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mercredi, 06 janvier 2016

Tramway filant dans la bourbe du ciel

Décidément, ça ne va jamais où je veux. Depuis plusieurs jours, je songe à (prépare) trois nouveaux projets d’écriture, l’Atlas, 16 en 16, et une série de textes autour du centenaire de Léo Ferré : j’ai déjà quelques idées, diffuses voire confuses, mais n’ai pas encore écrit la moindre ligne.

Et au bilan me voici ferré (requis) par autre chose, le projet Larcins.

Ce matin, dans le tramway, entre Marne et Mi-Côte, je poursuivais la lecture de L’autre monde de Christian Garcin. Ce n’est pas que le livre soit impossible à résumer, moins encore à recenser — seulement, là n’est pas le projet, voilà tout. Entre Christ-Roi et Tranchée, mon attention a dérivé vers l’écran du smartphone de ma voisine, une adolescente noire aux beaux cheveux tressés, qui passait à toute vitesse sur des quantités de photos sur Instagram : Kardashian, Nabilla, ce genre-là. Tout aussi vite qu’elle les faisait défiler, elle ornait certaines de ces photographies d’un cœur (l’équivalent, je crois comprendre, du “like” sur Facebook). Outre que tout ce que j’entrevis était d’une laideur désolante, cela m’a poussé à regarder plus en détail autour de moi : presque toutes et tous sur leur smartphone, comme cela m’arrive très souvent, à moi aussi, dans le tramway. Plus loin, à l’arrêt Place Choiseul, pareil : devantures mortes sous leurs néons… et pianoteurs isolés, voire en groupes… Étais-je différent, plongé dans mon mince Verdier ?

En ville, il m’a paru, tandis que je contemplais, du tramway filant sur le pont Wilson, la Loire (je fais toujours ça – m’interdis de faire autre chose que de contempler la Loire, le ciel au-dessus de la Loire, les piétons et les cyclistes sur le pont), qu’en ville l’autre monde était celui des citadins qui continuent de regarder autour d’eux, c’est-à-dire aussi de regarder les autres citadins. Je veux dire, les regarder vraiment – pas pour mater ou médire. Prêter attention. Cet autre monde est de plus en plus enfoncé dans la part ténébreuse des existences, dans l’ensauvagement, alors qu’il est seul porteur de lumière ou de civilité. Chamois prêt à s’ensanglanter dans la brume noire. L’eau de la Loire semblait, elle-même, brune, à son actuel étiage bas. Eau brune ou de boue, et non noire ; il faut résister aussi, parfois, à la rime.

Place Anatole-France, j’ai croisé, après être descendu du tram, une jeune fille plus grande que moi. Ce n’est pas souvent : pour que quelqu’un me paraisse évidemment plus grand que moi, il faut qu’il fasse un bon mètre quatre-vingt-dix. Ce matin, rebroussant chemin vers la rue Nationale pour aller acheter mon Charlie Hebdo, j’ai pu vérifier une règle presque intangible : les filles plus grandes que moi sont très souvent en mini-jupe, et elles pourraient passer, à l’aise, leurs deux jambes dans un seul fuseau de mon futal. Cette jeune fille ne pianotait pas sur son smartphone et semblait pressée ; malgré la brièveté de la “rencontre” (trois secondes ?), j’ai eu le temps de trouver à son visage un air à la fois dur et mélancolique. Je doute que ce soit une projection personnelle : ce mélange me semble très insolite.

08:26 Publié dans Larcins | Lien permanent | Commentaires (0)

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