lundi, 29 septembre 2014
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29 septembre, 17 h 10, jardin de la place François-Sicard
Cela fait donc deux semaines -- le troisième lundi consécutif que je me retrouve, toujours par beau temps (il faisait même franchement chaud le 15), dans ce jardin étroit mais très charmant. En onze ans à Tours, je ne m'étais jamais arrêté dans ce jardin, y passant parfois, sans plus. Or, y passer une heure ou un peu moins un lundi sur le coup de cinq heures permet de se rendre compte à quel point le centre dit historique de Tours, ici le quartier de la cathédrale, est bruyant. On ne risque guère d'être dérangé par le bruit du jet d'eau, wasserfall diaphane plus que blond — démarrages de bagnoles et pétarades de vélomoteurs sont permanents. On s'y habitue, je suppose.
Je n'ai pas encore pris d'autres habitudes, tout d'abord parce que, lorsque le froid commencera de s'installer, je préférerai probablement aller baguenauder du côté du Musée, ou prendre un verre somewhere around, à moins que je ne reste parfois à lire dans la voiture.
Depuis le 15, il y a quinze jours donc, comme on dit fort peu arithmétiquement en français, je me suis dit que je pourrais écrire une série de textes sur ces 5 à 7 du lundi, les souliers dans les gravillons, le dos calé contre un banc vert à la peinture écaillée. Je m'assois sur le même banc, ou du moins sur un des deux bancs qui permettent de faire face à la statue de Michel Colombe par François Sicard. Ballet de promeneurs divers, surtout vieux ou nounous ou mères semblablement entées de leur progéniture, lycéens (et surtout lycéennes, à croire que le lycée Paul-Louis Courier, non loin, est plutôt féminin). La statue qui représente Michel Colombe a quelque chose d'apaisant à première vue — c'est une de mes statues préférées dans cette ville -- et en même temps, à mieux y regarder, à se plonger en elle, elle inquiète, elle a quelque chose d'inquiétant, je crois que je n'aurai jamais écrit un texte avec autant de virgules, de juxtapositions.
Le 15, j'ai remarqué que des farceurs (ou des étudiants aux Beaux-Arts, ce qui revient au même (je laisse cette première parenthèse telle quelle, allez deviner si j'endosse délibérément le costume du philistin vieuxcon)) avaient souligné les yeux et les lèvres du sculpteur d'un trait discret de peinture rose. On peut évidemment tout imaginer, geste vandale bête, geste artistique à message (?), facétie de manifestant favorable au mariage pour tous, dénonciation subtile (le sculpteur n'est-il pas en robe ?) de la théorie du genre ou des dénonciateurs d'icelle...
En tout cas, si j'ai posé le 15, dans ma tête, le principe possible d'une série de textes, voici commencée, sinon la série (nous verrons cela lundi prochain), du moins un premier épisode. Bien entendu, j'ai réfléchi à tout cela car je savais déjà que j'allais, sinon participer à, du moins suivre de loin les travaux de l'atelier d'écriture que propose Stéphane Bouquet dans le cadre de sa résidence à l'Université. Le 16, j'ai assisté à la projection du film La Traversée et au lancement officiel de cette résidence, et jeudi dernier à la première séance de l'atelier proprement dit. Or, Stéphane Bouquet a imaginé que chacun des étudiants de l'atelier écrirait un texte sur soi (le Soi ? je ne sais pas comment il l'écrirait), sur un soi non pas donné, préfiguré, mais à construire par le texte, justement. L'idée est de construire une série de textes ou un seul texte ou un ensemble polymorphe (faisant éventuellement appel à d'autres formes, des images, des sons etc.) à partir de confrontations avec la ville, ou non, pas confrontations, pérégrinations, choix de certains lieux, de certains phénomènes urbains, graffiti par exemple, etc. J'ai le sentiment de très mal expliquer ce qu'il entrevoit ou suggère — ma propre interprétation est parasitée par le projet que vient d'inaugurer François Bon, "la littérature se crie dans les ronds-points", autre forme d'approche systématique de lieux systémiques, représentatifs de ce que j'ai nommé, ailleurs dans ces carnets, l'überurbain.
Peu importe, je vais faire ma mayonnaise, un peu de tout cela s'entremêlera ici, qu'importe.
Vieux ou nounous ou mères ou lycéens.
Sacré programme.
(Je me déplace, vais de l'autre côté, un banc dans le couvert des ifs, près d'un jeune couple qui clope, mais je ne supportais plus l'odeur de pisse qui émanait depuis pas très longtemps, je le crains, de mon voisin, un gros homme pied-bot. Ce banc-ci arbore, pour inscription manifeste, le mot MOCHE, marqué au blanco. Je me suis assis de manière à ne pas le cacher, de sorte qu'un autoportrait (à la Webcamelote) demeure possible.)
Pour l'heure, portraits.
Jeune fille blonde, passe en lisant un texte ronéoté qu'elle a l'air d'apprendre par cœur.
Deux dames, une la soixantaine, l'autre plus petite, plus jeune, rousse.
Vélomoteur casse-tympans, puis de nouveau le jet d'eau et la conversation du petit couple à côté de moi.
Homme en chemisette noire, parka légère sur l'épaule.
Le couvert des arbres, épars alors qu'il y a beaucoup d'arbres, d'arbustes, de frondaisons.
Jeune femme mince, la trentaine, baguette. Impression de la connaître.
Jeune femme rousse en short.
Homme élancé, plutôt jeune, casquette à carreaux.
Vélomoteurs sans arrêt.
Il va falloir que je me trouve un autre repaire.
La jeune fille en t-shirt marin se casse, avec son étui de violoncelle. Fait semblant de se casser, agaceries avec le garçon qui lui tenait compagnie, c'est lui qui finit par partir (Alex ! lui lance-t-elle). Il l'enlace, quel jeu jouent-ils.
Reviennent à leur banc, celui près du mien, elle monte, debout sur la latte supérieure, lui grimpe dessus, rient. Elle lui dit "enculé" puis lui explique que c'est gentil (c'est gentil, c'est gentil).
Sur le chemin opposé passe une dame en blouson jean's, poussant une bicyclette.
Sur celui-ci, un de mes étudiants de Licence, qui ne me voit pas (ou feint de ne pas (mais je crois vraiment qu'en passant vite, en ne promenant pas, on ne voit pas les gens assis sur les bancs (ou on ne s'attend pas à voir un prof ?)).
Puis, sur le chemin opposé, une dame plutôt âgée avec un petit chien.
À la cathédrale, le coup des trois-quarts.
Les deux ados se chamaillent, feignent de, se coursent, un sexagénaire en chemisette à carreaux bleus passe en regardant lentement sa montre (la porte à son visage, pas l'inverse).
La jeune fille perdrait la moitié de son vocabulaire si on lui enlevait le droit de dire “sérieux” sur le mode de l'interrogation rhétorique ou de l'assertion. Quelle violoncelliste fait-elle.
Passent deux jeunes hommes, l'un à barbichette fait rouler une contrebasse dans son étui.
Autre jeune fille blonde, t-shirt marin aussi, jolie, plutôt distinguée, passe en saluant d'un regard en coin que je pense ironique (mais je projette sans doute) le petit couple à la sérieux-violoncelliste.
Lycéen, portable vissé.
Lycéennes, quatre ou cinq, l'une chante n'importe quoi.
Autres jeunes femmes, plus âgées (pionnes ?).
Quinquagénaire, démarche lente, serviette en faux cuir sous le bras, bedaine, montre.
Autre lycéen, autre portable vissé, oreille gauche cette fois-ci.
Deux lycéennes.
Autre sexagénaire, dame avec aussi rayures marines.
Je ne compte plus accélérations des vélomoteurs.
Cycliste noire entrevue, au coin de la rue.
Le couple s'éloigne ; il porte le violoncelle (sérieux).
Quatre jeunes, probablement musicos (un blond à queue de cheval renouée en natte au-dessus du crâne quasi ras — je penche pour percussionniste).
Marre, je veux lire aussi, je reprends mon livre, le jet d'eau diaphane continue.
Notule en addendum, toujours lundi, 18 h 43, Conservatoire.
Pépiements des enfants dans la salle de chant choral, polyphonie fracassée des instruments de ci de là.
21:16 Publié dans Ce qui m'advient | Lien permanent | Commentaires (0)
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