mercredi, 05 septembre 2007
Un sang d’encre
2 septembre.
Je me rase avec une de ces lames qui enfin ne me coupent pas la peau, un rasoir à lames jetables (mais terriblement durables) que m’a offert en mai Alexis (je sais qu’il avait, à un moment donné, un pseudonyme dans ces carnets, mais au diable…), je me rase sans le moins du monde me prendre pour Thierry Woods ni Roger Henry ni Tiger Federer, et je pense aux coupures du passé qui plus jamais ne se produisent : je ne me coupe plus jamais, pensé-je en songeant aussitôt ou presque à l’expression petites coupures qu’un instant je confonds avec coupures de presse (et si pressé alors je me coupais je n’appliquais pas de pierre d’alun achetée cher en petites coupures), et, me dévisageant dans le miroir de la salle de bains après avoir entraperçu mon reflet dans la bonde je vois deux menues éraflures de sang au niveau de la moustache (absente puisque le rasage a pris fin) ; ainsi, je pensais, en me rasant, à ce texte que j’allais écrire, et je me suis coupé ! même je ne me suis pas loupé ! short cuts, ce qui s’appelle se faire un sang d’encre. L’encre coula, puis le sang.
Il faut toujours tout reprendre par le menu, surtout ici dans ces pages, et en reprenant fatalement je reprise, ravaude, et le texte qui s’imprime sur l’écran blanc face à moi n’est plus guère celui que je jetai tout à trac ce matin au dos d’une carte postale TER Pour être bien bougeons mieux, en brèves phrases, brefs fragments. Il faut reprendre par le menu, car le sang d’encre je le retrouve aussi ce soir dans la lecture que je poursuis du tome 2 de Ton visage demain, et je ne sais plus trop comment je me l’étais formulé à moi-même ce matin dans la salle de bains avant de jeter ces quelques bribes avant oubli sur la carte postale qui représente une sorte d’hybride entre l’oryx et la girafe (image de synthèse) contempler du haut d’une colline (on imagine) un véritable embouteillage de voitures dans le désert. On oublie tout, dit-on (d’ailleurs, c’est l’une des lignes de force qui traversent tant Mantra de Rodrigo Fresan que ce tome de Ton visage demain, mais aussi la première phrase, si je me la remémore correctement, de Frasques, ce bref roman que j’écrivis à Oxford début 1996), et même la girafe est éberluée. Tout ça pour dire, écrire que le sang coule quand on pense s’être prémuni des coupures et tirer de ce détail pitoyable et anodin quelque short cut d’écriture dans la panique, une coupure à la hâte, un mot à la va-vite, un billet à la hussarde.
(Au demeurant, écrivit le critique pompeux, ces histoires de lames de rasoir sont un motif récurrent de son œuvre.)
Ce qui est sûr, c’est que la moustache (ou son emplacement virtuel) en deux points même menus ébréchée, et le reste du visage lisse, je tire une drôle de tronche. L'après-midi même, au château de Gizeux, j'appris, pour mon malheur, qu'on peignait jadis les portes des écuries au sang-de-boeuf mêlé de vinaigre, pour éloigner mouches, taons et autres insectes. À un texte comme celui-ci, rouge ou pas, on peut toujours ajouter, comme une ode en do. Quand on se coupe, on dit merde ou aïe ou zut en ut, ou on ne dit rien, trop occupé à constater les éraflures ou petites coupures qui repeignent notre façade sans chasser les insectes.
09:45 Publié dans Le Livre des mines | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Fiction, écriture, Ligérienne
Commentaires
Je viens de découvrir sur Miss Google, les "Editions SANG D'ENCRE", peut-être les connais-tu? Je voulais faire un commentaire avec plein de jeux de mots sur "sang" et "encre", mais je me sang ridicule. Je n'ose pas la ramener avec mes p'tites blagues à deux balles, ça reste encre nous hein.
Écrit par : Aurélie | mercredi, 05 septembre 2007
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