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mercredi, 21 septembre 2011

Nuruddin Farah ――― Crossbones

Cette nuit, j’ai bien avancé dans ma lecture de Crossbones, le dernier roman de Nuruddin Farah. Délibérément, je me suis laissé quelques chapitres, histoire de prolonger le plaisir. (Les orgasmes rapides ont du bon aussi. Les orgasmes longs sont les meilleurs.)

En 2006, j’ai traduit Links, qui a été finalement publié dans une très mauvaise traduction en 2010 (Exils). En 2007, j’ai lu et relu Knots, le second volet de la trilogie « Past Imperfect ». Cette semaine (et les suivantes, sans doute), je la passe avec le troisième tome. Quelle langue ! Plus exactement, Nuruddin Farah a une langue, une écriture et une vision exceptionnelles. C’est la convergence des trois qui, à chaque fois, subjugue et donne à réfléchir.

Il ne se passe pas grand-chose, et pourtant ce n’est pas un « livre sur rien », loin s’en faut. Un livre très intense, avec des situations, des personnages d'une profondeur et d'une puissance impressionnantes.

Ce n’est pas un texte post-colonial au sens normatif ou préformaté, et pourtant il y a, dans chaque phrase, cent fois plus d’ouvertures intellectuelles sur les questions de mondialisation et la situation des pays africains que dans quinze romans de [ici, imaginer les noms de tel ou tel romancier].

Ce n'est pas un texte « formaliste », et pourtant il y a, à chaque phrase, de vraies richesses lexicales, linguistiques, poétiques.

Crossbones fait renaître le désir. J’ai le désir d’écrire sur ces textes de Nuruddin. J’ai envie de traduire Nuruddin. J’enrage à l’idée que si, demain (c’est-à-dire dans deux semaines), Nuruddin reçoit le Prix Nobel (il a déjà été short-listed deux fois, après tout), les lecteurs français n’auront rien de valable à se mettre sous la dent, à part la deuxième trilogie, magistralement traduite par Jacqueline Bardolph. Surtout, il n’y a plus d’éditeur pour s’intéresser vraiment à Nuruddin, comme jadis avec Pierre Astier. Il n’y a plus de critique littéraire qui connaisse vraiment son œuvre. J’ai proposé d’organiser, à Tours, un colloque consacré spécifiquement à cette troisième trilogie – dans notre centre de recherche, préoccupé de gender studies à la sauce fade et de questions politiques rebattues, cela ne soulève à peu près aucun enthousiasme. Depuis son divorce, je n'ai même plus de moyen de communiquer avec Nuruddin (pas d'email, plus de contact avec son agent, rien).

il n'y a pas qu'en France que les critiques ne comprennent pas (ou comprennent mal) l'esthétique de Nuruddin. La plus importante (à ce jour) recension de Crossbones aux Etats-Unis démontre cela à l'envi.

Sans doute devrais-je écrire, dans mon coin et sans songer à qui me lira, des chapitres sur cette trilogie, ou traduire les romans tout en sachant qu’un(e) incapable se chargera finalement de massacrer le texte français. C’est un peu difficile. Mais la beauté en vaut la chandelle.

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