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dimanche, 16 mars 2025

D'un (léger) traumatisme et du milieu éditorial

Hier j’étais au Salon du Livre Africain de Paris, l’occasion d’écouter des conférences, de discuter avec des maisons d’édition souvent pas diffusées en France, des libraires, de rencontrer enfin des personnes avec qui je travaille et échange depuis des années. J’ai raconté cela brièvement hier soir car c’est ce qui compte : les échanges, la beauté, l’avenir.  Pourtant, ce que j’ai absolument besoin de dire aujourd’hui, c’est quelque chose de négatif qui est “remonté”, une expérience traumatisante d’il y a une douzaine d’années. Je n’ai pas “envie” de raconter cela, mais il faut que je le raconte.

Je n’avais pas prévu de publier ce texte ici, mais la version restreinte sur Facebook a attiré, en quelques heures, 30 likes et une dizaine de commentaires (c’est énorme, à mon échelle). Cette histoire est édifiante pour dire la façon dont le milieu éditorial peut briser des projets, des envies, et sans doute des carrières, et vous en lirez donc ci-dessous la version « publique » (donc sans les noms des personnes [les initiales L. V.-D. et F. G. signifient le vieux dégoûtant et foutu gougnafier, donc ne permettront pas de deviner de qui il s'agit]).

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En 2008, ayant découvert que plusieurs romans d’Amos Tutuola n’étaient pas traduits en français (ils ne le sont toujours pas), je décide de monter un dossier de traduction pour mon préféré, The Witch Herbalist of the Remote Town. Je traduis trois chapitres, je fais une présentation de Tutuola, une biographie, un argumentaire sur la réception de Tutuola en France et sur la certitude que j’ai que ce texte trouvera un large public. Puis, je contacte par mail L. V.-D., le directeur d’une collection dont je n’étais pas ultra-fan mais dans laquelle un projet Tutuola me semblait pouvoir s’insérer.

Réponse de L. V.-D., qui me dit en somme qu’il n’a aucun pouvoir, notamment sur les textes traduits, que pour un tel projet il n’a pas possibilité de décider, que ça doit passer par M. F. G., responsable du secteur de la littérature étrangère de la maison d’édition, et qu’il me représente comme l’homme qui fait la pluie et le beau temps. F. G. n’a pas de mail (ou plutôt son mail reste incommunicable à des béotiens dans mon genre), donc il me donne l’adresse postale en me recommandant, vu que l’ouvrage est épuisé en anglais, d’en joindre un exemplaire à mon dossier de traduction.

Ce que je fais aussitôt. Six mois passent, pas de réponse ; je relance donc F. G., toujours par voie postale. Rien. Deux mois passent ; je relance L. V.-D., qui me répond qu’il va se renseigner. Quelque temps plus tard, j’envoie une lettre à F.G., ce dont j’avertis L. V.-D., indiquant que je comprends que le projet n’intéresse pas leur maison (une année a passé entre-temps) mais que je souhaiterais récupérer mon exemplaire (il m’avait coûté pas loin de 40 euros en occasion).

Bien entendu je n’ai jamais eu de réponse.

Il y a quatre ans, voyant soudainement apparaître le nom de F. G. sous un post facebook, je l’interpelle en lui disant que je suis d’accord avec son commentaire (je ne sais plus de quoi il s’agissait, mais j’étais de fait d’accord) et que je me réjouis de le trouver sur ce réseau alors que je garde un très mauvais souvenir de notre seule interaction (or lack thereof). A sa demande, je lui explique ce dont il retourne, à la suite de quoi il me présente ses excuses via Messenger et m’explique ce qui a dû se passer (explication qui n’a aucun rapport avec la situation), même si, dit-il, il n’a aucun souvenir. Il m’explique ensuite comment tenter de récupérer mon livre, même s’il ne travaille plus dans la maison d’édition en question. Il va de soi que je n’ai pas répondu à un tel foutage de gueule : le type a reçu trois LETTRES de moi (des envois postaux, dont le premier avec un livre dont j’expliquais qu’il était difficilement trouvable et donc précieux) et il n’en a aucun souvenir ?

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Ce que je veux dire ici, c’est que, suite à cette histoire, j’ai totalement renoncé à déposer des projets de traduction. Il a fallu que je sois contacté par un ami écrivain et éditeur pour me lancer dans la traduction d’un livre de Ngugi wa Thiong’o en 2015 (le projet ne s’est pas fait mais ça m’a fait plaisir), puis par Albin Michel en 2021 pour traduire l’ouvrage d’Olivette Otele (à la demande de l’autrice) pour que je sorte de ma torpeur.

Après cette histoire avec MM. L. V.-D. et F. G., j’avais décidé que, n’ayant (fort heureusement) pas besoin de vivre de la traduction, ayant un métier, j’allais me consacrer à 200% à ce métier-là. J’ai donc continué à traduire dans les années 2010, surtout de la poésie, que je partageais sur mon blog (autant dire pour moi seul, donc), tout en me félicitant de ne pas avoir eu besoin de tournicoter dans ce panier de crabes que me semblait être l’édition.

Je raconte cela car j’avais besoin de le raconter, comme je l’ai dit en préambule. Mais c’est aussi pour dire qu’en entendant pérorer hier le fameux L. V.-D., j’ai bien compris que, si j’avais traîné dans les cocktails ou les festivals littéraires à Madrid ou Valparaiso avec ce monsieur, ou si j’avais contacté F. G. via je ne sais quelle cousine germaine de Jack Lang, le projet se serait fait. Je n’en veux nullement à ces deux messieurs pour m’avoir découragé de solliciter des maisons pour des textes encore très largement inédits en français quinze ans plus tard ; par contre, je ne peux m’empêcher de penser qu’ils ont dû en briser, des carrières. Et cela me met dans une très grande colère.

 

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