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mercredi, 14 février 2024

14022024

J’ai fait aujourd’hui mon troisième entrainement de tennis de table ; ça va me faire le plus grand bien, d’avoir pris une licence et de me forcer à exercer régulièrement. En plus, j’ai tout à apprendre : c’est très stimulant.

*          *

*

 

J’ai offert un collier à C*, qui ne s’y attendait. On ne s’offre jamais rien pour la Saint-Valentin (ça n’existait même pas dans les années 90, et on trouve ça idiot), mais là elle avait fait plusieurs fois de la lumière, donc pourquoi pas ?

 

20:12 Publié dans 2024 | Lien permanent | Commentaires (0)

mardi, 13 février 2024

Dele Weds Destiny

Il y a quelques années j’avais ironisé sur une liste des 100 African Books You Have to Read, ou quelque chose d’approchant, dont 85% étaient écrits en anglais, et une bonne partie de ceux-là écrits par des écrivain·es nigérian·es. Dele Weds Destiny n’est pas un mauvais roman, mais il fait un peu penser à ces textes produits à la chaîne, un roman comme il s’en publie tant d’autres chaque année, à la sortie des masters de creative writing, sous la plume d’une Nigériane dont la troisième de couverture nous apprend qu’elle vit à New York (bien sûr).

Dele Weds Destiny (13022024)

Je suis un peu méchant, car s’il était si conventionnel que cela, je n’aurais pas lu ce roman jusqu’au bout. Or, je l’ai lu, même avec un certain plaisir, et en m’attachant à ces trois personnages de femmes d’âge moyen lors de leurs retrouvailles pour les noces somptueuses (mais qui vont rater (ceci n’est pas un spoil car dès le titre, et les premiers chapitres, on pressent que la cérémonie de mariage va virer au vinaigre)) de la fille de l’une d’entre elles. Le livre marque notamment par la façon dont il fait revivre la période assez particulière des grèves d’étudiants contre la dictature dans les années 80, et aussi par le récit des cérémonies proprement dites, vers la fin : on sent que Tomi Obaro a tenté de restituer ce qui l’a elle-même marquée, avec ce regard à la fois de l’intérieur et un peu de l’extérieur. À cet égard, le roman intéressera beaucoup les spécialistes de diaspora studies.

lundi, 12 février 2024

12022024

J’ai retrouvé aujourd’hui, en cherchant autre chose dans un de mes comptes d’archivage gmail, un vieux tapuscrit de 2014, Le Moine qui arrouméguait, livre qu’il faudrait continuer à mettre en forme et compléter mais qui, même en le reparcourant dix ans plus tard, tient la route.

 

Traduit 14 pages (27 depuis samedi). —— Quelques coriacités.

 

dimanche, 11 février 2024

Défions l’augure

 

Qu’est-ce qui s’est passé ?
On attend l’explication.
Et finalement elle ne vient pas.
Ce qui s’est passé je vais te le dire

 

C’est ma mère, passé avenir au présent

 

Je poursuis une traversée rapide de l’œuvre récente de Cixous.

Toujours l’impression qu’une grande partie m’échappe et que l’autobiographie est là pour faire sens, une lampe dans la nuit du sens.

Tout cela vient de ce fait que quand je naquis à Oran je naissais par ma mère à Osnabrück. Cette originalité est cause que mon livre et moi nous avançons par embardées. À plusieurs scènes. Et il arrive qu’un des livres du livre me fasse une scène. (p. 83)

On s’y raccroche.

Difficile de se raccrocher à une lampe.

 

Après tout ce n’est pas la personne d’Ulysse qui nous lie à l’Odyssée, c’est la somme de ses aventures, et qu’elle soit finie en vérité, et que la fin soit domiciliée. (p. 89)

 

Ici j’ai corné plein de pages – ouh, pas bien, exemplaire de bibliothèque. (Oui, mais d’abord ce sont des cornages très discrets, que je déplie aussitôt avant de les rendre, et surtout tous ces livres n’ont apparemment jamais été empruntés par quiconque hors moi.)

Je me suis servi de deux phrases pour deux sonnets de ma nouvelle série, pas encore publiée ailleurs que sur Facebook (sonnets braqués). Mais même en se mouchant du pied curieux que Cixous après 80 bouquins et combien de séminaires confonde l’antiphrase et la litote ( p. 77)

 

Elle note que dans la lettre il n’y a pas de fautes d’orthographe. Puisque c’est Alice qui prend sous la dictée. — Alice, pourriez-vous laisser les fautes de mon mari, svp ? C’est comme si Alice avait lavé les pieds de son mari. Ma grand-mère pense et ne dit pas. Les deux femmes se déplacent lentement, lourdement, autour de la table, comme des baleines ventrues qui changent en or jaune le sel vert de la vérité. (p. 105)

 

Défions l'augure (11022024)

 

J’ai commencé à lire un roman inachevé de Heine à cause de ce livre. Et de cette page :

Ce récit a survécu caché dans les trois volumes d’œuvres de Heine qui n’ont jamais quitté son étagère. Je ne l’ai jamais lu. Je ne sais pas pourquoi. Il est resté caché comme un enfant mort sous la nappe. (p. 50)

 Le livre est là, en allemand – existe-t-il en français ?

 

Selon moi, confirmer que chez nous on se mouche dans les draps n’est pas mentir. Selon moi tout a commencé dans la Bible. Il y a eu une faute. Et l’histoire de l’écriture a commencé. Tout a commencé par un procès. À la question : qui a commencé ? je réponds : d’un côté, c’est ma mère, de l’autre côté c’est ma grand-mère, où est la vérité ? Là, la vérité en est où, entre les lits, entre les mères. (pp. 56-7)

 

samedi, 10 février 2024

Partout le feu

Ce roman en vers libres m’avait échappé lors de sa parution en 2022. Il est centré autour du personnage d’une jeune femme, la narratrice, Laetitia, qui a abandonné un cursus plutôt classique et même assez élitiste pour participer aux activités d’un groupe genre Extinction Rébellion mais en plus radical : invasion d’une centrale nucléaire pour y lancer un incendie, cassage de pare-brises de SUV (p. 116), etc. Le dernier chapitre s’achève sur son immolation par le feu.

 

Partout le feu (10022024)

Le livre n’est pas mauvais, mais il est un peu convenu/complaisant, et surtout il est très rare que les vers libres soient autre chose que de la prose découpée différemment. Un peu déçu, donc.

 

vendredi, 09 février 2024

09022024

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(Oui, c'est dans huit jours.)

jeudi, 08 février 2024

Lowitja O’Donoghue (1932-2024)

Vous n’allez pas en entendre trop parler, donc je vous invite à aller lire cet article au sujet de Lowitja O’Donoghue, militante des droits des Aborigènes, qui vient de mourir à l’âge de 91 ans. Lowitja fait partie de la nation Yankunytjatjara, dont les territoires de sédentarité se situent entre Adelaide et Alice Springs. Surtout, elle fait partie des “Stolen Generations”, c’est-à-dire de ces générations d’enfants aborigènes qui ont été enlevés à leurs familles afin de les placer dans des pensionnats, mais plus souvent dans des familles européennes/blanches. L’article de la WP anglophone est très détaillé et documenté.

Il faut savoir que le plan était un programme orchestré d’“assimilation”, c’est-à-dire d’extermination culturelle. Voici comment en parlait son principal instigateur, Cecil Cook.

 

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Langage de génocidaire, et d’ailleurs la pertinence de la notion de génocide est souvent discutée dans ce contexte. N’oublions pas qu’en 1849, à peine 50 ans après le début de la colonisation de l’Australie, le dernier Aborigène de Tasmanie était tué. Si on considère les différentes “nations” composant les premiers peuples d’Australie, il s’agit bien ici d’un génocide.

Lowitja O’Donoghue, arrachée à l’âge de deux ans à sa famille, ne les a retrouvés qu’à 30 ans passés, par hasard, et ne pouvait même pas communiquer avec sa mère : pas de langue commune. (Cf concept d’épistémicide.) En théorie, les enfants aborigènes étaient censés être “civilisés” par ce processus, donc éduqués à l’européenne. En réalité, ils/elles étaient souvent employé·es comme domestiques sans recevoir de salaire (“Stolen Wages”).

Ce processus d’“assimilation” (et en fait d’extermination culturelle ou d’ethnocide) est semblable à celui mis en place au Canada. Cf cet article de Tony Buti.

 

From a working life that began as a 16-year-old servant, O’Donoghue went on to become the first Aboriginal person named a Companion of the Order of Australia, and the first chair of the now defunct Aboriginal and Torres Strait Islander Commission.

Après toute une période au cours de laquelle les autorités ont cherché, en accord avec les représentant·es des Aborigènes, à compenser (faiblement) les conséquences de 200 ans d’expropriation et de marginalisation, il y a depuis qqes années un backlash Déjà en 2008, Anne Summers écrivait dans le Sydney Morning Herald, que les décisions de compensation pour la tragédie / le crime des “Stolen Generations” n’étaient pas à la hauteur. Le récent référendum par lequel les Australien·nes (très majoritairement d’origine européenne — la quasi-extermination a fonctionné) ont refusé de reconnaître davantage de droits est un exemple de ce backlash.

 

Pour en revenir à Lowitja O’Donoghue, je vous recommande aussi cette interview de 2008, à l’occasion de l’inauguration de son portrait à la National Portrait Gallery. Sur les “Stolen Generations”, si vraiment vous ne pouvez pas lire l’anglais, je vous recommande cette émission excellente avec l’anthropologue Barbara Glowczewski.

 

16:20 Publié dans 2024 | Lien permanent | Commentaires (0)

mercredi, 07 février 2024

Trois livres de Guy Bennett traduits par Frédéric Forte aux éditions de L'Attente

Trois pour (même pas) le prix d’un ——— On s’est demandé s’il fallait placer la parenthèse du titre entre pour et le ou entre le et prix : car ce que j’ai voulu dire, c’est – comme on le voit avec les codes-barres – c’est que ces livres ont été empruntés à la B.U. (Et ce n'est même pas le titre retenu pour le billet de blog. (Pondre ces billets me prend trop de temps. L’exhaustivité prend trop de temps. Même pour gagner du temps sur les vidéos, ces billets me prennent trop de temps. Et tiens, l’alarme sonore indiquant que la lessive est terminée résonne.))

 

Ce fut donc, hier et ce matin, la découverte de Guy Bennett, oulipien et américain. Je sens que je vais toujours le confondre avec Guy Davenport. On n’a pas idée de ne pas être francophone et de se prénommer Guy. J’ai lu ces trois petits livres de Guy Bennett car ils ont été traduits (en fait : co-traduits) par Frédéric Forte, qui m’a demandé en ami il y a quelques jours sur Facebook, sans que je sache trop pourquoi (j’ai lu naguère voire jadis son Dire ouf, mais c’était avant le vlog donc je n’en ai jamais parlé).

 

Trois livres de Guy Bennett (07012024)

 

Ces trois recueils traduits par F.F. (j’écris ces lignes en écoutant les deux premiers albums de Franz Ferdinand) ont chacun leur couleur :

Capture2.PNGPoèmes évidents – rose : le plus ludique, le plus abordable sans doute – avec quelques jolies trouvailles.

 

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Ce livre – taupe : le plus expérimental, il « détaille les clés théoriques et techniques de la matière textuelle qui le constitue ». Ou : « où cela mène-t-il le lecteur qui cherche à en découdre avec le présent ouvrage ? » (p. 71 [j’aimerais bien savoir quel verbe anglais est ici traduit par en découdre avec])

 

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Œuvres presque accomplies – rouille : le plus profond et le plus jouissif, selon moi. Mais je ne suis pas objectif : la question des livres que j’ai échafaudés et été trop flemmard pour écrire me taraude continuellement. Il y a deux jours, Milène Tournier a commenté sous un des sonnets que je publie ces jours-ci sur Facebook en disant « ils sont incroyables tes sonnets ». J’étais à deux doigts de lui répondre : personne n’en veut. Et je ne l’ai pas fait car ça aurait été faux. En 2016 j’ai autoédité mes 135 sonnets de la décennie précédente sans les avoir jamais proposés à aucun éditeur. Pour en revenir au livre de couleur rouille de Guy Bennett, car c’est censé être le sujet ou l’objet de ce billet, difficile d’en parler, sinon à faire l’inventaire des projets non réalisés et qui me semblent le plus excitants : bokéogrammes, glissandi, Le Projet des ponts, « Mon contenu » (cette idée, je l’ai eue aussi, et on est nombreuxses à l’avoir eue)… Quel est ce sonnet en anglais de la page 41 dont le titre est le premier vers du sonnet en -yx ? Guy Bennett l’a-t-il écrit par anagrammes de chaque vers du sonnet de Mallarmé ? ai-je été inattentif ? Je juxtapose ce qui s’ajoute et se jouxte. Débrouillez-vous.

 

J’étais parti pour y passer dix minutes, et ça fait la demi-heure sans faire la rue Michel. D’ailleurs, aucun écrivain anglophone, même oulipien, ne se prénomme Michel.

 

mardi, 06 février 2024

06022024

Et dire que j’ai attendu d’avoir presque cinquante ans pour faire cours sur Jamaica Kincaid…

C’est à l’été 2022 que, sollicité par mes collègues responsables de la double licence anglais-espagnol pour proposer un cours sur « les littératures des Amériques » pour le module spécifique, en deuxième année. N’étant pas américaniste, mon premier réflexe a été : Caraïbes. Et puis : autrices. Et puis : pourquoi pas des autrices écrivant dans les deux langues de référence du diplôme (même si je n’ai jamais étudié l’espagnol). Et donc : autrices vivantes, hispanophones et anglophones, des Caraïbes.

Donc le tout premier recueil de Kincaid, pour faire simple (At the Bottom of the River). Et l’occasion d’aller piocher dans l’anthologie bilingue de Nancy Morejon avec traductions en anglais. Et j’ai découvert une géniale anthologie, dont j’ai fait acheter trois exemplaires à la B.U. : The Sea Needs No Ornament / El Mar No Necesita Ornamento.

Et donc lors du premier cours on avait tourné autour de “Girl”, et aujourd’hui autour d’“In the Night”. Car rien de moins juste que d’écrire que je « fais cours sur » Jamaica Kincaid. On pourrait passer des heures à lire et relire et parler de cette nouvelle en cinq parties. Mais j’ai attendu d’avoir presque cinquante ans.

 

18:13 Publié dans 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)

lundi, 05 février 2024

Aliène

Je reparlerai forcément de ce livre en vidéo.

Le continuum humain-animal-cyborg-“alien” est au centre du roman qui n’a justement pas de centre.

Ou est-ce un discontinuum : Hannah la chienne clonée n’est pas Hannah l’empaillée n’est pas Fauvel avant d’être éborgnée n’est pas Fauvel un œil en moins n’est pas etc. Où la confiscation de la ressource en eau potable par les multinationales rejoint la « pacification » par flashball, le récit décrit un monde qui tente d’aliéner.

Aliène (05022024)

Le texte interroge sans arrêt l’envie d’analogie, et la déroute : « Elle pense à la colère qui anime la chienne et la voit comme pouvant être la sienne. Une vie et un corps qu’elle n’a pas choisis. » (p. 80)

L’écriture est puissante, parfois un peu excessive, mais nécessairement.

Le sujet du premier roman de P.H.C., Tabor, retraverse visiblement ce récit. Est-ce que P.H.C. est en train de construire une œuvre dans laquelle les livres forment un continuum ?

 

dimanche, 04 février 2024

Insurrection de la poussière

 

En 2018 à Lyon on avait vu l’exposition d’Adel Abdessemed avec l’installation Shams, dont il est beaucoup question ici. Cixous la décrit très bien (p. 93).

En empruntant plusieurs – et donc très peu, à peine une dizaine de – livres de Cixous j’ai donc découvert l’amitié qui la liait à Adel Abdessemed, et ce gros livre carré contenant de très belles photographies d’œuvres d’A.A., ainsi que la correspondance entre H.C. et A.A. (c’est comme ça sur la couverture), avec reproduction des pages manuscrites. J’ai survolé la correspondance, le temps de me confirmer le caractère insupportablement poseur, trop souvent, de Cixous (qui réussit à commencer une très longue lettre par la notation qu’elle a « un peu, très peu de temps, autour de mon stylo », p. 130 (on croirait la parodie de Proust dans À la manière de…, sauf que pour Cixous c’est premier degré)).

D’ailleurs, A.A. le 26 juin 2013 :

Insurrection de la poussière (04022024)

Peut-être aussi ne suis-je pas proustien parce que je traite des images… et non des mots… Toutes mes œuvres sont des autoportraits présents… J’ai toujours fait des autoportraits… et tout ce que je fais est un autoportrait… Un autoportrait dans un EXIL perpétuel… Je suis toujours là… et je ne suis jamais là… (p. 228)

 

Je n’avais pas compris, ou j’avais oublié (est-ce que ça revient au même ?), que Shams commémore – Cixous abuse ici encore de son néologisme-valise commémourant – les travailleurs (africains surtout) qui meurent chaque jour sur les chantiers au Qatar. Cixous :

Au Qatar on ne voit pas. Invisibles les maîtres. Invisibles les esclaves. Au Qatar on sent qu’on ne voit pas. La sensation que l’on est qatarisé croît de jour en jour. On nonvoit ce que l’on sent. Le ciel est fiévreux. La qatarisation des sens menace. (p. 97)

 

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Il est opportun que je dise que ce genre de livres que je parcours, ou dans lesquels je pioche plus que je ne les lis, résonnent particulièrement d’échos des autres lectures simultanées : pour les sens, L’Appel des odeurs de Ryoko Sekiguchi ; pour le chien de Goya (j’y viens), Aliène de Phoebe Hadjimarkos Clarke (que je finirai ce soir).

 

J’y viens, au chien d’A.A. (celui qu’il a enlevé, qui « n’aurait pas survécu dans cet enfer sans ciel », p. 108) et celui de Goya, auquel H.C. le rapporte :

Il [Goya] a créé le chien et l’être chien, la vérité de la vérité, le chien qu’il était et qui meurt, et pour rien, il n’y a pas de rédemption, ça ne sert à rienni à personne de mourir comme un chien, ni qu’un chien meure pour vous, il n’y a personne à appeler, personne pour dire votre nom, le monde est sans témoin. Sauf ce sourd fou de peintre qui dépose sur les murs de sa cellule. Une déposition que lui seul recueille. (p. 105)

 

Aussi : la poussière (qui me travaille beaucoup ces temps-ci, entre le Dust Bowl de Guthrie à McGrath, et la paronomase dust/rust (le roman de Khadija Abdalla Bajaber dont je me suis convaincu que seule S* était en mesure de savoir pouvoir le traduire)). Aussi : la cote en 700 du livre dans les collections de la B.U. et son classement à ABD (pas à CIX).

 

samedi, 03 février 2024

Lettre à un ami imaginaire

Pour les 30 ans de la librairie Le Livre, Laurent Evrard a décidé de soutenir la publication d’un projet un peu fou, la traduction du long poème – Laurent a dit épique hier, mais je ne suis pas trop d’accord – en quatre parties de Thomas McGrath (1916-1990) Letter to an Imaginary Friend. Ce travail, sur lequel Vincent Dussol a travaillé plus de dix ans après une thèse sur le poète américain, vient de paraître en coédition chez Grèges, sous le titre Lettre à un ami imaginaire, dans le même format que l’édition américaine, avec la même police et la même disposition de vers par page. L’éditeur Lambert Barthélémy, présent hier au Livre aux côtés du traducteur pour le lancement de l’ouvrage, a d’ailleurs précisé que cela avait donné un travail colossal à la personne chargée de la mise en page, et que les coûts d’imprimerie s’en étaient trouvés largement augmentés.

Lettre à un ami imaginaire (03022024)

 

J’ai acheté le livre il y a une dizaine de jours et j’étais arrivé hier en fin d’après-midi quasiment à la fin de la troisième partie (il s’agit d’un poème en quatre parties, écrit entre 1954 et 1984), soit à la page 344 (pour un poème « pris » entre la page 27 et 437). J’avoue être très impressionné par de nombreux aspects de ce grand poème, et dont certains ont été longuement expliqués et commentés par le traducteur hier : grands espaces, poésie des gestes concrets de l’ouvrier, allers-retours de la mémoire etc. Ce dont Vincent Dussol a parlé, et qui ne m’avait pas frappé – sans doute parce que je n’ai pas fini la lecture –, c’est la transition progressive d’une poésie de l’image vers une poésie du langage (et des jeux de mots, jeux de langage). Il m’a semblé que les jeux de langage nourrissent aussi les 12 sections de la première partie, mais je peux me tromper.

Je commençais à dire que, tout en étant très impressionné, je ne comprends pas très bien la nécessité de ce long poème, au sens où certaines sections me semblent incluses de façon presque fortuite à tel ou tel endroit, sans vraie logique, et au sens aussi où certaines sections sont comme une reprise, une réitération de telle ou telle section antérieure. Je n’en comprends pas la nécessité : cela veut dire que souvent la cohérence générale, voire même le sens autonome de telle section, m’échappe. Mieux vaut, au fond, le lire comme un recueil aux thèmes récurrents – et même obsessionnels – et non comme un poème.

 

Bien qu’il n’ait pas été possible de poser de questions au traducteur et à l’éditeur (tout était un peu bouclé ou verrouillé pour une conversation, certes passionnante, entre Laurent Evrard et les deux invités), les lectures de passages choisis étaient très pertinentes et très belles. Vincent Dussol, qui est aussi passionné que passionnant, a peu parlé de son travail de traducteur proprement dit, ce qui était assez frustrant ; il a toutefois indiqué qu’avant de se lancer dans la traduction de cette Lettre, il avait lu Anna Karénine et le Kalevala afin de muscler, en quelque sorte, son lexique dans divers domaines, agricole et forestier notamment. Lambert Barthélémy a signalé que la présence d’une préface était exceptionnelle pour Grèges, et que l’appareil de notes situé en fin de volume pouvait se lire, selon lui, comme un texte autonome.

Vincent Dussol a expliqué qu’il avait découvert Thomas McGrath, quasi inconnu, à la faveur d’une interview de Michael Cimino lors de la sortie de Sunchaser. Laurent Evrard et lui ont aussi évoqué la parenté entre certaines sections du poème et le film de Terrence Malick Days of Heaven (qui lui est postérieur), notamment pour les aspects sonores. Vincent Dussol a fait remarquer que la plus grande influence du cinéma sur la Lettre est la question du montage cinématographique, qui, dans la lignée d’Eliot, Pound et alii, propose un modèle de montage poétique (pagination, aspects visuels, structure des sections).

Pour les influences littéraires, outre Whitman (dont certaines strophes sont quasiment des pastiches, à mon sens), Dussol a cité le Canto general de Neruda, et la phrase du poète chilien pour « revendiquer l’impureté ».

 

La première question que j’aurais aimé poser, et que je garderai donc par-devers moi, est relative au rapport éventuel avec la protest song de Woody Guthrie, et ce même rapport aux espaces intermédiaires (entre les côtes) et au travail des ouvriers et des fermiers dans les grandes plaines : McGrath a lancé l’écriture de son poème au moment où Woody Guthrie était devenu très célèbre, et quelques années après qu’il eut commencé d’écrire son roman House of Earth (qui n’a été publié qu’en 2013, puis traduit en français par Nicolas Richard, mais dont McGrath pouvait avoir eu vent), et les éléments intertextuels, y compris d’un point de vue politique, ne manquent pas. L’autre question, toujours pour les espaces des grandes plaines, avait trait aux liens avec une poésie des fermiers et du « Western » au sens large qui est encore plus méconnue que celle de McGrath et qui se prolonge encore aujourd’hui, dans un même rapport d’ambivalence à la confiscation des terres aux Amérindiens (j’avais tenté de proposer la traduction d’un recueil de Red Shuttleworth à un éditeur il y a une dizaine d’années, en vain).

 

vendredi, 02 février 2024

02022024

Violet sur jaune sur orange, c’est dans la réglette du tableau noir vert bouteille de la salle 23 du site Fromont les seules craies, hormis deux minuscules morceaux de craie blanche, dont je me suis quand même servi – écrire à la craie, est-ce que ça me rajeunit ? n’est-ce pas, en un sens, inimaginable ? – car orange sur jaune sur violet, ça n’est pas ce qui se fait de plus visible, mais en fait finalement si, de sorte qu’au tableau on a pu lire, lisiblement :

Ben Okri

Africanfuturism

metafiction

knowledge as intuition

Garcia Marquez

 

11:48 Publié dans 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)

jeudi, 01 février 2024

Le Voisin de zéro

C’est le premier jour de février, et j’étais aux Tanneurs à 6 h 55. Je ne sais même pas s’il y a un mot d’ordre de grève dans l’enseignement supérieur, où tout est à vau-l’eau, en débandade ; habituellement, je préfère verser ma journée de salaire aux caisses de grève ; aujourd’hui, je ne pourrai même pas manifester, c’est nul (je suis nul).

 

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Cet opuscule de Cixous, paru l’année du centenaire de la naissance de Beckett, m’avait échappé, comme m’échappe généralement ce qu’écrit Cixous : je n’y comprends rien.

Ici encore impression que HC garde tout, ne jette rien, et après tout pourquoi pas si nous acceptons d’être engloutis dans son galimatias. Pourquoi va-t-elle pêcher le Purgatoire de Dante ? Et Kafka, ça s’entend, lui dont c’est cette année le centenaire (de la mort).

 

On ne devrait parler que du centenaire des centenaires, ça apprendrait aux autres.

 

L’analyse, c’est l’art de découper à l’infini. L’art d’approcher, de Beckett le découpeur. En approchant de la chose exacte, donc première approximation et erreur, pour corriger l’erreur tu estimes l’erreur en commettant une erreur plus petite, tu approches la chose exacte, la fin, en faisant des erreurs de plus en plus fines. (p. 62)

 

mercredi, 31 janvier 2024

31012024 (La Désolation)

C’est le dernier jour du mois, à la veille d’une grève probablement massive dans l’Education nationale, mais qui ne donnera rien, ou presque rien, prise qui pis est au milieu du mouvement des agriculteurs, à qui le gouvernement – passé pourtant maître dans l’art de la répression violente et démesurée des mouvements sociaux – laisse faire absolument n’importe quoi depuis maintenant plus d’une semaine, tout en dévoyant leurs revendications et en les manipulant.

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Dans ce contexte, rentré à la maison pour un bon thé après la réunion de jury de L1, j’ai lu la bande dessinée La Désolation, qui tourne autour de l’hypothèse d’un groupe de Norvégiens survivalistes retournés « à l’état de nature », ou plus justement à l’état paléolithique, dans les îles Kerguelen. Bon scénario, dessins et planches magnifiques.

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mardi, 30 janvier 2024

Baba Yaga a pondu un œuf

Ce roman composite est à peu près impossible à résumer, car le récit le plus « classique » occupe la deuxième partie, autour de la trinité des trois vieilles dames Pupa, Kukla et Beba, en vacances dans un spa à Prague. La 4e de couverture ne mentionne d’ailleurs que ce récit, alors que la première partie attaque sous un angle différent, celui d’une écrivaine narratrice qui se rend, à la demande de sa mère, dans la petite ville de Bulgarie d’où elles sont originaires afin de voir ce qui a changé. La narratrice s’y rend en compagnie d’une jeune universitaire folkloriste nommée Aba Bagay (anagramme transparente de Baba Yaga) ; cette universitaire, désormais en poste, est l’autrice de la 3e partie, qui développe sur une bonne centaine de pages, à la demande de l’éditeur du manuscrit des deux premières parties, les liens entre les différentes versions du mythe de Baba Yaga à travers l’Europe de l’Est et la Russie (mais pas seulement) et le manuscrit en question.

Le dernier chapitre de cette dernière partie, « MON CONTE EST FINI ! », est une sorte de péroraison féministe en forme de cri de la sorcière :

Comprenons-nous bien, je ne suis pas comme votre autrice. Je n’ai pas laissé passer cette épée sous l’oreiller, je crois en sa signification. Plus, je suis convaincue que quelque part, tout est soigneusement consigné, qu’il existe quelque part un monstrueux registre des réclamations, et que les comptes seront réglés un jour ou l’autre. Tôt ou tard, mais ils seront réglés. (p. 452)

 

Comment suis-je venu vers ce livre ? D’une, je voyais passer régulièrement le nom de Dubravka Ugrešić depuis quelques années. De deux, et surtout, à Arles Chloé Billon a reçu le Grand Prix de la Traduction pour ce livre, et ce qu’elle en a dit lors de l’entretien suivant la remise du prix donnait forcément envie d’aller lire ce livre.

Et prouesse de traduction, très frappante. Pour la dernière partie, bien entendu, qui – comme le récit aussi – jongle entre de nombreuses langues (russe, tchèque, croate entre autres), et entre tant de références anthropologiques. Mais aussi pour tous les “effets de comptine”, comme je tente de nommer les différentes transitions d’un chapitre à l’autre dans la deuxième partie : ces transitions se fondent systématiquement sur une antithèse entre « la vie » et « l’histoire (au sens de fiction), et sont des sortes de distiques en prose. Voici comment Chloé Billon a traduit quelques-uns de ces distiques :

Tandis que la vie est pleine d’aléas, l’histoire ne tourne qu’autour de son canevas ! (p. 212)

Tandis que les histoires personnelles s’éternisent dans la confusion, la nôtre sans encombre file vers sa conclusion. (p. 232)

Et nous ? Nous poursuivons notre route. Tandis que la vie s’arrête, cligne des yeux et tergiverse, l’histoire vers sa fin se presse. (p. 296)

Tandis que la vie regorge de détours et d’anicroches, l’histoire, elle, est sans peur et sans reproche. (p. 309)

Tandis que la vie erre dans les bois et les taillis, l’histoire à mi-chemin prend déjà des raccourcis. (p.  315)

 

Ces éléments métafictionnels sont particulièrement ironiques, étant donné qu’ils appuient sur le caractère linéaire et comme évident des histoires, alors que le livre lui-même n’est ni une seule histoire, ni linéaire, et qu’il est même difficile de lui assigner une conclusion, si ce n’est de prendre au pied de la lettre le long essai d’Aga Bagay qui constitue la troisième partie.

 

Baba Yaga a pondu un œuf (30012024)

lundi, 29 janvier 2024

Les Mots rares

 

Je ne sais d’où sort ce livre. M’a-t-il été offert (et qui vais-je vexer en écrivant ce qui suit) ? L’ai-je trouvé d’occasion ? Aucun souvenir.

Ce qui est étrange, si je l’ai acheté, c’est qu’en le feuilletant seulement j’aurais dû voir que ce n’était pas du tout le genre de poésie qui me plaît.

Pourquoi ? C’est verbeux. Voilà.

Il suffit de feuilleter.

Allons-y.

Les Mots rares (29012024)

 

L’épigraphe en italiques : un poème de trois strophes et onze vers où l’on trouve les mots iridescence, ineffables, indicibles et inénarrables.

Redflag total.

Premier poème : « Iridescence ». La deuxième strophe : Phosphor-essence poème / Phénomène fluor-essence / savant. On dirait un truc parodique.

Deuxième poème – le titre : « Géodésie poétique Poésie géodésique ». En fait, la poète a voulu canularder les éditions Galilée (qui éditent Cixous et Jean-Luc Nancy, je le rappelle)… et l’éditeur a accepté ça au premier degré. Bravo, Juliette Brevilliero !

Et ça continue, en jeux de mots infralapointe : le poème intitulé « Chair Rubis » commence par le vers « Chère Ruby » !!! Notons aussi « Le bétail qui bayait aux corneilles » (p. 60), qui s’achève sur le jeu de mots baye/baille (mais avec oubli du circonflexe). Plus on avance dans le recueil, plus on se dit que ça ressemble à des punchlines de Grand Corps Malade. (Ce n’est pas censé être un compliment.)

 

dimanche, 28 janvier 2024

28012024

Une fois n’est pas coutume, je recopie ci-après le texte que je viens d’écrire, juste à mon réveil, dans le carnet beige intitulé Une année bien remplie :

 

Aujourd’hui j’ai rêvé que j’étais chez mes grands-parents paternels et que je devais composer un numéro au moyen du cadran à disque rotatif. Au début, la ligne semblait en dérangement, puis les numéros du disque rotatif devenaient incertains, puis ma grand-mère ne semblait plus sûre du numéro ; quand je me suis réveillé – dans une quinte de toux – ma grand-mère venait de me donner le n°, qui commençait par une série de 1, et le cadran s’avérait avoir plus de dix « touches » (cercles ?), dont plusieurs 1.

 

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Plusieurs remarques :

 

  • C’était bien à Saintes, dans la maison de mes grands-parents (ils sont morts depuis 2015 et 2018 respectivement, et la maison a été vendue).

 

  • Ma mère se rend aujourd’hui chez ma grand-mère maternelle, qui est très dépendante et qui, entre autres, a sans arrêt des problèmes de télécommande.

 

  • Plusieurs de mes mots de passe contiennent des séries de 1.

 

  • S’il fallait filmer ce rêve, il faudrait fabriquer un disque rotatif avec une quinzaine (peut-être – beaucoup plus de 10 en tout cas) cercles plastifiés.

 

samedi, 27 janvier 2024

A Shard of Silence

Il y a quelques semaines seulement, j’ai découvert Amy Lowell. Jusque là c’était à peine un nom ; peut-être même pensais-je vaguement qu’elle était de la famille de Robert Lowell (spoiler : pas du tout).

A Shard of Silence (27012024)

 

Découverte car née en 1874, il y a 150 ans, et je cherchais des idées pour relancer éventuellement ma chaîne Twitch. L’idée aurait été, comme pour ma lecture d’Ulysses en 2022, ou comme le Projet Pinget en 2018-9, de fixer un rendez-vous hebdomadaire et d’avancer dans ma connaissance de l’œuvre.

Je doute d’avoir le temps à consacrer à un tel projet comme je l’aurais voulu et dans le délais idéaux (AL est née le 9 février), mais je la lis tout de même. Outre les recueils qu’on trouve en format numérique sur Gutenberg, ce recueil paru à titre posthume en 1957 contient une préface scandaleusement condescendante (et bête, au fond) d’un certain G. Ruihley ; l’exemplaire provient des collections de la B.U. Lettres de Tours, et plus particulièrement du fameux Fonds Kennedy.

 

Lowell est généralement ramenée à deux identités : poète du mouvement imagiste (dont Pound, ce facho bien viriliste, disait qu’elle l’avait confisqué/abêti) et lesbienne. Je n’ai pas trouvé trace d’une biographie en bonne et due forme d’Amy Lowell ; il semble que ça manque. Et oui, ça fait défaut.

Ici, je note que sa poésie, même avec quelques traits parfois démonstratifs, fait entendre une voix singulière qui est aussi – et cette conjonction est en soi admirable – celle d’une époque. Dans deux genres très différents, lyrique et mémoriel – disons : ‘White Currants’ (p. 45) & ‘The Congressional Library’ (pp. 57-60).

L’avant-dernière section (Eleonara Duse) est composée de six sonnets qui ne se présentent pas comme tels : un rien d’Edna St Vincent Millay ici. La forme sonnet retenue par Lowell mélange le schéma italien/pétrarquiste (quatrains de rimes embrassées avec deux rimes – ABBAABBA) et le schéma élisabéthain (sizain qui ne se partage pas en deux tercets mais en un quatrain de rimes croisées et un distique final – CDCDEE). Ce n'est ni le sonnet miltonien, qui est en fait une très légère variante sur le modèle italien – CDECDE au lieu de CCDEDE) ni le sonnet spensérien, qui est une variante intéressante (à laquelle je ne pense jamais) du sonnet élisabéthain (ABAB BCBC CDCD EE au lieu de ABAB CDCD EFEFE GG). Pourtant, je crois déjà avoir vu cette forme hybridant les deux principaux modèles.

 

Le dernier poème, « Nuit Blanche », est tel également, subtil sans être génial, sauvant la rime un peu forcée (feet/sleet) au moyen d’une comparaison astucieuse :

Ghostly and vaporous her gown sweeps by   

The twilight dusking wall, I hear her feet   

Delaying on the gravel, and a sigh,

Briefly permitted, touches the air like sleet.

 

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En écoute : Bedrock du trio d’Uri Caine (Tim Lefebvre à la contrebasse, Zach Danziger à la batterie). Difficile d’évoquer en quelques phrases la figure majeure d’Uri Caine. Majeure, pour moi ; presque aucune des personnes à qui j’ai fait écouter, depuis vingt ans, son double album des Variations Goldberg n’a partagé mon enthousiasme. Ici, dans la formation trio, c’est plus conventionnel, mais ça ne l’est pas du tout.

 

Rousse

Quand j’ai cherché le livre dans une librairie où je vais rarement – trop grande, trop généraliste – le libraire à qui je l’ai demandé, pensant que j’en avais entendu parler de cette façon, m’a montré du doigt la table réservée aux ouvrages « passés à la télé ». Et effectivement, ce que je vais dire est méchant, mais Rousse est un livre parfaitement calibré Grande Librairie (du trapen-art).

Rousse (27012024)

 

Mais bref. Reprenons au commencement. Rousse, premier roman publié de Denis Infante (« envoyé aux éditions Tristram par la poste » dit – dans un exaspérant mensonge plein d’affèterie – le rabat de la 3e de couverture), est l’histoire d’une renarde, racontée du point de vue de la renarde (et aussi, par bribes, du point de vue de plusieurs autres animaux non humains). Comme beaucoup de livres commencent à filer ce filon, je me dis à chaque fois que je devrais relire La dernière harde de Genevoix ou De Goupil à Margot de Pergaud – très lointains souvenirs.

Le livre est en trois parties de longueur inégale : « La matière » (pp. 9-94 ; récit à la troisième personne mais du point de vue de Rousse), « L’esprit » (pp. 95-128 ; récit de Rousse à la première personne), « L’existence » / ‘Eau amère du monde’ (les trois dernières pages, encore narrées par Rousse). Pour dire la différence de point de vue, pour tenter d’écrire en non-humain (c’est tout le paradoxe, voire l’aporie, du perspectivisme [cf travaux d’Emilie Dardenne notamment]), Denis Infante invente une syntaxe qui s’écarte partiellement de la langue française standard. Le trait le plus saillant est l’absence d’articles définis, toujours remplacés par des articles ø. D’autres traits moins évidents s’ajoutent à ce dispositif, en particulier la surabondance d’adjectifs (au point qu’autour des pages 30-40, ne voyant plus que ça, je lisais en repérant tous ceux qui n’apportaient absolument rien, voire affadissaient le récit).

Autre écart, le choix de procéder fréquemment à des inversions sujet/verbe que pas grand-chose n’explique : « Puis, au point du jour nouveau, aussi brusquement qu’elles avaient commencé, cessèrent rafales, s’évanouirent hurlements, se turent grondements, retomba poussière. » (p. 92) Je pense que c’est juste un écart, juste une manière d’affecter des marqueurs linguistiques à la différence, à ce qui différencie fondamentalement l’instance focalisatrice des narrateurices ou protagonistes habituel·les des récits publiés.

Donc dans cette langue – et j’insiste sur le fait qu’en ce sens c’est un livre très littéraire, très écrit, expérimental – nous est raconté une sorte de conte. Ce conte, comme on va finir par le comprendre quand Rousse aura franchi le grand fleuve, est un récit post-apocalyptique : curieusement, l’espèce humaine a été anéantie, mais les animaux ont survécu. Les animaux ont survécu, mais peut-être en mutant (cf les kraken/krakodiles), et surtout dans un espace géographique difficile à définir, dont le paysage pourrait être celui de l’Amérique du nord, mais où vivent et cheminent des éléphants. Hypothèse commode : le désastre a modifié totalement le climat des continents. Mais est-ce si sûr ?

C’est sans doute cela, la grande réussite du roman de Denis Infante : cette incertitude. Ce qui est moins réussi, c’est la façon dont le récit ne cesse d’investir la nature et les animaux non humains d’un spiritualisme new age pas très inventif et faussement apolitique, avec le personnage du corbeau « Noirciel, qui est Maître, qui sait » (passim), grand initiateur qui relève plus de Yoda que de Bouddha (même si en fait ici ça revient au même).

 

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En écoute : Evgueni Galperine – Theory of Becoming (ECM, 2022). Beaucoup écouté cet album à l’automne, et de nouveau ces jours-ci. Avec sa couverture faite de deux œuvres (gravure et huile) représentant un loup usant d’un masque humain, l’album était idéal pour accompagner la fin de ma lecture de Rousse. Par contre, rien de kitsch dans ce projet dont les compositions électroniques / samples s’ornent sur certains titres de phrases trompette et violoncelle, l’ensemble très beau, très poignant, et plutôt in-ouï.

Touche pas à mon peuple

Enfin pris le temps de lire le petit essai que Claire Sécail consacre à une lecture de l’émission de Hanouna – et à tout le système qui l’accompagne – comme d’une démarche populiste.

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Moi qui lis très peu de sciences politiques, ça m’a permis d’affiner la définition même de populisme, que Claire Sécail appuie sur les travaux de Cas Mudde et Cristobal Rovira Kaltwasser (« idéologie peu substantielle ») :

 

Cyril Hanouna élabore un système de valeurs bien plus qu’un système de pensée : chez lui, les qualités humaines sont un moteur plus important que les idées pour concevoir l’organisation et les objectifs d’une société. […] En effet, la morphologie rudimentaire et malléable du populisme fonctionne comme un moule dans lequel peuvent se côtoyer plusieurs « idéologies denses »… (p. 52)

 

Moi qui ne regarde jamais Hanouna (mais vois passer les séquences les plus choquantes, celles qui devraient valoir des sanctions de l’ARCOM), ça m’a permis d’avoir une meilleure vision de l’histoire de cette émission, et surtout de l’évolution tant de l’émission elle-même que de Hanouna en tant qu’animateur/prescripteur manipulateur. En un sens, ça a commencé ainsi : « Registre verbal simple, direct et fleuri d’argot, identification à l’ « homme de la rue », valorisation de l’inculture, stéréotypes sexistes, familiarité avec les invités : ce style est mis en avant pour rejeter le langage technique ou précieux attribué aux élites et ainsi faire corps avec le « sens commun » du peuple. » (p. 17) Et ça se poursuit / termine ainsi : « Le gagnant ? L’extrême-droite politique et culturelle, qui a bien compris l’intérêt d’investir la scène d’un divertissement dévoyé pour y promouvoir la version ripolinée de sa guerre de civilisation et imposer des idées d’autant plus dangereuses qu’elles avancent au nom d’un bon sens populaire. » (p. 77)

Ça coûte 6 euros, ça se lit en une heure, et c’est indispensable.

 

En écoute – un des disques offerts par ma mère : le disque de 2001 du trio de Sylvain Beuf (avec Diego Imbert à la contrebasse et Franck Agulhon à la batterie). Je connaissais ce disque, écouté chez ma mère quand elle l’avait acheté, back in the days. Il y a des compositions magnifiques (‘Ornette’ / ‘Catering de Médicis’ / ‘31 janvier’), et cette formule du trio m’évoque – un cas flagrant de plagiat par anticipation – les disques du groupe tourangeau Steak !

 

vendredi, 26 janvier 2024

26012024

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Depuis bientôt deux semaines je me suis remis à l’écriture de sonnets, toujours sur Facebook car la fenêtre de publication Facebook est ce qui libère mes doigts ou mon cerveau ou les deux bien sûr.

 

Et je me demande – j’ai commencé à les archiver dans un document Word – si je devrais les proposer à une revue, ou à une maison d’édition, car ces nouveaux sonnets ont un principe commun : ils se servent de, voire abusent des, parenthèses. D’où leur titre (provisoire) : Sonnets braqués.

 

jeudi, 25 janvier 2024

25012024 — du ũ au ọ

Il est important d’aller piocher dans les caractères le š et le ć pour écrire correctement Ugrešić, il est important de bien aller chercher le o souscrit pour orthographier gbanje et les voyelles tildées pour ne pas simplifier Ngũgĩ en Ngugi (ça m’a beaucoup agacé dans la thèse de décembre – zéro effort). Ainsi ai-je parenthésé ou digressé (mais brièvement) ce matin lors du séminaire de master : parler de savoirs situés, de décolonisation des esprits, sans suivre à la lettre les différences d’alphabet, c’est en partie une forfaiture. Oui, mais, et j’ai pu vérifier, après notre déjeuner avec Ez. (on imagine mal qu’on ne s’était pas vraiment vus encore en 2024), que si les deux voyelles tildées sont bien dans les caractères spéciaux de Word, le o souscrit n’y est pas, et donc il faut aller le copier-coller à partir de la WP anglophone, et même pas de la version en ligne de l’article (majeur – à lire) d’Akwaeke Emezi (alors que dans Freshwater et ailleurs Emezi l’écrit bien avec le o souscrit).

 

17:57 Publié dans 2024 | Lien permanent | Commentaires (0)

mercredi, 24 janvier 2024

24012024

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Aujourd’hui, j’étais vraiment épuisé, et malade. Toute la journée j’ai surnagé, de réunion de département et galette / pot de retraite de notre secrétaire F* en rendez-vous au garage pour l’entretien de la bagnole (c’est rarement la voiture et souvent la bagnole (parfois la caisse et jamais la tire)), et me suis couché/effondré à huit heures et demie. Je me traîne ce virus (et vous le comprenez, je n’écris pas ça ce mercredi mais rétrospectivement). Fait, au garage, en attendant que me soit restituée ma bagnole, un de mes célèbres demi-selfies , en train de lire Baba Yaga a pondu un œuf de Dubravka Ugrešić : demi-selfies car je poste toujours une photo de la page que j’étais en train de lire et un autoportrait à demi ou trois quarts planqué derrière le bouquin. Ce ne sont pas mes publications les plus populaires, que ce soit sur Twitter ou Facebook, mais il y a toujours deux ou trois likes, et je me dis que sans avoir pris beaucoup de temps j’ai pu susciter un peu de curiosité, ici pour ce roman que j’ai fini par acheter après avoir entendu la traductrice Chloé Billon en parler avec tant de passion à Arles. Or trois jours plus tard – car ce post daté du mercredi je l’écris samedi matin – il n’a eu aucun like, on s’amuse. Mais même malade je lis et je réfléchis, ça ne va pas trop mal.

 

07:46 Publié dans 2024 | Lien permanent | Commentaires (1)

mardi, 23 janvier 2024

23012024

Aujourd’hui, après avoir réussi quand même à faire cours (finalement, la discussion autour de Girl de Jamaica Kincaid a occupé toute la séance), j’ai appris, en discutant avec deux étudiantes, qu’une de leurs camarades, dont je demandais des nouvelles car je pensais qu’elle faisait partie de celles qui étaient parties à l’étranger pour le second semestre, a en fait abandonné le cursus en décembre. Cela m’a fait de la peine, car j’avais ces étudiant·es l’année dernière en L1, et elle, elle était redoublante ; toute l’année elle s’est accrochée, et elle a donc réussi à passer en L2. De mon point de vue, le plus dur était fait ; le cas des étudiant·es qui redoublent leur L1 puis enchaînent les années suivantes est assez classique. Elle a donc jeté l’éponge ; c’est triste. En novembre, je l’avais vue et elle semblait hyper motivée pour candidater à un poste d’étudiante d’échange en Afrique du sud. Ce que je devine de sa situation me déprime plus encore, je dois le dire.

 

17:47 Publié dans 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (1)

lundi, 22 janvier 2024

22012024

C’était difficile, aujourd’hui, avec – entre autres – ces allers-retours, et toujours impossible de trouver le temps et surtout l’énergie de me remettre à la traduction. Je commence à angoisser.

 

20:48 Publié dans 2024 | Lien permanent | Commentaires (0)