lundi, 29 mars 2021
Pourquoi je suis en standby
Cela fait un mois et demi que j’ai arrêté les vidéos, et plus globalement d’écrire : ni dans ce blog, ni deux des projets que j’avais commencés. Ce genre de jachère n’est pas inhabituelle pour moi. Tant que je poursuis le reste – c’est-à-dire que je fais mes cours, assure les tâches pour lesquelles je touche un salaire, continue aussi de lire – je ne m’inquiète pas trop.
Toutefois, la période est difficile. Il n’y a pas seulement la pandémie, qui fait des expériences pédagogiques maintenues – voire reprises, timidement, « en présentiel »– une forme de mascarade, ou d’ersatz extraordinairement frustrant à la longue ; il n’y a pas seulement la très mauvaise gestion de la pandémie, qui fait qu’un ministre menteur et manipulateur continue de s’enorgueillir de protocoles quasi inexistants au nom de la lutte contre la déscolarisation : confiner totalement pendant un temps court (1 semaine en amont et en aval des vacances d’hiver par exemple) aurait permis de maintenir l’enseignement à distance tout en empêchant la flambée monstrueuse à laquelle on assiste aujourd’hui. Et sans qu’il y ait déscolarisation, il n’y aurait pas eu non plus la situation terrible dans laquelle se trouvent aujourd’hui les services de réanimation : on va se mettre à trier qui soigner, qui condamner. Le gouvernement dans son ensemble, mais Blanquer en particulier, a déjà ce sang sur les mains.
Pas de quoi donner le moral. Comme je l’ai beaucoup écrit, ce qui m’angoisse énormément pour les années à venir, outre le dérèglement climatique dont il est clair que les gouvernements et les responsables économiques qui dictent tout s’en contrefoutent, c’est la fascisation accélérée du pays. Si on résume une partie des « polémiques » de ces deux derniers mois, on a
- une ministre de l’enseignement supérieur qui lance une chasse aux sorcières en mettant une cible dans le dos d’universitaires au nom de leur discipline (les études postcoloniales)
- une polémique débile manipulant l’article de la traductrice et activiste néerlandaise Janice Deul, lui faisant dire ce qu’elle n’a jamais écrit, et concluant que « les noirs sont racistes et communautaristes »
- des néonazis qui ravagent une librairie à Lyon
- des néonazis qui menacent physiquement des élu·es de la République lors d’une séance d’un Conseil Régional
- il a été révélé que des centaines de militaires affichaient fièrement des slogans et des insignes néonazis sur les réseaux sociaux
- des féministes se trouvent accusées de « racisme » ou de « sexisme » parce qu’elles expliquent tout simplement le principe des groupes de parole en non-mixité
- les associations qui luttent contre le racisme systémique en développant le concept de « racisé·e » (qui conteste l’existence biologique des races mais constate la prévalence sociale de discriminations liées au racisme) se trouvent, là encore, accusées de racisme
Hier, un de nos amis les plus proches, universitaire, a téléphoné, et c’est, fort heureusement, C* qui lui a répondu. Lui qui se dit de gauche, et qui n’est de toute évidence plus du tout capable de remonter à la source des textes ou de réfléchir de façon complexe aux questions de société, s’est répandu pendant de longues minutes sur la cancel culture, et « Markowicz a entièrement raison » et patati et patata… Heureusement que ce n’était pas moi à l’autre bout du fil ; je n’aurais plus eu la force d’argumenter ; ce mélange de mauvaise foi et d’aveuglement finit par me démolir totalement.
Nous vivons dans un pays dans lequel l’extrême-droite dépasse les 30% aux élections, dans lequel la majorité au pouvoir, censément de centre droit, ne cesse de tenir le même discours – et de mener la même politique – que l’extrême-droite tout en étant incapable de protéger le pays contre la troisième vague du Covid19, un pays dans lequel c’est au nom de concepts d’extrême-droite (islamogauchisme, complicité, antipatriotisme) qu’on s’attaque vraiment à la liberté d’enseignement et de recherche… et tout ce qui crispe un ami, universitaire, soi-disant « de gauche », c’est la cancel culture de militant·es racisé·es ?
Et ce qui me déprime aussi profondément, c’est que je vois bien que cet ami n’est pas une exception. Je ne sais si c’est Rhinocéros d’Ionesco ou 1984 d’Orwell ; peut-être que c’est quelque chose qui n’existe pas dans la littérature. Mais c’est très laid, c’est affreux, et nous sommes en plein dedans.
10:00 Publié dans 2021 | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
Je comprends ton angoisse, sans être cynique, il est vrai que pour moi il est plus aisé de voir tout ça, dans le sens où je ne crois pas aux institutions, ni à un quelconque changement "de l'intérieur" comme on dit. Ce qui me marque, dans ton billet, c'est -tu l'auras remarqué avant moi - la manière dont tes deux angoisses (dégradation de l'état de la planète et le fascisme) s'articulent, la seconde étant - à mon sens - la conséquence de la première. Comme tu le dis si bien, les politiques et les responsables économiques (je préfère parler de capitalistes) ont bien conscience des enjeux écologiques, y répondre - de manière efficace - voudrait dire remettre en cause, en profondeur, leur modèle (capitaliste) ce qu'ils ne peuvent faire... modèle qui lui ne plus continuer sur cette voie vaguement démocratique (en Europe), à partir de là, la seule manière pour lui de poursuivre (en Europe, parce que ça fait longtemps qu’il est d'une violence inouïe dans le reste du monde) son hégémonie, c'est le fascisme.
Écrit par : Ahmed Slama | lundi, 29 mars 2021
Courage, ami Guillaume. On n'est pas encore tous rhinocérisés.
Amitiés,
Alelx
Écrit par : Alex Dickow | lundi, 29 mars 2021
Je comprends et partage complètement tes angoisses mêlées, aussi je ne serai pas d'une grande aide, étant moi aussi, par moments, complètement "en bas". Mais je peux au moins te dire ma totale solidarité. D'autant qu'on se sent rudement seuls, dans cette position de lucidité désespérée.
Écrit par : Juliette Cortese | lundi, 29 mars 2021
Le Tao, voilà une clé à utiliser pour ton mal-être. Ton ego te fait croire que tu peux peser dans l'évolution de la société alors que tu es un grain de poussière pris dans le vent dont quasiment personne n'a conscience et que tout le monde aura oublié quand la dernière personne à t'avoir connu sera morte. Travaille dessus et grimpe la montagne pour observer le monde en laissant le Tao agir. Fais-le seul, pas besoin de gourou, pas besoin de groupe, et tu iras mieux.
Écrit par : TO | samedi, 19 juin 2021
Un seul slogan pour s'en sortir, donc : le Tao c'est bon pour Toa !
(Et si on ajoute Tsing devant Tao, ça permet de siroter une petite bière en terrasse.)
Écrit par : Didier Goux | jeudi, 24 juin 2021
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