mercredi, 14 mars 2007
Petit Faucheux, 13 mars 2007
Cédric Piromalli / Patrice Grente / Pascal Le Gall
John O' Gallagher Trio
Huit heures et demie.
Je me suis assis derrière le photographe. À chaque fois, si je le peux, je m'assieds derrière le photographe, toujours le même photographe, qui gesticule, couvre son colossal objectif avec son écharpe ou son pull, et se contorsionne parfois à même le sol. Et lu trente pages de ce livre laconique acheté l'après-midi même. Lu en entendant le murmure des voix et la rumeur monter, comme arrivaient les spectateurs. D'ordinaire, je ne lis, ni n'écris. Me contente de regarder, observer aux alentours, écouter, ou quand je ne suis pas seul discuter. Ce soir lisant, je m'imaginais la scène en fonction de mes observations des autres fois. Devais être d'autant moins loin du compte que ce sont toujours peu ou prou les mêmes habitués ici. Une agglomération de 200.000 habitants, et toujours dans la salle de jazz de 200 places plus ou moins les mêmes visages.
--- Dis, tu le connais, toi ?
--- Pas du tout.
--- Tout le monde le connaît pas du tout.
**************
Ce mercredi matin, les phrases d'hier soir recopiées, je veux tracer quelques signes pour fixer ce concert dans ma mémoire. J'étais déçu. Pas parce que ça n'était "pas bien", ou parce qu'un des deux sets était mauvais, non. Pour des raisons différentes, chaque set m'a laissé sur ma faim.
Le plus mémorable, sans doute, restera le trio du pianiste Cédric Piromalli, du contrebassiste Patrice Grente (voir photo ci-contre) et du batteur Pascal Le Gall. Le directeur du Petit Faucheux nous avait annoncé un trio de musique improvisé "plutôt radical" : on n'a pas été déçus du voyage ! En effet, les trois compères ont démarré à fond de train, tintamarre et charivari. Je comprends que d'aucuns aient pu ou puissent trouver ça inaudible, insupportable. Pour ma part, pendant le premier tiers du morceau unique joué (et qui a duré dans les cinquante minutes), je ne cessais de penser aux trois adjectifs suivants : féroce, terrible, jubilatoire. D'autres adjectifs venaient parfois s'embusquer (sauvage, ravageur ou forcené, par exemple), mais je retiendrai ces trois-là.
En fait, ça ne s'est apaisé en decrescendo qu'une ou deux minutes avant la fin, mais, tout le temps, c'était saccadé, follement bruyant, tout en étant d'une très grande variété, tant dans les modes de jeu que dans la "mélodie" jouée (je ne suis pas certain que le terme de mélodie soit très approprié ici, mais baste...)
Piromalli (voir photo ci-contre) est un pianiste remarquable, qui, s'il a su montrer qu'il maîtrisait les facettes les plus classiquement virtuoses de son instrument, a surtout joué des poings, du dos des mains, brutalisant avec doigté son Steinway qui, tout en se demandant ce qui lui arrivait, déployait une vraie palette d'harmonies tumultueuses. (Voyez, je trouve quand même d'autres adjectifs.)
D'où alors vint ma déception ? du peu de résistance de mes oreilles, tout simplement. C'était trop intense, trop long, par rapport à la sursonorisation, travers de l'époque & surtout défaut récurrent du Petit Faucheux. À la pause (entr'acte ? entre-deux-sets ? mi-temps ?), j'ai mis trois bonnes minutes à me remettre les acouphènes en ordre de marche. Peut-être suis-je vieux jeu, un vieux râleur monotone, mais je ne vais pas au concert par hâte ardente de rapprocher le moment où je devrai porter un sonotone.
Pour ce qui est de la deuxième partie, elle était, quoique plus colorée, plus chromatique, franchement frustrante. John O' Gallagher est certainement un excellent saxophoniste, qui n'est pas sans rappeler Steve Lacy (ce qui, pour moi, est un compliment), mais il n'a rien à raconter. Rien de rien à dire. Toutes ses interventions se ressemblaient, et son phrasé toujours identique a fini par faire fuir la plupart des spectateurs avant même la fin du set. C'est dommage, d'ailleurs, car Jeff Williams est un très bon batteur, pas très inspiré, malheureusement, par la soupe fadasse de son leader.
Seul le contrebassiste, inconnu de moi, s'en tire with flying colours. Il s'appelle Masa Kamaguchi, ne doit pas être bien vieux, a déjà un CV long comme le bras, et sait (qu'il accompagne, métronome aux effets imprévus, ou qu'il parte en cavalier solitaire) faire ce qu'O'Gallagher a jeté aux orties : raconter, de ses cordes tendues, une histoire. Si Patrice Grente avait, au cours de la première partie, montré tout ce que l'on peut faire, en frénésie, d'une contrebasse, jusqu'à faire tomber son archet à trois mètres de lui et à manquer chuter lui-même, Masa Kamaguchi a, de ses doigts seuls, distillé des notes tenues, retenues, subtilement relâchées, toujours au point d'équilibre et jamais loin du point de rupture. Un musicien à suivre...
11:30 Publié dans Jazeur méridional | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Ligérienne, Jazz, Littérature, écriture
Commentaires
J'ai toujours l'impression que décrire de la musique est très difficile : toujours les mêmes termes qui reviennent. On peut dire que (tu) (t)'en tires with flying colours ...
Écrit par : Simon | mercredi, 14 mars 2007
C'est un exercice d'écriture très difficile et très vain, donc qui laisse aussi sur sa faim (encore). Je m'efforce de continuer, ne serait-ce que pour laisser une trace de tel ou tel concert. Pour les expositions, c'est plus facile, je trouve. (Est-ce aussi mon absence de réelles connaissances en musique ?)
Écrit par : Guillaume | jeudi, 15 mars 2007
D'un autre côté, est-il bien raisonnable de refuser a priori le sonotone, cette merveilleuse invention de nos époques modernes ?
Écrit par : Didier Goux | jeudi, 15 mars 2007
Les sanglots longs, etc.
Écrit par : Guillaume | jeudi, 15 mars 2007
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