lundi, 24 octobre 2011
Exister est un plagiat : 18 et 55
18
Me voici au fragment 18, et à son fragment-miroir, le §55. J’allais avoir – cinq mois plus tard – dix-huit ans. C’était le 18 juin, dans le petit studio de la résidence Coppélia.
Le reste nous appartient.
(J’écris une autobiographie pudique.)
55
Puis-je imaginer douze jours précis de ma dix-neuvième année ? Allons, jouons – on n’est pas si loin de la fiction, après tout.
Le 19 novembre 1992, un jeudi, disons que nous avons, toi et moi, déjeuné au réfectoire du lycée Montaigne, puis discuté avec Cyril autour d’un café (ou d’un chocolat chaud). N’est-ce pas le jeudi que nous travaillions ensemble sur les versions latines, attablés à la planche à tréteaux qui servait de bureau, dans le studio de la résidence Coppélia ?
Le 19 décembre, un samedi, est, d’après certaines sources, le jour où est mort Louis Ducreux. (Une année en creux, douze journées à deux ?) Pour nous deux, c’était le départ pour les vacances en famille, chacun de son côté. (On sortait sans doute d’une semaine de concours blanc. Je me gavais de pralinés bon marché.)
Le 19 janvier 1993, un mardi, nous avons dû avoir, comme chaque mardi, cours de français (et de quoi d’autre ? aucun souvenir), puis le déjeuner, les révisions de vocabulaire latin dans la minuscule et ridicule bibliothèque du lycée Montaigne, puis le cours de latin de M. Robert.
Le 19 février, un vendredi, j’ai beau me creuser l’esprit – quoi ? pas l’once du début d’un quadrillage. N’est-ce pas dans ces eaux-là, juste avant les vacances d’hiver, que nous sommes tombés très malades, moi d’abord, puis toi, la différence étant que tu as traîné cette saloperie pendant toutes les vacances ?
Le 19 mars, aussi un vendredi (not a leap year, my dear), je sais que nous avons acheté Info Matin avant d’aller en cours, pris un café avec Edwige et Stéphanie, profité un peu des premiers rayons féroces du soleil printanier dans la rue Sainte-Catherine. Peut-être avons-nous traîné nos guêtres du côté de chez Aner, avant de prendre le bus.
Le lundi 19 avril, selon que c’étaient les vacances ou pas, nous avons pu nous écrire une longue lettre, chacun de son côté, ou alors, peut-être… quoi… un concours blanc… lectures, révisions… Mais enfin, tu sais très bien ce que nous faisions le lundi.
Le 19 mai, un mercredi, nous étions à Hagetmau. Tu fêtais tes vingt ans, j’étais là. Comment se fait-il que nous fussions en vacances si tard dans l’année ? quelque chose cloche. Est-ce que je confonds ? avec quoi ? Noël ? le 19 mai de l’année suivante (mais ça ne marche pas vraiment non plus) ? y avait-il un pont (Ascension) ? Toujours était-il que, je le sais, nous étions à Hagetmau le 19 mai 1993. Et puis non, suis-je idiot, nous avons fêté ton anniversaire dans le petit studio, avec une dizaine d’amis, nous serrant autour de la table à tréteaux, mangeant des pizzas (nous n’avions pas de quoi faire vraiment la cuisine dans le kitchenette, donc à plus de deux c’était compliqué) et buvant du cidre (sages années). Etaient là Hannelore, Anne-Laurence, Stéphanie et son copain de l’époque (Jérôme ?), Cyril bien sûr, Carine, Sébastien, Laurence. Le voisin d’en face, qui, avec sa pétasse, foutait souvent du barouf (alors que nous nada, niente), est sorti pour gueuler au moment où nos amis s’en allaient, c’était minuit je pense et on riait un peu fort, moment qui n’a pas duré plus de deux minutes – cette « sortie » inattendue (& quite unfair) t’a un peu gâché la fin de journée.
Le 19 juin, lendemain de nos noces de coton (précision pour tout autre lecteur que toi : j’emploie la formule rétrospectivement et au second degré), je ne pense pas que nous soyions restés à Talence (en général, nous rentrions chacun chez soi le week-end – tes parents ont mis du temps, pourrait-on résumer), et j’allais embarquer, à peine quelques jours plus tard, pour Paris, passer les oraux de Normale Sup’. (Je crois que les résultats d’admissibilité sont tombés le lundi 21.)
Le 19 juillet, un lundi, je n’ai évidemment pas la moindre idée d’où je pouvais me trouver. Si j’étais dans les Landes au moment d’écrire ces lignes, je farfouillerais sans vergogne dans notre correspondance amoureuse et j’aurais la réponse. Peut-être étais-je à Paris, pour mon stage à Radio France Internationale. (Mais non, je confonds, ça c’était en août 1992.) Peut-être avions-nous trouvé un moyen d’être, toi à Cagnotte, ou moi à Hagetmau. Ou pas. Ainsi se passaient les vacances, en plans, manigances, prévisions et subtiles programmations – cela nous a bien stimulés pour le permis de conduire. Il n’y avait pas d’internet, et je n’ai jamais été très fou du téléphone. Combien de lettres quotidiennes, longues de surcroît, nous écrivions-nous ? —— Attends, qu’ai-je écrit plus haut : « j’écris une autobiographie pudique ». Mince, un oxymore.
Le 19 août, même jeu.
Le 19 septembre (dimanche), ce devait être – même si, une fois que tu as fait ta rentrée en Licence de Lettres à Bordeaux, nous avons pris la nouvelle et bienheureuse habitude de rester à Talence un week-end sur deux – un dimanche à Cagnotte. Les dimanches d’hypokhâgne et de la première khâgne, je ne travaillais pas beaucoup, mais je me promenais, je lisais énormément, je faisais des bricoles afin de diminuer la masse de travail de la semaine suivante. Les trajets en train, etc., tout cela était indispensable pour rompre ce qui, sans cela, eût été monotone. Avec toi, en revanche, rien de tel, bien sûr.
Le 19 octobre (mardi), peut-être avais-je une khôlle d’allemand, de philosophie ou d’histoire. Cela arrivait. Toi, tu n’avais pas repris les cours. (Depuis quelques années, la rentrée universitaire est calée sur le calendrier de l’enseignement secondaire, mais nous avons connu, nous qui n’avons pourtant pas quarante ans, les rentrées à la fac juste avant et même juste après Toussaint.) Peut-être m’avais-tu rejoint quand même, je me rappelle que tu as fait croire à ton père, assez évasivement car tu n’as jamais aimé mentir, que tu devais y être pour la fac. Cette année-là, nous avons beaucoup déliré à cause de Gadoffre Gilbert (et non Gilbert Gadoffre).
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