dimanche, 11 décembre 2011
4111 / « Ergaphilos ressuscite dans Cagliostro »
Il me faut creuser un chronotope, ou plutôt l’écart entre deux chronotopes.
The century was a maze of crosscurrents. Il s’agit de souvenirs, d’une mémoire enfouie – la mienne – qui ne demande qu’à faire des incartades, des embardées. Deux moments distincts, semblables et si différents – d’humeur, de tonalité. Un peu comme ce que l’oreille perçoit en écoutant successivement Pétrouchka et Apollon Musagète.
Un vendredi, à onze heures du matin, en décembre, je conduisais une petite voiture gris métallisé, vieille et sale, et traversai le pont Wilson du sud vers le nord, quand j’aperçus une grande aigrette qui volait, sous un brouillard laiteux plus que poisseux, en descendant la Loire ; la certitude qu’il s’agissait d’une grande aigrette, et non d’une aigrette garzette, me vint immédiatement du fait de la taille et de la noble majesté de l’oiseau, alors que la garzette m’a toujours semblé recéler, dans son vol comme dans son nom, la plus absolue gracilité. En 1911, nous eûmes Pétrouchka, merveille d’entrain et de fraîcheur. Je ralentis, stoppai ma voiture en pleine voie, observai longtemps la grande aigrette s’éloigner lentement de son vol chaloupé – jusqu’à réagir aux klaxons furibards et à reprendre ma course, du sud vers le nord.
Un lundi – était-ce le lundi suivant ? c’est que ma mémoire ne parvient pas à déterminer avec certitude – , à neuf heures quarante, je traversai le pont Mirabeau du sud vers le nord, au volant d’une berline noire presque neuve mais éraflée et cabossée sur tout le flanc droit, et, ne voyant aucun oiseau, sous un ciel aussi bleu que celui du vendredi – du vendredi précédent ? – était cotonneux de brume épaisse, me régalai du spectacle des îlets sur la Loire enfin débarrassés des étalages de boue sèche qui leur avaient servi d’écrin douteux tout au long de l’été, tout au long de l’automne. The century was a maze of crosscurrents.
Ce qui me rend fou, c’est de ne pouvoir croiser vraiment – ou subsumer – les deux moments, un peu comme l’on entendrait, si l’on diffusait en même temps, sur deux chaînes stéréo placées dans la même pièce, un enregistrement de Pétrouchka et un enregistrement d’Apollon Musagète, une épouvantable cacophonie.
10:50 Publié dans Une année de 398 jours | Lien permanent | Commentaires (0)
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