Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 15 janvier 2015

Poids et mesures

Il faudra quand même qu'on m'explique en quoi la phrase “je me sens Charlie Coulibaly” est une apologie du terrorisme. Un bon avocat n'aura, ce me semble, aucun mal à démontrer que ça peut vouloir dire plein de choses différentes :

  • "je me sens" n'est pas "je suis"
  • l'ensemble "Charlie Coulibaly" peut vouloir dire que Dieudonné se sent à la fois proche, de manière très schizophrène,  des humoristes assassinés pour avoir exercé leur droit de parole et du salopard victime de la ghettoïsation dans les banlieues (ATTENTION : ceci n'est pas mon avis, mais il y a tout un tas de soi-disant intellectuels et d'enseignants de banlieue qui n'arrêtent pas de répéter ça, dont une tribune inepte et scandaleuse publiée dans le Monde) → si on pousse cette logique, on pourrait dire que cet énoncé vise à être à la fois solidaire des victimes des frères Kouachi et du terroriste de la porte de Vincennes, et, dans ce cas-là, l'antisémitisme est plus aisé à démontrer
  • Coulibaly est un nom très courant, donc, à partir du moment où Dieudonné n'a pas désigné le terroriste en ajoutant son prénom, ça peut être une identification à tous les Coulibaly, voire à tous les Noirs de France (ça pourrait même vouloir dire qu'il pense à tous les citoyens qui portent ce patronyme et qui vont en baver dans les prochains mois)

Comprenons-nous bien (ET JE NE RÉPONDRAI PAS À CEUX QUI N'AURONT PAS LU CE BILLET JUSQU'AU BOUT) : je n'aime pas du tout Dieudonné, je ne l'ai jamais trouvé drôle (mais je n'ai jamais trouvé Elie Semoun drôle non plus, soit dit en passant), je suis profondément convaincu que de pseudo-humoriste il est devenu pamphlétaire et idéologue, et enfin il est très évidemment antisémite.

Je ne dis pas du tout que cette phrase ne pourrait pas être une apologie du terrorisme. Je veux tout simplement qu'on m'explique en quoi elle en est ÉVIDEMMENT une. La seule possibilité est de faire un distinguo entre discours à visée humoristique et parole publique tenue par un responsable politique... mais, là encore, les objections que j'ai formulées ci-dessus demeurent.

Universitaire, j'attends de mes étudiants qu'ils démontrent leurs arguments de manière complète. Dans une copie qui se contente de dire “Le poème évoque la couleur rose parce que c'est la couleur de l'amour”, je mets en marge prouvez-le ou aucune autre interprétation ? ▬ J'attends de Joffrin, Valls (et des autres) qu'ils DÉMONTRENT que la phrase “je me sens Charlie Coulibaly” est une incitation à la haine, ou une apologie du terrorisme. Si cela est avéré, et si Dieudonné est condamné POUR CETTE PHRASE, je pense en effet que bien des formules ou dessins polysémiques de Charlie Hebdo risquent de se voir également condamnés. 

D'ailleurs, au vu de tout ce qui se dit depuis quelques jours (mesures exceptionnelles qui ne seraient pas d'exception, appels à l'autocensure, Pape qui se croit autorisé à s'immiscer dans les affaires d'un pays sans religion d'État), on peut d'ores et déjà considérer que les assassins du 7 janvier ont gagné : ils n'ont pas tué la liberté d'expression, mais le pire est à venir.

 

Quant à l'emploi de l'adjectif maléfique dans l'éditorial de ce jour, il montre tout ce qui sépare les athées et libres penseurs de Charlie Hebdo de Joffrin, qui ne s'aperçoit même pas qu'il baigne en permanence dans un langage bondieusard de catho de gauche.)