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samedi, 19 février 2011

Notes pour Der Fuchs (26 décembre 2010)

 

Herta Müller. Le renard était déjà le chasseur.

Traduction de Claire de Oliveira. Paris : Seuil, 1996. 

 

« Depuis qu’on découpe le renard, dit-elle, mes ongles poussent plus vite. » (p. 214) ::: ::: ::: ::: L’écriture de Herta Müller fait alterner raccourcis et épaississements, courts-circuits et analogies développées. Herta Müller a inventé (tout en l’inventant pas : en l’empruntant à tant d’autres et lui donnant une pâte qui n’est pourtant (partant ?) qu’à elle) le texte brut profond – avec une manière de voir le monde, ou de le percevoir, qui m’a rappelé – dans les premiers chapitres – Kotik Letaiev ou certains Savitzkaya :

« Le soleil est loin au-dessus de la ville. Les cannes à pêche projettent des ombres, l’après-midi s’appuie sur leurs ombres. Quand le jour va basculer, pense Adina, quand il va glisser il creusera de grands sillons dans les champs autour de la ville, le maïs se cassera. » (p. 36)

[J’écris ces notes, recopie ces fragments plus d’un mois après avoir lu le roman de Herta Müller, qui est déroutant, non par sa forme mais vraiment par le récit : que raconte-t-il ? que se passe-t-il ? comment passe-t-on de l’univers de l’enfance à celle du travail sous la dictature des Ceaucescu ? qui est qui ? Tout cela est plus déroutant, car présenté de façon moins chorale, moins torrentielle, moins aiguë que dans les grands textes de Lobo Antunes, par exemple. J’écris aussi ces notes, recopie ces fragments un jour ensoleillé d’après-Noël, influencé par la lecture reprise de Dubuffet, face aux sillons des champs glacés dans la campagne, sous un grand soleil de décembre qui rappelle mes lectures, il y a deux ou trois ans ici aussi à Noël, du poète chypriote de langue anglaise dont le nom m’échappe. « Le directeur devrait retenir ce nom puisqu’il a remarqué que le nom de CONSTANTIN n’allait pas au nain. » (p. 101.)]

 

L’inversion du regard fonctionne comme dans certains films en noir et blanc, que l’on dit d’avant-garde (là, comme jamais, se voient les odeurs, les couleurs) : « Quand Pavel lève la tête, le trottoir tombe du miroir de ses lunettes. Il y a une pastèque écrasée sur les rails du tramway, les moineaux mangent la chair rouge. [… Dans la voiture Pavel rattache sa chaussure, Clara sent ses colchiques. La voiture roule, la rue n’est que poussière, une poubelle brûle. » (p. 61) Tout se lit au ralenti, comme si la récit appelait des gestes mêmes du lecteur une certaine lourdeur. Dans le cadre étrange, quelques détails se muent progressivement en motifs. C’est le cas des peupliers, arbres qui (soit dit en passant) jouent un rôle plus important encore dans La bascule du souffle, non comme éléments du décor mais comme motifs d’étonnement : « Les peupliers sont des couteaux, ils dissimulent leur tranchant et dorment debout. » (p. 160). è « Les peupliers interdisent la chance en hiver, disent les pêcheurs, les peupliers dégarnis dévorent la chance quand ils boivent. » (p. 179)

 

C’est aussi le cas des coings :

« Il faudrait penser à ne jamais laisser la moitié d’un coing parce qu’elle sèche comme une fourrure, se racornit comme un brin d’herbe. Quand on a mangé tout un coing, quand il est dans l’estomac après avoir été dans la main, dit Adina en direction de ses mains sur la table, on devrait pouvoir ouvrir les yeux et être quelqu’un d’autre. Être quelqu’un qui ne mange jamais de coings. » (p. 120) è « Adina prit un coing et dit : non, tu ne l’as pas lavé, il a de la fourrure sur la peau. » (p. 219)

 

Cinéma, peinture – tout un art du visage : « Une ride s’échappa des commissures de ses lèvres et lui entailla la joue. » (p. 19)

 

Les images de soleil brûlant ou glacial rythment les différents épisodes, l’amenuisement de la peau de renard comme une peau de Chardin (la pâte dont Chardin investissait fruits, compotiers, étoffes, préfigura l’art de Herta Müller) : « En août, dans cette ville, il y a des jours où le soleil est un potiron épluché. » (p. 96) Toutes ces notations de couleur, de chaleur, de tonalités complexes n’échappent pas à la subjectivité moralisante (rationalisante ? abstractisante ?) du discours, comme dans une description frappante du drapeau roumain : « Sortant du remblai du stade, une lumière s’échappe vers le ciel comme si la lune s’était perdue. Les Danois, qui c’est ceux-là, les mains des hommes portent le drapeau tricolore, trois raies bien à eux. La pièce rouge famine, la pièce jaune silence, la pièce bleu espion dans le pays coupé du monde. » (p. 187)

 

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