films, et même d'une mention dans Ulysses de Joyce...) et une figure majeure (un peu sous-employée par Harambat), Ignatius Sancho, est très judicieuse, et l’ensemble est bien mené. C’est l’occasion aussi de broder un peu à partir de Cardenio, la fameuse pièce coécrite par Shakespeare et Fletcher en 1613, et irrémédiablement perdue.

 

Au sujet d’Ignatius Sancho (dont je ne peux que chaudement recommander les Lettres, un texte fondamental de la Black Britishness et de l’histoire de l’abolitionnisme), Katy Testemale a parlé du roman que lui a consacré, tout récemment, l’acteur Paterson Joseph, et que j’ai commencé à lire.

 

lundi, 08 janvier 2024

The Centre

The Centre (08012024)    Hier soir, j’ai achevé la lecture d’un roman très récent, qui m’a été offert pour mes 49 ans par ma sœur Delphine, The Centre d’Ayesha Manazir Siddiqi. Quoique le roman ait eu beaucoup de presse, et malgré une publication chez Picador, l’autrice n’a même pas d’article dans la Wikipédia anglophone. En fait, ça commençait très bien, très fort, avec une idée d’intrigue formidable – and then, it peters out, somewhat. Ça se délite, ou ça part dans autre chose, de très cohérent, mais qui m’intéresse moins.

 

[Attention : les § ci-après divulgâchent à tout-va ce qui se passe dans le roman.]

La narratrice protagoniste est une jeune traductrice qui, après sa rencontre avec Adam (bien sûr – mais en fait, d’après moi, cet Adam est plus un gros clin d’œil à Adam Thirlwell qu’au père de l’humanité selon la Bible), découvre un moyen d’apprendre n’importe quelle langue à la perfection en dix jours. Ce pitch, qui implique que les premiers chapitres parlent beaucoup de langues, de traduction, d’interculturalité, promet beaucoup, mais on comprend progressivement que cette situation n’est qu’un prétexte à une sorte d’exercice entre sci-fi et thriller ; d’ailleurs, il n’est plus du tout question de langues, et encore moins de traduction, dans le dernier tiers du roman, à savoir les quatre derniers chapitres.

La puce m’est venue à l’oreille quand, après avoir appris l’allemand en dix jours et être devenue une traductrice en vue, Anisa apprend le russe de la même manière. Or, le roman reste très évasif sur les modalités de l’apprentissage lui-même (et pour cause : c’est de la science-fiction), mais cela coince pour le russe car jamais il n’est question d’apprendre autrement que par l’écoute. Alors, même si les révélations ultérieures (qui relèvent du cannibalisme dans un sens pas seulement culturel) permettent de se dire qu’Anisa a magiquement ingéré la connaissance de l’alphabet cyrillique, j’aurais aimé, pour ma part, que Siddiqi prenne la peine de rendre son récit plus vraisemblable, en fait, en montrant comment Anisa découvre qu’elle sait lire et écrire le russe, et pas seulement le parler.

J’ai conscience que je juge d’un roman qui n’est pas celui que Siddiqi a voulu écrire, mais du roman que j’ai cru lire jusqu’aux alentours des chapitres 4-5. En fin de compte, le roman est presque plus intéressant dans sa description de l’identité biculturelle anglo-pakistanaise de la narratrice, ainsi que dans le portrait différentialiste opposant Inde et Pakistan, jusque dans le rejet des tentatives d’homogénéisation ou d’expansionnisme de l’Inde contemporaine :

Indians did this to me all the time, this weird colonial swallowing up, this ‘we’re all the same’, which inevitably became ‘partition should never have happened’, which then turned into a full-on mourning for their completely fictitious long-lost perfect India of yesterday. They saw Pakistan, the entire country, as some kind of travesty, a broken-off piece of themselves that had turned rotten and sour once severed from its root. It was fucking annoying, but whatever, I let it go. (p. 259)

 

De même, plusieurs passages mettent en lumière le contraste idéologique et perceptuel entre la génération d’Anisa et la génération des boomers, mais aussi la dissimulation par laquelle certains hommes se prétendent féministes (nouveau trait de masqulinité, aurait pu écrire Jean-Thierry Maertens) :

I remember asking him once why he never reached for me with desire, and you know what he said? That he believed in ‘radical consent’. He explained that this meant that he never wanted to encroach, even accidentally. At first, I told myself that this was sweet, that maybe Adam would help me rewrite some of the violations I had stumbled into in the past, that maybe he would help me heal from all the times that I had overridden my own discomfort to pander to the demands of another. But later, I started feeling like maybe he was just using some kind of woke-boy spiel as macho defensiveness. (p. 19)

 

Assez subtilement, et jusque dans le dernier revirement – le dernier paragraphe autorise deux interprétations radicalement différentes quant au choix d’Anisa (p. 302) – The Centre est aussi un roman féministe :

Except now, we know better. The women who encountered the pushy hand before have told us about it; they’ve gathered their testimonies, these women, and shown us red flag after red flag. Our sisters have spoken, past their shame and sorrow, past their rage and fear, so that we may recognize things like a subtle push, a stray set of words, for what they are. So that we may make out the gleam of the headlights while the train is still far away enough for us to jump off the tracks. (p. 264)

 

Je termine sur les aspects métatextuels : le fait que le texte du roman est la retranscription du récit sur clé USB d’Anisa jusqu’au chapitre 11 (ou au-delà ?), mais surtout le fait que Siddiqi s’est amusée à inventer (or did she?) deux romans contemporains, l’un allemand, l’autre russe, que traduit sa protagoniste, et dont elle livre une ébauche suffisamment fouillée pour que les foldingues dans mon genre aient envie de lire ces romans qui n’existent pas… Autre motif qui rend la notion de sororité assez délicate à suggérer, l'attirance lesbienne, très loin de tout male gaze, fait aussi l’objet d’une mise en abyme littéraire :

You know when you sometimes read about people swooning in old Victorian novels? Well, the idea always baffled me. But truly, in that moment, I felt like I understood. Not that I swooned exactly, at least, not physically. I kept my eyes firmly placed on a small daisy in front of me, overriding my pupils’ impulse to turn upwards as I fielded a rush of light-headedness. When I finally glanced over at Shiba, she, too, was looking at the ground and had turned a bit red. Neither of us said anything for what felt like twenty years. (p. 108)

 

dimanche, 07 janvier 2024

Fabriquer une femme

Fabriquer une femme (07012024)    C* est rentrée d’en ville avec ce livre, et deux autres, vendredi soir. J’en ai commencé la lecture dans le canapé du salon. Comme j’avais du mal à m’endormir le soir (longue sieste et double thé), j’ai lu jusqu’à minuit passé, puis de nouveau entre 7 et 9 : Fabriquer une femme, le nouveau roman de Marie Darrieussecq, a été lu overnight (en l’espace d’une nuit, entre un soir et le lendemain matin…).

Comme souvent avec Darrieussecq, c’est bien, mais ce n’est pas très bien ; il manque toujours quelque chose pour que ce soit totalement épatant / enthousiasmant ; peut-être que c’est bâclé, mais je n’arrive pas à voir où ; peut-être que ce sont les intrigues ou les personnages, mais cela est vrai aussi de ses essais (dont je conseille la lecture : Rapport de police ; Pas dormir)… Bref… (Note to self : étant donné l’importance grandissante de la dimension gasconne/basque dans l’œuvre de M.D., je devrais lire Clèves. – Il faudrait aussi que je puisse échanger avec quelqu’un qui aura lu ce roman et ne connaît aucun des mots gascons dont M.D. se plaît à émailler son texte.)

 

Le récit est construit comme un triptyque dont le panneau central ou de clôture n’occupe qu’une vingtaine de pages ; les deux premières parties couvrent les mêmes événements, vus du point de vue respectif des deux amies d’enfance, Rose et Solange. C’est un roman sur la bourgeoisie rurale, l’adolescence au cours des « années SIDA », et surtout sur la construction patriarcale des « femmes » : fabriquer une femme, c’est ce que fait la romancière, mais c’est surtout ce que fait Solange elle-même – toutefois, déjoue-t-elle les codes patriarcaux ou les épouse-t-elle ? Darrieussecq est trop intelligente pour offrir une réponse uniforme ou simpliste, et pour ne pas savoir que tout est médié, indirect, d’où le titre des deux parties : D’après Rose ; Selon Solange. Mais d’après, c’est aussi après : M.D. s’amuse à souligner le chaos engendré par les nombreuses prolepses. Par ailleurs, comme le/la lecteurice a déjà lu l’histoire, avec certains angles morts certes, la deuxième partie est aussi un après, dans lequel « la Solange du futur » ne cesse de projeter une ombre proleptique. Difficile, dès lors, de ne pas jauger de la jeune fille(-mère) à l’aune de la star(lette) hollywoodienne, et de se dépêtrer  de ce qu’implique la primauté du regard de Rose. Difficile, aussi, de ne pas comprendre le choix d'un personnage de comédienne dans le contexte post-MeToo.

 

D'après Rose

Selon Solange

 

Je clos ce billet écrit à la volée par deux points, dont le second est tout à fait mineur :

1) On comprend progressivement que Thierry, le fils de Solange, dont elle ne s’occupe pas et qu’elle (ou les services sociaux) confi(ent) à sa mère, a un handicap, probablement cognitif. Cela n’est jamais explicite, mais devient évident au cours de la seconde partie, et surtout dans le chapitre final, à Hollywood. Cette marginalisation (au sens presque matériel – il est relégué dans les marges du livre) de l’enfant handicapé – dont il est sous-entendu qu’il est tel en raison des conditions de l’accouchement – laisse un petit goût amer, comme si l’enfant était forcément un embarras, un poids, un obstacle dans la fabrication de Solange. On comprend que Solange n’a pas pu avorter car elle a persisté trop longtemps dans le déni ou la dissimulation de grossesse ; cet aspect-là est assez réaliste, en fait.

2) En lisant la dernière page, je me suis demandé si M.D. ne faisait pas une allusion au dernier plan de Mulholland Drive (M.D. aussi, tiens), but possibly that’s me over-reading.

 

samedi, 06 janvier 2024

T'Zée

T'Zée (06012024)    Hier après-midi, avant de sombrer dans une longue sieste – fort inhabituel – j’ai lu ce roman graphique offert à O* pour Noël.

Réécriture de Phèdre, bien sûr, mais aussi portrait à peine décalé de la dictature Mobutu : à peine, car on sent qu’Appollo, le scénariste, a voulu combiner les Kabila et Sassou-Nguesso dans la figure de T’Zée (Thésée) : le père Kabila était surnommé “Mzee”, un nom swahili très courant pour désigner un modèle de sagesse. Le livre est globalement réussi ; j’aime beaucoup le dessin et les contrastes de couleurs d’une page à l’autre, comme si des univers impossibles se côtoyaient. Suivant la structure tragique, le roman se décompose en cinq actes, avec pour chacun une épigraphe empruntée à un écrivain francophone des années 70-80, et un système d’analepses – le moins réussi étant l’acte IV, celui où Hippolyte, Arissi et leur ami libanais assistent à un match de catch féticheur : on sent qu’il y avait une vraie volonté de marveliser le livre, et d’y adosser une allusion au combat de boxe entre Foreman et Mohamed Ali en 1974.

Il y a aussi ces quelques planches totalement gratuites où Bobbi comme Mami Wata n’ont d’autre fonction que d’exhiber leur corps pour le male gaze le plus lourdingue. Cela résonne d’autant plus péniblement quand, à la page 73, Hippolyte étudiant à Paris découvre « les grandes figures des indépendances » : sur les dix noms / visages, une seule femme… Toni Morrison… Au cours des quinze ans qu’a duré la gestation puis l’écriture de ce livre, Appollo n’a-t-il donc rencontré aucune figure d’écrivaine et/ou de militante africaine ? C’est navrant.

 

vendredi, 05 janvier 2024

Wizard of the Crow

Wizard of the Crow (05012024)    Wizard of the Crow, lu peu après sa sortie, un billet de train daté de décembre 2006 resté dedans en témoigne, je l’avais relu par fragments, il me semble, lors d’une précédente tentative d’en proposer la traduction, il y a dix ans peut-être. Je l’ai repris car Ngũgĩ wa Thiong'o est revenu au centre de mes travaux depuis un an, notamment en raison de la traduction des Perfect Nine par Laurent Vannini, qui m’a valu une invitation aux Assises de la traduction à Arles, mais aussi car j’ai siégé en décembre dans un jury de thèse, le sujet étant un essai de comparaison entre la première trilogie de Nuruddin Farah et deux romans de Ngũgĩ wa Thiong'o, dont Wizard of the Crow, autour des thèmes de la dictature et de la folie.

À cette occasion, j’ai décidé de relire ce génial pavé en entier, et je me réjouis d’avoir pris le temps ; après tout, le roman est constitué de six « livres », de dimensions inégales certes ; j’en ai achevé la lecture hier soir, peu avant minuit. Il faut vraiment traduire ce livre. Je ne sais ni quand ni comment. Mais il n’est plus question de reculer.

 

jeudi, 04 janvier 2024

Que faire des classes moyennes ?

Que faire des classes moyennes ? (04012024) Facebook m'a rappelé que je lisais ce livre il y a sept ans, pendant une surveillance d'examen. Ainsi, je suis allé le reprendre et me suis surpris à en relire de larges extraits, dont le chapitre 4 :

Un facteur éprouvant de la vie est que nous perdurons dans l’existence avec l’idée et la vision que nous avions des choses étant enfant, puis adolescent ; cela demeure. C’est ainsi que la vision qu’on a de l’école aujourd’hui est encore marquée par l’école que nous percevons dans la brume et la sourdine des souvenirs, d’une idée de l’école véhiculée par les générations antérieures (quelquefois les grands-parents) ou le cinéma (Les Quatre Cents Coups), que la blouse grise et les plumes Sergent-Major, même si nous n’avons jamais porté de blouse, même si nous avons toujours écrit au Bic, sont inclus dans notre mémoire au même titre que ce que nous avons réellement vécu. Animés de quelques vestiges piquants, nous voulons qu’ils s’incarnent, y compris au détriment des autres : nos enfants porteront des blouses grises s’ils continuent, écriront à la Sergent-Major s’ils continuent. S’ils continuent quoi ? S’ils continuent à ne pas être conformes à nos désirs, c’est-à-dire s’ils continuent à ne pas être comme dans les souvenirs qu’on croit qu’on a, c’est-à-dire s’ils continuent à être réels, et non fictifs. [S’ils continuent = nous punirons le réel.] Punir le réel, c’est ni plus ni moins ce qui fait tenir les classes moyennes debout. Leur rapport à l’école tient (ou en tout cas tenait) en une phrase : si tu travailles à l’école, tu auras une bonne vie (réduit à partir des années 1980 à : tu auras un emploi) – soit à peu près l’équivalent de : si tu te grattes le coude, tu te moucheras plus vite, ou : si tu mets une grenouille sous la table, tu gagneras au Loto.

(pp. 24-26)

 

mardi, 02 janvier 2024

The Shakespeare & Co Book of Interviews

The Shakespeare & Co Book of Interviews (02012024)    Cadeau de ma sœur pour Noël, cet ouvrage compulse les transcriptions de vingt entretiens menés avec vingt écrivain·es à la librairie Shakespeare & Co. Je n’ai lu de livres que de quatre des écrivain·es (Percival Everett, Karl Ove Knausgaard, Leïla Slimani, Annie Ernaux) et j’ai évidemment lu avec plus d’engagement intellectuel ces quatre chapitres-là, mais il y a quelques auteurices dont j’aimerais découvrir l’œuvre depuis déjà quelque temps : Marlon James, Reni Eddo-Lodge, Jesmyn Ward, Rachel Cusk…

 

lundi, 01 janvier 2024

Der gestohlene Gott

Le livre du jour, c’est Der gestohlene Gott de Hans Henny Jahnn, que j’ai lu juste avant le début des vacances. C’est une pièce de théâtre, dont j’ai découvert par hasard – en faisant je ne sais quelle recherche oiseuse sur Jahnn, un écrivain que j’aime beaucoup – qu’elle avait été publiée en 1924 et qu’elle n’avait jamais été traduite en français.

 

Der gestohlene Gott (01012024)    J’ai donc emprunté le tome 4 des œuvres complètes en allemand via le Prêt Entre Bibliothèques et cet exemplaire est donc celui de la Bibliothèque Universitaire du Grand Palais. Il contient le texte de six pièces de théâtre de Jahnn. J’ai aussi lu Medea, très différente.

 Der gestohlene Gott m’a beaucoup intéressé ; c’est une pièce sans doute trop longue, assez problématique aussi par certains aspects, et pas seulement l’ambivalence autour de la structure incestueuse. Si j’avais des journées de 72 heures, je me lancerais sans doute dans cette traduction ; l’idée qui me trottait dans la tête avant même d’avoir récupéré l’exemplaire était de relancer mon compte Twitch et de faire des séances de lecture / exploration / traduction en direct, pour le centenaire.

Si je reprends les lives Twich, ce sera sans doute avec un autre projet.