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mercredi, 31 août 2016

Elisa Shua Dusapin :::: Hiver à Sokcho

D’emblée, le nom de l’écrivaine a surpris — en voyant passer ce livre sur le “mur” d’un ami libraire, puis sur les tables de la librairie où j’ai mes habitudes. Cette jeune femme a donc double nom, penchant du côté coréen et du côté français (avec l’énigme possible d’un lien avec le compositeur). D’autre part, je suis souvent attiré par les romans dont le titre contient un toponyme aux sonorités efficaces (Mon double à Malacca, tiens, pour n’en citer qu’un).

Hiver à Sokcho est un récit presque traditionnel, qui rappelle un certain nombre d’histoires, notamment cinématographiques, sur la rencontre timide de deux étrangers dans un lieu “hors circuit”. Il évite totalement les écueils des histoires Orientale/Occidental : bien que Yan Kerrand, au nom plutôt breton, s’identifie apparemment à la Normandie et aux bocages*, et bien que la narratrice multiplie les références à la culture coréenne, culinaire notamment, aucun des deux personnages n'a d'identité nationale assignable ou réductrice.

Dans un style parfois âpre, parfois plus délié, non sans abuser ponctuellement des phrases nominales ou de séries de phrases brèves, Elisa Shua Dusapin tourne autour de ces deux personnages dont l’opacité constitue la trame du roman. Que “le Français” soit un auteur de bande dessinée n’a rien d’un gimmick, tout d’abord parce que cela permet de caractériser cet homme en profondeur, de lui donner une véritable épaisseur de personnage, mais surtout car cela vient en écho à la prose très visuelle d’Elisa Shua Dusapin, une prose qui joue beaucoup sur le trait, sur l’esquisse.

Par-delà les figures que dessine, par exemple, le rapport de la narratrice – et de son entourage – à la cuisine et aux codes culinaires coréens, le roman raconte, en abyme, comment le lecteur même découvre cette jeune femme et ce qu’il lui est loisible de voir en elle.

J’avais senti le changement dans son regard. Au début il ne me voyait pas. Il avait remarqué ma présence comme un serpent se glisse en vous pendant vos rêves, comme un animal de guet. Son regard physique, dur, m’avait pénétrée. Il m’avait fait découvrir quelque chose que j’ignorais, cette part de moi là-bas, à l’autre bout du monde, c’était tout ce que je voulais. Exister sous sa plume, dans son encre, y baigner, qu’il oublie toutes les autres. Il avait dit aimer mon regard. Il l’avait dit.

(Hiver à Sokcho. Zoé, p. 120)

 

Une jeune écrivaine très prometteuse, à découvrir, puis à suivre.

 

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* À ce propos, le nom du peintre Claude Monet est orthographié à deux reprises “Monnet” (p. 70). Quand on dit qu'il n'y a plus de relecteurs dans les maisons d'édition...

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