jeudi, 16 février 2012
Des sonnets romains de Belli
J’ai lu l’été dernier – et ne m’avise qu’aujourd’hui d’en dire quelques mots – un roman d’Anthony Burgess qui s’intitule ABBA ABBA. Il n’y est pas question de l’insupportable groupe scandinave aux mélodies dégoulinantes de nullité, mais de la forme conventionnelle de notation des rimes embrassées dans les quatrains du sonnet dit pétrarquiste. Il se trouve que je me rappelle très mal l’intrigue, les péripéties, etc. Autant dire que ce n’est pas un texte inoubliable. Roman qui brode sur l’improbable rencontre, à Rome, entre Keats et Giuseppte Gioacchino Belli, il vaut surtout pour la découverte du dénommé Belli, donc, auteur d’une œuvre monumentale, une somme de sonnets (2279 si l’on en croit le répertoire exhaustif) en dialecte romain. Savoureux et d’une grande violence, je n’ai pris le temps de les découvrir – par l’intermédiaire d’une édition bilingue qui en propose un florilège et s’intitule Rome, unique objet…– ou Les Sonnets clandestins – que récemment. Or, Burgess propose, dans la deuxième partie de son livre, la traduction anglaise de quelque 71 de ces sonnets aussi truculents que rabelaisiens sur des sujets religieux. L’été dernier, j’avais dû faire des recherches sur Internet, car, en lisant ABBA ABBA, on peut tout à fait s’imaginer que Burgess invente de toutes pièces ce Belli (qu'un des sites qui lui sont consacrés qualifie de "plus grand poète italien de tous les temps", ce qui est de tout de même bien exagéré).
Afin de donner un exemple, j’ai choisi de reproduire ci-après la traduction du sonnet 330 (329 d’après l’édition des Belles Lettres), « La Nunziata ». Il est assez évident que le traducteur français, Francis Darbousset, est beaucoup plus proche de l’original que Burgess, qui a choisi une métrique, une syntaxe et un lexique beaucoup plus « nobles », ou – en tout cas – moins abrupts. Dans ce poème, Burgess restitue très astucieusement, en revanche, le jeu de mots oiselet/sexe. Plus curieux, Burgess respecte le schéma CDECDE des tercets (fidèle en cela au titre même de son livre, qui met l'accent sur les contraintes spécifiques du sonnet italien), alors que Darbousset, lui, est beaucoup plus libre dans le choix des rimes, jusqu’à traduire le concetto final au moyen d’un distique de rimes plates, structure caractéristique du sonnet… shakespearien ! Pour être assez paradoxal d'un point de vue formel, ce choix, comme on le verra, est très efficace.
La Nunziata
Ner mentre che la Verginemmaria
se magnava un piattino de minestra,
l’Angiolo Grabbiello via via
vieniva com’un zasso de bbalestra.
Per un vetro sfasciato de finestra
j’entrò in casa er curiero der Messia;
e co ’na rama immano de gginestra
prima je rescitò ’na Vemmaria.
Poi disse a la Madonna: «Sora spósa,
sete gravida lei senza sapello
pe ppremission de ddio da pascua-rosa».
Lei allora arispose ar Grabbiello:
«Come pò esse mai sta simir cosa
s’io nun zo mmanco cosa sia l’uscello?».
L’Annonciation
Pendant que la Vierge Marie
s’envoyait une assiette de soupe,
l’Ange Gabriel accourait
comme carreau d’arbalète.
Par la vitre cassée d’une fenêtre
le courrier du Messie entra chez elle ;
et lis en main, à sa droite, d’abord
il lui récite un Ave Maria.
Ensuite, il dit à la Madone : « Vous êtes
ma chère dame, enceinte sans le savoir,
par permission de Dieu depuis la Pentecôte. »
Et elle alors à Gabriel de répondre :
« Mais comment diantre ça a pu se faire, dites,
si je sais même pas ce que c’est qu’une bite ? »
Annunciation
You know the day, the month, even the year.
While Mary ate her noonday plate of soup,
The Angel Gabriel, like a heaven-hurled hoop,
Was bowling towards her through the atmosphere.
She watched him crash the window without fear
And enter through the hole in one swift swoop.
A lily in his fist, his wings adroop,
“Ave,” he said, and after that, “Maria.
Rejoice, because the Lord’s eternal love
Has made you pregnant–not by orthodox
Methods, of course. The Pentecostal Dove
Came when you slept and nested in your box.”
“A hen?” she blushed, “for I know nothing of–”
The Angel nodded, knowing she meant cocks.
10:35 Publié dans Lect(o)ures, Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
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