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jeudi, 12 février 2015

Fraudeur (Eugène Savitzkaya)

Fraudeur, le nouveau roman d'Eugène Savitzkaya – qui avait continué à donner de ses nouvelles depuis Fou trop poli, en 2005, mais par sauts et gambades – est, à mon avis, un de ses plus beaux. Le narrateur y suggère à trois reprises la possibilité d'une lecture à haute voix, ce qui m'a conforté dans mon rapport charnel à cette écriture : je ne lis jamais un roman de Savitzkaya sans succomber pendant au moins une dizaine de pages à cette tentation du gueuloir.

Le lecteur familier de cette œuvre singulière y sera en terrain connu, en apparence du moins, car il y retrouve l'attention tout à fait particulière que porte l'écrivain aux goûts, aux saveurs, aux couleurs, à la terre et aux végétaux, à tout ce qui n'est généralement pas écrit, les sécrétions, les évidents secrets du corps ; toutefois, à la suite de vignettes ou d'excursions matérialistes des précédents récits, Savitzkaya substitue un récit orienté dans deux directions opposées. Pris entre le fou (double déjà identifié de l'auteur) et « l'adolescent de quatorze ou quinze ans », le texte reprend, de manière presque opaque, indiscernable, la structure dialogique et éclatée de récits autobiographiques rétrospectifs tels qu'Enfance de Sarraute ou Lambeaux de Charles Juliet.

 

Dans ce dispositif déjà en partie déceptif, alors que le lecteur se trouve pris dans la remontée vers une identité familiale paternelle slave/ukrainienne, il ne peut manquer de s'attendre à un renforcement croissant du motif de la mère malade dans la chambre empestant les bananes trop mûres ; or, les derniers chapitres de Fraudeur finissent par détourner le récit de son cours rétrospectif, autobiographique, mémoriel pour se concentrer sur la course de l'adolescent, sur sa maraude furtive – laquelle donne, de biais, encore, son titre au roman – qui lui fit, incidemment, à l'à-pic d'un bouleau nommé Sorcière, frôler la mort. La figure de la mère (disparue, comme par un clin d'œil à un autre immense roman de Savitzkaya, La Disparition de maman ?) a déserté le roman.

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