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jeudi, 24 juillet 2025

24072025 (pourquoi les Beatles me laissent sur ma faim)

Il y a trois jours, en rangeant les affaires au retour de notre semaine à Jersey, j’ai écouté un double album vinyle des Beatles intitulé Love Songs, très évidemment une sorte de best of ou d’anthologie. Il s’agit d’un des nombreux 33-tours hérités de mon beau-père, et que j’avais tous « remontés » du sous-sol le mois dernier pour les réécouter. Il m’arrive régulièrement – depuis dix ans, disons – de réécouter tel ou tel album des Beatles, plus pour essayer de comprendre pourquoi je n’accroche pas, pourquoi je n’ai jamais accroché aux Beatles, ainsi que pour vérifier que c’est effectivement très bien : les musiques, les harmoniques, les chœurs, les arrangements – rien à dire, c’est très bien. Mais alors, pourquoi n’ai-je jamais « accroché » ?

 

Plusieurs hypothèses m’avaient traversé l’esprit. Hypothèse 1 : mon père n’aimait pas les Beatles, et ça a pu m’influencer. Overruled : dès mon enfance, j’ai écouté et apprécié des artistes que mon père ne connaissait pas, voire qu’il n’aimait pas. Hypothèse 2 : quand j’étais plus jeune, je n’entendais rien à la musique (et je veux dire par là que j’ai compris vingt ans plus tard que tel passage de telle chanson me déchirait le cœur à cause du duo clarinette-violoncelle, instruments que je n’avais même pas identifiés). Overruled : au fil du temps mon oreille s’est améliorée (je chante toujours comme une casserole, par contre, mais c’est une autre histoire). Hypothèse 3 : un des éléments esthétiques fondamentaux des Beatles (et de quelques autres groupes de l’époque) consistait en une divergence entre la voix principale et les voix des chœurs, ce que je n’aimais pas. Overruled : j’ai assez vite apprécié des groupes ou des chanteurs qui pratiquent cela (les Sparks étant l’exemple le plus évident). Hypothèse 4 : le côté mièvre. Overruled, mais pas tout à fait : en effet, même si j’ai découvert (tardivement), des chanteuses ou chanteurs des années 1960 à qui on pourrait faire ce reproche et que j’aime beaucoup (Dionne Warwick est l’exemple qui me saute aux oreilles), ce côté lymphatique, mollasson, continue de m’agacer quand j’écoute les Beatles.

 

En fait, l’hypothèse qui me convainc le plus, c’est que les paroles sont d’une fadeur, d’une superficialité, et – pour tout dire – d’une indigence qui explique à la fois le succès des Beatles (il était plus facile pour les fans du monde entier de reprendre en chœur Drive my car ou Come together, pour citer deux chansons que j’aime beaucoup, que pas mal de chansons des Stones, de John Lee Hooker ou de Springsteen) et mon désamour. En effet, avant même de savoir parler anglais, j’appréciais certes d’écouter des chansons dont je pouvais comprendre des bribes car elles requéraient à peine un niveau A2 en anglais, mais j’étais aussi beaucoup plus durablement attiré par des chansons d’artistes anglophones dans lesquelles une mélodie énergique soutenait des paroles en grande partie incompréhensibles mais que je pouvais essayer de suivre en partie grâce aux paroles sur la pochette du 33-tours. Et là, j’en reviens à mon premier (et longtemps le seul) album des Sparks, Whomp That Sucker !, rapporté d’un séjour en Angleterre en famille, en 1982, mais aussi au premier album des Talking Heads (bon, pour être honnête, je crois que cet album reste un favori à cause de la voix de Byrne et de la basse de Tina Weymouth), à Born in the USA de Springsteen, qu’on écoutait sur cassette en voiture (et donc, je n’avais pas les paroles), à mon album de Kim Carnes que je n’ai jamais retrouvé, il me semble. Plus tard, une fois que j’ai su mieux parler anglais, il m’a fallu (comme en français, d’ailleurs) des chansons dont j’aimais la musique, certes (et au fond c’est indissociable, bien entendu), mais aussi dont les paroles n’allaient pas s’épuiser même après dix écoutes.

 

Il ne s’agit pas seulement de richesse lexicale – je me demande si le vocabulaire global des chansons des Beatles dépasse les cent cinquante mots – mais aussi de double sens, d’ambiguïtés, et même du plaisir qu’il y a à jouer avec le son des mots avant de se préoccuper du sens : certaines chansons de Murat, d’Ian Dury, de Franz Josef Degenhardt, de Bob Dylan bien sûr, des Smiths, des Cardigans, frappent puis s’inscrivent dans la durée à cause d’un rapport avant tout musical à la langue. J’ai évoqué plus haut Bruce Springsteen, dont je connais très mal l’œuvre. Une anecdote me revient, et ce d’autant plus facilement que j’ai réécouté il y a deux jours la chanson en question : quand ma mère a fini par acheter une platine CD, assez tard, en 1991, un des premiers coffrets à prix bradé qu’elle a achetés était un coffret des trois premiers albums de Springsteen. Et je me rappelle avoir découvert alors le premier album du Boss, sorti en 1973, quand il avait 24 ans. Il me semble que si Springsteen n’avait écrit et chanté que la toute première chanson de cet album, “Blinded by the Light”, il mériterait de passer à la postérité. C’est une des chansons les mieux écrites de l’histoire du rock (ou de la pop, ou du folk, on s’en fout). Et, pour le coup, je donne tout l’album blanc des Beatles contre cette seule chanson. Dites-moi que je n’y connais rien en musique, je l’admets volontiers ; je n’ai rien prétendu d’autre ; je cherche seulement à comprendre comment je « fonctionne ».

 

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