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dimanche, 09 octobre 2016

▓ what is in store ▓

 

Si je devais consacrer de nouveau, comme pour ma thèse, une longue étude à l'œuvre de Nuruddin Farah, je pense que je travaillerais sur la notion de suspens (peut-être aussi sur la transgression, mais c'est une autre histoire).

Au tout début de Knots (un des trois romans de Farah inédit en français — il s'agit du deuxième volet de la troisième trilogie, Past Imperfect), Cambara, la protagoniste, vient d'arriver à Mogadiscio et, tout en semblant se méfier, voire se défier, de son cousin Zaak, en particulier à cause de l'haleine et des problèmes dentaires de ce dernier (autre histoire aussi, sujet d'un futur billet), est réticente à répondre à la question initiale : Who do you blame ? Cette question de la responsabilité, déjà centrale dans le dernier chapitre de l'essai sur les réfugiés (Yesterday, Tomorrow), renvoie à ce que Nuruddin Farah nomme la culture de bouc-émissarisation (blamocracy). Ici, Cambara refuse de trancher dans l'urgence :

 

She is in no mood to answer such a question early in her visit, not until she comes to grips with the complexity of what is in store for her.

(Knots, Riverhead, 2007, p. 3)

 

Cette phrase qui s'articule autour d'une négation répétée (no mood... not until...) peut être interprétée comme une notation métafictionnelle : la question de Zaak (‘Who do you blame?’) recevra(it) sa réponse au cours du roman. Là où le monologue intérieur de Cambara parle de visite, le lecteur entend récit : il est trop tôt dans le récit pour prendre pleinement la mesure (come to grips) de la complexité de la situation ( = de l'intrigue, du roman, de l'idéologie amenée plus qu'assénée).

Le sort éventuel du personnage (what is in store - catachrèse qui introduit le motif du commerce, et redoutable à conserver en français) s'inscrit dans le texte de ce premier chapitre comme une annonce en suspens, une prolepse ouverte (not until).

La prolepse n'est pas l'autre nom du suspens ; sur le plan narratif, elle en est une des formes.

 

Quatorze saints du 9 octobre

Un adolescent, Andronic,

Etait hypermégabionic.

Il passait, en jeux vidéo

Et en "dam dam déo",

Tout son fric, que sa mère claque en gin tonic.

 

█▄█

 

Une infirmière, Athanasie,

Est fort férue d'euthanasie.

Tous ses patients redoutent

La voir au compte-gouttes

Et tombent muets d'aphasie*.

 

○◙◘

 

La belle et farouche Austregilde

N'a pas, dans son prénom, de tilde.

(Tilde est masculin :

Certes, c'est malin

De changer de sujet pour omettre Austregilde !)

 

█▄█

 

Ton prénom, Deusdedit,

J'ignore comment il se dit :

Rime-t-il avec bite

Ou avec ici-gît ?

Tu n'existes pas, c'est heureux, Deusdedit !

 

○◙◘

 

En fumant des pétards, Didyme

Aime danser sur le ridyme.

Il est Marseillais

— Celui qui me plaît —

Et en a assez des rimes à vingt centymes.

 

█▄█

 

Un de mes voisins, Diodore

Chante tout le jour Je me dore

Et La nuit je mens.

Porcaire de dire : « Vraiment ?

N'y a-t-il pas d'autre air à pousser sur la mandore ? »

 

○◙◘

 

« Ton problème, Diomède,

C'est que tu chantes de la mède ! »

Porcaire n'en peut plus,

Et il aurait fallu

Pour mes pieux limericks aussi un intermède !

 

█▄█

 

Immense, colossal, Domnin

A un port altier, léonin.

« Ce que je déteste,

C'est lorsque quelque peste

Pour se moquer de moi me surnomme l'homnin. »

 

○◙◘

 

À tue-tête Gemin

Chez lui chante Long, long chemin.

« Où que tu ailles,

Dit Porcaire, mais que tu brailles

Ailleurs ! Bordel, c'est inhumin ! »

 

█▄█

 

Un vieillard bien pervers, Goswin,

Collectionnait des photos d'Élodie Gossuin.

C'est à son regard vitreux

Qu'on connaît le libidineux,

De même que le porc au suint.

 

○◙◘

 

Un Scandinave nommé Olle

Habite chez moi : pas de bolle !

Les meubles, depuis qu'il est a-

Rrivé, ont viré Ikea —

Même mon verre, mon couteau, ma casserolle !

 

█▄█

 

Ce que l'on sait de Ppublia

C'est qu'un jour elle ou-oublia

De signer son non-nom :

Toucher du popognon ?

Heureusement que l'État conconcilia.

 

○◙◘

 

Le facteur du quartier, Savin,

Aime excessivement le vin.

Pour ça, pas mal de lettres

Ont bien pu disparettres :

Savin est un vrai sac à vin.

 

█▄█

 

Un zoologue, Théofroy,

Ne ressent pas vraiment le froy.

Il ne fait pas plus chaud

Qu'il observe un manchaud

Ou un ouistiti de Geoffroy.

 

 

* Oui, c'est un pléonasme.

L'algorithme & la prégnance

loaded.jpg

Je pense avoir deviné une partie de l'algorithme utilisé par l'application qui génère des nuages de « mots les plus employés sur Facebook ». En effet, je ne l'avais pas mise en route depuis longtemps, et j'ai été surpris de voir apparaître le mot loaded, que je ne pensais pas avoir employé du tout.

Une brève recherche des occurrences de loaded sur mon mur m'a prestement fourni la réponse : j'ai publié en tout et pour tout, depuis 2008, un seul texte incluant ce mot. C'était il y a quatre jours (donc le générateur de nuages privilégie des publications très récentes), dans un pastiche de Gertrude Stein que j'ai publié in extenso, et qui, pastiche de Stein qu'il est, joue sur la répétition des mots et des structures de phrase (donc le générateur de nuages se laisse influencer par une forte répétition dans un seul statut).

Je livre, pour l'occasion, le texte de Robert Duncan imitant Gertrude Stein :

This is the poem they are praising as loaded

This is the poem they are praising as loaded. This is as it is loaded and thrilling. Loaded with death's kingdom which is meaning. Loaded with meaning which is gathering the former tenants. Loaded with the former tenants speaking which brings weeping and fulfilling. Loaded with fulfilling which brings crises and then wealthy associations. This is the poem loaded up without shooting which is an eternal threatening.

The sadness of the threatening makes a poem in the poem's increasing. This is not an increasing in mere size but a more and moreness of pressure and precedence. An explosion that does not come but makes a partial exposure as a disclosure that substitutes for its period.

This makes an imposing poem, an imposter pretending to be what he really is, makes a great poem in collecting. This is the passing of the collection face. An anthology of human beings. A loaded folding up in which history is folded.

Robert Duncan

from "imitations of Gertrude Stein 1953-1955"
in Derivations: Selected Poems 1950-1956
[London: Fulcrum Press, 1968]