lundi, 14 mai 2007
Questions de traduction, Lucilius
Comme tous les beaux ouvrages oranges de la collection « Budé », le tome I des Satires de Lucilius que je m’apprête à rendre à la Bibliothèque Universitaire est d’une érudition impressionnante. Son auteur est F. Charpin (dont le prénom est introuvable, même sur la dédicace à l’encre violette qui figure sur la page de faux-titre, et qui, par ses pleins et ses déliés archaïsants, laisserait penser qu’elle a été écrite il y a des siècles, presque (or, le livre date de 1978)), et il faut remarquer qu’il hésite souvent entre une traduction « utile » (scolaire, au bord du littéral (je ne sais comment dire))* et une traduction plus respectueuse de la poéticité du texte. Ainsi, pour le fragment 19 du livre VII, il restitue admirablement l’écho allitératif esu-/ex-/excul- (repris par la série arr-/à la/aff-), de même que l’hypallage :
esuriente leoni ex ore exculpere praedam
arracher la proie à la gueule affamée d’un lion
En revanche, il est difficile de savoir si, dans le cas, du fragment 17 du livre VI, il n’a pas vu, ou pas su traduire, la contrainte alphabétique dans l’alignement des quatre termes forts (n, o, p, p) :
nequitia occupat hoc petulantia prodigitasque
qu’il traduit « ces gens se livrent à la débauche, à l’effronterie, au gaspillage », ce qui est très utile pour l’étudiant en mal de sens, mais frustrant pour l’amoureux de poésie. Je propose
tout le jour ce ne sont qu’ignominie, insolence et indiscipline
où la série j/i/i/i se substitue à la série n, o, p, p. La traduction est également plus resserrée et correspond mieux à la structure de l’hexamètre. Évidemment, il y a beaucoup à redire à la traduction de occupat hoc, d’un point de vue sémantique. (On tourne en rond, merde, on tourne en rond.)
* J’ai trouvé hier, en feuilletant notre vieux Folio jauni du Paysan parvenu, une citation géniale sur l’usage des parenthèses :
Jusque-là je m'étais assez possédé, je ne m'étais pas tout à fait perdu de vue; mais ceci fut plus fort que moi, et la proposition d'être mené ainsi gaillardement à la Comédie me tourna entièrement la tête; la hauteur de mon état m'éblouit; je me sentis étourdi d'une vapeur de joie, de gloire, de fortune, de mondanité, si on veut bien me permettre de parler ainsi (car je n'ignore pas qu'il y a des lecteurs fâcheux, quoique estimables, avec qui il vaut mieux laisser là ce qu'on sent que de le dire, quand on ne peut l'exprimer que d'une manière qui paraîtrait singulière; ce qui arrive quelquefois pourtant, surtout dans les choses où il est question de rendre ce qui se passe dans l'âme; cette âme qui se tourne en bien plus de façons que nous n'avons de moyens pour les dire, et à qui du moins on devrait laisser, dans son besoin, la liberté de se servir des expressions du mieux qu'elle pourrait, pourvu qu'on entendît clairement ce qu'elle voudrait dire, et qu'elle ne pût employer d'autres termes sans diminuer ou altérer sa pensée). Ce sont les disputes fréquentes qu'on fait là-dessus, qui sont cause de ma parenthèse; je ne m'y serais pas engagé si j'avais cru la faire si longue, revenons.
11:00 Publié dans WAW | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Latin, Traduction, Littérature, Poésie
Commentaires
C'est magnifique l'idée d'étudier les traductions des auteurs latins, pour en saisir des références utiles à son travail de traduction. Merci beaucoup.
Écrit par : pat | lundi, 14 mai 2007
"collection, littéral, difficile, affamée, gaspillage, resserrée (compte double), occupat (latin), feuilletant":
> Mots de l'article comportant un redoublement de consonnes, et comptant trois syllabes. Soit dit en passant, j'ai pris la liberté d'écarter "violette", qui, si l'on décompose le son "io", ne me semble pas très idiomatique. Que pensez-vous de "feuilletant" (même logique, ai longuement hésité...).
> Non, elle n'a pas que ça à foutre, c'est, pour elle, un moyen de se ressourcer.
"(On tourne en rond, merde, on tourne en rond.)" > On tourne en rond, sapristi ou sac à papier. write that down your sheet. (j't'envoie la notice?;) )
Écrit par : Aurélie | lundi, 14 mai 2007
C'est la Tatie flingueuse ?
Écrit par : Guillaume C. | lundi, 14 mai 2007
Guillaume, steplait, tu peux me la retrouver, cette citation sur l'usage des parenthèses ? Ca ferait bien mon affaire (dit-elle)...
Écrit par : fuligineuse | mardi, 15 mai 2007
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