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jeudi, 27 novembre 2025

27112025

J’ai publié aujourd’hui sur Facebook le paragraphe de La Force des choses (I, iv) ci-dessous, qui n’a suscité aucune réaction. J’avais fait exprès de ne rien en dire : seul le texte. Or, il est très intéressant, car tout en étant pleinement consciente de ne pas pouvoir adopter le point de vue des « indigènes » colonisés, Beauvoir les décrit sans se défaire d’un regard colonial piqué d’orientalisme. Elle pressent, lors de ce périple africain de 1950, certaines des analyses de Fanon, mais que n’avait-elle lu Du Bois… La dernière phrase semble illustrer si parfaitement la théorie de la double consciousness

 

Le matin, une auto fournie par l’administrateur nous transporta dans la forêt. Nous vîmes sous un arbre le fétiche d’un village : une grosse boule hérissée de plumes très sales ; les femmes, vêtues d’un pagne, portaient en guise d’ornements des osselets d’ivoire incrustés dans leur menton (cela me rappela cette dent que j’avais extirpée un jour de mon menton) ; grandes, robustes, les cheveux enduits de beurre de cacao à l’odeur écœurante, deux d’entre elles pilaient des grains dans un mortier ; sur les marches d’un escalier (certaines des huttes, misérables, avaient deux étages) parmi d’autres enfants tout nus était assis un petit albinos ; sa peau décolorée ne paraissait pas naturelle ; on aurait dit qu’un acide l’avait décapée et qu’elle ne suffisait plus à le protéger. Nous étions tout près de la ville, et pourtant cette population semblait perdue au fond de brousses où le temps n’avait pas coulé. En repartant, nous avons croisé sur la route de jeunes garçons à bicyclette, vêtus à l’européenne, l’air vif, qui habitaient eux aussi ce hameau : en quelques années les enfants nus deviendraient des adolescents adaptés à ce siècle. Nous aurions bien voulu savoir comment les jeunes cyclistes vivaient cette double appartenance.