Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 08 octobre 2005

Yoko Tawada : Train de nuit avec suspects

[Je reprends cette note, laissée en plan depuis le 25 septembre, une quinzaine bientôt !]

 

Cet ouvrage en treize parties (tout comme L’œil nu, paru simultanément aux éditions Verdier) est une suite de voyages vers des destinations toujours différentes et cosmopolites. Sous la plume de Yoko Tawada, écrivaine japonaise de langue également allemande (j’avais lu, au printemps dernier, ses deux textes écrits en allemand et également parus chez Verdier, Opium pour Ovide et Narrateurs sans âme), tout voyage en train de nuit devient une expérience saisissante, insolite, un feu du regard, la farandole des corps incertains.

 

La protagoniste anonyme est désignée, sauf dans la treizième destination (mais en dire plus serait dévoiler l’un des plaisirs de la découverte), par un « vous » qui n’est pas sans rappeler le fameux précédent de La Modification de Butor. Elle est danseuse, ou peut-être, dans certains de ces récits brefs, chorégraphe, toujours en partance, ou se fardant elle-même. Yoko Tawada n’a jamais été aussi passionnée par les ironies du regard, ces instants où l’œil chavire, où la vue dérive, nous joue des tours ; sans être hallucinatoire, la prose traque les moindres trivialités couramment admises pour en exposer l’étrangeté affolante. Ce qu’il m’a semblé, c’est que ce livre, plus encore que les deux autres, était comme touché par la grâce, sans la pesanteur de certaines des nouvelles de Narrateurs sans âme et sans le caractère parfois programmatique de Opium pour Ovide, ce remarquable texte lié et protéiforme. Est-ce l’écriture en japonais, qui implique d’autres références littéraires et esthétiques, une tournure peut-être plus atemporelle ? Pour moi qui suis condamné à lire au moins le japonais en traduction, cela reste une question sans réponse possible.

 

Ce qui continue de frapper dans son écriture, c’est l’attention portée aux visages, aux yeux, et en particulier à ce que les visages humains peuvent avoir d’étrange, d’inusité, de terrifiant même. Ainsi, dans “Voiture 3 : Destination Zagreb” :

Deux hommes de petite taille en veste marron fatiguée vous ont adressé la parole dans un anglais sommaire. L’un d’eux avait le pourtour des yeux enflé et rouge, couvert d’un mince glacis de larmes. Des yeux d’ogre : cette image vous a traversé l’esprit. Mais c’était l’autre qui vous parlait. (Train de nuit avec suspects, p. 33)

 

Cette hallucination fait penser aux contes de Jean Paul, peut-être, à Nerval, à ses épigones surréalistes (le Leiris d’Aurora) mais aussi, sans doute possible, dans la minutie de la description, aux Notes de chevet de Sei Shonagôn et à cette scène géniale de Rêves, le film de Kurosawa, où l’enfant assiste à la noce des renards.

Plus loin, dans “Voiture 5 : destination Pékin”, se retrouve l’image de l’ogre :

Le doute par ribambelles enfante des ogres. Soudain, les beaux sourcils du jeune homme vous ont paru suspects. Ils étaient touffus comme des chenilles. Ils brillaient, peut-être parce qu’ils les enduisaient de salive. (Train de nuit avec suspects, p. 54)

 

Comme j’ai fait une allusion au cinéma, et comme L’œil nu, le roman de Yoko Tawada publié simultanément et traduit de l’allemand, prend fait et ancrage dans les films de Catherine Deneuve, avec une référence, en ouverture, à Répulsion de Polanski, dirai-je que ces sourcils touffus comme des chenilles évoquent aussi les films d’angoisse de Polanski, le ballon qui progressivement devient la deuxième tête du locataire, détachée du corps et rebondissant dans les airs ?

 

J’aimerais savoir, également, quels sont les divers sens du mot japonais traduit ici par « ribambelles ». J’ai voulu, jadis (oh oui, jadis), écrire une série de douze romans dont le neuvième devait s’intituler Ribambelles. La proximité du verbe enfanter, le contexte plus général de la référence aux contes effrayants que l’on raconte aux enfants, tout cela est bien beau… quoi, faudrait-il aussi apprendre le japonais ? (Je demanderai au traducteur des textes allemands de Yoko Tawada, également co-traducteur de celui-ci, et qui se trouve être un collègue de Tours…!)

 

Il y a, dans Train de nuit avec suspects, de belles trouvailles cinématographiques, comme l’analogie entre le cadre de la vitre minuscule du Transsibérien et celui des timbres qu’un passager montre à la protagoniste (p. 73). Il existe aussi, comme toujours dans l’œuvre de Yoko Tawada, une forme très ambiguë de malédiction liée aux visages (les GesICHter, visa-je-s de Narrateurs sans âme), ainsi qu’on le voit dans la rencontre avec l’actrice nommée Mimi :

Toutes sortes de souffrances, courant à travers les nerfs fins, sillonnaient son visage, le convulsaient légèrement, puis s’en écoulaient. Vous étiez persuadée que ce visage résultait de son métier de comédienne. Ophélie, Electre, Nora ou Irina étaient passées sur ce visage, elles y avaient laissé leurs traces une fois la dernière représentation passée. La pauvre ! N’existait-il pas un rite pour les chasser, ces visages superposés ? (“Voiture 9 : Destination Bâle”. Train de nuit avec suspects, p. 93)

 

L’une des lignes de force, ou de fuite, d’ailleurs, de ce roman pérégrinant, lancinant et d’une belle constance dans l’écriture, est l’assimilation du récit à ce vous, la danseuse et chorégraphe, ce vous mis à distance mais qui finit par se fondre dans un dialogue aigre-doux (“Voiture 13 : Destination nulle part”).

 

Yoko Tawada. Train de nuit avec suspects.

Traduit du japonais par Ryoko Sekiguchi et Bernard Banoun. Lagrasse : Verdier, 2005.

Commentaires

Salut, ô cher Bernard qui as su très bien trouver la note mais n'as pas reconnu l'auteur!
Lecteurs, faites fête et honneur à l'admirable traducteur de Yoko Tawada.
(Bon, maintenant, on peut écrire moins formellement, je crois...)

Écrit par : Guillaume Cingal | dimanche, 16 octobre 2005

Con nitsu ah !

Écrit par : Yoka tawada | dimanche, 16 octobre 2005

Ce n'est bien entendu pas la vraie Yoko Tawada mais le facétieux Simon qui vient de déposer trois mots translittérés et, de mon point de vue, incompréhensibles!

Écrit par : Guillaume | dimanche, 16 octobre 2005

J'espère que je n'ai pas fait fuir le traducteur.

Écrit par : Simon | dimanche, 16 octobre 2005

Ne t'inquiète pas: je précisais pour ceux qui ne savent pas utiliser la commande "nom-lien vers le site".
Le traducteur est (je l'espère) un collègue qui m'apprécie autant que je l'apprécie, and that means: a lot!!!
Je le verrai en début de semaine je pense...

Écrit par : Guillaume | dimanche, 16 octobre 2005

Les commentaires sont fermés.