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samedi, 14 janvier 2006

Arétin dans toute sa bouffissure ?

"Ah ! il aurait fallu nous montrer, dans toute la beauté de sa honte, dans toute sa bouffissure sanglée de velours blanc, glorieux et obscène, pourri de débauches et de talent, commodément installé dans le mépris pour insulter, donnant le premier exemple d'une de ces situations d'infamie qui s'affermissent en durant parce que la boue durcit, bravant et bavant, polygraphe et pornographe, ruffian de tableaux et courtier de filles, cet Arétin si complet que les plus parfaits gredins de notre tout dernier bateau suivent encore le sillage de sa gondole : car il ne leur a rien laissé à trouver, ni la goujaterie historiée, ni les grâces stercoraires; car il a tout inventé, depuis le système de faire crier ses articles dans la rue avec des titres sensationnels jusqu'à celui de toucher aux fonds secrets, depuis l'art de faire resservir les vieilles chroniques en les démarquant jusqu'à celui de ne jamais applaudir un homme que sur les joues d'un autre ! "  (Edmond Rostand. Discours de réception à l'Académie Française, le 4 juin 1903)

 

Daumier, ou les bouffissures

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"La charge de Daumier est féroce. Les trognes exsudent les bouffissures de la vanité. Une cravate bourgeoisement nouée compresse le menton renfrogné, la fausseté d’un regard luit dans l’oeil mi-clos sans que jamais le détail n’égare."

(Dominique Widemann. L'Humanité du 30 octobre 1999)

19:55 Publié dans BoozArtz | Lien permanent | Commentaires (0)

Bouffissures

Sans doute le mot bouffissure ne se donne-t-il pas, de prime abord, sous son aspect froidement lexicologique, et n’entend-on pas nécessairement, la première fois, l’adjectif bouffi sous la meringue ou la crème chantilly cotonneuse de ces trois syllabes lourdes. C’est un mot lourd et doux, complexe, où s’entendent les biffures (sans la housse protectrice, pourtant, des petits traits rageurs ou appliqués du palimpseste), les fissures, mais aussi le jeu verbal des bouts-de-ficelle. Imaginez quelques instants combien la face du monde francophone en eût été changée si, d’aventure, la série la plus célèbre s’était composée comme suit : marabout, bouffissure, surimi, mikado, dominion, mignonnet, onéreux, etc.

 

Quand le sens, malgré nos résistances, finit par l’emporter, la bouffissure rime avec la farcissure – si ce n’est que l’une s’emploie plutôt au sens figuré, pour parler de l’arrogance d’un sot (ou de la fatuité d’un vaniteux), alors que le second, plus concret, donne à voir de délicieux festins, de lourdes et langoureuses successions de plats somptueux en un banquet interminable. Qu’elle se rapporte au physique ou au moral, voire au comportement social, la bouffissure engage alors un bras de fer amical avec la boursouflure. Mais elle a, sur sa camarade, l’avantage considérable de ne point trop s’imposer, de fuir, d’échapper au sens, et même à la charpente de la voix – ni bourse ni soufflerie ni enflure pour moi, je vous prie ; je me contente d’allusions discrètes, au ratage, à la surcharge, à la faille… et au précipice.

Au jeu de la transposition néologénique, le synonyme exact de bouffissure est tuladissure. Rares sont ceux à employer cette variante précieuse et un rien désuète.

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Enfin, il ne serait point séant à l’emphase de ce billet de ne le farcir d’au moins une citation, curieusement physique d’ailleurs, et où peut se lire, à mes amis qui aiment la science-fiction, un hommage :

 

« Obèse et blême, il vacillait sur ses jambes enflées. Ses yeux disparaissaient dans les bouffissures de son visage et il était plus qu'à moitié chauve. Elle ne le reconnut pas. Un client parmi d'autres, et pas plus répugnant que beaucoup d'autres. D'ailleurs, ce n'étaient pas les plus hideux qui lui faisaient le plus peur… » (Michel Jeury. « Les Vierges de Borajuna ». In Horizons fantastiques. N° 30, 1974.)

 

 

Audité

Me lassant des statistiques de H&F, qui, pour être informatives, ne me donnent aucun renseignement sur les recherches qui conduisent – assez aléatoirement – les visiteurs imprévus dans les sentiers de mon carnet de toile, je me suis inscrit auprès d’une autre institution statistique, qui “audite” mon site depuis avant-hier, et confirme à peu près le nombre de visiteurs, qui se stabilise en ce moment autour de 450 visites quotidiennes pour 200 à 250 « visiteurs uniques ».

L’une des nombreuses rubriques rapidement parcourues (et après, je sais que, comme pour le fade joujou des statistiques maison, je m’en serai lassé et ne les consulterai qu’épisodiquement) m’indique que, après la France (88%) et les Etats-Unis (6%), les deux pays d’origine (ou plutôt : de connexion) de mes lecteurs sont la Suède et la Suisse. Si j’avais su… Je vois assez qui sont les Helvètes, mais je suis très surpris par ce 1,6% suédois, qui ne saurait être seulement lié à de récents pinaillages sur l’adjectif norvégien apposé, ès les pages du Robert culturel, au très suédois Strindberg.

Quiconque voudra éclairer ma lanterne, en particulier d’une profonde et hivernale nuit scandinave, est le bienvenu.

Hymne

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Les grandes orgues résonnent au cœur de la morgue. Près du calvaire, sans paupières, un homme mort dort les yeux ouverts. Où est passée mon écharpe ? La fureur des cris redouble, et l’angoisse qui me saisit les cils connaît des soirs moroses.

 

Rome ne s’est pas bâtie en un jour. La peau parcheminée, le vieillard s’en va, car les coups de sang ne sont plus de son âge ; la jeune femme lui aura tapé sur les nerfs, avec sa vénération.

 

Oh ! comme on respire mal dans vos cicatrices !

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Eléments d’un dîner, vendredi 13

Convives

Ceux qui pieusement… : Trois messieurs et trois dames.

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Mets et boissons

Pruneaux au bacon, dés de gruyère, rôties à la tapenade.

Huîtres de Cancale. Champagne Fleury père & fils.

Confit de porc & tomates à la provençale.

Château La Fleur Peyrabon 1999.

Fromages divers, dont Saint Félicien, Pont-l’Evêque, Epoisses.

Château Liversan 1996.

Galettes à la frangipane. (Irène a eu la fève.)

Excellent armagnac proposé mais refusé – heure tardive ou activités du lendemain ? – par les convives. Café. Tisane au sureau.

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Types de discussions

Universitaires.

Personnelles.

Moqueuses.

Inavouables.

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Quelques sujets de discussion

Vaut-il mieux se faire refourguer des responsabilités de vice-doyen ou de directeur de département ? (Composition de philosophie en six heures.)

Eric Rohmer et les films de SF américains.

Les professeurs d’E.P.S. férus de didactique.

Pieds d’appel.

La Thaïlande et le processus de Kyoto (Là, j’ai peut-être mal noté).

Il était une fois l’homme.

Vendredi 13, à tant la statue

Je croyais rencontrer quelqu’un que je n’avais jamais rencontré. Cendrine Nirdre, qui avait publié deux romans sous un pseudonyme (on comprend pourquoi, car son nom n’est guère facile à prononcer, voici au moins l’une des commodités de l’écrit), venait à Tours pour visiter l’exposition Lorenzo Veneziano avec quatre autres écrivains et une attachée de presse. Comme nous correspondions depuis quelque temps déjà, elle m’avait prévenu de sa venue. « J’aurai une heure de liberté, et vous serez mon escapade », m’avait-elle écrit de son écriture déliée et grave.

Je l’attendais devant la cathédrale. Aucune photographie n’existait, dans nul magazine, de cette mystérieuse plumitive. Son masque rehaussé d’un grand florilège de mèches noires, je ne pouvais l’imaginer. J’attendais donc, curieux comme impatient de connaître enfin le visage de la dame de lettres.

Cendrine Nirdre, me répétai-je trois fois, comme une formule magique, quand je vis que l’heure tournait. C’est alors que je vis arriver, par enchantement, une collègue, éminent professeur de littérature britannique dans mon université. Manteau gris et chapeau bleu roi, d’une élégance bourgeoise jamais démentie, elle eut un sourire étonné en me voyant.

« – Mais que fait donc notre jeune collègue ici, dans le froid ?

– Ah, j’attends quelqu’un… qui tarde à venir, d’ailleurs.

– Profitant de ma venue à Tours pour surveiller les examens, je suis allée faire un tour à l’exposition Veneziano. C’est très intéressant.

– Oui, c’est bien. Un peu bref, vite vu, mais j’aime beaucoup les toiles du maître de Lorenzo.

– Paolo, c’est ça ?

–  Oui… Bon, ce n’est pas Paolo Uccello ni Lorenzo Lotto. Mais certains visages sont magnifiques.

– Nous aimons bien les prénoms, vous et moi, n’est-ce pas…

– Oui, vous les chérissez plus que moi encore.

– Bien ; je dois y aller. J’ai encore une surveillance cet après-midi. »

Cendrine Nirdre, à vrai dire, n’est pas venue. J’ai hanté les rues du vieux Tours, les galeries, les librairies. Je n’ai pas trouvé trace d’une attachée de presse, ni des écrivains qu’elle remorquait. Si quelqu’un lève le voile pour révéler le visage de l’écrivain célèbre, ce ne sera pas moi.

Vendredi 13, la fête latente

Etait-ce un malentendu ? Elle n’était pas là, assise devant l’une des niches vides, depuis très longtemps. Deux policiers montés sur de fringants chevaux passèrent. Il y avait des fleurs, de douces fureurs dans son regard.

Elle attendait un monsieur, vieux déjà, poudré, drapé de noir, osseux et décalcifié ; un mythe vivant… un ancien maire – très controversé – de la ville. C’était pour sa thèse (ils disent tous ça, non ? c’est pour ma thèse… – avec cet air rêveur, plein de certitude et de mensonges mal dissimulés). Elle disait, à qui voulait l’entendre, qu’elle n’était pas historienne, et pourtant la méthodologie des sciences sociales ou des sciences politiques ne l’attirait pas du tout. Elle allait rencontrer ce vieux monsieur poudré, drapé de gris, ossifié dans son mythe, comme elle aurait donné rendez-vous à Jean Jaurès (saviez-vous que Jean Jaurès lit mon blog ? avait-elle lancé à la cantonnade un soir, et tous de l’admirer), et elle était – non pas émoustillée, mais plutôt joyeuse, sûre de son fait, ne voulant pas lui poser des questions comme l’eût fait un journaliste ou une étudiante.

Je suis dans le bassin de Latone, et je l’observe. Quand le vieux pontifiant arrive, elle est tout sucre, tout miel. Oui, c’est moi, Johanna. Un petit sourire pincé se dessine sur le visage parcheminé. Un rai de soleil s’échappe des cheveux de la jeune femme.

Ce n’est rien, lui dis-je. Tout vient à point à qui sait entendre.