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mardi, 31 janvier 2006

Miné

Je ne pensais pas céder un soir à la tentation de ce calembour, mais voilà – le mal est fait.

 

Des jours comme ça…

 

Le matin, une belle baffe ailleurs sur le réseau, & tout le jour un végétatif qui a posé ses crottes dans les commentaires de ce carnétoile, sans compter  le Vidal qui médicalement propose son terrorisme intellectuel.

 

À l’université, journée désastreuse. Au premier chef, lutte contre des ragots diffamants (histoire compliquée, dont on n’a pas vu le bout). Puis, dans l'ordre et en beauté...:

Une sombre histoire de devoir statutairement inscrit dans le livret et qu’un collègue n’a pas fait faire à ses étudiants ; c’est moi qui rattrape le coup et organise tout (téléphonages, entrevues, course après les salles).

Un T.D. de 45 étudiants placé dans une salle ne comptant que dix-huit places.

Enfin, une collègue qui me fait une scène à propos d’une prétendue confusion entre les deux centres de recherche. Il se trouve qu’elle affabule, comme d’habitude d’ailleurs.

 

Heureusement, les miens sont là. Je rêvasse en douceur en regardant mon fils. Et, ce matin, tout de même, j’ai consacré deux heures et demie à recevoir des étudiants, à qui je donnais des conseils individualisés sur leur travail : cela, c’est un vrai bonheur. (D'ailleurs, tous les entretiens que j'ai eus avec des étudiants aujourd'hui ont illuminé ma journée.)

 

Journée quand même affreuse. Je vais virer

[tiens, c’est le 31 janvier : le temps idéal pour cesser de remettre tout au lendemain et tenir ses promesses]

le Net de mon existence :

c’est-à-dire (bémol) préprogrammer une note par jour, et basta pour l’instant !

Pagli d'Ananda Devi

La note qui suit a été écrite en janvier 2002 et publiée sur le site Exigence Littérature. Je la publie dans ce carnet à l'occasion de la parution d'un nouveau roman, non encore lu, d'Ananda Devi.

 

Ce récit brûlant qui se transforme en roman torrentiel, pluie diluvienne autant que lexicale, est avant tout l’histoire d’une affabulation. On pourrait insister ici sur la figure féminine marginale, caractéristique des derniers romans d’Ananda Devi et si représentative de ce que Gilbert et Gubar nomment la folle du grenier (‘the madwoman in the attic’, la femme claustrée et contrainte au silence, version féministe de la “folle du logis”). Mais d’autres l’auront fait, sans doute.

Claustrée, Daya, que tous et toutes nomment “la Pagli” (la Folle), l’est assurément. Dans la première partie, elle ne parvient à nouer une histoire d’amour puissante, idyllique et métaphysique, avec Zil, le pêcheur, qu’en se sauvant de la demeure matrimoniale, “maison de sucre glace” ou, en créole, “gato lamarye”. Dans la deuxième partie, une fois sa relation extra-conjugale et surtout hors-normes éventée, confiée aux rumeurs et aux “mofines” (les commères), elle se voit enfermée dans un poulailler d’où, provoquant rageusement un déluge de pluie, elle attend le retour de Zil. La première page de l’antépénultième chapitre se charge d’ajouter une pierre à l’édifice littéraire des femmes claustrées : “Je suis l’emmurée vivante. […] Je suis entombée, embourbée, incarcérée en moi-même.” (p. 147)


En quoi, donc, la Pagli est-elle une affabulatrice ? C’est une narratrice dont l’idylle semble si magique, et surtout si abstraite, que le lecteur ne manque pas de trouver un deuxième sens au surnom, et au titre du roman : désireuse de s’inventer sa propre histoire en toute liberté, Daya/Pagli est une absolue fiction, car tout, dans ses propos et ses aventures, est fantasmatique. Jamais vraisemblable, quoique toujours saisissante, c’est une “figure”, un “antipersonnage” au sens où l’entend Xavier Garnier dans son récent essai (L’Eclat de la figure. Berne : Peter Lang, 2001).

Le comble de la supercherie intervient au moment où Zil, le pêcheur, projection des fantasmes de la narratrice, et surtout de ses frustrations, prend la parole. Ou plutôt : lorsque Daya fait parler Zil, car, au regard d’une polyphonie bien factice, Zil parle comme Daya, d’une même voix, à l’unisson. Ainsi, Zil, dont le récit soulignait l’attachement à la réalité et le refus des propos métaphysiques chers à la Pagli (voir en particulier pp. 71-72), livre lui aussi des propos emphatiques et abstraits : “Sans le don que tu m’as fait de toi, je ne serais qu’un homme à peu près, un homme à demi qui ne sait pas ce que c’est que d’être homme.” (p. 145).


En ce sens, à l’instar d’une silhouette dans un théâtre d’ombres, Zil est une pure projection d’un récit monologique, clos puisque voué la claustration. Zil, “île” promise, est l’appel du large, de l’extérieur, du Dehors, mais il n’est saisi par le texte qu’au mépris de sa particularité. Toutes les tentatives pour le “dire” (et même pour le faire parler) sont confinées au système intériorisé de la narratrice. Ananda Devi réalise ainsi une prouesse, en prenant à revers des décennies de production romanesque “phallogocentrique” et en faisant du sujet masculin un objet de discours, objet de passion certes mais principalement objet passif, silencieux. Si l’on suit les analyses d’Annie Anzieu, le phallogocentrisme consiste à “ramener tout système de compréhension au sexe masculin” (La femme sans qualité. Paris : Dunod, 1989, p. 74). A l’inverse, Devi fait émaner tout le système d’expression du sexe féminin : du sexe, c’est-à-dire de l’espace intime de Daya.

Annie Anzieu écrit plus loin dans son essai éclairant : “L’écriture féminine remplace pour la femme la gestation, ou la continue. Elle apparaît souvent comme le résultat d’une sublimation de la relation à un être aimé.” (La femme sans qualité, p. 88) Comment mieux expliquer le discours ventriloque mis en place par Daya, mais aussi l’épigraphe de Pagli : “Tout roman est un acte d’amour” (p. 9).


Récit d’une affabulation tout autant que d’un affolement, Pagli se nourrit d’une irrationalité toute théâtrale. Symptomatiquement, d’ailleurs, au “Nous” collectif et anonyme des “autres”, signal de l’exclusion bien-pensante (p. 130), s’oppose le Nous des amants, Je sublimé et porté en quelque sorte à la puissance deux, fausse extériorité : “Cette chose qui m’espace sous ma peau, qui la détend et la respire et y glisse de l’intérieur, c’est toi, Zil.” (p. 79).
Pour dire l’intériorité blessée de sa narratrice, Ananda Devi n’a d’autre recours que de construire un roman expressionniste, dans lequel les couleurs, pour prendre un exemple marquant, témoignent d’une crise brutale de la représentation. Ainsi, lorsque Zil s’adresse à Daya pour raconter leur rencontre : “Tu étais enveloppée de gris. Tu contredisais les couleurs qui t’entouraient.” (p. 143)


Les couleurs sont ce que la voix narrative en dit, sans symbolisme convenu et sans entre-deux. Le “noir véritable” est “un noir qui aveugle comme des larmes de sang et qui est l’annihilation de toute lumière” (p. 51). Même les adjectifs et substantifs usuels peinent à décrire les couleurs : “Le ciel est devenu couleur de violence. Cette teinte violette est rare et reconnaissable entre toutes.” (p. 122) La violence n’a pas de couleur connue, et, en même temps, elle se voit assigner une place particulière dans le spectre coloré : le violet, qui allitère si bien avec elle. La teinte violette est d’ailleurs reprise en fin de roman pour décrire un ciel nocturne : “La nuit se dilate et strie le violet du ciel.” (p. 150)

Affabulation expressionniste, Pagli est, tout autant qu’un roman ou qu’un acte d’amour, un cri, une longue imprécation, savant mélange de violence et de mélancolie. Plus réussi formellement que le roman précédent d’Ananda Devi (Moi, l’interdite. Paris : Dapper, 2000), il constitue une porte d’entrée privilégiée dans l’univers particulier de la jeune romancière mauricienne.


DEVI, Ananda. Pagli. Paris : Gallimard, 2001, 168 pp.

CHAPTER THE FIRST

 

Inverted commas would help. Are inverted commas quotation marks? I never know. I said I never know. I said I never knew. I said I never knew or know whether inverted commas are the same as quotation marks. But they’re not. I know or knew they’re not. Whatever. Whether. I wrote whether inverted commas are the same as quotation marks. Inverted commas would help. (Or quotation marks.) Italics would help. (Or inverted commas.)

 

Notes astérisquées du billet précédent

* C’est cela, lire cinq ou six livres en même temps, écrire, travailler : les pavés n’avancent pas tout seul. (Ce que dénie l’expérience de mai 68.)

** C’est une de mes vieilles blagues, qui sent fort saumâtrement son professeur de littérature. Serais-je sous l’influence, non de la cocaïne du traducteur Rimini (voir Ière partie du roman), mais du chapitre tennistique (III, 3) ?

*** Une Suze à minuit !? Oh, c’est une Suze métaphorique. L’iris de Suze, disons… celle qui m’a tapé dans l’œil…

**** Tu ferais mieux d’utiliser, la tienne, de gomme, eh scribouilleur à la noix*****.

***** Note pour le typographe. N’intervertissez pas gomme et noix, s’il vous plaît.

Alan : Pauls :: Le : Passé

Dimanche, minuit.

C’est bien, que l’accès au WiFi soit indisponible, et d’avoir eu la flemme de descendre débrancher puis rebrancher la Livebox. [Solécisme que/de : on s’en fout ; continue.] Je pianote en haut, libéré du lien à la Toile, persuadé d’être détaché de l’œil de l’araignée.

J’ai avancé un grand coup, ce soir, dans un livre commencé jeudi 19*, acheté pourtant (sur la foi de critiques, mais surtout de la recommandation d’Enrique Vila-Matas) il y a trois mois, Le Passé du jeune romancier argentin Alan Pauls. J’ai déjà évoqué ici ma lecture de Wasabi. Je jette quelques bribes ici, aux deux tiers du roman (j’en suis à la page 471) ; jamais après, sinon, je n’écris ces billets.

Ça ne vaut pas tout le bien que l’on en dit. Je préférais ses deux textes brefs, nettement plus insurrectionnels, en un sens. Ce Passé-là en fait trop, s’attarde, s’enfle comme la grenouille de la fable, et même quand l’emphase est réussie… eh bien, le bœuf n’est pas le plus bel animal qui soit, tout de même. (J’ai belle gueule, de la ramener, avec mes métaphores dans le filet**)

Demain midi, je compte déjeuner au Cap-Ouest. Rien à voir ? Ce n’est pas sûr.

Page 471 : j’en suis donc au long chapitre (III, 4) qui se veut un décrochage dans l’histoire de Rimini, en revenant sur la gestation d’une série d’œuvres du peintre mondialement connu (et fictif, bien entendu), Jeremy Riltse. Pour l’instant, j’ai préféré la première partie à la seconde, et la seconde à, par exemple, ce long chapitre vraiment ampoulé et qui appuie trop sur le pastiche. (Non, je préfèrerais une Suze, merci…***)

Il semblerait (toujours se méfier des traductions) que Pauls laisse aller son goût immodéré pour une période quasi proustienne, qui se décline parfois en longs balancements homériques assez savoureux. L’histoire me désarçonne : ce personnage qui va d’abandon en trahison, en se laissant aller à la déshérence depuis la brisure du couple idéal qu’il forma douze ans avec Sofia, s’enfonce, un peu comme le protagoniste du Voyage vertical de Vila-Matas, mas s’enfonce d’une façon dont l’auteur ne garde pas la maîtrise.

(Je ne picole pas, mais j’ai l’impression d’écrire n’importe quoi. Si vous y tenez, appelez la police.)

Je ne sais où ce radeau m’emmène. Enfin, j’ai embarqué il y a dix jours, je ne me déplais pas sur ces planches parfois râpeuses, et, même avec des réserves sur certains aspects de ce roman, j’ai des réserves de viande boucanée ; l’écrivain ne me laisse pas seul sur ce maudit rafiot. D’ici trois jours, la terminaison probable aura peut-être apporté son lot d’épiphanies, et, si j’ai la sève, on mangera tous ensemble la gommette****.