mardi, 31 décembre 2024
Des biais de Bruce King ?
Levé à cinq heures du matin, et réveillé bien avant : il y avait dix jours, je pense, que ce n’était pas arrivé, et ça ne tombe pas très bien, bien sûr, vu que nous réveillonnons ce soir etc.
Il faudrait faire le bilan de 2024 pour ce blog : double échec. Je ne me suis tenu ni aux publications régulières, ni au registre des livres lus, qui est parti en eau de boudin très vite. Pour 2025, si je retente cela, il faudrait que ce soit un registre, et rien d’autre : le titre, le nom de l’auteurice, éventuellement le genre et un avis en trois mots.
Pour le moment, je pourrais tricher en éclusant mes publications Facebook ou autres et en les sauvegardant ici, mais ça n’aurait guère de sens.
Hier matin, par contre, j’ai écrit ceci sur Bluesky :
Repris hier, après interruption d'une semaine, cette monumentale biographie de Walcott, par Bruce King, récemment disparu. Au détour des chapitres 7-8, je note des biais colonialistes (impensés ?) ; il faudrait 1 note de blog pour expliquer...
Depuis, je suis parvenu au milieu du chapitre 12, et même si deux assez longs développements sur ce qui rapproche/oppose Walcott de Naipaul et Wilson Harris ont permis de nuancer la position de King, il n’en demeure pas moins que je suis sceptique sur ce biais. En l’espèce, outre le fait que King ne discute jamais vraiment la fascination de Walcott pour la poésie anglaise et la culture coloniale, il s’agissait, dans ce que j’ai noté hier, des financements. En effet, voici comment s’achève le chapitre 7 :
By the mid-1950s Rockefeller concern with postwar culture was being influenced by the Cold War. Funding was denied those suspected to be Communists, while support was available for those attending conferences organized by the Congress for Cultural Freedom. Funds were made available to overseas projects at the new universities and other institutions, as former colonies prepared for national independence. The sums were small and grants were carefully evaluated for the usefulness of the proposed projects and the chances of their succeeding; most projects were turned down, and the officers showed a remarkable nose for what proved to be worthwhile in the way of scholarship or creativity. In the past Rockefeller Foundation aid had gone to medical schools abroad to wipe out tropical diseases or to English departments for scholarly projects, so that aiding the new universities of the rapidly dissolving British Empire was not a major departure, and was in keeping with former interests. Only the context had changed.
Such help was given to the new University College of the West Indies, the University College of Ibadan, and other new universities, with the emphasis on medical schools and similar professional areas where research was likely to be beneficial to the public. To a lesser extent there was help establishing theatre departments, or the study of local culture. Cultural decolonization speeded up as local scholars and artists were encouraged by the attention and small grants they received. Wole Soyinka and Derek Walcott were among the beneficiaries. Both were unusually intelligent, educated in the Western classics, well read in Modernist classics, poets with a concern for the structure of texts and the ambiguities of words, and fascinated by myth; they were social democrats with a strong instinctive dislike of repression and therefore of Stalinism. Both dramatists created a modern regional literature by themselves researching part of the folk tradition and by using recent scholarship by others concerning local traditions. They were associated with the new university colleges, Soyinka with the University College of Ibadan, Walcott with the University College of the West Indies. Both opposed the backward-looking nationalism, traditionalism, and black racism that were at various times the ideology of some African and Caribbean governments, and both found it possible to be universalists with deep roots in their local culture. (pp. 126-7)
Il semble aller de soi que Walcott, comme Soyinka, a été choisi car son œuvre ne va pas à contre-courant des modèles eurocentrés et capitalistes. Même s’il s’agit là d’une vision réductrice de son œuvre, y compris à ses débuts, et même si on peut se réjouir que la Fondation Rockefeller ait financé ces deux immenses écrivains pour de mauvaises raisons, la question des liens troubles entre mécénat et adhésion à une partie des « valeurs coloniales » semble s’esquisser.
Or, au début du chapitre suivant, voici ce qu’écrit King à propos de la Caraïbe post-1945 :
The various nationalities, origins, shades, religions, and other social complexities, along with education, meant a place of rich differences rather than tightly held distinctions. In any case the distinctions of the past were breaking down. The American presence and base during the Second World War had brought money, opportunity, social mobility, and a casualness about class and race. It was a time, as the famous calypso had it, of working for the Yankee dollar; this could be done in many ways, as a driver, a builder, or on ones back. (p. 129)
Il semble, à lire les paragraphes suivants, que l’idée n’effleure même pas King que le métier d’écrivain puisse être, comme celui de chauffeur, de maçon ou de prostituée – je ne dis rien ici du sexisme ordinaire dans lequel baigne le livre –, pris dans l’économie, et que Walcott, comme d’autres, participe d’un système financier post- (et en grande partie néo-)colonial.
Bon, il y aurait beaucoup à creuser. Je n’ai encore lu qu’un tiers du livre de King, qui est une somme absolument précieuse, et malgré tout le profit (intellectuel) que j’en retire, en dépit de tout ce qu’il m’apprend, j’avoue qu’il me rend – et c’est tout à fait paradoxal – l’œuvre de Walcott plutôt moins sublime. Moi qui connais très peu le théâtre de Walcott, et qui connais le poète via Omeros, les Collected Poems 1948-1984 et un recueil plus tardif (The Prodigal), je dis souvent que Walcott est un des plus grands sans distinction de langue, d’époque ni de continent. C’est un immense poète, point barre ; il faudrait bien davantage que les coups d’aviron de King pour me le gâcher.
Par ailleurs, je suis assez stupéfait de découvrir aussi que des centaines de poèmes de Walcott restent indisponibles à la lecture, même en anglais, qu’aucune édition de ses œuvres complètes n’a été entreprise, semble-t-il. Walcott a écrit beaucoup d’articles pour la presse trinidadienne dans les années 1960 : jamais ces articles n’ont été repris en volume…
10:48 Publié dans 2024, Questions, parenthèses, omissions, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
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