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jeudi, 19 novembre 2020

Coincé sous un beau préau

J’ai lu le mot Beaupréau dans un livre, donc me voici dans la cour de récréation de mon école primaire, une fois qu’elle a été rénovée, donc quand j’étais en CM2. Sous le préau nous jouons aux billes, selon des règles un peu plus subtiles que celles des gamins d’aujourd’hui, les consoles vidéo les abrutissent. Stéphane Bégu s’exclame que c’est un beau préau, et il se fout de moi.

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Il se fout tout le temps de moi, alors dans la cour de récréation de l’année d’avant, en CM1, je lui casse la gueule, ou plus exactement pour la seule fois de ma vie je fous mon poing le plus fort que je peux dans la gueule de quelqu’un, et ce quelqu’un saigne du nez. Ce quelqu’un c’est Stéphane Bégu. On reprend la partie de billes, mais cette fois-ci c’est dans la cour de récréation du collège Ronsard, et mon fils a honte de voir que je joue aux billes alors que j’ai passé depuis plus de trente ans l’âge d’être au collège.

 

Mais pas celui de jouer aux billes, alors bon.

 

Sous le préau de mon école primaire nous jouons aux billes, mais Stéphane Bégu désormais a la tête et les cheveux de Yaël Bidon, les jambes d’Olivier Saint-Geours, et il parle intelligemment comme Sébastien Raoulas. Le surveillant du collège Ronsard vient nous dire qu’on n’a rien à faire là, on n’est pas de ce collège, et d’abord où sont nos masques.

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Le surveillant, qui est celui des sosies de François Berléand qui ne ressemble pas du tout à François Berléand, a un livre à la main, et ce livre c’est Catastrophes de Pierre Barrault. Sébastien Raoulas me glisse à l’oreille que nous devons nous trouver dans un chapitre inédit du livre de Pierre Barrault. Je lui dis que je ne comprends rien et il m’engueule parce que ce n’est pas parce que nous vivons en 1983 que nous ne devons pas porter notre masque comme la loi nous y oblige en 2020.

 

Je lui dis de laisser tomber, et la cour se remplit de billes. Le sosie de François Berléand qui ressemble à présent à Stéphane Bégu se casse la gueule en glissant sur les billes. Il saigne du nez. Tant mieux. En plus il va choper le Covid19 car les billes se sont toutes transformées en petits avatars de Covid19. Tant mieux. C’est ce que je me dis même si je me rends compte qu’il saigne du nez mais avec les visages des autres personnages du roman de Pierre Barrault.

 

D’ailleurs la partie de billes se poursuit au collège Pierre-Barrault et le surveillant n’est autre que Pierre de Ronsard. Il commence à brailler Mignonne, allons voir si la rose. Je lui pète la gueule, mais bien. J’y prends goût, ma parole. Et puis il n’avait qu’à chanter une de ses antistrophes, car j’aurais pu répondre avec l’épode. Et fusionner François Berléand et Yaël Bidon dans le télépode. Nous voulons des personnages non-binaires. Et des pronoms fuyants. Les il des deux paragraphes précédents ne désignent jamais qui ils semblent désigner.

 

Je m’acharne sur Ronsard ; je lui pète les dents, et je lui colle le seul point-virgule du texte dans l’œil droit.

 

Claire me dit que ce n’est pas charitable, et pas malin, qu’elle avait besoin de poser des questions à Ronsard pour son cours de demain.

Je lui réponds que son cours est sur Les Contemplations de Hugo.

Ça ne te regarde pas, me dit-elle.

Il  n'avait qu'à pas me dire d'arrêter de singer bêtement et sans talent l'écriture de Pierre Barrault.

Mais il ne t'a pas dit ça, me dit Claire.

 

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J’ai l’impression que Claire est en fait la Claire du roman de Pierre Barrault et ça m’effraie car je n’ai pas lu le roman et je ne connais pas tous les couplets de What shall we do with a drunken sailor. Pierre Barrault me dit que ce n’est pas grave, mais je ne l’écoute pas car c’est lui le sosie de François Berléand et si je n’avais pas lu le mot Beaupréau nous n’en serions pas là.

Le narrateur n’avait qu’à passer sa jeunesse à Saint-Genouph, et nous n’en serions pas là.

 

Sébastien Raoulas me dit que ça se voit que je n’ai pas lu Catastrophes car ce n’est pas un roman, mais des fragments.

Je lui dis qu’il faut qu’il arrête de se contenter de lire les quatrièmes de couverture car c’est bien un roman, et d’ailleurs il y a un début et une fin.

Yaël Bidon hoche la tête.

Et entre le début et la fin il y a les péripéties.

Yaël Bidon hoche la tête. C’est elle qui a pris la photo de l’agent immobilier dans l’appartement, juchée qu’elle était sur l’éléphant de François Delarozière. Elle est prête à faire cours sur Ronsard, mais elle croit que ça veut dire qu’il faut être juchée sur le Ronsard-machine de François Delarozière.

 

Je reprends mes billes, car il est évident que j’ai pris un des mauvais chemins pour aller à Beaupréau. Sans ça je ne passerais pas mon temps à m’égarer dans la cour de mon école et dans celle du collège Ronsard.

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Je sors du collège qui est mon école de quand j’étais en CM2 mais avant qu’elle ne soit construite, j’ouvre Google Maps qui s’ouvre sur la page 142 de Catastrophes et me dirige vers Saint-Genouph. Claire me tend le nez sanguinolent de Stéphane Bégu. Claire chante This Is No Mine Ain House, dont je ne connais pas les couplets non plus mais que je chante en entier.

Au milieu de la rue Puspök, nous nous arrêtons, figés. Plus moyen de nous bouger.

Chut, me dit Claire, Pierre Barrault est en train de se raser, et il suffit d’attendre qu’il ait terminé.

 

De toute façon, me souffle Sébastien Raoulas, dont je me demande ce qu’il fout dans mon aéroplane blindé, de toute façon c’est un fragment inédit de Catastrophes, nous n’en sortirons jamais.

Et nous n’arriverons jamais à Saint-Genouph non plus.

Désespéré, j’avale une bille pour que Sébastien Raoulas se transforme en Stéphane Bégu et que je puisse lui casser la gueule.

 

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