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samedi, 10 septembre 2005

« Je rêvais corne de taureau»: essai d'herméneutique apocryphe

Le commentaire nocturne de Simon, lu ce matin à l'aube, me laisse rêveur ou continue de me poursuivre (j'écris ces mots à l'encre, le samedi matin [3 septembre, NB], neuf heures et demie, mon fils, « directeur des petits », jouant à faire la classe à ses peluches).

 

J'ai recherché dans nos maintes bibliothèques (un de mes désirs, jusqu'ici en aucune de nos demeures assouvi, serait de rassembler tous les ouvrages dans une seule pièce) mon exemplaire de L'Âge d'Homme, un vieil exemplaire de poche, jauni et usé, à couverture noire, que je me rappelle avoir lu l'hiver 1996 à Oxford, une de mes années les plus boulimiques de lectures (dans la foulée, j'avais lu, entre autres lectures marquantes, tout Rabelais, la superbe trilogie de Céline, le superbe premier roman de Thomas Wolfe, Troilus and Criseyde de Chaucer, etc.).

C'est un livre qui m'a énormément plu. Je ne m'étais plongé, jusque-là que dans le versant le plus «verbal», ou lexical, ou verbonirique, de Leiris, et j'appréhendais L'Âge d'Homme, n'aimant guère, à l'époque, le genre autobiographique (mais m’étant bien rattrapé depuis), et nourrissant encore de fortes réticences idéologiques à l'égard de la métaphore tauromachique.

N'ayant pas retrouvé le livre, l'ayant lu il y a bientôt dix ans, que je ne me rappelle pas la phrase que tu cites, Simon, n'a rien qui doive étonner. Ce doit être la première phrase de l'extrait étudié en classe, plutôt que l'incipit du roman, non ?

 

Ce qui est le plus mémorable, pour moi, dans ce livre, c'est le long et magnifique développement sur la vision enfantine (ou préadolescente, comme diraient nos amis les sociologues et pédopsychiatres) des rapports entre l'homme la femme, aussi entre le fils et la mère, sous l'angle du mythe de Judith et Holopherne, élevé par Leiris au rang de «mythe personnel».

Pour ce qui est de la métaphore tauromachique, c'est elle qui (pour résumer à la serpette et dans mon vague souvenir) préside à une forme de révélation du sens de l'écriture pour Michel Leiris : écrire s'apparente à l'art du torero, qui risque tout en esquivant au dernier moment la corne, il ne tue qu'après avoir emporté le sujet dans sa danse ; inversement mais complémentairement, toute écriture ne se conçoit qu'on miroir de la propre mort du sujet qui écrit, dans ce risque permanent que constitue la mort du sujet. Pour citer André Clavel, auteur de la notice consacrée à Michel Leiris, dans le second tome du Dictionnaire des littératures de langue française (Paris : Bordas, 1984, p. 1272), on y «voit se déployer la chorégraphie tragique d'une tauromachique intime menacée par la corne acérée de la mort».

Ma réticence originelle à l'égard de cette métaphore provenait bien sûr de mon hostilité vis-à-vis de la corrida, qui me semble être particulièrement immorale, mais surtout de mon agacement à l'égard de ces écrivains qui, ayant célébré la corrida, offraient aux imbéciles et snobinards aficionados une forme de caution intellectuelle, phénomène dont, d'ailleurs, deux chansons populaires au moins se sont fait l'écho en en dressant la critique. La première est de Brel (Les toros), la seconde est de Renaud (Olé).

Mais j'ai fini par accepter, plus ou moins, cette métaphore, au nom de mon admiration pour l'écrivain mais aussi parce qu'elle a un sens très profond, très juste, et que ce que dit ici Leiris de l'écriture et de la littérature est source de méditation et d'inspiration.

 

Je reviens (avant un dernier mot sur le lien que je perçois, une fois encore, en ce carnet incessamment noirci (enfin... j'écris à l'encre bleue et le blog est sur fond vert) et le modèle leirisien) à la phrase «je rêvais corne de taureau». Je ne vois pas en quoi cette phrase est insensée; je n'ai pas le contexte en tête, ni le texte sous les yeux, mais il me semble que c'est une variation linguistique, certes déroutante mais d'une grande beauté, à partir de la phrase plus commune

Je rêvai d'une corne de taureau.

Ou :

J'ai rêvé d'une corne de taureau.

Ou :

Je rêvai de cornes de taureau.

 

Tout d'abord, par l'imparfait, cette phrase donne une profondeur temporelle inhabituelle au fait de rêver : le rêve imprègne la vie, c'est une impression qui n'est pas fugace et qui est vécue pleinement, qui ne se distingue pas de l'existence. Ensuite, par l'absence d'articles et l'emploi du verbe rêver comme d'un transitif direct: ainsi, voici l'objet porté au rang étrange d'image vague, ou de généralité abstraite. Tout cela est l'objet d'un pari, de ma part (confiance en l'exactitude de la citation par Simon, lectures de ces six mots hors de tout contexte assuré, etc.), mais je gage que cette phrase entre en résonance avec l'allégorie de la tauromachie et le caractère non transitoire du rêve.

 

***

Voici à présent le dernier mot, ou le dernier paragraphe de cette note, relatif à ce que dit, toujours dans la notice citée plus haut, André Clavel: «Au bout du compte, l'autobiographie leirisienne est une autobiologie : la vie n'explique pas l'oeuvre, c'est l'oeuvre qui, après coup, constitue le tissu du vécu.»

Suit une phrase ou Clavel abuse de l'homophonie je/jeu, puis ceci: «la méthode est toujours restée la même : déclin des noms du dictionnaire en y introduisant des ferments aléatoires capables de recomposer, sur l'Autre Scène, des syntaxes inouïes.»

Je n'ai même pas de scrupule à me réclamer, partiellement (car la rigueur de Leiris, cruellement, me fait défaut), d'une telle esthétique.

 

***

J'ajoute oralement une seule phrase à ce texte manuscrit daté de samedi dernier, moi qui me trouve en ce moment même (vendredi 9 en fin d’après-midi) à mon bureau, où je viens de le dicter; il s'agit de la première mouture, car je compte corriger quelques petites coquilles une fois rentré chez moi [c’est fait, NB].

 

Le Milieu du monde

Nous avons regardé hier le beau film d’Alain Tanner, Le Milieu du monde, qui date de 1974. C’est un beau film, pour ses cadrages, son histoire d’amour finalement fort banale, mais traitée avec une douceur, une justesse, une grande légèreté dramatique. Très lent, il n’est jamais vraiment ennuyeux, grâce à cette intrigue fort réduite mais suffisante. Dans l’approche quotidienne des rapports entre l’homme et sa maîtresse, le traitement admirablement sobre et perspicace de l’intimité (la scène du bain ou du fou rire, et même dans la scène de dispute) on sent toute la nouveauté, toute l’absence d’artifice dont Tanner est redevable à Godard et Truffaut, principalement.

Les deux acteurs, Philippe Léotard et Olimpia Carlisi, sont excellents, et le premier d’autant plus qu’il a quelques répliques passablement grandiloquentes et appuyées à faire gober au spectateur; il ne parvient pas à les rendre moins ridicules, mais il en sort, pour sa part, indemne, vierge de toute contamination rhétorique. C’est dans le registre des métaphores que je trouve, comme souvent (ah! l’insupportable cinéma “asiatique” des années 1990!), ce film plus pesant, presque lourdingue. La palme revient, ex aequo, à la métaphore de la différence entre le son des trains qui s’approchent et celui des trains qui s’éloignent, et à la métaphore explicitement sexualisée du “milieu du monde” (c’est à la fois la ligne de partage des eaux et le vagin, ouah puissant!).

C’est un film à voir, qui est très beau plastiquement sans rechercher, pour autant, d’effets de manche ou de caméra. Le rouge de la Datsun et le jaune des volets de la pension, entre autres, composent une palette simple mais mémorable, comme le film lui-même.

16:30 Publié dans Tographe | Lien permanent | Commentaires (2)

Buster – Arrêts fréquents

Je viens de passer plusieurs heures, ce samedi, à écrire des notes (onze pour être exact) pour mon autre blog, The Good Soldier, qui doit tout de même reprendre vie. C’est aussi que, alors que je n’avais pas publié la moindre note depuis le 5 août, ce blog-là a reçu une moyenne de cent visiteurs par jour, avec de nombreux commentaires et débats en l’absence du maître de maison, ce qui, à n’en pas douter, est le signe qu’un blog dont le contenu est très spécifique, avec un objectif qui intéresse en particulier un nombre non négligeable d’internautes, a plus de chances de se maintenir tout seul sans taulier (comme dirait Jacques), que celui-ci, soumis aux humeurs, aux frasques de son auteur, polygraphe dispersé.

En outre, Touraine sereine ne se porte pas si mal; le seul fait de mettre de petites images assez dérisoires et d’une taille plus ridicule encore a maintenu l’étiage des visites individuelles autour des 200 quotidiennes. A quoi ça sert, le reste du temps, que Cingal se décarcasse?

15:36 Publié dans Ex abrupto | Lien permanent | Commentaires (2)

En halos

 Levant les yeux d'un air complice,

Elle dit: "Bravo, Seigneur, c'est du joli travail!"

Après quelque quatre-vingt cinq ans

Le 10 septembre 1920, le président Paul Deschanel descendit à l'aube se promener dans le parc de l'Élysée, à demi-vêtu, discuta quelques instants avec un jardinier puis entra jusqu'à mi-corps dans un bassin. Ramené dans ses appartements, il sembla n'avoir conscience de rien.