samedi, 05 avril 2014
Descente des médiums (Quintane)
Entre Aristote qui propose la lecture organique, et mon enfance qui, pelucheuse, se complut à taquiner les acariens en bouquinant sur une descente de lit, le dernier livre de Nathalie Quintane est plus titillant que jamais. Descente de médiums, dont le titre parodie ou poursuit le célèbre texte de Breton (Entrée des médiums), est, dans la foulée des précédents livres de Quintane, un bricolage — creusement & accumulation.
Un mot, d’abord, sur l’effet réel de ces livres que je nomme bricolages. Le premier livre de Quintane, Chaussure, je l’ai découvert par hasard, à la médiathèque de Beauvais, en 1998, soit un an après sa sortie, et je l’ai lu soit dans mon salon à la moquette berbère (on vivait en appartement), soit dans les rues, souliers crevés, paletot pas mieux. Écriture titillante, qui agace, stimule, Quintane est du côté de la composition. L’effet réel de ses compositions (qui sont, tout autant, et largement, des juxtapositions) est d’irriter, de pousser à la marche. Je n’ai jamais réussi à poursuivre la lecture sans poursuivre mon ombre, ou, pourrais-je dire, me mettre en branle, me déplacer. Par exemple, ce déplacement signifie que, pour la troisième fois, j’aurai lu une bonne partie d’un livre de Quintane au Petit Faucheux. (Hier soir, en l’espèce, les pages 86 à 132. Le croisement Ygranka / Quintane est quasi idéal. J’y reviendrai.) Et donc : dans le hall, dans mon fauteuil d’orchestre, et aussi dans la rue, et même (ce fut le cas pour Tomates) en marchant place Gaston-Paillhou. (Et le faucheux est un insecte qui se déplace curieusement, si je tire sur ce fil vous n’avez pas fini de tirer la tronche.)
Descente des médiums, donc. Le déplacement se fait ici vers le bas : descente. L’accumulation, concept à garder dans un coin de la bobine. Dans le prologue, Quintane explique d’où part ce livre : d’une demande (commande) de l’amie qui lui avait demandé d’écrire Crâne chaud. On voit donc, selon un principe de révolution (qui lorgne du côté de Tomates) ou de palimpseste (Jeanne Darc), mille lecteurs décider d’un même mouvement de descendre dans la rue. Et commence alors l’accumulation de ces vingt-huit chapitres sur les médiums. Plus j’avance dans cette œuvre (l’ensemble des livres, pas ce seul fragment), plus je trouve que la méthode de Quintane est apparentée à celle de Ponge :
1. Il s’agit d’aller voir du côté intérieur de ce qui est extérieur.
2. Il s’agit d’agir par la composition (accumulation).
3. Il s’agit de donner à voir, au moins en partie, la fabrication de l’œuvre (l’œuvre en fabrique).
Ici, peut-être par la collusion des signifiants, le propos de Quintane [propos → Alain relisant Montaigne → Quintane et l’humanisme ? ou alors, si je tire sur un autre fil : rédaction → Robert Walser] rejoint la médiologie de Debray. Mais alors, attention ! assez de name-dropping ! plus un seul nom ! une aspirine ! et vite ! Mais alors : une médiologie drôle, une médiologie foutraque, une médiologie bricolée. [Tout sauf une médiologie ? Soit. Qu’il me soit permis de citer la page 128 : « En 62 on était gaulliste, maintenant on est parapsychologue. »]
Ce que Quintane appelle la radio, c’est l’ouverture aux voix, l’entrée des médiums, ici sous forme de glissement vers le bas, catabase ?? parturition ??? Les pages dans lesquelles elle reprend les propositions de mort de l’auteur (pp. 76-85) sont parmi les plus sidérantes et profondes que j’ai lues sur le sujet ►postuler la mort du lecteur ║appuyer sur la volatilité (gaz/gaze) de l’écriture. Je veux dire par là qu’il vaut mieux donner ces dix petites pages à lire que trois thèses sur le sujet. Ne parlons même pas des narratologues. [Ni aux narratologues, ils sont bien trop occupés à s’écouter eux-mêmes.]
Volatilité. L’auteur gazéifié est donc celui qui s’affirme paradoxalement dans l’accumulation d’hypothèses, de fictions, de jeux (dramatisés), ici quant à la spectralité vocale, l’expérience médiumnique, avec quelques solides fantômes en rayon (Christine de Pizan, Fitzgerald, Hugo, William James). La radio (voix) se heurte à l’un des points de départ évidents du livre, la photo (les polaroïds du thoughtograph Ted Serios). Cette série de descentes est donc aussi à fouiller, creuser (le noyau est-il sous nos pieds ?) l’extérieur du texte (le son et l’image), de sorte qu’une lecture possible de ce nouveau livre de Quintane est une lecture de l’impossible : impossible de dire la parole médiumnique, impossible de creuser en douceur, impossible de fabriquer durablement en bricolant, impossible de composer en accumulant… Où l'on en revient à l'effacement de la rationalité par la radio, voix intérieures débordant le cadre.
Bref, bref, bref (on n’en finit pas de diluer ce phatique BREF), qu’en ressort-il ? Allez-y voir vous-mêmes, dirai-je, paraphrasant Lautréamont. C’est un peu facile, tout de même. C’est un peu bref, jeune homme. Ce qu’il ressort aussi de Descente des médiums, c’est l’accès, par l’accumulation en écriture, à diverses pistes philosophiques. Le livre n’est ni tout à fait médiologique, ni du tout médiumnique : la parole gazéifiée [et intense ▲ elle pousse encore et toujours aux déplacements (ne vais-je pas aller relire quelques pages le long de l’avenue du Danemark empuantie par la merde de la station d’épuration qui a dû exploser ?)] de Quintane ne descend pas sur le lecteur, qui doit la creuser, plutôt comme une taupe. Or, on le sait : rien de moins évanescent qu’une galerie de taupe ——— rien de moins souterrain, non plus. On bute sur les pages comme sur des taupinières.
Descente immédiate, mind the gap.
Points laissés en suspens : les acariens — berbère — poursuivre mon ombre — le Danemark merdique — la fabrique — parturition [?] — Ted Serios
16:17 Publié dans Lect(o)ures, Questions, parenthèses, omissions | Lien permanent | Commentaires (0)
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