dimanche, 01 avril 2012
Version d'Agrégation externe 2012 (Sinclair Lewis, Babbitt, ch. XVII)
Ayant découvert le sujet de version de l'agrégation externe d'anglais 2012 vendredi soir, après la fin de l'épreuve, et ayant été pas mal pris depuis, je viens de terminer le premier jet, qui a été fait en 50 minutes environ (en deux fois). J'ai vérifié quatre ou cinq mots, soit de l'original, soit pour des recherches de synonymie. [Je n'ai pas vérifié les termes qui ne feront pas la différence entre les candidats, car personne ne les connaîtra précisément, ainsi hooptedoodle. Il convient de traduire ce genre de mots le plus précisément possible en fonction de ce que le contexte permet d'en saisir. * ] --- Je ne suis pas membre du jury, mais j'enseigne la version depuis 12 ans et ai eu, en 1997, des notes plus qu'honorables à l'agrégation dans cette matière (si vous me soudoyez, je vous les donnerai !).
Premier jet, donc modifications à suivre et commentaires bienvenus. Que l'on considère donc ceci comme le brouillon : dans l'hypothèse où je serais candidat face à ma table, il me resterait pas mal de temps pour peaufiner la version au propre.
Autre remarque importante : la traduction "de concours" implique parfois une plus grande littéralité, voire des choix visant à montrer au jury que l'on maîtrise parfaitement les structures de la langue-source. [Ce point est l'objet de nombreux débats : par exemple, les rapports de jurys sont parfois critiqués car les solutions proposées par le jury lui-même peuvent être considérées comme des semi-calques, voire inexactes.]
Le texte était plutôt long, et sa caractéristique principale était l'accumulation, dans une longue première moitié, de phrases nominales abondant en participes présents (V-ing étant, en soi, une des plus éminentes difficultés dans le passage de l'anglais au français). Le vocabulaire de la lumière, souvent très riche en anglais, n'était pas trop problématique ici, dans la mesure où Sinclair Lewis joue beaucoup, en fin de compte, sur la répétition de light/lights.
Il va de soi que je ne sais pas du tout ce que décidera le jury, mais que plusieurs participes présents appelaient une verbalisation au moyen de verbes conjugués. Le temps grammatical du récit qui suit les phrases en V-ing étant le passé, j'ai préféré opter pour des imparfaits, même si je prends le risque de proposer des présents pour les deux premières occurrences. Si l'on se rappelle qu'au moment de publier ce billet, je suis dans la situation fictionnelle du candidat après le premier jet au brouillon, ce choix fait partie des options sur lesquelles je reviendrai(s) peut-être dans un second temps.
Par ailleurs, on peut retrouver ici le texte du chapitre 17 de Babbitt.
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Voici donc ce que je propose, provisoirement. Les nombres entre crochets sont évidemment ajoutés pour permettre la fragmentation en unités de traduction, et surtout les commentaires.
[1] A snow-blanched evening of ringing pavements and eager lights.
>>> Un soir blanchi par la neige, tout en trottoirs qui résonnent et vives lumières.
[2] Great golden lights of trolley-cars sliding along the packed snow of the roadway.
>>> Immenses lumières dorées des trolleys qui passent en glissant sur la neige tassée de la chaussée.
[3] Demure lights of little houses.
>>> Lumières sages des maisons basses.
[4] The belching glare of a distant foundry, wiping out the sharp-edged stars.
>>> Au loin la lumière, aussi criarde qu’un rot, d’une fonderie, et qui effaçait les étoiles aux contours bien nets.
[5] Lights of neighborhood drug stores where friends gossiped, well pleased, after the day’s work.
>>> Lumières des épiceries de quartier, où on potinait entre amis, bien contents, après une longue journée de travail.
[6] The green light of a police-station, and greener radiance on the snow; the drama of a patrol-wagon-gong beating like a terrified heart, headlights scorching the crystal-sparkling street, driver not a chauffeur but a policeman proud in uniform, another policeman perilously dangling on the step at the back, and a glimpse of the prisoner.
>>> La lueur verte d’un commissariat, qui se réfléchissait en éclats plus verts encore sur la neige, l’apparition mouvementée d’un fourgon de police qui passait en faisant sonner son alarme comme un cœur en proie à la terreur, les phares qui balayaient la rue aux scintillements de cristal, le conducteur qui n’était pas un chauffeur mais un policier portant fièrement son uniforme, on voyait un autre policier se tenir de façon précaire sur le marchepied, et on apercevait à peine le prisonnier.
[7] A murderer, a burglar, a coiner cleverly trapped?
>>> Un meurtrier, un cambrioleur ou un faux-monnayeur qui s’est fait pincer habilement ?
[8] An enormous graystone church with a rigid spire; dim light in the Parlors, and cheerful droning of choir-practise.
>>> Une immense église en pierre grise, flèche bien droite, pénombre dans les parloirs, et le babil enjoué du chœur en pleine répétition.
[9] The quivering green mercury-vapor light of a photo-engraver’s loft.
>>> La lumière, vacillante et verte sous l’effet des vapeurs de mercure, d’un atelier de photographie.
[10] Then the storming lights of down-town;
>>> Puis les lumières ardentes du centre ville,
[11] parked cars with ruby tail-lights;
>>> les feux arrière, couleur rubis, des voitures garées,
[12] white arched entrances to movie theaters, like frosty mouths of winter caves;
>>> les entrées des cinémas, aux arcatures blanches, comme l’entrée gelée d’une grotte en hiver,
[13] electric signs—serpents and little dancing men of fire;
>>> les enseignes électriques (des serpents et de petits bonshommes en feu),
[14] pink-shaded globes and scarlet jazz music in a cheap up-stairs dance-hall;
>>> des globes entourés d’un halo rose, et la musique de jazz – écarlate – qui résonne à l’étage, dans un dancing populaire,
[15] lights of Chinese restaurants, lanterns painted with cherry-blossoms and with pagodas, hung against lattices of lustrous gold and black.
>>>les lumières des restaurants chinois, leurs lampes peintes aux motifs de fleurs de cerisier et de pagodes, et accrochées à des paravents noir et jaune vif.
[16] Small dirty lamps in small stinking lunchrooms.
>>> De petites lampes sales dans de petits réfectoires nauséabonds.
[17] The smart shopping-district, with rich and quiet light on crystal pendants and furs and suave surfaces of polished wood in velvet-hung reticent windows.
>>> Le quartier des boutiques chic, dont les lumières opulentes et paisibles coulent de lustres en cristal, et les fourrures, la surface doucereuse du bois poli dans des vitrines discrètes aux rideaux de velours.
[18] High above the street, an unexpected square hanging in the darkness, the window of an office where some one was working late, for a reason unknown and stimulating.
>>> Plus haut dans la rue, une place inattendue, plongée dans l’obscurité, la fenêtre d’un bureau où quelqu’un travaillait tard, pour une raison inconnue, source de questions.
[19] A man meshed in bankruptcy, an ambitious boy, an oil-man suddenly become rich?
>>> Un homme enchevêtré dans une histoire de faillite, un adolescent ambitieux, un spécialiste du pétrole qui vient de faire fortune ?
[20] The air was shrewd, the snow was deep in uncleared alleys, and beyond the city, Babbitt knew, were hillsides of snow-drift among wintry oaks, and the curving ice-enchanted river.
>>> L’air était aux magouilles, la neige épaisse dans les ruelles non dégagées, et, en dehors de la grande ville, Babbitt le savait, il y avait, sur les flancs des collines, des chênes glacés par l’hiver et les congères, et le fleuve sinueux transfiguré par la glace.
[21] He loved his city with passionate wonder.
>>> Il aimait sa ville avec un émerveillement passionné.
[22] He lost the accumulated weariness of business-worry and expansive oratory;
>>> Il sentait se détacher de lui la lassitude accumulée au gré des soucis professionnels et de discours interminables,
[23] he felt young and potential.
>>> il se sentait jeune et Plein de vigueur /prêt à tout casser/.
[24] He was ambitious.
>>> Il était ambitieux.
[25] It was not enough to be a Vergil Gunch, an Orville Jones. No.
>>> Être un Vergil Gunch, un Orville Jones, ce n’était assez, oh non.
[26] “They’re bully fellows, simply lovely, but they haven’t got any finesse.”
>>> « Ce sont des rustres, adorables certes mais dénués de finesse. »
[27] No. He was going to be an Eathorne; delicately rigorous, coldly powerful.
>>> Non. Ce qu’il serait, c’est un Eathorne : rigueur subtile & puissance austère.
[28] “That’s the stuff. The wallop in the velvet mitt. Not let anybody get fresh with you.
>>> « Voilà, c’est ça. La gifle sous le gant de velours. Pas laisser qui que ce soit vous prendre de haut.
[29] Been getting careless about my diction. Slang. Colloquial. Cut it out.
>>> Me suis laissé aller, sur le plan verbal. De l’argot. Des familiarités. Fini, ça.
[30] I was first-rate at rhetoric in college. Themes on— Anyway, not bad.
>>> A la fac, j’étais doué en rhétorique. Des thèmes qui traitaient de… bon, enfin, je me débrouillais.
[31] Had too much of this hooptedoodle and good-fellow stuff.
>>> J’en ai eu ma dose des verbiages et de faire le gentil.
[32] I— Why couldn’t I organize a bank of my own some day?
>>> Pourquoi ne pourrais-je pas fonder ma propre banque, un jour ?
[33] And Ted succeed me!”
>>> Oui, et Ted me succèderait ! »
[34] He drove happily home, and to Mrs. Babbitt he was a William Washington Eathorne, but she did not notice it.
>>> Il rentra chez lui en voiture, parfaitement heureux. Pour sa femme, c'était un autre [un homme de la trempe de ?] William Washington Eathorne, bien qu’elle ne le remarquât pas.
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* Ajout publié sur Facebook à 12 h 20 :
Il m'arrive un truc amusant. Voulant vérifier ma traduction pifométrique de "hooptedoodle", et ce donc dans l'outil lexicographique le plus complet qui soit, j'ai nommé l'OED, voici ce qui se passe :
"No exact results found for hooptedoodle in the dictionary."
Vérification faite, Elmore Leonard aurait prétendu qu'il s'agissait d'un terme forgé par Steinbeck en 1954, alors qu'on le voit apparaître déjà dans Babbitt (1922). L'absence de ce terme dans l'OED, qui répertorie pourtant foultitude d'archaïsmes, argotismes et termes dialectaux est très curieuse.
Ce blog en donne une définition qui fait de ma traduction pifométrique ("verbiages") une des meilleures possibles ;-))
Best possible example of what I always say : if you spot a word you've never come across, well then not having come across it will be the case of at least 90 percent of the other "candidats", so translate it as close as possible, and it'll be fine. So at that level translation (especially from English to French for French native speakers) is not about vocabulary.
11:31 Publié dans WAW | Lien permanent | Commentaires (10)
Commentaires
En toute modestie :
Une soirée blanchie par la neige, de trottoirs résonnant de pas et de lumières ardentes.
Les grosses lumières dorées des tramways le long des talus de neige amassée au bord des rues. Les lumières timides des petites maisons. La lueur rouge éructante d'une fonderie distante qui faisait pâlir les étoiles aux pointes acérées. Les lumières des boutiques de quartier où l'on débattait de tout et de rien entre amis bien contents après la journée de travail.
La lumière verte d'un commissariat de police et son reflet encore plus vert sur la neige ; le spectacle d'un fourgon cellulaire (sa cloche battante comme un coeur affolé, ses phares écorchant la rue qui étincelait de cristaux, pas de chauffeur pour conducteur mais un fier policier en uniforme, un autre policier pendant dangereusement à l'extérieur perché sur la marche arrière ; et un aperçu du prisonnier. Un meurtrier, un cambrioleur, un escroc habilement piégé ?
Une énorme église de pierres taillées avec son clocher droit; la faible lumière dans les chapelles et le bourdon de la chorale en répétition. La vacillante lumière verte de l'éclairage au gaz dans l'échoppe d'un photographe. Puis les lumières tempétueuses du centre-ville : les voitures arrêtées avec leurs feux arrière couleur rubis, les blanches entrées voutées des cinémas, comme des bouches givrées de grottes hivernales, les enseignes lumineuses (serpents et bonhommes de feu dansant ; globes teintés de rose et musique de jazz écarlate dans un dancing bon marché à l'étage; lumières des restaurants chinois, leurs lanternes peintes de fleurs de cerisiers et de pagodes, suspendues à des treillis d'un noir et or brillant. De petites lampes sales dans de petites salles à manger malodorantes. Le quartier des boutiques de luxe, avec, dans de sobres vitrines tendues de velours, de riches et immobiles éclats de lumière sur des pendants en cristal, des fourrures et de suaves surfaces de bois poli. Plus haut au-dessus de la rue, un carré inattendu brillait dans l'obscurité, la fenêtre d'un bureau où quelqu'un travaillait tard, pour quelque raison impérieuse mais inconnue. Un homme englué dans une faillite, un jeune homme ambitieux, un industriel du pétrole soudain devenu riche ?
L'air poussait à la réflexion, la neige était profonde dans les ruelles non déblayées, et en dehors de la ville, Babbitt le savait bien, il y avait des collines de congères au milieu de chênes congelés, et les méandres du fleuve rendu féérique par sa couche de glace.
Il aimait sa ville d'un émerveillement passionné. Il y oubliait les fatigues accumulées du souci des affaires et des discours sans fin ; il se sentait jeune et plein d'avenir. Il était ambitieux. Il ne lui suffisait pas d'être un Virgile Gunch ou un Orville Jones. Non. « Ce sont des brutes, adorables certes, mais ils ne sont capables d'aucune finesse ». Non. Il allait devenir un Eathorne, rigoureux avec de la délicatesse, puissant avec de la maîtrise.
« Voilà, c'est ça. La main de fer dans le gant de velours. Ne laisser personne te manquer de respect. Me suis laissé aller sur la diction. De l'argot, du registre familier, faut arrêter. J'étais le meilleur en rhétorique en faculté. Rengaines.... pas mauvais finalement. En ai trop fait de ce babillage et des trucs de brave type. Je... pourquoi pas monter ma propre banque un jour ? Et que Ted prenne ma succession ? »
Il prit joyeusement le volant pour rentrer chez lui et, devant Mrs. Babbit il fut un William Washington Eathorne mais elle ne s'en aperçut pas.
Écrit par : Coriolan | dimanche, 01 avril 2012
J'aime beaucoup, entre autres :
* "industriel du pétrole"
* "des collines de congères au milieu de chênes congelés"
Juste une question : étiez-vous candidat(e) ou avez-vous fait cette traduction comme ça ?
Écrit par : GC | dimanche, 01 avril 2012
Je n'étais pas candidat. J'étais en juillet dernier le doyen des admis après une troisième tentative à l'externe. Et je n'arrive pas à décrocher... :D
Écrit par : Coriolan | lundi, 02 avril 2012
Haha !
Écrit par : GC | mardi, 03 avril 2012
Donc selon vous, l'emploi de l'article défini "les" était acceptable dans les phrases 2 et 3 entre autres? (Moi non plus je n'arrive pas à décrocher...^^)
Écrit par : Corinne | lundi, 09 avril 2012
Je crois que la grande originalité stylistique de la description du début de ce texte, c'est l'ellipse de verbe très française. Ne pas mettre d'article, c'est donc, dans un premier temps, aller encore plus loin dans ce style. Cependant, comme du strict point de vue grammatical, rien n'interdit les articles que le français utilise plus volontiers que l'anglais, dans un deuxième temps, très intuitivement, j'ai poussé la "francisation" plus loin encore avec les articles,ce qui donne une connotation de connivence ("les" lumières, vous savez bien, celles qu'on voit toujours dans ces circonstances). Merci de m'avoir forcé à réfléchir à cela. Et pardon si si ce n'est pas très clair...
Écrit par : Coriolan | mardi, 10 avril 2012
Sur ce point précis (la différence sémantique entre déterminant défini et déterminant Ø au pluriel dans une série de descriptions), l'anglais et le français sont très similaires. Le déterminant défini permet un fléchage spécifique. Le déterminant Ø a une valeur anaphorique aussi forte, tout en donnant plus de lyrisme à la description.
Pour cette raison, il me semble que le jury DOIT accepter la solution de traduction avec Ø -- quant à savoir comment sera "barèmisée" la solution avec le déterminant défini, je n'en sais rien. Acceptée, léger faux-sens, FS/syntaxique ?
Écrit par : G. Cingal | mardi, 10 avril 2012
Bonjour... Que pensez-vous d'une traduction intégralement au présent, comme cela se fait souvent dans ce genre de texte descriptif ?
Écrit par : horace | vendredi, 13 avril 2012
J'y ai songé mais le mieux c'est de coller à l'original en s'abstenant de verbe dans la description et de reprendre le passé quand l'auteur le reprend. Non ?
Écrit par : Coriolan | samedi, 14 avril 2012
Non, Horace, il est très probable que le jury refusera et comptera faux ce choix. En effet, le temps principal de référence dans la narration (cf fin du texte) est le passé.
Écrit par : GC | samedi, 14 avril 2012
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