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mercredi, 04 janvier 2006

In the mood for translation (Lost in love)

A deux jours d’intervalle, le 30 décembre et le 1er janvier, nous avons vu deux films, qui, en leur temps, il n’y a guère, firent grand bruit et que nous n’avions jamais vus : In the mood for love de Wong Kar-wai, sorti en 2000, et Lost in translation, de Sofia Coppola, sorti en 2003. Ces deux films ont soulevé l’enthousiasme de nombreux cinéphiles, et de plusieurs de nos proches : il semblerait d’ailleurs que les amateurs du premier aient également « craqué » pour l’autre. De fait, ces deux films sont voisins, au moins dans leur refus de filmer la passion assouvie. Ce sont, de manière assez différente, des films qui ont pour sujet la rencontre de deux êtres qui se prennent, l’un pour l’autre, d’une passion progressive, forte et brûlante, mais à laquelle ils ne succombent pas.

Chacun de ces deux films a ses réussites, incontestables, mais il m’a semblé qu’il était exagéré de les avoir pareillement porté aux nues. Ce sont, en un sens, de petits films. J’entends par là, non des films de deuxième zone ou dénués de talent(s), mais des films qui manquent d’ambition : une histoire simple, traitée de manière extrêmement académique, voire conformiste (pour Lost in translation), ou précieuse (pour In the mood for love). Dans l’un et l’autre, la fin est ratée : conventionnelle et banalement « romantique » pour le film américain ; d’un mysticisme new age bien pénible dans le film taïwanais. Célébrer ce genre de films moyens montre bien combien notre époque se méfie de l’ambition, de l’élévation : rien de sublime là-dedans. Bien entendu, le sublime court le risque de l’emphase, du ridicule, ou du ratage ; mais, à tout le moins, les artistes qui choisissent de telles voies prennent des risques. Rien de risqué dans Lost in translation ; pas la moindre corne de taureau à l’horizon ; c’est gentillet.

Là s’arrête la comparaison entre ces deux films, d’ailleurs : l’un des deux est nettement meilleur que l’autre, parce que Wong Kar-wai, même avec ses excès, est un véritable artiste, un cinéaste qui donne un sens profond à chaque cadrage, alors que la fille Coppola n’a guère hérité de la vista paternelle : cadrages fades, plans ternes, direction d’acteurs très inégale. Je pourrais ajouter   – pour ne rien celer de ma réaction –   un certain agacement, de ma part, à regarder ce film qui se moque, pas si gentiment que cela, des Japonais : il semble que la passion ne puisse naître, dans cet hôtel, qu’entre deux Américains, parce que les Japonais sont minuscules et ridicules. Jamais la morgue ou l’ignorance culturelle des Américains ne fait l’objet d’une semblable satire. Que la critique française se soit montrée, dans mon souvenir, aussi unanime sur ce film aux relents xénophobes montre bien que l’antiracisme est, en notre pays, bien sélectif : tout film qui se livrerait à de semblables clichés sur les Israéliens, les nord-africains, voire, plus généralement, les Juifs ou les musulmans, serait descendu à boulets rouges. Être mesquin ou ignorant vis-à-vis des Japonais, voyons, ce n’est pas du racisme, me dira-t-on… Il y a quelques années, le succès du roman d’Amélie Nothomb, Stupeur et tremblement, avait manifesté la même absence de gêne des critiques et des lecteurs vis-à-vis de ce recueil ambulant de clichés et de lourdeurs xénophobes. Vous me direz peut-être que le vrai crime d’Amélie Nothomb, c’est d’écrire comme un pied gangréné, et là, je vous donne raison.

Pour en revenir aux deux petits films, je ne pourrais clore cette note ô combien lacunaire et subjective sans dire que, par un autre hasard tout aussi frappant, j’avais en tête, pendant ces journées, la chanson de Moby, We’re all made of stars. Il se trouve que, par ses paroles mais aussi son esthétique, cette chanson ferait, pour ces deux films, une illustration sonore très pertinente. C’est peut-être, les cimentant ensemble, cette chanson qui relèvera, dans mon souvenir, ces deux œuvres, si décevantes par ailleurs. In the mood for love et Lost in translation sont des films sur le désir amoureux – or, sans triangulation, pas de désir !

Ajout du 6 janvier : après discussion avec Arbor, je tiens à rapporter son interprétation, qui souligne combien les clichés ethnocentristes émanent surtout du personnage principal, désorienté et presque incapable de faire un pas vers les autres, lui-même cliché ambulant de l'Américain buveur de whisky. Il me semble toutefois que les clichés évidents liés à l'identité américaine font l'objet d'une distanciation ironique de la part de la cinéaste, notamment dans les scènes de filmage ou de photographie des publicités pour le whisky, justement. En revanche, les Japonais restent des étrangers sans profondeur, massés en vrac, indistincts, sans individuation. Il est possible de voir, comme Arbor, cette indistinction comme le fait du personnage principal, incarné par Bill Murray - mais je me demande si ce n'est pas là un moyen assez commode de "sauver" le film en lui refusant par principe tout dérapage idéologique. Enfin, peu importe... je ne suis pas pour qu'on relance la chasse aux sorcières, même contre les xénophobes.

(Arbor, tu as le droit de formuler ton interprétation mieux que je ne l'ai ici résumée et trahie, certainement.)

11:35 Publié dans Tographe | Lien permanent | Commentaires (4)

Commentaires

Bon, c'était sweet au début mais je sens que ça devient sour par ici alors un dernier mot et je me sauve. Je partage ton avis sur Lost in Translation et encore plus sur le tissu de clichés dans roman d'Amélie N. Pour ce qui est de son manque de talent, je ne suis pas aussi sévère que toi. Là où vraiment je trouve que tu as une vision très réductrice (réduite?) du désir c'est quand tu écris "... sans triangulation, pas de désir !" Ca c'est honteusement cliché.

Écrit par : Désirette | mercredi, 04 janvier 2006

C'était un peu facile, je le concède. Mais, justement, c'était pour la chute : donc, j'étais tout à fait conscient du cliché (psychanalytique en l'occurrence) et je jouais sur ce cliché pour ma pirouette finale.

Écrit par : Guillaume | mercredi, 04 janvier 2006

J'avoue avoir du mal à comprendre ce que vous reprochez à "Lost in translation". Que ce ne soit pas un chef-d'oeuvre, je le concède, ce n'est pas sublime, soit! Mais c'est quand meme pas mal vu!

Bon, je sais que je ne peux pas être impartial : il se trouve que j'ai vécu tres longtemps à tokyo et précisemment dans le quartier où se passe le film : "shinjuku". L'hotel meme, je le connais, je l'ai vu en train de se faire construire et j'y ai donné une soirée d'adieu dans le salon bar où l'acteur en perte de vitesse s'envoie whisky sur whisky et la chanteuse en plus.

Desolé, mais si les Japonais sont montrés comme petits, c'est qu'ils sont petits. La scene dans l'ascenseur ou le Gaijin dépasse tout le monde d'une tête, j'ai vécu ça tous les jours, le serieux et l'air un tantinet "constipé" que les nippons ont dans de tels endroits est parfaitement bien reconstitué. Les Japonais utilisent bcp les hotels de haut standing pour des cérémonies importantes (mariages, etc...) et lors des ceremonies, les Japonais sont cérémonieux! Après, c'est autre chose, vous pouvez me croire ( j'en ai des souvenirs émus)

Je pense, au contraire que Sofia Coppola s'est très bien tiré de l'exercice et qu'il y a très peu d'erreurs. Elle n'est pas tombée dans les clichés faciles et a bien vu ce qui se passe dans les milieux gaijin. Le seul reproche que je ferais, c'est qu'elle aurait dû mettre des sous titres au moment où le photographe engueule l'acteur lors de la séance de photos. Ce qui était drôle pour moi c'était la traduction plus que bidon qu'en faisait l'interprète! D'où incompréhension entre les deux. Et ça, je peux vous assurer que c'est souvent le cas!

Personnellement je n'y vois aucun racisme. Ma femme non plus et elle est japonaise. Elle trouve meme que c'est un des rares films occidentaux où l'on ne se moque pas des Japonais ( Pire exemple : Rising Sun, toujours d'après ma femme - Ma fille, [franco-japonaise] a adoré "Lost in Translation").

JE sais que je suis partial, car quand j'ai vu ce film, j'ai revu 20 ans de ma vie, il m'est donc difficile - non, impossible - d'avoir du recul.

Je vais m'arrêter ici car je pourrais parler de la vie au Japon pour un gaijin pendant des heures et des heures, et ce n'est pas le but de votre note.

Je dois ajouter que je suis en accord total avec vous sur le livre d'amelie nothomb. D'ailleurs je n'ai pas pu le finir tellement il était plein, lui, d'exagérations et de parti pris, bien que certains détails soient bien vus.

Il ne faut pas oublier que si Nothomb a vécu au Japon, elle a vécu dans les ambassades, et cela se voit. Aucune personne ayant vécu au Japon et sachant parler le japonais ne se serait comporté comme le personnage principal de Stupeur et tremblements.

Si ça vous intéresse, on pourrait revoir ce film ensemble - je l'ai sur mon disque dur - et le décortiquer. J'aimerais vous faire changer d'avis, mais peut être que ce sera vous qui me ferez changer d'avis, qui sait? En tout cas, ce serait intéressant.

Écrit par : zorglub | vendredi, 06 janvier 2006

L'essentiel de mes reproches ne portait pas sur cet aspect, plutôt subjectif. Vous avez sans doute raison, car je suis tombé dans le travers, qui me hérisse au plus haut point chez les autres, de voir de la xénophobie partout pour justifier autre chose.

Je maintiens qu'il y avait, de mon point de vue, accumulation de clichés.
Mais j'étais sans doute influencé par d'autres oeuvres, et par ce que je n'aime pas dans le film : son esthétique de téléfilm, la facilité du sujet et du dénouement.

Considérons que vous m'avez d'ores et déjà convaincu.

Écrit par : Guillaume | vendredi, 06 janvier 2006

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