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vendredi, 13 janvier 2006

Vendredi 13, ou l’Inattendu

Il avait rendez-vous avec elles, devant la cathédrale Saint-Gatien, c’est-à-dire sur le parvis. Une grive mauvis passa dans le ciel encore brun de nuages et de nuit, à quelques encablures pourtant de midi. Il ne les vit pas venir. Il avait connu l’une des deux dans un monde que les ignorants disent virtuel, et ne la connaissait pas de vue ; l’autre était l’amie de la première, et il la connaissait moins encore.

 

Il faisait les cent pas, variant les itinéraires avec plaisir, choisissant la première esplanade, ou la deuxième, s’immobilisant quelques minutes près des niches vides de leurs saints, les scrutant comme si ces évidements détenaient le secret de ce qui fait toute notre joie : l’évidence et le mystère. Parfois, il tirait son appareil photographique pour saisir qui sait quel détail de pierrerie, ou tel fragment de rue ; ou encore, je le vis, à midi déjà passé, alors que le froid devait lui engourdir le manteau, empeser ses lunettes aux verres rectangulaires et d’un noir martial, dur, acéré, se prendre en photo, à bout de bras, mais non sans s’être au préalable caché le visage derrière le livre de poche (il attendait cette Eurydice de fortune) qu’il avait emporté avec lui.

Oui ; il faut dire qu’il lisait parfois, comme dans un bréviaire, de son air monacal, un petit livre curieux, à couverture grise à peine marquée du rouge d’un visage et de caractères d’imprimerie (titre et nom d’auteur, certainement). Je l’observai. Je me disais qu’il était curieux qu’il eût ainsi prévu tous les accessoires d’une attente interminable et vouée à l’échec, à l’absence de rencontre. Jouait-il la comédie de l’attente ? Et qui était-il ?

Il lisait. N’est-ce pas faire des manières – lire ainsi, comme dans un bréviaire, en faisant les cent pas devant une cathédrale ?

Vers midi et quart, un homme l’aborda, lui demanda assez sauvagement « Vous êtes Guy ? », à quoi il lui fallut répondre par la négative, d’un air d’abord surpris, puis amusé. Moi aussi, je trouvai cela amusant que lui, qui attendait depuis quelque temps déjà deux femmes qu’il ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam, se vît de la sorte aborder. A midi vingt, un jeune couple que nous avions vu, lui et moi, entrer dans la cathédrale un bon moment auparavant, sortit par le portail de gauche. Se jetant dans la Loire (n’a-t-il pas, comme tout un chacun, une montre ou un téléphone portable faisant office d’horloge ?), il leur demanda l’heure.

Il les avait entendu, avant, parler des saints absents de leur niche, de modillons, de façades polychromes que restitue, de nos jours, un savant jeu de lumières. « À Chartres », avait dit la jeune fille, mince lame de couteau rousse – j’avais été tenté de m’immiscer dans leur conversation, en leur disant que c’était surtout la cathédrale d’Amiens qui était réputée pour son éclairage polychrome. Je m’étais retenu – et là, lui, il sautait le pas, quelle banalité, pour leur demander l’heure…

Il ne traîna pas longtemps à débiter pieusement ses patenôtres, à lire ses fadaises, à prendre ses photos loupées, à émincer sa silhouette. Il fila, sitôt l’heure (midi vingt) annoncée par le jeune homme. De toute son attente, il ne s’était absenté qu’une minute, vers 11 h 50, pour aller rôder devant l’entrée du Musée des Beaux-Arts, anxieux – sans doute – d’avoir fait fausse route et de s’être trompé sur le lieu du rendez-vous… sans jamais perdre de vue le parvis de la cathédrale. Son autre absence, ce fut vers midi dix, pour aller rendre hommage au gisant si émouvant des jeunes enfants de Charles VIII – attribué tantôt à Michel Colombe tantôt à son neveu Guillaume Régnault – mais si furtivement, une minute à peine, qu’il pensait ne pas courir de risque.

Je suis seul à savoir si, pendant cette minute, deux dames ne se sont pas présentées sur le parvis, ont scruté un à un les trois portails, ni si l’une d’entre elles ne se sera pas exclamée « C’est sûr, avec un tel retard, il n’aura pas attendu… » Seul à le savoir, je le laisserai dans le doute. Cela lui apprendra à faire les cent pas.

Fait tapisserie au château de Chenonceau, 6

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Fait tapisserie au château de Chenonceau, 5

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14:53 Publié dans BoozArtz | Lien permanent | Commentaires (0)

Note n° 1010 : Un poème d'Emile Verhaeren...

... offert par Joye (dont j'ai traqué les contributions au site Langue française, mais aussi les idées de Gifts for teachers...) dans le cadre du jeu des pierres blanches :

 

Les menus faits, les mille riens

Les menus faits, les mille riens,

Une lettre, une date, un humble anniversaire,

Un mot que l'on redit comme aux jours de naguère

Exalte en ces longs soirs ton coeur comme le mien.

Et nous solennisons pour nous ces simples choses

Et nous comptons et recomptons nos vieux trésors,

Pour que le peu de nous qui nous demeure encor

Reste ferme et vaillant devant l'heure morose.

Et plus qu'il ne convient, nous nous montrons jaloux

De ces pauvres, douces et bienveillantes joies

Qui s'asseyent sur le banc près du feu qui flamboie

Avec les fleurs d'hiver sur leurs maigres genoux,

Et prennent dans la huche, où leur bonté le cèle,

Le pain clair du bonheur qui nous fut partagé,

Et dont, chez nous, l'amour a si longtemps mangé

Qu'il en aime jusqu'aux parcelles.

 

 

En écoute (paradoxale) : "Le Roi" de Georges Brassens

Fait tapisserie au château de Chenonceau, 4

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11:40 Publié dans BoozArtz | Lien permanent | Commentaires (0)

Chenonceau par les croisées, 4

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