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samedi, 16 juillet 2005

Dehors, d'Eric Laurrent

Lu, en un jour et demi, à mes moments perdus, ce petit roman pas désagréable mais qui n’a vraiment rien de transcendant ni de bouleversant. J’avais déjà lu, vers 2002, le premier roman de l’auteur, Coup de foudre, qui m’avait déjà paru fort léger, et exagérément contourné et précieux.

Celui-ci, Dehors, s’avère avoir outré encore les traits qui faisaient en partie le charme de la lecture, mais surtout provoquaient l’irritation du lecteur (enfin, la mienne, en l’occurrence) : débauche d’imparfaits du subjonctif, syntaxe délibérément labyrinthique, emploi abusif de substantifs et de verbes si inusités qu’ils doivent faire, pour la plupart d’entre eux, leur première apparition dans un texte littéraire en français. Ce fut d’ailleurs l’une de mes interrogations récurrentes : comment Eric Laurrent vient-il à employer, d’une manière qui semble couler de source, autant de néologismes littéraires empruntés, certainement, à des domaines techniques, ou de termes obscurs ? Je l’imagine volontiers s’être constitué, au fil des années, un répertoire de termes d’une absolue rareté, ce qui serait déjà un peu ridicule ; mais je le soupçonne même d’écrire un premier jet constitué de mots plus courants, et de remplacer ensuite un certain nombre des substantifs et verbes par des synonymes au moyen d’un thesaurus.

Publié en 2000, cet opus, le quatrième de son auteur, est le récit, entre douceur humoristique et satire en demi-teinte, d’une désagrégation : il narre l’éclipse sentimentale et domiciliaire vécue par le protagoniste, Léon Brumaire, au cours d’une demi-douzaine de mois environ. Mis à la porte du domicile conjugal par sa compagne, Eva, Léon hésite entre deux éventuelles « remplaçantes », Allicia et Pamela. Il se trouve pris dans un esseulement alcoolisé, dans les brumes de l’à quoi bon, le tout prenant une légère tournure invraisemblable (ou, si l’on veut se montrer plus positif, fantastique, ou fabulaire), notamment en raison du jeu sur les coïncidences et de la question de l’argent, qui n’est jamais posée en termes réalistes.

L’intrigue, vaguement inspirée des derniers romans d’Echenoz et très représentative, en son délabrement formel, du « nouveau » style Minuit, n’est qu’un prétexte aux jeux de langage signalés plus haut, et à l’exploration d’un certain nombre de fantasmes sexuels, qui prennent la forme de scènes ou de descriptions. Eric Laurrent semble se divertir beaucoup à mêler le style « noble » et abstrus, que lui offrent syntaxe alambiquée et registre technique, à des expressions franglaises branchées, et à des intrusions d’auteur, plus réussies.

Assurément, il a trouvé, avec son recours aux lexèmes les plus inattendus, un moyen d’échapper au mode de narration marquisard (« La marquise sortit à cinq heures »). Par exemple, il décrit en ces termes l’arrivée subite d’une averse :

« Estimons maintenant entre dix-huit et dix-neuf heures le moment où tous deux seraient contraints de quitter le parc. Marouflons à dessein une fronce bouffante, forcément néphélienne, sur la toile azuréenne du ciel, puis crevons-la brusquement et tirons-en de longues écharpes de tulle, illusion que nous effrangerons violemment jusqu’au sol et disperserons là en incessantes strasses de vapeur et d’écume – observons maintenant l’effet de ce déluge impromptu. » (p. 31)

Les tonalités scientifiques (lexique météorologique technique, usage de la première personne du pluriel) ne sont pourtant pas sans rappeler le recours de certains auteurs de la fin du 19ème siècle à des mots rares, souvent penta- ou hexasyllabiques. La différence en est que, chez Mallarmé ou Saint-Pol Roux, il existait une vraie force d’expression, un sens profond de la relation au monde, alors qu’Eric Laurrent ne propose, en fait, et en pleine conscience, qu’une sorte de sitcom ou de vaudeville pour gens de lettres.

Je ne sais s’il y a un avenir pour de telles entreprises. Avec moi, dans tous les cas, la sauce ne prend pas.

Reste à expliquer pourquoi j’ai lu ce roman, alors que Coup de foudre, déjà, m’avait laissé sur ma faim. C’est que, trouvant, immaculé et bon marché, l’exemplaire désormais en ma possession chez le bouquiniste de la rue Nationale il y a six ou sept mois, je ne résistai pas à la compulsion d’achat ; en général, si un livre se trouve dans ma bibliothèque, je le lis toujours, soner or later. C’est donc ce qui s’est produit, avec d’autant moins d’hésitations et de regrets que cette lecture m’aura pris trois ou quatre heures, peut-être.

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Écrit par : Linette | vendredi, 22 août 2008

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