mardi, 26 août 2025
26082025 (La Môme — ou l'infantilisation d'une artiste ?)
Hier, nous avons regardé La Môme, le film d’Olivier Dahan dans lequel Marion Cotillard interprète (excellement, avec l’aide de costumières et maquilleuses au sommet de leur art aussi) Édith Piaf. Je connais très mal Piaf, dont, tout en l’admirant de fait et en reconnaissant son importance dans l’histoire de la chanson, je me lasse très vite : autrement dit, ça n’imprime pas alors qu’objectivement ce sont des chansons généralement bien écrites et bien interprétées.
J’ai peut-être déjà dit le mal que je pensais du genre biopic, qui est pour moi le genre cinématographique paresseux par excellence : il « suffit » de prendre quelques événements saillants, de faire des accroches entre la période où le sujet du film n’était pas célèbre et les périodes de célébrité, de mettre en avant quelques personnages-clés de l’entourage ou de relier la biographie à des épisodes majeurs de l’Histoire avec un grand H*, et la notoriété du ou de la protagoniste fait le reste. Ce biopic-là ne déroge pas : facilités d’écriture, de mise en scène, transitions lourdingues entre scènes séparées d’une trentaine d’années. Comme toujours (et c’est pour cela que c’est un genre paresseux, car un biopic est rarement mauvais ou ennuyeux**), on apprend pas mal de choses, surtout quand, comme je l’ai dit plus haut, on connaît mal la vie et l’histoire de Piaf.
Trois points m’arrêtent après avoir fait quelques recherches ce matin : le film met (un peu) à l’honneur la compositrice Marguerite Monnot, en rappelant – de façon imprécise, mais ce n’est pas un documentaire – qu’elle fut la compositrice d’un grand nombre de chansons de Piaf ; d’après l’article Wikipédia, un grand nombre de chansons de Piaf n’ont jamais été enregistrées, qu’il s’agisse de chansons écrites pour d’autres ou de chansons qu’elle a elle-même chantées lors de répétitions etc. ; enfin, l’invisibilisation la plus choquante, en fin de compte, et que le film scelle, c’est que Piaf était elle-même autrice d’un grand nombre de textes, ce que j’ignorais.
Dans le film, le personnage interprété par Cotillard est une sorte de génie vocal total, porté par une passion dévorante et un sens impulsif de l’interprétation, et qui interprète les textes des autres, notamment de Raymond Asso, à ses débuts. Or, si on lit attentivement l’article WP (et je suppose qu’il y aurait d’autres sources pour approfondir tout cela), Piaf a écrit des dizaines de chansons, pour elle et pour d’autres. Pourquoi donc le film de Dahan – assez longuet, il faut le dire – ne montre-t-il jamais Piaf en train d’écrire ? Une seule exception, qui reste d’ailleurs mystérieuse : on la voit écrire le premier quatrain de L’hymne à l’amour sur un banc à Central Park. Rien d’autre sur ce moment très particulier : le jour où elle apprend la mort accidentelle de Cerdan, le film la montre déchirée et hurlant de douleur dans son gigantesque appartement new-yorkais, alors qu’elle avait, toujours d’après Wikipédia, écrit cette chanson dans le pavillon de Boulogne-Billancourt acheté avec Cerdan, et chanté la chanson en scène le soir même de l’accident d’avion du boxeur. Voici donc, d’après le film, une simple interprète, muse et Galatée ne s’animant que sous le génie créatif d’hommes ; or, c’est faux. Cette invisibilisation de Piaf en tant qu’artiste totale et autrice est quand même bien choquante.
* ... ce que Dahan évite d'ailleurs soigneusement... allez savoir pourquoi...
** Exception notable : le Rodin de Doillon, purge d'entre les purges.
08:19 Publié dans 2025, Tographe | Lien permanent | Commentaires (0)
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