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vendredi, 11 novembre 2011

Exister est un plagiat : 36 et 37

36

 

En janvier, v’là que je dois déneiger encore les cinquante mètres de trottoir qui entourent la maison. Les nèfles en novembre, la neige gelée en janvier. Ritournelle du temps qui passe. En février, me voici affublé, pour quelques secondes, d’une sorte de bonnet en plastique avec des oreilles de Mickey – jamais on n’a été aussi près de la Folie Couvrechef (sans que je puisse dire quoi que ce soit de Sophronyme Beaujour, décidément, ça me taraude). En avril, le 11, je lis des inscriptions à même les solives ; Montcaret ni Bergerac ne sont loin, et nous nous égarons aussi à Villefranche-de-Lonchat (petite bourgade où, très sincèrement, ne doivent passer que des égarés). En mai, c’est enfin l’Australie, qui m’avait pas mal inspiré mais où je n’étais jamais allé, d’où ces moments de solitude très intense face à une bière, ou face à une sculpture de Bert Flugelman, à Canberra. J’ai failli, à l’instant, rebaptiser le sculpteur Spiegelman, c’est dire si j’ai frôlé la fusion encore plus que la schize. Louis Grosbois est un des élèves « morts pour la France » dont on peut lire le nom sur l’impressionnante plaque commémorative du « collège de Chinon » (c’est-à-dire du lycée). A Saint-Cricq-Chalosse, par un cagnard terrible, les frères Deyris, toujours impériaux et jamais impérieux, parviennent à placer toujours les coursières : ce n’est que la deuxième course landaise que l’on voit cet été-là, pas la meilleure, mais comme c’est l’anniversaire d’Alpha elle a bien sûr une saveur particulière. Par quelques détours mon regard en revient à Canberra, surtout à la route entre Wollongong et Canberra, sur laquelle j’ai vu de nombreux panneaux avertissant l’automobiliste de traversées éventuelles de kangourous et de wombats, mais de wombats ou de kangourous pas la queue d’un. On ne les encorde pas. On n’encorde pas non plus cette grille majestueuse, ni surtout cette magnifique fontaine du château du Fayet, que nous visitons le 11 août 2010 – nous n’étions pas à Hagetmau pour le dernier anniversaire de la grand-mère de C*** –, ni le dolmen de Coste-Rouge, auquel on accède par un chemin sec qui suggère un foisonnement modéré. Il est très adéquat d’achever cette liste incohérente (et immodérément foisonnante (ce pourrait être pire)) avec l’image d’un bus qui s’éloigne (la ligne 1, je la fréquente rarement), me laissant sur le trottoir avec ma serviette et mon exemplaire du Moyen de parvenir de Béroalde de Verville, scène qu’impassible contemple Rabelais sur son socle, flou, de traviole, ne filant pas de vers.

 

 

37

 

Comme, en ce jour de mes trente-sept ans, je dois me trouver ailleurs, sans connexion, et – ironie absolue et en partie involontaire, si l’on songe que j’écris là les derniers fragments du livre – hors Touraine, donc pas en Indre-et-Loire, pas dans le département qui est affecté du numéro 37, me voici, je l’avoue, en train d’écrire ces lignes le 10 novembre, et non, petite irrégularité dans la machine, le 11.11.11, comme il était initialement prévu. Qu’importe, tout ce livre n’est que petits dérèglements, minuscules grains de sable, kyrielles de négations en litanie. Merdouiller, ou tricher légèrement, fait un beau point d’orgue.

L’année qui finit de s’écouler, et qui sert de contrepoint à celle où je fus conçu – dont je ne peux rien savoir, ni directement ni même par de tiers truchements –, je pourrais en détailler les journées, les moments saillants, avec plus de précision et de maestria que pour des années envolées, échappées du sablier. Ce serait tricher un peu, là encore, et je préfère trancher. Ainsi, pour le fragment 36, que j’écrirai après celui-ci, je parlerai du 11ème jour de certains mois, et pour ce fragment-ci, du 1er jour de certains mois, peut-être tous, nous verrons.

— Le 1er décembre, candidat à la direction de l’U.F.R. Lettres et Langues, j’ai échangé des mails avec un collègue, qui a fini par m’écrire les phrases suivantes : « Quant à ma monomanie helléniste, c'est celle de l'opprimé qui ne pense qu'à une seul chose, se libérer ! Une fois notre département de grec libéré, redevenus citoyens libres, nous nous soucierons  du reste en bons citoyens de l'UFR ! »

—— Le 1er janvier, nous avons réveillonné, comme la veille, aux bougies – pour le charme de la chose, pas pour coupure d’électricité.

——— Le 1er février, nous avons achevé, avec une petite dizaine de collègues, de mettre au point le planning des réunions de travail de notre « Groupe Afrique ».

———— Le 1er mars, rien, que je sache.

————— Le 1er avril, j’ai empoissonné mes collègues avec le message suivant : « Chers Collègues, je viens d'apprendre que les seuils officiels des groupes de TD passeraient l'année prochaine de 45 à 60 étudiants. Je ne sais pas si la Langue orale est concernée...Heureusement, cette info arrive au moment où je m'apprête à attribuer les cours et faire les EDT. C'est mieux ainsi... » Plusieurs sont tombés dans le panneau.

—————— Le 1er mai, contrairement aux deux années précédentes, je n’ai pas « fait la manif ».

——————— Le 1er juin, nous avons célébré, in memoriam, les 64 ans de mon beau-père, qui est sans doute la personne dont j’aurais le plus souhaité qu’elle puisse lire ce livre. Nous étions à Saint-Denis, puis à Senlis. Le village de Brasseuse est un véritable nid de plaques Michelin.

———————— Le 1er juillet, je me suis ridiculisé – pour faire plaisir à Priscilla, qui m’avait supplié et dont on fêtait le départ en retraite – à chanter Les Cornichons devant tous mes collègues. Collègues qui m’ont offert quatre volumes de la Pléiade pour me remercier de mes trois années à la direction du département, ce qui m’a beaucoup touché.

————————— Le 1er septembre, la barbe que je laissais pousser depuis quelques jours a commencé à faire mieux que s’esquisser.

——————————Le 1er octobre, j’ai archivé dans mon dossier « Sujets éventuels » un article de P. Quinio sur l’affaire de Karachi, intitulé Fin de règne.——————————— À la date du 1er novembre dernier ont été publiés, sur mon blog, les deux fragments 26 et 47, que je n’ai en fait écrit que le lendemain, au retour des Landes – comme quoi la boucle de la tricherie est bouclée (mais je dois avouer qu’à quatre exceptions près, tous les billets publiés l’ont été en direct).

 

Pourtant, la boucle n’est jamais bouclée. Peut-être l’ouvrirai-je une fois encore, pour revenir à l’année 0, et qui sait, perçant bientôt le secret d’improbables galaxies interminablement éloignées, ce en citant un passage de la lettre de rupture de Nathan Zuckerman à la fin de la Contrevie (The Counterlife) :

Do you remember the Swedish film we watched on television, that microphotography of ejaculation, conception, and all that? It was quite wonderful. First was the whole sexual act leading to conception, from the point of view of the innards of the woman. They had a cam­era or something up the vas deferens. I still don't know how they did it—does the guy have the camera on his prick? Anyway, you saw the sperm in huge color, coming down, getting ready, and going out into the beyond, and then finding its end up somewhere else—quite beautiful. The pastoral landscape par excel­lence.

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