dimanche, 03 août 2025
03082025 (sur une série adaptée de Poe et sur une traduction aberrante)
6 h
Ça commence à bien faire, de se réveiller si souvent très tôt. Là, je me suis levé après avoir tenté de me rendormir un moment. Je pense que, quoi que je travaille un peu au cours de ces deux semaines, je ne suis pas assez fatigué. Par contre, en préparant le café, par la fenêtre ouverte de la cuisine, j’ai pu observer les vols de goélands, et en ce moment même, par la porte-fenêtre – ouverte également (le rafraîchissement de ces derniers jours fait que les moustiques nous ont relativement épargnés, ce ne sera pas pareil dans le Sud-Ouest) – du salon, j’entends un autre groupe, et je pense qu’un certain nombre d’entre eux doivent avoir leur dortoir dans les parages et qu’ils regagnent la Loire au petit matin. Peut-être aussi, l’hypothèse reste valide, qu’ils sont attirés ici par la ZAC et ses nombreuses bennes à ordures ; mais, dans ce cas, pourquoi sont-ils aussi peu nombreux dans la journée ?
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Hier soir, nous avons fini de regarder la série en huit épisodes, The Fall of the House of Usher. Elle est beaucoup trop longue, c’est-à-dire qu’elle traîne en longueur ; les trois derniers épisodes (sur 8) tiennent plus du pensum que du suspense haletant. C’est dommage car le montage/mixage de nombreux textes disparates de Poe pour tenter de faire une nouvelle histoire, située à l’ère contemporaine, est astucieux. Il y a trois jours j’ai même relu, dans ma vieille édition de poche Everyman des Tales of Mystery and Imagination (une sorte d’anthologie, je crois), la nouvelle qui donne son titre à la série, afin de constater que le rapport est ténu. Très ténu, même. En fait, il n’y a que dans le dernier épisode, pendant trois minutes peut-être, que la série reprend le seul événement de la nouvelle, événement qui tient lui-même en deux paragraphes, à la toute fin : la sœur enterrée vivante sort du tombeau et tue son frère, de terreur ; le narrateur, témoin, a à peine le temps de s’enfuir de la maison et de la voir s’effondrer.
J’avais un souvenir assez vague de la nouvelle, qui est très verbeuse, presque caricaturale dans la façon dont Poe multiplie les adjectifs et surdétermine tous les éléments du gothique ; peut-être est-ce d’ailleurs en raison de ce côté outré, poussé à l’extrême, qu’elle est souvent lue comme une sorte de classique : en un sens, en effet, si on a lu ces quinze pages on peut comprendre une bonne partie de ce qui s’est joué dans l’esthétique dite « gothique » (même si le roman gothique anglais procède autrement). Il y a une phrase très caractéristique, de la syntaxe et de l’esthétique, et que – bien qu’elle ait sans doute été beaucoup commentée – je redonne ici :
He was enchained by certain superstitious impressions in regard to the dwelling which he tenanted, and from which, for many years, he had never ventured forth — in regard to an influence whose supposititious force was conveyed in terms too shadowy here to be restated — an influence which some peculiarities in the mere form and substance of his family mansion, had, by dint of long sufferance, he said, obtained over his spirit — an effect which the physique of the gray walls and turrets, and of the dim tarn into which they all looked down, had, at length, brought about upon the morale of his existence.
En fait, elle m’a fait rire, car la première incise me paraît être de l’ordre du gag : le narrateur passe son temps, phrase après phrase, à tourner autour du pot, à user d’adjectifs et de termes peu clairs, opaques, afin de ne pas trop en dire, ou de faire sentir qu’il s’agit de faits indicibles, et là il reproche à Roderick Usher de parler « en des termes trop ténébreux pour être rapportés ici », pour citer la célèbre traduction de Baudelaire. On pourrait, à défaut de trouver cela cocasse, y voir – et je ne doute pas que des dizaines d’articles s’y sont employés – le génie métafictionnel de Poe, la mise en scène, dans l’écriture même, de l’aventure du roman, pour paraphraser Ricardou. Mais enfin, quand on lit cela, ce n’est pas léger.
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Nous regardons les séries et les films en VOSTF, pas avec les sous-titres anglais car cela irait trop vite pour Claire (et c’est aussi une habitude que nous avions prise avec les garçons, quand ils n’étaient encore que collégiens), ce qui me permet aussi – déformation professionnelle oblige – de constater les erreurs de traduction, et dans cette série il y en a un paquet.
Certaines, que je regrette de ne pas avoir notées on the spot, qui modifient même de façon importante la compréhension de l’intrigue ou des personnages, ne peuvent être imputées, comme c’est souvent le cas, à la brièveté des délais exigés, mais il semble que le traducteur ou la traductrice ne comprenait vraiment pas la phrase anglaise en raison d’une expression ou d’une référence culturelle inconnue d’ellui. Ça la fout mal. Une des plus absurdes, la dernière que je me rappelle car c’est vers la fin du dernier épisode, se trouve dans la tirade de Madeline Usher, qui dit, en parlant d’elle à la troisième personne : « Don't care if it's death herself, she wants Madeline fucking Usher? She's going to have to have to look me straight in the eyes. » Plus tard, Roderick lui rétorque quelque chose du genre : « Yes, you’re Madeline fucking Usher. » Eh bien, voici la traduction proposée par Netflix : la putain de Madeline Usher. Et je suis convaincu que les personnes qui ne comprennent pas l’anglais ou n’auront pas prêté attention à ce que disent les personnages n’auront pas pu comprendre ce que voulaient dire les personnages. L’expression, très répandue, et qui consiste donc à intercaler « fucking » entre le prénom et le nom, signifie quelque chose dans le genre : « je suis Madeline Usher, faut compter sur moi, je ne suis pas n’importe qui, etc. » (et, pour le coup, je suppose que le/la traducteurice connaissait mais qu'iel n'a pas eu le temps de trouver mieux, ou ne s'en est pas préoccupé·e).
On pourrait d’ailleurs traduire en s'inspirant de la glose ci-dessus : « je ne suis pas n’importe qui, je suis Madeline Usher ». Ou « je suis unique, je suis Madeline Usher ». Claire m’a dit qu’on pourrait aussi traduire au moyen d’anglicismes, par exemple : « je suis la GOAT, je suis Madeline Usher ». (Cette solution, anachronique au possible vu l’âge et le ton des protagonistes, m’amuse diablement.) Je m’étais demandé si un truc du genre « SuperMadeline WonderUsher » pourrait passer. En tout cas, la putain de Madeline Usher, personne ne peut comprendre cela (et c’est rigolo au carré car on dirait un calque… de l’espagnol…).
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