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lundi, 27 janvier 2025

27012025 — L'histoire de Souleymane

Hier, lu L’eau du bain de Rim Battal.

Dont j’extrais cette phrase : « La maternité, c’est la peau poursuivant le serpent pour lui demander des comptes, de la gratitude et de ne pas oublier son écharpe. » (p. 40)

 

Souleymane.PNG

 

Au cinéma enfin nous avons vu L’histoire de Souleymane de Boris Lojkine. Il s’est confirmé ce que j’avais entendu dire en octobre : pendant le générique (sans musique) et même après que les lumières se sont rallumées, personne ne parlait. Pas un mot. Il faut dire que le film, excellemment mis en scène et interprété, est très puissant, intense, et que la longue dernière scène, avec l’agente de l’OFPRA, est particulièrement forte. Les adjectifs manquent, ou le temps manque pour mieux tourner les phrases.

Meurisse.PNGLe problème que j’entrevois (et qui m’a titillé même pendant la projection) est que ce film, qui s’appuie certes sur une foultitude de témoignages, dont l’histoire personnelle de l’acteur lui-même, sert parfaitement le narratif de la droite et de l’extrême-droite. Je n’avais lu aucun article, seulement des recommandations d’ami·es ou de simples connaissances sur les réseaux sociaux, et n’ai pas encore pris le temps d’aller regarder si je suis seul à être gêné aux entournures, non pas par le film lui-même (qui est magnifique, aucune rétractation) mais par le contexte dans lequel il a été conçu, et surtout reçu : en effet, le scénario choisit de se concentrer sur un migrant économique qui se fait passer pour un réfugié avec un dossier entièrement bidon, et qui ne cesse d’être la victime d’intermédiaires dont aucun n’est blanc (les tortionnaires libyens, les passeurs, le Camerounais qui sous-traite l’accès à l’application de livraison). Même si la scène avec les policiers donne une impression de chats qui jouent avec la souris de façon assez abjecte, les policiers se contentent in fine de dire à Souleymane qu’ils ont compris qu’il était dans l’illégalité et qu’ils auraient pu le verbaliser pour l’absence de lumière à l’avant de son vélo : je ne nie pas le réalisme de cette scène, mais enfin, dans ce film qui multiplie les vignettes au cours des 36 heures que dure l’histoire, pas un agent de sécurité violent ? pas un contrôle « au faciès » ? pas la moindre chausse-trape administrative ? les témoignages, sur ce plan-là, ne manquent pas, et je ne peux m’empêcher de penser que Lojkine, à trop chercher la subtilité et l’ambivalence (à vouloir éviter de faire un énième film sur les pauvres migrants racisés ?) se retrouve surtout à ne pas trop contrarier les suprémacistes et les partisans de la « remigration ». (J’entoure ce mot de guillemets, car il est ignoble. Étant donné ma lecture de Klemperer, je suis particulièrement sensible à tout cela.)

Capture.PNG

 

Un dernier mot, pour ne pas laisser l’aspect socio-politique recouvrir ce billet (mais cet aspect est consubstantiel d’un tel film, de son sujet même) : après avoir regardé, vendredi, un des films les plus globalement mal joués de l’histoire du cinéma (Louise Michel de Solveig Anspach), il faut souligner que, même si la mise en scène, les cadrages, l’image sont de très grande qualité, un film comme L’histoire de Souleymane se grave dans la mémoire grâce à ses acteurices, en particulier Abou Sangaré bien entendu, dont le jeu, extrêmement varié, est parfait, vraisemblable de bout en bout. Difficile de retenir une scène : les deux scènes où il appelle Kadiatou, la femme qu’il a laissée derrière lui en Guinée ; sa tendresse toute en retenue avec le vieil homme à qui il livre une pizza au sixième étage ; sa métamorphose au cours de la scène finale ; ses échanges très brefs avec les autres livreurs… il est à chaque fois d’une justesse impressionnante, chaque plan semblant couler de source.

En fait, ce qui précède n’était pas le dernier mot. Je n’ai jamais commandé via Deliveroo, Uber-Eats ou autre : outre que le take-away était déjà une pratique très marginale pour nous, il a été immédiatement évident que ces applications de livraison de repas à domicile mettaient en place un système d’exploitation übercapitaliste. J’ai beaucoup lu sur le sujet, et ce n’est pas pour rien qu’on parle d’überisation du travail : ces différentes plateformes, qui sont rien moins qu’esclavagistes, doivent être boycottées. Il faudrait que toutes les personnes qui passent leur temps à « commander un Uber » regardent ce film… mais ça les laisserait de marbre, ou elles ne verraient pas le rapport…

 

08:45 Publié dans 2025, Tographe | Lien permanent | Commentaires (0)

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