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dimanche, 23 mars 2025

23032025

Demain, ma grand-mère aurait eu 98 ans ; elle ne sera pas allée jusque-là

Il y a très longtemps que je n’avais pas fêté son anniversaire avec elle le jour J : la date est, de fait, plus compliquée que pour mon grand-père, qui était né un 17 juillet et dont nous avons soufflé les bougies assez régulièrement (parfois, nous étions en voyage, bien sûr).

Jeudi, mes parents ont encore passé une après-midi à ranger, nettoyer, faire du tri. Je n’ai pas osé demander si la vente de la maison avançait : ce sera un grand soulagement pour ma mère quand ce sera fait.

 

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samedi, 22 mars 2025

22032025

Ce n’est même pas un « réflexe de bon élève » : j’ai passé trop de temps à lire/parcourir le livre de François Ost, dont j’ai rapidement vu qu’il relevait des ouvrages très abstraits, très généraux, très philosophiques au fond, sur la traduction, mais dans lequel je me suis dit que j’allais éclaircir tel point, glaner telle référence, souligner telle analyse. Il faudrait que j’apprenne à foncer. Au demeurant, il revient quatre fois au moins sur les deux ou trois sens possibles de Aufgabe dans le titre du célèbre essai de Benjamin, et sans jamais dire tout à fait la même chose, ni approfondir. Une dinguerie.

Après-midi : manifestation terne, sous la pluie, peu de monde.

 

20:01 Publié dans 2025 | Lien permanent | Commentaires (0)

vendredi, 21 mars 2025

21032025

Dans mon poème de ce matin, j’ai employé le verbe apiter dans le sens de « placer en hauteur, à un endroit difficile à atteindre ». J’admets que je ne crois pas avoir entendu qui que ce soit d’autre que mon épouse, ou, avant elle, son père, employer ce verbe. Je me suis amusé à inclure, dans le poème, le fait que le correcteur orthographique de Word ne le connaît pas, et le souligne donc de son immarcescible vaguelette rouge.

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Une fois le poème écrit, je suis allé vérifier, par acquit de conscience, s’il y avait des sites qui répertoriaient cet usage que j’imagine régional. Eh bien, les dictionnaires consultés donnent tous apiter comme synonyme désuet et régional d’apitoyer. Le plus aberrant est qu’un de ces dictionnaires (cf ci-contre) donne cette même définition, avec une citation qui ne correspond pas du tout : ici, on comprend qu’apiter veut dire entraver (peut-être avec un morceau de bois ?).

 

apitat.PNG

 

La réponse est venue, comme souvent, de mon exemplaire du précieusissime Dictionnaire gascon-français de l’abbé Vincent Foix, rédigé entre 1885 et 1932 par le curé de Laurède, dans les Landes, et resté à l’état de manuscrit (abîmé d’ailleurs) jusqu’à ce qu’une poignée de vaillant·es linguistes du Centre d’Étude des Cultures d’Aquitaine et d’Europe du Sud ne décident de l’éditer et de le publier (Presses Universitaires de Bordeaux, 2003) : tout autant que le nom de Vincent Foix, les noms des quatre responsables de projet méritent d’être cités : Paule Beterous, Michel Belly, Jacques Plantey, Pierre Leste.

Or donc, à la page 26, on y trouve le verbe apita (apitra du côté de Labouheyre) : dresser, mettre sur… et l’adjectif apitat, ade : dressé, perché sur. C’est donc bel et bien un régionalisme (gascon) de dire que les tourterelles sont apitées sur la poutre au-dessus du perron. Vincent Foix cite d’ailleurs, pour illustrer l’adjectif, ce qu’il nomme un proverbe et qui semble davantage être une sorte de comptine :

Jule

Apitat sus uoü mule

Le mule que pren lou galop

Jule qu’es coupe lou cot

 

Guilhem, apitat sus libi

jeudi, 20 mars 2025

20032025

 

 

 

Deux mois sans faire de vidéo... et deux ans et demi sans faire de vidéo dans cette série...

Si vous voulez savoir ce que je vais lire dans les prochaines semaines pour mes projets de recherche, et si vous voulez savoir sur quoi porte mon gros projet commencé en septembre dernier, c'est ici.

 

mercredi, 19 mars 2025

19032025

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Ce matin, dans la salle de lecture de la salle 31, face au parapet donnant sur la Loire, j'ai lu la première nouvelle d'Ananda Devi, publiée dans un recueil de nouvelles de l'O.R.T.F. en 1973, et qu'elle a écrite à l'âge de 13 ans. Il serait faux de dire, par facilité, que « tout y est en germe », mais en tout cas l’écriture est là, ainsi que le refus de tout lyrisme complaisant ou de tout deus ex machina.

 

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C’était très émouvant de lire ce texte, ainsi, phrase après phrase, et assez émouvant aussi, peut-être, de voir cette nouvelle au milieu d’écrivains présentés comme “confirmés” et qui sont demeurés parfaitement inconnus…

mardi, 18 mars 2025

18032025

Rien écrit en fait, hier. (Ici, veux-je dire.) Me suis contenté de recycler un bref post Facebook, comme il m’arrive, mais peut-être que ce bref texte m’aidera à épaissir ma réflexion sur Profaner Ananda.

 

Là, je viens de terminer la quatrième partie, consacrée à Banjo de Claude McKay, de l’impressionnant ouvrage de Brent Hayes Edwards, Pratique de la diaspora [The Practice of Diaspora: Literature, Translation, and the Rise of Black Internationalism, 2003] traduit par Jean-Baptiste Naudy et Grégory Pierrot [Ròt-Bò-Krik, 2024].

Bon, d’abord, avant de dire des choses un peu plus intelligentes, je me débarrasse du trivial : eh, les copaines de Ròt-Bò-Krik, je vous adore, vous faites un boulot fabuleux, mais laissez tomber les op. cit. là. Les op. cit. ça clc modèle géant : j’ai passé cinq vraies minutes (c’est long, frère) à essayer de trouver la première référence à un texte de Claude McKay Un sacré bout de chemin, cité plusieurs fois dans le chapitre 4, sans jamais trouver. Alors je l’écris ici, car vous m’avez obligé à googler (les Gafam en plus, quoi, srsly) : Un sacré bout de chemin, réédition de la traduction par Michel Fabre d’abord parue aux éditions André Dimanche, ça se trouve chez Héliotropismes, et c’est sorti en 2022. Et franchement, remettre « Héliotropismes, 2022 » à chaque fois au lieu de op. cit., ça ne tuera personne. Les op. cit., c’est le fam, comme on dit en medumba (je fais genre, hein, juste parce que je lis Nganang depuis 25 piges : le fam c’est le diable).

 

Je vais poursuivre avec quelque chose d’un peu plus intelligent, d’un peu plus constructif surtout, j’espère.

Et donc, sans approfondir tout ce que je puise du livre de Brent Hayes Edwards, à partir de la note 3 du chapitre 4 (oui, celle où vous auriez pu référencer Un sacré bout de chemin, ah non, arrête avec ça maintenant) : Banjo: A Story without a Plot a été traduit deux fois, par Ida Treat et Paul Vaillant-Couturier en 1931, puis par Michel Fabre en 1999 ; Home to Harlem a été traduit deux fois, par Louis Guilloux en 1932, puis par Marie Brazilier et Romain Guillou (ça ne s’invente pas) en 2022, sous deux titres différents (Quartier noir vs Retour à Harlem). Il y a donc là, déjà, de quoi pas mal affoler les potentiomètres traductologiques.

Et il se trouve que, si j’ai un peu lu McKay en anglais jadis plutôt que naguère, je connais très mal la bibliographie autour de cet auteur majeur ; ma collègue Catherine Mazauric a organisé deux colloques avec la Banjo Society à Marseille, le plus récent en 2023, et c’est vers elle que je me tournerai si j’ai le temps d’approfondir cette question des retraductions (les retraductions sont autant dans ma ligne de mire que l’auto-traduction).

L’autre chose qui me frappe, c’est que deux romans ont été traduits deux fois, mais que d’autres textes de McKay restent non traduits en français, il me semble. Banana Bottom a été traduit en 1934, mais il y a sans doute à reprendre le chantier. Pour ce qui est d’Ida Treat, co-traductrice de la première édition français de Banjo, plusieurs sites indiquent erronément son nom comme Ida Trent. Il doit d’agir de la personne que le SUDOC référence comme TREAT, Frances Ida et que la BNF référence comme Ida Treat-Bergeret, car les dates de naissance et de mort sont les mêmes (1889-1978).

 

lundi, 17 mars 2025

17032025 (“un enfant d'âme”)

Il fallait donc aller plus loin que le deuxième fragment, et surtout que son excision épigraphique déceptive. Qui (est) profane, alors ? —— Ainsi dès le fragment suivant : « Les Meidosems ont encore bien d'autres façons fâcheuses de traiter leurs enfants d'âme. Il faudra en parler. Il n'y a guère d'enfants d'âme heureux. »

Guère.

“Guère” n'est pas “pas”.

Ensuite poursuivre jusqu'au seizième fragment, qui dit ce qu'est, pour Ananda Devi, l'écriture.

C'est là, dans La Vie dans les plis.

 

dimanche, 16 mars 2025

D'un (léger) traumatisme et du milieu éditorial

Hier j’étais au Salon du Livre Africain de Paris, l’occasion d’écouter des conférences, de discuter avec des maisons d’édition souvent pas diffusées en France, des libraires, de rencontrer enfin des personnes avec qui je travaille et échange depuis des années. J’ai raconté cela brièvement hier soir car c’est ce qui compte : les échanges, la beauté, l’avenir.  Pourtant, ce que j’ai absolument besoin de dire aujourd’hui, c’est quelque chose de négatif qui est “remonté”, une expérience traumatisante d’il y a une douzaine d’années. Je n’ai pas “envie” de raconter cela, mais il faut que je le raconte.

Je n’avais pas prévu de publier ce texte ici, mais la version restreinte sur Facebook a attiré, en quelques heures, 30 likes et une dizaine de commentaires (c’est énorme, à mon échelle). Cette histoire est édifiante pour dire la façon dont le milieu éditorial peut briser des projets, des envies, et sans doute des carrières, et vous en lirez donc ci-dessous la version « publique » (donc sans les noms des personnes [les initiales L. V.-D. et F. G. signifient le vieux dégoûtant et foutu gougnafier, donc ne permettront pas de deviner de qui il s'agit]).

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En 2008, ayant découvert que plusieurs romans d’Amos Tutuola n’étaient pas traduits en français (ils ne le sont toujours pas), je décide de monter un dossier de traduction pour mon préféré, The Witch Herbalist of the Remote Town. Je traduis trois chapitres, je fais une présentation de Tutuola, une biographie, un argumentaire sur la réception de Tutuola en France et sur la certitude que j’ai que ce texte trouvera un large public. Puis, je contacte par mail L. V.-D., le directeur d’une collection dont je n’étais pas ultra-fan mais dans laquelle un projet Tutuola me semblait pouvoir s’insérer.

Réponse de L. V.-D., qui me dit en somme qu’il n’a aucun pouvoir, notamment sur les textes traduits, que pour un tel projet il n’a pas possibilité de décider, que ça doit passer par M. F. G., responsable du secteur de la littérature étrangère de la maison d’édition, et qu’il me représente comme l’homme qui fait la pluie et le beau temps. F. G. n’a pas de mail (ou plutôt son mail reste incommunicable à des béotiens dans mon genre), donc il me donne l’adresse postale en me recommandant, vu que l’ouvrage est épuisé en anglais, d’en joindre un exemplaire à mon dossier de traduction.

Ce que je fais aussitôt. Six mois passent, pas de réponse ; je relance donc F. G., toujours par voie postale. Rien. Deux mois passent ; je relance L. V.-D., qui me répond qu’il va se renseigner. Quelque temps plus tard, j’envoie une lettre à F.G., ce dont j’avertis L. V.-D., indiquant que je comprends que le projet n’intéresse pas leur maison (une année a passé entre-temps) mais que je souhaiterais récupérer mon exemplaire (il m’avait coûté pas loin de 40 euros en occasion).

Bien entendu je n’ai jamais eu de réponse.

Il y a quatre ans, voyant soudainement apparaître le nom de F. G. sous un post facebook, je l’interpelle en lui disant que je suis d’accord avec son commentaire (je ne sais plus de quoi il s’agissait, mais j’étais de fait d’accord) et que je me réjouis de le trouver sur ce réseau alors que je garde un très mauvais souvenir de notre seule interaction (or lack thereof). A sa demande, je lui explique ce dont il retourne, à la suite de quoi il me présente ses excuses via Messenger et m’explique ce qui a dû se passer (explication qui n’a aucun rapport avec la situation), même si, dit-il, il n’a aucun souvenir. Il m’explique ensuite comment tenter de récupérer mon livre, même s’il ne travaille plus dans la maison d’édition en question. Il va de soi que je n’ai pas répondu à un tel foutage de gueule : le type a reçu trois LETTRES de moi (des envois postaux, dont le premier avec un livre dont j’expliquais qu’il était difficilement trouvable et donc précieux) et il n’en a aucun souvenir ?

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Ce que je veux dire ici, c’est que, suite à cette histoire, j’ai totalement renoncé à déposer des projets de traduction. Il a fallu que je sois contacté par un ami écrivain et éditeur pour me lancer dans la traduction d’un livre de Ngugi wa Thiong’o en 2015 (le projet ne s’est pas fait mais ça m’a fait plaisir), puis par Albin Michel en 2021 pour traduire l’ouvrage d’Olivette Otele (à la demande de l’autrice) pour que je sorte de ma torpeur.

Après cette histoire avec MM. L. V.-D. et F. G., j’avais décidé que, n’ayant (fort heureusement) pas besoin de vivre de la traduction, ayant un métier, j’allais me consacrer à 200% à ce métier-là. J’ai donc continué à traduire dans les années 2010, surtout de la poésie, que je partageais sur mon blog (autant dire pour moi seul, donc), tout en me félicitant de ne pas avoir eu besoin de tournicoter dans ce panier de crabes que me semblait être l’édition.

Je raconte cela car j’avais besoin de le raconter, comme je l’ai dit en préambule. Mais c’est aussi pour dire qu’en entendant pérorer hier le fameux L. V.-D., j’ai bien compris que, si j’avais traîné dans les cocktails ou les festivals littéraires à Madrid ou Valparaiso avec ce monsieur, ou si j’avais contacté F. G. via je ne sais quelle cousine germaine de Jack Lang, le projet se serait fait. Je n’en veux nullement à ces deux messieurs pour m’avoir découragé de solliciter des maisons pour des textes encore très largement inédits en français quinze ans plus tard ; par contre, je ne peux m’empêcher de penser qu’ils ont dû en briser, des carrières. Et cela me met dans une très grande colère.

 

samedi, 15 mars 2025

15032025 (Salon du Livre Africain)

Magnifique journée au Salon du Livre Africain, à Paris — malgré le temps glacial, l’effet de fourmilière dans la Halle des Blancs Manteaux, le fait de venir en voiture à Paris pour la première fois depuis fort longtemps (mais il n’y avait guère d’autre solution, et finalement ça s’est bien passé).

 

Je noterai seulement qu’accompagné de Claire et de mon collègue et ami Bernard de Meyer j’ai pu assister à deux conférences intéressantes : la lecture musicale du conte écologique mahorais Gombessa le sage (aux éditions Project’Îles) et la présentation de Profaner Ananda par A. Ferret et S. Tchak, avec (hélas) Jean-Noël Schifano. Beaucoup de discussions avec des maisons d’édition qui font toutes un travail passionné, acharné, opiniâtre, dont certaines dont je suis le travail depuis longtemps (Anacaona, Atelier des nomades, Dodo vole…) ou plus récemment (Ro-Bot-Krik). Outre les retrouvailles avec des personnes que j’ai déjà croisées, voire avec qui je travaille déjà (ou avec qui j’ai travaillé), j’ai pu discuter pour la première fois de vive voix (je récuse l’expression IRL car la discussion sur les réseaux est réelle) avec des personnes que j’admire et avec qui j’échange depuis parfois fort longtemps : Sami Tchak, Timba Bema, Raphaël Thierry, Jean-Pierre Orban, Jean-Baptiste Naudy – j’en oublie forcément, je complèterai la liste.

 

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Claire a pris, devant la Halle, cette photo que je trouve très réussie, avec Nassuf Djailani (dont je viens de lire la magnifique postface qu’il a écrite pour l’édition de poche des poèmes d’Ananda Devi chez Bruno Doucey) et Jean-Pierre Orban, avec qui j’ai échangé régulièrement autour de Ngugi wa Thiong’o. Plus tard, la soirée s'est achevée sur un moment assez pénible, quand un des organisateurs est venu annoncer que la conférence sur modernité et création au Cameroun était annulée car aucun des auteurs n'avait obtenu de visa, et quand, alors que je disais à haute voix qu'il fallait dénoncer publiquement les agissements du gouvernement français qui ne cesse de bloquer artistes et intellectuels du continent africain pour faire des courbettes aux fascistes, un monsieur bien bourgeois était outré, lui, d'avoir payé un ticket de métro pour rien... Si un réfugié venait, après sa noyade, rendre son dernier souffle à ses pieds, ce monsieur bien mis et si confit dans son racisme inconscient se plaindrait de ses chaussures abîmées.

 

Nous sommes rentrés chargés de livres et délestés de quelques billets… Grand bonheur aussi, d’avoir retrouvé, pour le déjeuner, nos amis Catherine et Philip, que nous n’avions pas revus depuis leur départ de Tours, il y a six ans. Il se trouve que Philip m’avait envoyé, il y a quelques jours à peine, la postface qu’il a écrite pour la traduction française, par Dominique Lanni, de la pièce de théâtre de Ngugi wa Thiong’o et Micere Githae Mugo, The Trial of Dedan Kimathi.

 

vendredi, 14 mars 2025

Profaner Ananda (Annie Ferret / Sami Tchak)

Il y a quelques semaines, j'ai découvert qu'allait paraître un ouvrage au titre presque énigmatique, Profaner Ananda. Même si j'étais en droit de douter qu'il s'agisse bel et bien de l'écrivaine Ananda Devi, l'identité des deux comparses embarqué·es dans ce projet, Sami Tchak et Annie Ferret, m’a vite dessillé les yeux. J'ai acheté le livre dès sa parution, la semaine dernière, intrigué plus encore par la quatrième de couverture sur laquelle figure une citation introductive d’Ananda Devi elle-même : « Ce livre est notre “enfant d’âme” à tous les trois, comme le dirait Henri Michaux. C’est la confluence ultime de nos trois écritures, de nos trois personnes, de nos trois corps. » Voilà un blurb qui a tout l’air d’un endorsement, validation par l’écrivaine elle-même, paraphe co-signant la profanation. Il faut dire que profaner la profanatrice (si tant est qu’on veuille lire ainsi l’œuvre certes transgressive et audacieuse de Devi) soit plus proche du poisson rouge tournant du bocal que de l’acte fondateur d’une nouvelle esthétique. On peut également voir dans ces deux phrases une reprise de contrôle : après tout, le prénom d’Ananda figure en plus hautes lettres que les noms des deux comparses Annie et Sami. Reprendre le contrôle, Ananda Devi a toujours su le faire, aussi vis-à-vis de Sami Tchak, n’est-ce pas, dans Les hommes qui me parlent, grand grand grand livre. Y a-t-il encore cannibalisme littéraire (ou littéral) quand on ne sait plus qui tient la fourchette ?

 

J’ai obtenu, avant même d’avoir lu le livre – et ce en dépit du fait que je me contrefiche habituellement des dédicaces qui me paraissent de simples contremarques – un mot d’Annie Ferret sur la page de titre, n’ai pas osé – quoique je l’aie suggéré en blaguant – demander à Devi elle-même d’apposer son sceau au même lieu, et verrai peut-être demain, au Salon du Livre Africain, Sami Tchak (que je n’ai jamais rencontré mais que je suis sur Facebook depuis bien longtemps), afin de lui demander le sien.

Entre-temps, j’ai lu.

Eh bien, sachez qu’Annie Ferret et Sami Tchak sont de fort mauvais↓0es professeur·es d'algèbre. Partant d'une équation à trois inconnues, iels ont produit un texte en forme de résolution qui multiplie les dédoublements de chaque inconnue : x’, y’, z’, x’’, y’’, z’’ etc. À la fin, bien sûr, on n'a pas seulement reposé la craie dans la glissière : on a dévissé le tableau noir, dont on sait qu'il est en fait vert bouteille, pour le décrocher du mur, ou l'en arracher. Il a fallu accepter que les inconnues deviennent connues, connaissance, sans révéler leur chiffre, et que ni craie ni tableau ne rimeront à rien ici. C'est qu'avec la profanation, on part forcément du fanum. Le cercle, c’est le fanum, pas seulement la marque de café sur la table en bois dont il faut sortir (p. 86), mais l'espace sacré réservé aux prêtres de la divinité. Si on profane, le système ecclésiastique voudrait nous faire accroire qu'on a violé la sacralité d'une divinité, alors que matériellement on a simplement marché dans le lieu réservé aux gardiens du temple. Et c'est amusant, vu qu'Annie Ferret et Sami Tchak se (re)présentent en proches, en intimes d'Ananda Devi : elle est loin d'être une inconnue, ils connaissent la personne avec ses livres.

Ce sont donc eux, les gardien·nes du temple, à cette aune. Et vu qu’Ananda n'est pas – iels s'assurent de jouer avec cela – divine, cela signifie donc que le texte est une invitation démocratique à toute personne à qui Ananda Devi n'est pas connue (pour qui Ananda Devi, en tant que personne, est une inconnue) à s'approprier le fanum, à y pénétrer, et à devenir regardien du temple. On ne garde plus, on regarde. En profanant, on s’avance, ce qui signifie qu’on prend d’autres perspectives. Autant de gardien·nes que de lecteurices des livres d’Ananda Devi : Sami Tchak et Annie Ferret se sont auto-dénoncé·es comme faux prêtres d'un culte véritable. Car le culte, c'est cultiver. Profaner = cultiver. En voici bien une autre (équation).

Annie Ferret et Sami Tchak se sont partagé le livre, à savoir que la première partie est de l'une, et la seconde de l'autre, dans des styles tout à fait distincts. J'avais d'abord pensé que les textes seraient mélangés, indiscernables sinon indissociables, mais il n'en est rien ; le sommaire, qui indique à la page 123 qui a écrit quoi, paraît bien superflu. Annie Ferret propose un dialogue entre deux Ananda qui réinvente – en le lyricisant – le modèle beckettien du couple impossible, mais elle le fait précéder d’un texte majeur, également, dans lequel je vois la première proposition selon laquelle la profanation naît ou naquit, au sein de l’œuvre de Devi même, d’une chambre d’échos infinie :

 « Cette folie a une origine bien définie. Elle a à voir, je dirais, avec un talent de ventriloque. Parce que ces personnages l'envahissent jusqu'à la submerger. Si on le lui demande, Ananda Devi avoue en effet qu'ils naissent en elle, et c'est vrai qu'ils l’habitent, que des voix s'écoulent de leur gorge à la sienne, des voix, afflux de sang et flot de vie, de mots, un discours souvent brutal ou violent et qui expulse en saccades les chapitres de leur existence torturée. » (p. 23)

 

Dans la fiction à tiroirs imaginée par Sami Tchak à partir de la nuit de Naples déjà narrée plusieurs fois, en particulier par Ananda Devi elle-même dans la postface des Fables du moineau de Sami Tchak (2019), on retrouve un dispositif vertigineux de cannibalisme littéraire auto- et hétérofictionnel dont on peut juger qu’il fait violence au personnage – qui sait, à la personne – d’Ananda Devi. Celle-ci l’a confiée en marge du festival Atlantide : « si j’avais été plus jeune, j’aurais refusé que ce texte soit publié tel quel, je crois ». Et pourtant, il m’a paru, que l’acte de révélation, d’exposition, le plus criant outing se trouve dans la partie du diptyque conçue par Annie Ferret (il faudrait citer toute la page 59, je ne le fais pas afin que vous alliez voir le livre par vous-mêmes).

Pour renvoyer aussi, sans les citer textuellement, à un ensemble de pages du volet Sami Tchak, je signalerai le quatrième de ses sept chapitres, qui s’intitule “De la postérité et de la lecture” (pp. 101-106). Ce long développement m'a paru extrêmement important, pour ce qu'il dit du rapport entre écriture et lecture, bien sûr, mais aussi parce que le style, le rythme et la modalité même de l'argumentation m'ont paru sous l'influence d’André Breton, pas forcément celui de Nadja, mais plutôt des Vases communicants, s'il faut distinguer. Il y a là une exigence critique et l'ouverture d'une faille qui suppose qu’en système de profanation/ cannibalisation, la parenthèse n'est jamais refermable. De même, le bilan ne peut jamais être un bilan ; il n'y a pas de clôture (p. 98).

 

Je clos ce billet très impromptu, et donc à rouvrir lui aussi, par un petit agacement : l’emploi, par Sami Tchak, de la métaphore de la ménopause pour parler du risque d’assèchement de la création. Et encore, si ce n’était qu’une métaphore, mais on y décèle plutôt une analogie, une mise en correspondance ; l’œuvre d’Ananda Devi, qu’on la profane ou pas, qu’on en soit ou non adepte (c’est-à-dire placé au plus près), nous enseigne, je crois, à faire autrement cas des corps féminins et de leur possible mise en texte, des risques de leur mise en scène en régime patriarcal.

 

Annie Ferret, Sami Tchak.
Profaner Ananda. Gallimard, Continents noirs, 2025.

 

jeudi, 13 mars 2025

13032025

Avant d’allumer l’ordinateur, ce matin, j’ai entrepris de rassembler tous les livres d’Ananda Devi que nous avons, afin de les rassembler sur une seule étagère : la plupart se trouvaient dans la bibliothèque des littératures africaines, antillaises et indocéaniques, mais il y en avait aussi cinq dans la bibliothèque de poésie bien sûr, et deux ou trois qui traînaient à des endroits épars. Il y en a un que je n’ai pas retrouvé, car je l’ai lu récemment : Le voile de Draupadi – pourtant un de ses premiers. Nous en avons donc vingt-deux, ce qui signifie que je vais commander les autres.

Par ailleurs, je me suis aperçu de deux choses très agaçantes hier. D’un : le nom d’une écrivaine dont j’ai lu quatre livres, l’un d’entre eux assez aimé pour que je le prête à deux personnes différentes, et que j’ai même rencontrée lors d’une lecture d’un de ses livres de poèmes dans une librairie, ne m’est revenu qu’en vérifiant la liste de mes contacts Facebook. De deux : dans un échange privé avec un écrivain, je me suis demandé ce que devenait Ali Zamir, qui n’a plus rien écrit depuis Dérangé que je suis en 2019 ; en effet, mon ami écrivain me dit qu’il n’a plus de nouvelles etc. ; or, ce matin, en farfouillant justement dans les étagères de la bibliothèque des littératures africaines, antillaises et indocéaniques, je tombe sur Jouissance, le quatrième roman d’Ali Zamir, paru en 2022, livre que – à ma décharge (il y a jeu de mots) – j’avais moins aimé que les précédents et qui ne figure pas dans sa bibliographie sur Wikipédia : si j’étais allé consulter le site de son éditeur, la mémoire me serait revenue.

Je pourrais ajouter un troisième agacement (ou serait-ce de l’inquiétude face au vieillissement) : toujours en farfouillant dans ces étagères qui auraient bien besoin d’être réordonnées, j’ai vu que j’avais lu pas moins de quatre livres d’un écrivain avec qui j’ai pris un verre à Nantes et dont j’aurais juré n’en avoir lu que deux, il y a longtemps certes…

 

mercredi, 12 mars 2025

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La saison printanière s’avance par petites touches : les pies ramassent des branches mortes dans la haie ; les pruniers arborent encore – malgré les averses qui ont jonché le sol de la terrasse – leurs milliers de petites fleurs blanches ; il fait jour à sept heures du soir ; le parfum ambivalent des troènes aussi est là dès qu’on met le nez dehors — et ce soir, en fermant les volets après Inland Empire, j’ai entendu le premier hérisson de l’année fureter dans le jardin, avec la discrétion propre à cet animal.

mardi, 11 mars 2025

Suite de l'enquête (et correctif)

Il y a deux semaines et demie, j'avais un peu réfléchi à (et à peine esquissé des recherches sur) une phrase de Pessoa traduite par Dominique Nédellec. N'ayant pas encore pu consulter l'ouvrage paru chez Cambourakis en 2011, j'ai reçu aujourd'hui un mail du traducteur lui-même, qui me transmet obligeamment toutes les informations.

La phrase originale, dont je maintiens — et je pense que cela restera le seul point de désaccord entre D. Nédellec et moi-même — qu'elle est étrange, se lit comme suit : « She had no sooner asked me this than I felt madness in my brain. »

 

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D. Nédellec m'informe par ailleurs que, si j'avais pu lire l'ouvrage, il s'y trouve une longue préface dans laquelle il explique qu'il a traduit les deux nouvelles à partir des manuscrits de Pessoa :

Pour la traduction de The Door, nous avons utilisé une copie du manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale du Portugal et la transcription qu’en a faite Jerónimo Pizarro dans le volume VII, tome II, de l’édition critique des œuvres de Fernando Pessoa, Escritos sobre génio e loucura (Imprensa nacional-Casa da Moeda, Lisbonne, 2006).

Le manuscrit original, fragmentaire, comprend plus d’une cinquantaine de feuillets dans un état d’achèvement inégal, avec des ratures, des incises, des espaces laissés vierges. La partie introductive du texte a été mise au propre à deux reprises, mais les versions conservées sont l’une et l’autre lacunaires. Leur assemblage permet néanmoins d’obtenir une reconstitution complète. Les variantes entre ces deux versions étant mineures, nous ne signalons en notes de bas de page que les plus importantes.

 

11032025

Je prépare enfin, mais trop vaguement, le séjour à Princeton, pour aller regarder concrètement ce que donne l’Urtext anglais de la trilogie de Patrice Nganang. Je copie-colle ici un échange électronique public  avec lui sur Facebook suite au billet « Pourquoi le français rend les langues bamiléké incompréhensibles » :

G. C. — Si je peux me permettre, Patrice, tu veux dire que dans le génitif, c'est la morphologie du nom qui est modifiée en allemand et en anglais : la morphologie, pas la nature. Par ailleurs (et tu me connais, je suis taquin (et puis ça me ferait une belle jambe, je suis germaniste)), pourquoi choisis-tu uniquement le français ici pour ces réflexions (passionnantes) sur le medumba ?

Plus sérieusement : je trouve que, si tu reprenais en livre l'ensemble des chroniques que tu as écrites (et que tu vas écrire) autour de l'histoire des transcriptions du medumba, l'effacement politique de cette langue, la nécessité de la remettre en pratique dans l'Académie sur WhatsApp, cela ferait un jalon important, pour le medumba, et dans ton œuvre. Je suis certain que Teham [son éditeur à Paris, NDLR] serait preneur aussi.

P.N. — Le français c'est juste un autre de ces accidents de l'histoire qui, ici, a fait perdre exactement cinquante ans à l'intelligence Bangangte.

G.C. — Tu bottes en touche pour le livre.

P.N. — Non, pas du tout. C'est digestif : nous sommes en train d'écrire des syllabaires, et de fonder des écoles de medumba. L'académie est pragmatique, et pas théorique.

Bon, je commence aussi ainsi à écrire des livres de fiction etc., en medumba, ça c'est clair.

G.C. — Tu es la personne moins bien placée au monde pour prétendre que la praxis empêche la théorie. Elle s'en nourrit et elle la nourrit. Il me semblerait primordial (et j'ai pesé l'adjectif) que ces billets ne restent pas difficilement trouvables, épars, dans les limbes de Facebook. Only my opinion.

P.N. — Je fais appel aux contributions des non-medumbaphones ici, mais comme tu sais, toute maison a plusieurs fenêtres

 

Dans mon fichier Chantier CRCT où j'ai aussi reproduit cet échange, j'ai ajouté cette note :

La praxis se nourrit de théorie et la nourrit. Tiens, un titre de chapitre ? L’axiome est transposable à l’étude que je veux mener sur le double (au moins) front traductologique et post-colonial.

 

lundi, 10 mars 2025

10032025

5 h 10

Ce rhume me flingue une nuit après l’autre. Ce matin, il fallait que je me lève : expectorer, cracher — bref, toute la lyre ragoûtante du petit Argan portatif. (Enfin, pas toute : ni lavements ni clystères, merci bien.)

J’écris ceci avant même d’ouvrir le navigateur Web, car sinon après, une chose une autre, et une heure a filé.

 

Aujourd’hui j’enregistre la cinquième émission d’I Love Mes Cheveux, avec mon ancienne collègue Priscille Ahtoy, avec qui j’avais organisé une rencontre (précédée de deux communications) avec la romancière Mariam Sheik Fareed, en mars 2023. Comme j’ai des milliers de questions à lui poser, et comme, pour la première fois depuis que j’ai commencé cette émission, je devrai rendre l’antenne pour 11 h pile (Mélissa enregistre une Méridienne, ce lundi), il faudra sans doute qu’on en enregistre une autre dans pas si longtemps. J’hésite : est-ce que je fais « sauter » la lecture que j’avais prévu ? est-ce que je ne diffuse qu’une seule chanson au lieu de deux, génériques exclus ? Ah là là, grande différence avec le métier d’enseignant : en général, on peut laisser quelque chose en suspens et le finir à la séance suivante.

Autre différence, d’ailleurs : je rédige mon intro, les rubriques et même certaines questions. Il y a fort longtemps que, cours d’agrégation exceptés, je ne rédige plus rien pour faire cours : pour les T.D., un document didactisé qui a servi de base au travail des étudiant·es et des idées très précises quant à mes objectifs pédagogiques ; pour les C.M. un Power Point avec très peu de texte (uniquement les concepts et les citations, afin de ne pas devoir dicter x fois), et ensuite j’improvise ma présentation. Pour la radio, je suis rassuré d’avoir un « conducteur » plus détaillé ; c’est un peu idiot car, à la vérité, il entre beaucoup d’improvisation dans l’émission. La dernière fois, je n’ai pas posé la moitié des questions que j’avais préparées ; cette fois-ci, ce sera pire.

 

Je vais bientôt basculer dans le fichier Chantier CRCT, car je dois noter ma progression dans la relecture d’Empreintes de crabe (ce n’est pas si mal), ainsi que quelques références. Au cours de mon séjour à Nantes, j’ai acheté, à la librairie Les Bien-Aimé·e·s (ça me fait bizarre de redoubler le point médian, ce que je ne fais jamais), l’essai de Brent Hayes Edwards traduit par Jean-Baptiste Naudy et Grégory Perrot aux excellentes éditions Ròt-Bò-Krik [Pratique de la diaspora, 2024] et dès la préface lue en écoutant Mabanckou dire n’importe quoi sur Angela Davis et faire le show pour sa cour, j’ai noté plusieurs choses qui pourraient se trouver, sinon au centre, du moins dans une des articulations de mon projet. (Mais n’ai-je pas déjà écrit ça vendredi ?)

Outre tous ces livres qui s’accumulent devant moi sur le bureau (mais qui n’empêchent pas encore de voir l’écran de l’ordinateur), il y a le petit carnet noir et blanc acheté jeudi à Nantes avant la rencontre à la médiathèque Floresca-Guépin, dans lequel j’ai noté des foules de choses, dont une dizaine de pages après ma lecture de Profaner Ananda. Heureusement que cette pratique d’écrire dans des carnets est rarissime pour moi, sinon je sens que la maison, aussi, en serait envahie.

 

05:30 Publié dans 2025, ILMC | Lien permanent | Commentaires (0)

dimanche, 09 mars 2025

09032025

C’est le moment risqué — quand j’aurais beaucoup de choses à écrire, alors que je suis fatigué par la pharyngite et le contre-coup du voyage à Nantes. Et je laisserais passer deux ou trois jours sans écrire, en me disant que ce n’est pas grave.

Chaque sujet demanderait de l’énergie et une demi-heure au bas mot.

Alors je n’écrirais rien.

Et les deux ou trois jours deviendraient, mine de rien, une ou deux semaines.

 

Donc ici, j'écris. On verra, pour la suite.

 

19:45 Publié dans 2025 | Lien permanent | Commentaires (0)

samedi, 08 mars 2025

08032025

Emmanuel Macron, ce sale type vraiment, déclare qu’il faudrait que chaque jour soit la journée des droits des femmes, alors qu’il envoie sa police tabasser et gazer les manifestantes, et qu’il fait protéger les nervis d’extrême-droite.

À Nantes, le rassemblement féministe témoignait d’une rage et d’une combativité sans précédent.

C’est dans cet esprit-là qu’il faut se retrouver, se ressourcer, reprendre espoir.

 

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vendredi, 07 mars 2025

07032025 (Atlantide, de beaux moments... et la contagion du wtf)

20250307_113222   Aujourd’hui, j’ai passé la matinée avec des amis, et à découvrir des librairies nantaises – dont Les Bien-Aimé·e·s, où j’ai acheté un petit livre de Joëlle Zask qui m’avait échappé, et l’essai majeur de Brent Hayes Edwards traduit par J.-B. Naudy et G. Pierrot aux excellentes éditions Ròt-Bò-Krik : bien m’en a pris, car j’ai déjà trouvé, en commençant la lecture de ce livre, deux notions différentes qui vont me servir pour mon projet Aidoo/Darko/Nganang. Comme quoi il faut acheter des livres, même quand on en a soixante en carafe qui attendent.

 

L’après-midi au festival Atlantide a été assez riche, malgré une première rencontre un peu superficielle autour d’Angela Davis, avec Alain Mabanckou : belle table ronde avec Lucy Mushita, Li Ang et Sang Young-park, lecture inaugurale de Nancy Huston, exposition des objets donnés par les participant·es au fil des années…

Festival Atlantide, Nantes - objet n° 364 de l'exposition permanente (texte d'Ananda Devi)

 

Malheureusement, la table ronde avec Ananda Devi et Annie Ferret a été très décevante. De toute évidence, les planètes étaient alignées pour que le grand n’importe quoi se produise :

  • un thème très général et pas du tout littéraire (La contagion du mal (??))
  • un « animateur littéraire » complètement à l’ouest, Emeric Cloche, qui n’avait lu aucun livre, qui faisait des blagounettes malaisantes et n’était même pas capable de dire correctement le nom des écrivain·es ou les titres des livres, quand par miracle il avait l’idée saugrenue d’en citer u
  • une première question encore plus débile et générale que le thème de la rencontre (il fallait le faire), dans laquelle José Carlos Somoza s’est engouffré pour déblatérer sans queue ni tête, et sans jamais parler d’écriture ni de ses livres
  • un écrivain venu faire son intéressant, José Carlos Somoza donc, qui a tiré la couverture à soi en full manspreading discursif

Ananda Devi et Annie Ferret ont tenté de ramener la discussion vers des considérations à peu près cohérentes, et surtout vers la question de l’écriture et de la littérature. À 16 h 57 quand l’insupportable Emeric Cloche a signalé qu’il restait le temps pour une question, j’étais à deux doigts de me lever et de dire « Pourrait-on enfin entendre les écrivaines sur la façon dont elles considèrent que l’écriture peut mimer la contagion du mal, ou peut-être lui servir d’antidote ? » Il y a quinze ans, encore, je crois que je me serais levé au milieu de la rencontre et que j’aurais interrompu Somoza ou Cloche en lançant « et la littérature ? ».

C’est tout à fait regrettable, car il y avait une centaine de personnes présentes, dont la majorité n’avait sans doute lu aucun livre des auteurices et dont beaucoup n’auront pas su ce qu’il y avait dans ces œuvres, ce qui se tramait dans ces textes. D’ailleurs, alors que le grand espace du rez-de-chaussée est bondé, très peu de gens sont venus ensuite à la rencontre d’Annie Ferret et d’Ananda Devi, pour faire signer les livres ou discuter.

Il serait souhaitable que le festival Atlantide choisisse des intitulés plus littéraires (car la tendance aux titres accrocheurs mais totalement creux est assez générale) et surtout se débarrasse de ce pilier de café du commerce. Il en va du sérieux des débats…

Ananda Devi à la médiathèque Floresca-Guépin.JPG

 

 

Heureusement que la rencontre avec Ananda Devi à la médiathèque Floresca-Guépin, hier soir, autour de La nuit s'ajoute à la nuit, était tout à fait remarquable, elle... Il faut dire qu'il y avait du temps, et, surtout, deux dames (dont le nom n'a pas été dit) qui avaient lu les livres et qui posaient des questions intelligentes...

 

jeudi, 06 mars 2025

06032025 (la revue "Commentaire", un old boys' club au service de l'extrême-droite)

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J'ai reçu le sommaire du nouveau numéro de la revue Commentaire. Comme je sais depuis longtemps que je ne trouve rien d'intéressant dans cette revue de droite, qui, de surcroît, n'aborde quasiment jamais mes sujets de recherche (Afrique, traduction, littératures), je balance habituellement ces mails directement à la poubelle. Là, quelle mouche m'a piqué, je suis allé y voir et je vous ai copié-collé tout ça sur une seule image. Oui, vous lisez bien : pas une seule femme parmi la quarantaine de contributeurs (cela m'épargne le recours au point médian). Pas une seule. J'ai même vérifié pour les prénoms incertains : Dominique et Tilo sont bien des mecs. Ouf.

On a là une parfaite illustration d'une revue à l'idéologie conservatrice et réactionnaire qui est aussi, fort logiquement, un boys' club... et même, si on veut être complet et en juger par les prénoms, un old men's club. Aucun âgisme de ma part, mais une structure qui n'ouvre ses portes à aucune femme et à aucun homme de moins de 50 ans, ça ressemble puis à un EHPAD en non-mixité qu'à une revue de sciences humaines.

Rien d'étonnant donc à ce que le dossier sur Trump n'ose jamais, il semblerait, le concept de “fascisme”, pourtant désormais principalement opérant pour analyser ce qui se passe aux Etats-Unis. Rien d'étonnant non plus — et on n'aura a priori* pas besoin d'aller lire les pages pleurnichardes en question pour en avoir la confirmation — à ce qu'un article s'intitule “Misère de l'intersectionnalité” : il est vrai que quand on estime que le débat intellectuel est strictement réservé aux hommes blancs proches de la retraite ou déjà à la retraite, le concept d'intersectionnalité doit avoir quelque chose de terriblement galiléen.

Nos petits inquisiteurs platistes ont donc leur revue, et ce ne serait pas grand chose s'il n'y avait qu'une revue comme celle-ci : cependant, des officines, institutions ou structures médiatiques qui exhibent une telle “couillhésion”, pour reprendre la notion forgée par Stéphanie Lamy, il y en a d'autres.

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* Je dis “a priori” mais il est évident que la curiosité et mon ethos de chercheur vont me pousser à aller regarder cela de près dès que le n° sera disponible sur CAIRN (je ne crois pas que la B.U. reçoive encore la version papier).

 

mercredi, 05 mars 2025

05032025

J’ai une crève plutôt modérée depuis avant-hier soir : gorge en feu, nez guère plus bouché qu’habituellement, pas de fièvre. Cette nuit, j’ai dormi d’une traite. Je dois mettre à jour les deux fichiers Répertoire (livres et films), puis je me remets à Empreintes de crabe.

Tout se croise en tous sens.

 

Hier, j’ai pris mes billets de train et réservé une chambre d’hôtel pour les deux nuits à Nantes. À la médiathèque des bords de Loire j’ai emprunté le roman de Lisette Lombé, que je n’avais pas lu quand il est sorti. Normalement, je vais pouvoir déjeuner avec Pierre Barrault, que je n’ai pas vu depuis trois ans et demi : ça me fait très très plaisir.

 

09:21 Publié dans 2025 | Lien permanent | Commentaires (0)

mardi, 04 mars 2025

04032025

Hier, c’est parti dans tous les sens, et je n’ai ni fini de saisir les quelques citations ou idées glanées dans Chartier, ni poursuivi le dépouillement de ce que j’avais trouvé en commençant de relire Empreintes, et au point même d’avoir interrompu depuis 48 heures cette relecture ; ça ne va pas du tout. Je dois avoir fini de relire Empreintes dimanche prochain, et comme, de façon imprévue, je vais aller de jeudi à samedi à Nantes pour le festival Atlantide, ça signifie un gros coup de collier aujourd’hui et demain.

 

Cela fait plusieurs semaines que je n’ai relancé personne pour Amma Darko. Mais qui relancer ? J’en viens à me dire que mon essai pourrait être aussi intéressant à partir du texte allemand de Cobwebs et Stray Heart, c’est-à-dire à partir de cette absence du texte anglais. Peut-être, mais toute la partie où je me voyais procéder à une critique traductologique, pour ne rien dire de l’espoir qui commençait à naître de rendre ces deux textes introuvables – une fois trouvés – disponibles pour le lectorat anglophone, tout ça tombe aux oubliettes.

 

lundi, 03 mars 2025

03032025

Ce matin, je me suis levé à 4 h 30 pour lire, parcourir et “extraire” (comme dit Bergounioux) un ouvrage assez maussade sur la traduction. Je me suis aperçu dans l'après-midi qu'une partie des passages qui m'avaient intéressé ont été plagiés éhontément, en 2012, par cette universitaire renommée, presque tous dans des articles d'un même numéro de revue de 1994.

 

Pour me changer les idées (ou pas), j’écoute le 44e épisode du podcast de Clara Joubert, Lost in Translation, que j’ai découvert il y a deux ou trois mois seulement. Cet épisode s’intitule “Une écrivaine sans langue. Rencontre avec Alta Ifland”. La discussion va tourner autour de choses déjà explorées (mais toujours passionnantes à explorer encore), ce qu’Elsa Triolet a écrit dans La mise en mots : « Ainsi, moi, je suis bilingue. Je peux traduire ma pensée également en deux langues. Comme conséquence, j'ai un bi-destin. Ou un demi-destin. Un destin traduit. » Ce qui est intéressant, c'est qu'Alta Ifland écrit dans deux langues dont aucune des deux n'est sa langue maternelle, l'anglais et le français.

Elle s'autotraduit et déclare d'ailleurs : « Quand je m’auto-traduis, c’est une nouvelle œuvre. »

Elle dit aussi :

« En passant d’une langue à l’autre je découvre des choses de mon identité que j’ai dans une langue et pas dans l’autre, et c’est comme si je me reconstruisais de manière intégrale. Quand je m’autotraduis je mets ensemble toutes ces parties de moi-même, en ces trois identités. Chaque identité est un peu partielle et par l’autotraduction je deviens entière. »

 

         Elle a également commenté la pratique créatrice du jeu entre les langues, de l'interlinguisme :     « Parfois je traduis littéralement des expressions roumaines idiomatiques et ça fait un effet comique je crois. Eugène Ionesco faisait ça aussi. » —— Je sais que je ressasse mes vieilles marottes, mais cela me rappelle un des livres qui m'a le plus marqués, lu en bibliothèque à Beauvais (et comme je regrette de ne pas l'avoir acheté, il est difficilement trouvable), Quant à je (kantaje) de Katalin Molnar. (Je ne ressasse pas trop, apparemment, vu que je n'ai cité ce livre majeur qu'une seule fois en vingt ans dans ce blog, et en passant, l'année dernière.)

 

dimanche, 02 mars 2025

02032025

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Lu le « Que sais-je » de Michaël Oustinoff sur la traduction, que j’avais récupéré à la B.U. qui l’envoyait au pilon : il s’agit de la 6e édition, de 2018, mais rien n’a été changé, je pense, au texte de 2003. C’est globalement médiocre, même si ça rafraîchit un peu les idées. Le problème que je me pose, par rapport à mon projet, c’est de savoir si ça a une quelconque utilité de montrer en quoi certaines des grandes théories (Steiner, Ricoeur, Cassin) n’ont aucun intérêt pour mon sujet car elles réfléchissent à partir du champ des langues européennes et de rapports interlinguistiques non coloniaux, donc à côté de la plaque. Perte de temps ? peut-être pas, mais ça m’entraînerait dans un autre livre : ce qu’il faut, en fait, c’est que je trouve ou retrouve les articles et les livres qui ont déjà fait ça, une approche décolonisant la traductologie en quelque sorte.

Cela posé, je continue de trouver que la théorie de la traduction/hospitalité de Ricoeur est une gigantesque connerie, même dans son champ.

 

samedi, 01 mars 2025

01032025

Beaucoup avancé dans Empreintes de crabe, et donc écrit un peu (beaucoup) dans le fichier de travail. Donc pas trop ici.

Rien d’autre à signaler que le fait que j’ai pu mettre en ligne, hier, le podcast de la quatrième émission de I Love Mes Cheveux. C’était avec mon ancien collègue et toujours ami Eric Rambeau, et on a parlé d’otaries et de phalènes, du joycien comme langue, de la traduction à la chaîne d’ouvrages de vulgarisation, de Lo’Jo, des recherches de vocabulaire scientifique avant l’avènement du Web etc. Bref, c’était bien cool.

 

19:22 Publié dans 2025, ILMC | Lien permanent | Commentaires (0)

vendredi, 28 février 2025

28022025 (double codicille)

Sur le sujet dont je parlais hier – l’impensé colonial du MAAOA – voici ce qu’a écrit, en réaction au partage de mon billet sur Facebook, mon collègue et ami Louis-Georges Tin :

Quand un musée ou une université détient des restes humains qui ont été acquis sans le consentement des personnes, des restes humains entreposés dans un placard, souvent après des massacres, des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité, techniquement, selon le droit international, ces lieux sont ce qu’on appelle des charniers. De charniers jolis, mais des charniers tout de même. On pourrait et devrait demander la fermeture immédiate de ces établissements, en vertu du droit, tant que la restitution n’a pas été mise en œuvre.

 

Sur Bluesky, Luc-André Biarnais m’a signalé un article publié le 14 septembre dernier dans le journal La Croix et intitulé “Des Guyanais réclament à Paris les ossements de leurs ancêtres, exposés dans des zoos humains”.

 Voici ce qu'on peut y lire :

Au niveau national, la route promet d'être sinueuse, tant le dossier semble éloigné des priorités gouvernementales. Si Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture, s'était dite ouverte à l'idée que ces ossements reviennent en Guyane tout en restant propriété de l'État, le dossier n'a plus connu d'avancées depuis janvier 2024 et l'arrivée Rue de Valois de Rachida Dati. Quant à la loi du 26 décembre 2023, qui facilite la restitution de restes humains en créant une dérogation au principe d'inaliénabilité des biens appartenant au domaine public, elle se contente de le faire pour les pays étrangers, et ne concerne donc pas les territoires ultramarins.

 

jeudi, 27 février 2025

27022025 — le MAAOA, une décolonialité de façade

Avant-hier, à Marseille, j’ai visité notamment le MAAOA (Musée d’Arts Africains, Océaniens et Amérindiens). Il se répartit sur trois très grandes salles, dans le Centre de la Vieille-Charité.

 

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J’ai commencé par les collections d’objets et d’œuvres africain·es, avant de me rendre dans la salle consacrée à l’Océanie (dans laquelle sont surtout exposées des œuvres de Polynésie — je suis passé plus vite dans la partie consacrée au Mexique). Dans la salle consacrée aux objets d'Océanie, il y a une vitrine dans laquelle est exposé un non-objet : dans une cage de verre tapissée de bleu, on ne voit rien, ou plutôt on voit qu’il n’y a aucun objet. Un cartouche indique sobrement que l’objet qu’on ne voit pas est une tête humaine tatouée toi moko, d’origine maorie.

À droite de la vitrine vide, un long texte intitulé « Restitution de patrimoine aux peuples d’origine » explique doctement, sur cinq paragraphes, que i) l’objet qui n’est pas exposé a une valeur sacrée pour les Maori ; ii) il appartient à une catégorie qui fit l’objet d’un « ignoble trafic jusqu’à son interdiction en 1831 » ; iii) « le MAAOA n’a jamais exposé ni reproduit la tête humaine toi moko présente dans la collection Gastaut » ; enfin, iv) « suite à la loi du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes Maori à la Nouvelle-Zélande, la tête […] fut restituée en 2012… ».

 

Il va de soi que cette mise en évidence de l’histoire du pillage colonial et de la restitution d’objets est tout à fait capitale dans un musée, et qu’on ne peut que déplorer que cela soit souvent moins explicite. Pourtant, sans que le remède soit tout à fait pire que le mal, j’ai été en proie à un profond malaise après avoir lu ce texte.

En effet, qu’avais-je vu jusque-là ? Eh bien, pour commencer par les objets exposés tout près de cette spectaculaire vitrine vide, il y a des têtes réduites Shuar, des crânes surmodelés du Vanuatu etc. Donc des restes humains, des objets tout aussi incompatibles avec l’exhibition muséale, et même avec l’exposition en-dehors d’un cercle communautaire restreint. C’est d’ailleurs, à en croire plusieurs sites, le point commun de tous les objets de cette fameuse collection Gastaut : les 88 objets sont « des crânes, des têtes et des objets liés au crâne humain, sculptés, peints, surmodelés, gravés ». Le profond malaise qui s’est emparé de moi vient de l’hypocrisie que constitue la vitrine vide : pour 87 objets qui furent aussi l’objet de pillages et de trafics, au point de se retrouver dans la collection privée d’un neurologue français de la seconde moitié du 20e siècle (comment ne pas penser au livre génial de Delphine Peiretti-Courtis, Corps noirs et médecins blancs ?), le fait d’en restituer un seul vaut-il exemption générale ? En quoi les cultures du Vanuatu ou d’Amérique du Sud dont le MAAOA expose encore les objets rituels sont-elles plus désacralisables que la culture des Maori ? À ce niveau de foutage de gueule, je m’attends à ce que d’autres affirmations du fameux texte soient tout aussi fantaisistes : si on cherche, se rendra-t-on compte, par exemple, que le MAAOA a, en fait, « exposé et reproduit la tête humaine toi moko » à un moment de son histoire ?

 

Je l’ai dit, j’avais visité la salle des œuvres africaines avant, et j’y avais pris de nombreuses notes, car en dépit d’une muséographie « moderne » et de phrases soucieuses de montrer qu’on en avait fini du regard ethnocentrique colonial, tout reste à faire. Pour le dire clairement : les textes de cadrage proclament qu’on en a fini de la vision suprémaciste, tandis qu’affleure, presque à chaque objet, un impensé colonial généralisé.

Prenons quelques exemples parmi tant d’autres.

1/ Il est indiqué que la pipe d’apparat Bamum exposée a « vraisemblablement appartenu au sultan Njoya ». Il se trouve que je connais bien le contexte historique et architectural, car le sultan Njoya est, entre autres, le protagoniste principal de Mont-Plaisant, un des quatre romans de Patrice Nganang autour duquel tourne mon gros projet de recherche actuel. Ibrahim Njoya a-t-il donné une de ses pipes ? à qui ? dans quelles circonstances ?

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2/ Le MAAOA expose une autre pipe, ayant appartenu, celle-là, au roi Glélé, dixième roi d’Abomey et père du célèbre Béhanzin, dont on sait comment les Français le chassèrent de son royaume et le condamnèrent à l’exil. Tout cela n’est absolument pas dit, d’ailleurs : pour le visiteur lambda, c’est la pipe du roi Glélé, dont on nous donne juste les dates de règne et l’origine géographique (« Fon, Bénin »). Il ne faudrait pas que qui que ce soit fasse un rapprochement avec les pillages massifs perpétrés contre ce royaume, au point que le « trésor de Behanzin » a été restitué récemment au Bénin. Rappelons que la France a rendu 27 œuvres emblématiques, mais continue de s’accaparer plusieurs milliers d’objets que réclame le Bénin.

Au hasard, y aurait-il la pipe de Glélé parmi ces objets ? Autant dire qu’avec ce genre de muséographie, je n’étais, avant même d’avoir lu le très solennel texte « Restitution de patrimoine aux peuples d’origine », pas trop prêt à me laisser embobiner…

 

3/ Les panneaux d’information restent peu diserts sur les conditions dans lesquelles le principal collectionneur privé, Léonce-Pierre Guerre (“grand collectionneur d'art africain et fasciné par ce continent depuis l'âge de douze ans”, c'est-y-pas chou ça), a acquis les objets avant d’en faire don à la ville de Marseille.

 

4/ Trois citations viennent clore le panneau d’information principal qui tente de contextualiser – en expliquant que toute cette époque est révolue – la façon dont les musées européens ont longtemps exposé ces objets en les inscrivant dans « l’art primitif ». Ces trois citations sont respectivement : deux phrases de Ludwig Wittgenstein (non sourcées) ; un proverbe africain ; deux phrases de Victor Segalen (non sourcées).

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Je n’ai pas précisé que le proverbe africain n’était pas sourcé, car c’est ici, bien entendu, l’expression « proverbe africain » elle-même qui est significative. Expliquer d’un côté qu’on reconnaît désormais la valeur pleine et entière des œuvres exposées dans la salle au même plan que les chefs-d’œuvre de l’art « occidental », puis citer un « proverbe africain », ça revient, pour un défenseur de foot, à détourner un ballon en corner puis à marquer deux fois contre son camp : difficile de dire si c’est plus ridicule qu’abject. De fait, ce que signifie ce panneau, c’est que les productions culturelles européennes sont individualisables et spécifiques, mais que i) la culture du continent africain se réduit à des proverbes – ce trope même est déjà raciste – ; ii) bien que chaque cartouche assigne une origine ethnique et géographique à chaque objet, il reste possible de citer un proverbe « africain » comme si l’Afrique était un tout homogène.

 
Par conséquent, il devient urgent que les personnes qui s'occupent de telles collections comprennent qu'il ne peut suffire de « déplier l'histoire coloniale à partir des collections muséales », mais qu'il faut, avec courage et profondeur scientifique, déconstruire (et évacuer) les impensés coloniaux de la muséographie contemporaine.