mercredi, 20 juillet 2005
43 au cube, chapitre 1
Chapitre 1
Depuis toujours, ou, du moins, depuis qu’il en avait souvenir, les nombres l’avaient fasciné, et cette fascination s’était tout d’abord exprimée dans son attention nettement marquée pour les plaques minéralogiques des voitures, camions, camionnettes, fourgonnettes, dès les années 1970 de sa petite enfance. Plus tard, très peu doué pour les leçons de mathématiques (ce que ne comprenaient nullement ses parents, fascinés qu’ils s’étaient retrouvés, eux, par cet enfant numérophile), il garda un net attrait pour les chiffres, les nombres, les séries et les différentes combinaisons possibles. Il s’adonnait notamment à des rêveries poussées autour des nombres premiers, dont la découverte, puis l’exploration, l’avaient plongé dans des abîmes nouveaux d’exaltation non contenue, à tel point qu’un exercice sur les nombres premiers, dans un devoir scolaire, ne serait pas nécessairement réussi : l’exaltation dans laquelle le plongeait la simple apparition du nombre 43, par exemple, suffisait à détourner son attention et à le priver du peu de logique qu’il avait à sa disposition, ce même lorsque ce 43-là n’avait aucun rapport avec les nombres premiers. Il faut bien avouer, mon cher Ariste, que, dans notre logiciel de traitement de texte, la fonction Statistiques est bien pratique, et même irremplaçable, puisqu’elle permet de connaître à tout moment le nombre de signes (ou de mots) du tout, ou d’un fragment. Ariste est un prénom que tu as entendu ce matin, dimanche 4 avril, boulevard Béranger, en te faufilant entre les badauds agglutinés qu’une importante (mais dérisoire) brocante avait aimantés en ce lieu que tu aimes par-dessus tout, car il évoque les paseos espagnols. Comme il était surtout passionné par la poésie, la littérature, l’écriture, l’idée lui vint un jour (sans nulle connaissance oulipienne) d’écrire un texte composé de 7 strophes de 49 heptasyllabes, et dont la forme consistait en l’alternance de sept rimes récurrentes, ABCDEFG, etc. L’heptasyllabe n’étant pas un mètre aisé, et la reprise lointaine de rimes sept fois récurrentes requérant une prouesse, il laissa son poème à l’état de projet, ce qui devait devenir d’ailleurs une constante pour lui, l’amour des ébauches le disputant à la velléité. Je n’ai jamais tant écrit que gommé ce que je venais d’écrire, je n’ai jamais tant bleui le papier que manié l’effaceur, je n’ai jamais tant acheté de pointes que de Tipp-Ex, je dis vrai, je suis l’éternel fossoyeur de mes propres travaux. Ariste, tu dois me croire, je dis vrai, je ne mens pas, j’ai tous les droits sur moi-même, aucun sur toi, je ne sais où je vais, voici le cinquième je, le deuxième j’, le deuxième me, le deuxième moi-même de cette phrase. « Comme je vous le dis, ici ou ailleurs, nous recevions hier des amis d’Ariste chez nous, cela faisait presque une vingtaine d’enfants entre cinq et dix ans, qu’il fallait occuper, et je vous prie de croire que ce n’était pas une mince affaire. » L’écriture, pourtant, est largement une question d’accumulation, signes après signes, mots, phrases, tournez la page, aussi ne voit-on pas très bien ce que peuvent bien signifier ces gommes, ces effaceurs, ces Tipp-Ex, quand bien même il est impératif d’élaguer, de reprendre et réviser. Tout ce qu’Ariste trouve à répondre déçoit, désillusionne, déconstruit, tombe en lambeaux, s’amoncelle comme des poussières de toiles d’araignée au petit matin, sur le chemin toujours neuf des impressions fugaces, bribes, paroles défigurées, déliquescentes, comme au bon vieux temps de la poésie décadente. L’écriture de ce poème ne lui aurait pas coûté ; seulement, une fois l’idée formée, le projet élaboré, l’écriture elle-même ne présentait plus, pour Vincent, le moindre attrait, comme ces chansons qui obsèdent une journée durant, et dont l’écoute, au retour du travail, déçoit. Le « il » de ce récit s’appelle Vincent, ou, plutôt, le personnage que les premières phrases ont nommé, incertainement, « il », se prénomme Vincent ; ou plutôt, l’auteur vient de décider de le prénommer Vincent (comme cela sent la boutique !). Vincent, fasciné par les nombres mais surtout doué pour la littérature, se trouva dans une situation contraignante, qui consistait à écrire des textes en préservant intacte son obsession pour les nombres, ce qui laissait la porte ouverte, tout de même, à plusieurs possibilités. Les points-virgule ont la même valeur que les virgules, mais les deux-points sont équivalents à des points, ce qui est, d’ailleurs, une règle parfaitement arbitraire, qui ne peut s’appuyer, en guise de justification, sur aucun traité de grammaire ou de ponctuation, oh non.
09:10 Publié dans Ecrit(o)ures | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
un de mal à comprendre ton carnétoile parfois.
Donc ce chapitre est ce que tu as écris? comme le poême "Non ça n'a pas été facile" datant du 9 Juillet?
Tu comprends, ça n'est pas signé (un petit, "de moi", "par moi" ou juste "moi" me suffirait) alors je me suis dis que ça devait être connu sauf par moi, de moi ou inconnu de (juste) moi.
Écrit par : Livy | mercredi, 20 juillet 2005
C'est l'avantage (théorique) des catégories. En l'occurrence, la catégorie "Ecrit(o)ures" permet de distinguer mes petits travaux des citations longues, dont j'indique toujours l'auteur en fin, voire en titre, de message.
Mais tu as raison: on n'est jamais assez clair.
Merci aussi pour ton superbe commentaire au sujet de Nganang. J'aimerais bien que tu nous fasses profiter de tes lumières pour tout ce qui est sexuel, mais enfin, je ne peux forcer aucun des dignes commentateurs de ce carnétoile.
Écrit par : Guillaume | mercredi, 20 juillet 2005
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