lundi, 14 novembre 2005
Du mauvais côté du filet
Je viens de me déclarer déçu par Match Point, le dernier film de Woody Allen, tant dans ce carnet que sur le site ami de Philippe[s]. Quelques éclaircissements s'imposent.
Tout d'abord, j'ai trouvé ce film très longuet ; il ne semble pas qu'Allen ait maîtrisé du tout le montage. Je ne suis pas du tout un fanatique des films courts ou "efficaces" (ma grande passion pour Kiarostami, Monteiro ou Bartas convaincront, je l'espère, les plus sceptiques), mais il faut que les scènes lentes ou en surplus aient un minimum de signification, ou, à tout le moins, qu'elles soient bien jouées. Ce n'est pas du tout le cas, par exemple, des deux scènes au cours desquelles Chris rencontre un camarade du circuit professionnel ATP. Pour donner un autre exemple, les deux scènes dans la salle des armes et la longue scène du double meurtre ne présentent pas grand intérêt, dans la mesure où il devient vite clair 1) que Chris compte se débarrasser de sa maîtresse et 2) qu'il est tellement manche qu'il aurait pu se faire pincer mille fois. C'est là le problème principal du film: Allen tire sur la ficelle du hasard à double tranchant jusqu'à élimer la corde.
Toutefois, ce n'est rien encore. Ce qui m'a le plus énervé, ce sont les acteurs, car, à l'exception (notable) du duo tête d'affiche, c'est la calamité absolue: non seulement l'actrice qui joue le rôle de l'épouse de Chris ne sait pas jouer, mais elle ne sait ni marcher ni écarquiller les yeux de manière convaincante; je ne dis rien de la belle-mère, dont on n'a pas dû vouloir dans le pire sitcom. L'acteur qui joue le rôle du fils de famille n'est pas mauvais dans les premières scènes, puis son jeu d'effrite jusqu'à n'être plus que sourires niais de circonstance, fades tentatives pour occuper le champ de vision.
Enfin, même si j'apprécie à sa juste valeur le désir du réalisateur de faire un film qui ne lui ressemble pas (pas de dialogues brillants, pas de cynisme doux-amer, aucune vue captivante de la ville, absence de jazz), je ne peux que constater qu'il n'a réussi que sur un seul et unique point: alors que la plupart de ses films, même récents, étaient très réussis, celui-ci est un naufrage désolant.
Le film ne m'a guère procuré qu'une seule joie, outre d'apprécier le goût chaque année plus prononcé d'Allen dans le choix de ses acteurs masculins: Allen fait entendre une infinie variété d'accents (irlandais soft, cockney, posh, du Nord de l'Angleterre, américains...), ce qui donne, à son film, une musicalité plus convaincante que la référence, poussive et râpeuse, à l'opéra italien.
13:29 Publié dans Tographe | Lien permanent | Commentaires (2)
dimanche, 16 octobre 2005
The Shining de Stanley Kubrick
Je n’ai pas tellement envie d’écrire des paragraphes entiers sur ce film vu hier soir (jamais vu auparavant), car qu’apporterais-je de nouveau à l’interprétation de ce déjà-classique ? En l’occurrence, des milliers d’autres ont dû dire des milliers de fois combien le décor est impressionnant, combien le lieu lui-même, l’hôtel, avec ses corridors immenses, contribue à créer l’ambiance insolite qui fait progressivement pénétrer dans l’architecture mentale du born-again murderer. Les dialogues très littéraires ont une force de conviction étonnante, les trouvailles scénographiques ne manquent pas, etc.
Mais quelqu’un a-t-il jamais écrit noir su blanc ce qui nous a fait hurler, C. et moi, tout au long du film, à savoir que Jack Nicholson joue effroyablement mal, que rarement acteur aura aussi abondamment (mais involontairement, je le crains) mêlé le jeu hyperbolique (overacting) à la plus étonnante incompétence (gestuelles, mimiques, tons, déhanchements, tout est atrocement faux). Toutes les scènes où il apparaît sont apocalyptiques : qu’il essaie d’avoir l’air beurré, violent, inspiré, dément, lubrique, il est toujours complètement à côté de la plaque. Pour nous deux, le film d’horreur consistait à devoir supporter cet olibrius même pas histrionique, à voir scène après scène ce nullard s’enfoncer et engloutir le film avec lui… Epouvantable, au sens fort et littéral de cet adjectif.
Soyons clairs : ni C. ni moi ne le trouvons bon acteur habituellement. Il était certainement pour nous, avant d’avoir vu ce film, l’un des acteurs les plus surestimés du cinéma américain. Mais nous sommes quand même tombés de haut…
Bien entendu, Kubrick est mille fois coupable, non seulement d’avoir choisi cet acteur, mais aussi d’avoir su aussi peu le diriger. Car, enfin, quand le visage de Jack (le personnage (mais enfin, on ne croit jamais au personnage)) apparaît entre les échardes de la porte de la salle de bains, non seulement Nicholson fait ses ridicules yeux-de-fou (si c’était un adolescent amateur, déjà on le sifflerait pour cela) mais il se sent obligé de tirer la langue comme un benêt de la dernière espèce. Insensé, oui, le mot n’est pas trop fort !
Kubrick est coupable, d’autant que, même avec ce Nicholson inepte, son film parvient à ne pas être mauvais.
C’est dire qu’il aurait été génial, avec, disons, Robert Mitchum (je sais que Mitchum était trop âgé en 1980, mais c’est par comparaison avec Hunter’s Night), ou De Niro (ah, cela, ç’aurait été fort).
23:05 Publié dans Tographe | Lien permanent | Commentaires (1)
dimanche, 02 octobre 2005
Gabrielle, de Patrice Chéreau
10 heures 30.
Hier soir, nous avons profité de la présence de mes parents pour le week-end (ah, il faut que je pense à trouver une nouvelle baby-sitter, j'ai encore oublié de demander à L***) pour improviser une petite soirée d'une folle originalité: restaurant en vitesse (Le Marrakech, rue Colbert) et cinéma aux Studios, où, étant arrivés un brin trop tard pour les films de la séance de 21 h 30, nous avons choisi, sans aucun regret d'ailleurs, le dernier Chéreau, Gabrielle. Il paraît que les critiques se déchaînent contre Chéreau, et je comprends assez pourquoi: Chéreau change de style à chaque film, et cela dérange les petits ronflements confortables. Il prend de nombreux risques, et, même si certaines audaces maniéristes sont parfois un peu à côté (la surinscription de dialogues non prononcés, par exemple, qui m'a plu, mais pas à C.), le résultat est très convaincant.
Certes, ce film est, dans son sujet, son esthétique, son traitement des corps et des dialogues, aux antipodes de Ceux qui m'aiment prendront le train, film absolument génial, mais ne peut-on aimer des mets variés? La vraie prouesse de Chéreau, sans doute, c'est qu'Isabelle Huppert joue, pour une bonne part du film, étonnamment juse et avec sobriété, ce qui n'est pas son point fort d'ordinaire. Où l'on voit, une fois encore, et par contraste, que Chabrol ne sait pas diriger ses acteurs, même fétiches. Huppert joue mieux, en quelques quarts d'heure, que dans les kilomètres de pellicules que lui a consacré Chabrol.
Je reviendrai sur le film plus tard, nous partons au parc Sainte Radegonde.
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En écoute: "Thoughts about Duke II"(Franz Koglmann), interprété par Lee Konitz et le Monoblue Quartet (avec une brève allusion, par le clarinettiste, vers la fin, à Some Day My Prince Will Come, dont je parlais dans ma précédente note).
12:20 Publié dans Tographe | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 10 septembre 2005
Le Milieu du monde
Nous avons regardé hier le beau film d’Alain Tanner, Le Milieu du monde, qui date de 1974. C’est un beau film, pour ses cadrages, son histoire d’amour finalement fort banale, mais traitée avec une douceur, une justesse, une grande légèreté dramatique. Très lent, il n’est jamais vraiment ennuyeux, grâce à cette intrigue fort réduite mais suffisante. Dans l’approche quotidienne des rapports entre l’homme et sa maîtresse, le traitement admirablement sobre et perspicace de l’intimité (la scène du bain ou du fou rire, et même dans la scène de dispute) on sent toute la nouveauté, toute l’absence d’artifice dont Tanner est redevable à Godard et Truffaut, principalement.
Les deux acteurs, Philippe Léotard et Olimpia Carlisi, sont excellents, et le premier d’autant plus qu’il a quelques répliques passablement grandiloquentes et appuyées à faire gober au spectateur; il ne parvient pas à les rendre moins ridicules, mais il en sort, pour sa part, indemne, vierge de toute contamination rhétorique. C’est dans le registre des métaphores que je trouve, comme souvent (ah! l’insupportable cinéma “asiatique” des années 1990!), ce film plus pesant, presque lourdingue. La palme revient, ex aequo, à la métaphore de la différence entre le son des trains qui s’approchent et celui des trains qui s’éloignent, et à la métaphore explicitement sexualisée du “milieu du monde” (c’est à la fois la ligne de partage des eaux et le vagin, ouah puissant!).
C’est un film à voir, qui est très beau plastiquement sans rechercher, pour autant, d’effets de manche ou de caméra. Le rouge de la Datsun et le jaune des volets de la pension, entre autres, composent une palette simple mais mémorable, comme le film lui-même.
16:30 Publié dans Tographe | Lien permanent | Commentaires (2)
mardi, 30 août 2005
Elégie
Dans les feuilles, l'insecte net prêt à voler
Sur cette terriblement violacée mûre
Nous surprend dans le flou d'un monde inconsolé
Où s'obstinent ma voix mauve et ton doux murmure.
14:48 Publié dans Ecrit(o)ures, Flèche inversée vers les carnétoiles, Tographe | Lien permanent | Commentaires (2)
samedi, 27 août 2005
L’appel du sang : Dracula, de Coppola
Vila-Matas a raison de s’insurger contre les chiffres ronds. S’il est vrai que ce Dracula soit la cent-cinquantième adaptation cinématographique du roman de Bram Stoker, cela n’a pas inspiré le réalisateur…
J’ai regardé ce film avant-hier soir, en partie par curiosité professionnelle, car le film est, comme le roman, au programme de l’agrégation d’anglais 2006. C’est un film raté, car, tout en pariant sur le film de genre ou d’action, il est lent, ou plutôt, monotone, mal construit dans son rythme. La mise en scène est hyperbolique (pour ne rien dire de l’assommant accompagnement musical), et excessivement explicite: rarement un film aura mis autant les points sur les i d’un texte pourtant pétri d’ambiguïté.
Entre autres défauts criants de mise en scène, Coppola abuse des plongées (dans mon souvenir, une bonne dizaine dans la première demi-heure), sans doute abusé par une conception primaire du sublime gothique et de sa légendaire verticalité. Les transitions sont souvent à la limite du cocasse involontaire, comme la superposition par fondu des yeux translucides du loup sur la plaie au cou de Lucy, ou, pire encore, du rôti de bœuf sur la tête tranchée de la même Lucy. Voilà le genre de films dont je pensais qu’ils étaient réservés aux adeptes des «nuits du nanar», ou des fanatiques autoproclamés (toujours au second degré, bien sûr*) des séries Z…
Pour les acteurs, mieux vaut n’en rien dire. Le jeu de Keanu Reeves est d’une fadeur exemplaire, ce que contrebalance un Anthony Hopkins déchaîné ou déglingué, qui en fait des tonnes, entre la caricature du Marlon Brando de Missouri Breaks et l’imprécateur de L’Exorciste.
Les décors ont la semblance (volontaire ?) du carton-pâte d’antan, et les costumes, parfois beaux, sont souvent ridicules, avec une mention spéciale, dans la première scène, pour l’armure en chocolat de Dracula…
Bref, on se demande bien ce que les candidats à l’agrégation vont pouvoir en tirer, à moins que l’intention soit justement, non de s’intéresser à une œuvre d’art de valeur, mais de relever tous les tics de mise en scène, et de mettre en place de façon patente le lexique de l’analyse cinématographique. Si tel est le cas, cela signifierait que le ridicule pédagogisme des I.U.F.M.** a également contaminé l’agrégation***.
* Les années 1990 pourront passer à la postérité comme l’ère du second degré, et les années 2000 sous l’appellation «entre guillemets».
** Mais si, vous savez : pour les tenants du pédagogisme, peu importent le contenu, la transmission des savoirs. Qu’importe, dans l’enseignement du français par exemple, la qualité de la langue ou la valeur des œuvres, du moment que l’on peut réduire tout cela à des séquences, des séances et des objectifs…
*** Je pressens que cette note, et aussi l’ajout astérisqué ci-dessus, appelleront des réactions. Assurément, je n’ai pas cherché à éviter la polémique.
12:40 Publié dans Tographe | Lien permanent | Commentaires (3)