vendredi, 01 juillet 2005
Montaigne dans le texte
En recopiant, à partir de l’édition Garnier jaune (en deux volumes, texte édité par Maurice Rat en 1962, exemplaire paternel), la citation de Montaigne qui me sert à illustrer, à mon échelle, le projet quelque peu fourre-tout de ce carnet de toile, je me suis rappelé une discussion avec F***, dans sa turne du 46, rue d’Ulm, vers février ou mars 1995. Il venait de s’acheter une édition des Essais. Assez sottement, ou snobinardement (mais c’était moins grave, car F*** est cent fois plus snob que moi), je lui fis remarquer que le texte était en français modernisé. Il se choqua de ma remarque, disant que, de toute manière, il ne parviendrait jamais à lire le texte original.
Or, je maintiens que c’est simple affaire d’entraînement, d’habitude, de se jeter à l’eau, comme lire, dirons-nous, des nouvelles contemporaines en anglais pour qui s’est contenté de suivre des cours d’anglais au lycée. Et le gain en est grand.
Ainsi, dans le passage que je citais, cela ne changerait pas grand chose de lire de quoi au lieu de dequoy. Ni le sens ni la prosodie n’en seraient changés. On pourrait même arguer que peu gagnerait à être éclairci en son moderne équivalent pu.
D’un point de vue sémiotique, en revanche, fantasie n’est pas le moderne fantaisie ; il se rapproche d’imaginations, voire d’élucubrations ; de plus, à qui est versé en la langue angloyse (et en la germanicque aussi), cette belle phrase rappelle d’autres beaux textes, contemporains des Essais, sur l’imaginaire, ou, pour le romantisme allemand, sur la Phantasie. Du point de vue des effets poétiques, comment « rendre » la première phrase en français modernisé sans perdre l’allitération en [s] ? Qui cherche ici de la science, qu’il la pêche où elle se loge. C’est là ma propre traduction, à la va-vite, et je ne doute pas que les éditeurs savants des éditions modernisées auront fait mieux ; mais sans perdre beaucoup de la poésie de ces phrases, j’en doute. Fortement.
J’aime aussi, je l’avoue franchement, me trouver aux prises avec une langue qui est la mienne mais dont tout me démontre qu’elle a une histoire, qu’elle est ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Langue autre, qui m’invite à une traversée des siècles, de l’histoire. Lire Montaigne dans un français contemporanéisé, c’est déjà en faire mon contemporain, et, si je comprends tout ce que peut avoir de positif l’idée qu’un écrivain ou un philosophe a su rester actuel (et Montaigne l’est, étonnamment), je n’ai pas envie qu’il soit mon contemporain, je le lui souhaite moins que tout, car j’aime aussi en Montaigne l’auteur ancien, celui qui, débarquant ex nihilo dans notre monde, s’y trouverait moins à sa place et plus effrayé que s’il s’était retrouvé, avec Cyrano, à visiter les états et empires de la Lune. (Je suis sûr cependant, qu’une fois la dextérité nécessaire acquise, Montaigne tiendrait un blog.)
Tout ce qui nous éloigne de la langue de communication, du français des canards ou des conversations de rue, dans une œuvre littéraire, m’est cher. J’ai beaucoup arpenté, la semaine dernière, les terres impeccablement cultivées du Pour un Malherbe de Ponge, et ce n’est pas lui qui va me convaincre du contraire.
18:40 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
J'aime beaucoup l'idée de Montaigne tenant un blog et y consignant quelques-unes de ses réflexions si pertinentes.
Et je suis entièrement d'accord avec toi, il faut lire Montaigne dans le texte d'époque, cela demande un (petit) effort et rapporte un (grand) plaisir. Imaginerait-on lire Rabelais en français moderne ? O le malplaisant exercice !
Écrit par : fuligineuse | vendredi, 01 juillet 2005
Puisque je suis apparemment le must du snobisme, sachez que la modernisation de l'édition en question (alia, je crois me souvenir) était toute relative, et plutôt intelligente : l'orthographe était corrigée lorsque cela ne changeait pas la signification, et le reste du temps la traduction moderne du terme apparaissait (à la suite de la première apparition) entre crochets (fantasie par exemple.) Le texte en devenait lisible pour des lecteurs fragiles, comme moi, qui une fois familiarisés avec la matière pouvaient ensuite oser le pas vers une édition plus 'authentique'. Une vulgarisation subtile dont je continue à penser le plus grand bien. Je vous invite à y jeter un coup d'oeil généreux.
Écrit par : F*** | vendredi, 01 juillet 2005
Victoire: j'ai enfin réussi à faire sortir F*** du bois. Je savais bien, petit canaillou, que tu me lisais en cachette!
Je consens à dire que tu as entièrement raison, et que mon message était pure provocation. (Mais je m'y suis qualifié de sot, ce qui n'est pas rien non plus, tout de même.)
Écrit par : Guillaume Cingal | vendredi, 01 juillet 2005
Ce qui donnerait duquoille, donc, amuïssé en duqueuille... On s'éloigne.
Mais voilà. Trouvé.
Écrit par : VS | lundi, 04 juillet 2005
J'aime beaucoup l'idée de Montaigne tenant un blog et y consignant quelques-unes de ses réflexions si pertinentes.
Et je suis entièrement d'accord avec toi, il faut lire Montaigne dans le texte d'époque, cela demande un (petit) effort et rapporte un (grand) plaisir. Imaginerait-on lire Rabelais en français moderne ? O le malplaisant exercice
Écrit par : muscle building forums | mercredi, 09 décembre 2009
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