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samedi, 03 février 2024

Lettre à un ami imaginaire

Pour les 30 ans de la librairie Le Livre, Laurent Evrard a décidé de soutenir la publication d’un projet un peu fou, la traduction du long poème – Laurent a dit épique hier, mais je ne suis pas trop d’accord – en quatre parties de Thomas McGrath (1916-1990) Letter to an Imaginary Friend. Ce travail, sur lequel Vincent Dussol a travaillé plus de dix ans après une thèse sur le poète américain, vient de paraître en coédition chez Grèges, sous le titre Lettre à un ami imaginaire, dans le même format que l’édition américaine, avec la même police et la même disposition de vers par page. L’éditeur Lambert Barthélémy, présent hier au Livre aux côtés du traducteur pour le lancement de l’ouvrage, a d’ailleurs précisé que cela avait donné un travail colossal à la personne chargée de la mise en page, et que les coûts d’imprimerie s’en étaient trouvés largement augmentés.

Lettre à un ami imaginaire (03022024)

 

J’ai acheté le livre il y a une dizaine de jours et j’étais arrivé hier en fin d’après-midi quasiment à la fin de la troisième partie (il s’agit d’un poème en quatre parties, écrit entre 1954 et 1984), soit à la page 344 (pour un poème « pris » entre la page 27 et 437). J’avoue être très impressionné par de nombreux aspects de ce grand poème, et dont certains ont été longuement expliqués et commentés par le traducteur hier : grands espaces, poésie des gestes concrets de l’ouvrier, allers-retours de la mémoire etc. Ce dont Vincent Dussol a parlé, et qui ne m’avait pas frappé – sans doute parce que je n’ai pas fini la lecture –, c’est la transition progressive d’une poésie de l’image vers une poésie du langage (et des jeux de mots, jeux de langage). Il m’a semblé que les jeux de langage nourrissent aussi les 12 sections de la première partie, mais je peux me tromper.

Je commençais à dire que, tout en étant très impressionné, je ne comprends pas très bien la nécessité de ce long poème, au sens où certaines sections me semblent incluses de façon presque fortuite à tel ou tel endroit, sans vraie logique, et au sens aussi où certaines sections sont comme une reprise, une réitération de telle ou telle section antérieure. Je n’en comprends pas la nécessité : cela veut dire que souvent la cohérence générale, voire même le sens autonome de telle section, m’échappe. Mieux vaut, au fond, le lire comme un recueil aux thèmes récurrents – et même obsessionnels – et non comme un poème.

 

Bien qu’il n’ait pas été possible de poser de questions au traducteur et à l’éditeur (tout était un peu bouclé ou verrouillé pour une conversation, certes passionnante, entre Laurent Evrard et les deux invités), les lectures de passages choisis étaient très pertinentes et très belles. Vincent Dussol, qui est aussi passionné que passionnant, a peu parlé de son travail de traducteur proprement dit, ce qui était assez frustrant ; il a toutefois indiqué qu’avant de se lancer dans la traduction de cette Lettre, il avait lu Anna Karénine et le Kalevala afin de muscler, en quelque sorte, son lexique dans divers domaines, agricole et forestier notamment. Lambert Barthélémy a signalé que la présence d’une préface était exceptionnelle pour Grèges, et que l’appareil de notes situé en fin de volume pouvait se lire, selon lui, comme un texte autonome.

Vincent Dussol a expliqué qu’il avait découvert Thomas McGrath, quasi inconnu, à la faveur d’une interview de Michael Cimino lors de la sortie de Sunchaser. Laurent Evrard et lui ont aussi évoqué la parenté entre certaines sections du poème et le film de Terrence Malick Days of Heaven (qui lui est postérieur), notamment pour les aspects sonores. Vincent Dussol a fait remarquer que la plus grande influence du cinéma sur la Lettre est la question du montage cinématographique, qui, dans la lignée d’Eliot, Pound et alii, propose un modèle de montage poétique (pagination, aspects visuels, structure des sections).

Pour les influences littéraires, outre Whitman (dont certaines strophes sont quasiment des pastiches, à mon sens), Dussol a cité le Canto general de Neruda, et la phrase du poète chilien pour « revendiquer l’impureté ».

 

La première question que j’aurais aimé poser, et que je garderai donc par-devers moi, est relative au rapport éventuel avec la protest song de Woody Guthrie, et ce même rapport aux espaces intermédiaires (entre les côtes) et au travail des ouvriers et des fermiers dans les grandes plaines : McGrath a lancé l’écriture de son poème au moment où Woody Guthrie était devenu très célèbre, et quelques années après qu’il eut commencé d’écrire son roman House of Earth (qui n’a été publié qu’en 2013, puis traduit en français par Nicolas Richard, mais dont McGrath pouvait avoir eu vent), et les éléments intertextuels, y compris d’un point de vue politique, ne manquent pas. L’autre question, toujours pour les espaces des grandes plaines, avait trait aux liens avec une poésie des fermiers et du « Western » au sens large qui est encore plus méconnue que celle de McGrath et qui se prolonge encore aujourd’hui, dans un même rapport d’ambivalence à la confiscation des terres aux Amérindiens (j’avais tenté de proposer la traduction d’un recueil de Red Shuttleworth à un éditeur il y a une dizaine d’années, en vain).

 

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