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mercredi, 16 janvier 2013

« chez gégène »

Sans titre Toujours, près de la boulangerie de quartier – place grise, vaste espace sans structure encadré, d'un côté, par des sortes d'HLM, de l'autre par une rue menant à d'autres ruelles impersonnelles (Emmaüs, supermarché asiatique, garage) – je m'arrête pour regarder la maisonnette fruste, au jardinet bardé de statues en plâtre gris, naisn ou cygnes, lions inoffensifs peut-être, absolue camelote. J'ai longtemps envisagé de prendre quelques photographies, de la maison ou des statues ; je ne trouvais pas l'angle, ni le bon moment, l'humeur propice. Peut-être était-ce là des excuses, je n'avais pas envie, entre le moment où je comptais les pièces de monnaie en fermant la porte de mon tacot et celui où, ressortant de la boulangerie avec mes baguettes mais sans béret, j'allais rouvrir la portière pour m'enfoncer dans l'habitacle, je n'avais pas envie d'être surpris par l'occupant, le propriétaire, ou je me doutais que la photographie serait anecdotique.

Et là, ce matin, froid glacial, ouvrant la portière arrière de l'intérieur pour Oméga, me penchant, j'ai vu ce que mon oeil n'avait jamais réellement enregistré, le portillon vert au ras du sol – un de ces portillons dont la hauteur, avec celle du grillage, enjambable par un enfant de cinq ans, m'a toujours fait me demander à quoi ils servaient, marqueur spatial, frontière, limite for the sake of it – avec son inscription vieillote, lettrage d'un autre temps et tout à fait concomitant avec la chanson dont il ne manque pas de ressusciter le refrain, et qui m'a toujours paru, non d'un autre temps, mais d'un autre espace : l'époque des guinguettes est surtout, pour moi, associée à des lieux étrangers, à une culture que, pour faire vite, je pourrais résumer par la formule “culture oïl” (j'ai grandi dans les Landes, où, passé la Garonne, et même, dans certains cas, passé l'Adour, on est « au Nord »). Donc l'inscription sur le portillon, tout à fait au ras du sol, dans un quartier délabré et maussade au nord de Tours, peut indiquer combien le chronotope des guinguettes d'entre-deux-guerres ou des années cinquante est, avant tout, pour moi, un topos, exotique absolument, et dont la verdeur un peu désuète, l'entrain toujours perceptiblement factice se mire dans les écailles de peinture rouillée, vert-de-gris, et les lettres de teinte écrue, impeccablement de traviole.

La maison, elle, date plutôt, selon toute probabilité, des années 1970, et, quand on ressort de la boulangerie, un mercredi glacial, si près d'un chronotope aussi abscons (bords de Marne, printemps frisquets prétendument caniculaires et défrisant les houppes), avec, dans un sac en papier pseudo-vintage, deux immenses viennoiseries dont la forme et le nom même – palmiers – connotent cette même irréductible schize entre l'ici de l'écriture et l'ailleurs de la forme, ou (mieux vaudrait cela) entre une forme sans indice et l'écriture à l'indicatif, on ne laisse pas de penser que tout finit de traviole, oui, et même ce qui est blême : la mémoire, certes, mais aussi le vol des images dans les lieux abandonnés, et ce qui donne son zeste aux matinées.

Commentaires

Les bords de Seine, un tableau de Renoir, mais avec palmiers comme dans ton sud-ouest natal où ces arbres ont tout-de-même parfois du mal à survivre aux rares jours de gel .... Hmm! Ma mémoire d'adolescente, ou pré-adolescente (fin des années 50, début des années 60) fait remonter un autre souvenir, des informations à la radio, des articles de presse, des conversations que l'on interrompait à mon approche (faut pas choquer la petite!). Je préfère les guinguettes! :-))

Très beau texte en tous cas!

Écrit par : Marie Hélène | mercredi, 16 janvier 2013

Ah, oui... LA gégène... comment cela n'est-il pas « remonté » ? Signe de la guerre tue ?

Écrit par : Guillaume | mercredi, 16 janvier 2013

>un mercredi glacial, si près d'un chronotope aussi abscons (bords de Marne, printemps frisquets prétendument caniculaires et défrisant les houppes), avec, dans un sac en papier pseudo-vintage, deux immenses viennoiseries dont la forme et le nom même – palmiers – connotent cette même irréductible schize entre l'ici de l'écriture et l'ailleurs de la forme, ou (mieux vaudrait cela) entre une forme sans indice et l'écriture à l'indicatif, on ne laisse pas de penser que tout finit de traviole

Ceci est pour moi un paradigme possible de la poésie.

Écrit par : Alice | dimanche, 27 janvier 2013

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