dimanche, 29 janvier 2006
Diary, 11 juin 2002 (derniers extraits)
[...]
Vers cinq heures.
La journée pourrait s’écouler ainsi, à vaquer au quotidien oisivement et à écrire, reprenant le vieux lien entre écriture et oisiveté, entre texte et paresse. Pourtant, qu’il faut de volonté et d’énergie pour écrire un roman, même court. Paradoxes toujours.
A., de nouveau à plat ventre, pleurote. Joyeux dès que je lui lance une grimace. Attrape ! Attrape sa tortue-tambour, qui tinte du grelot. Essaie d’attraper en fait le socle violet de la pyramide de soucoupes (je me comprends). La pyramide de soucoupes est au premier étage de la maison (je me comprends), laissant le socle seul, au rez-de-chaussée, dans le parc.
Il fait exprès de s’espalaser, de s’affaler de tout son long sur le ventre, pour que j’aille m’occuper de lui. Rien que de très normal. A. est un enfant très sage. S’il ne l’était pas, vous croyez que, pendant qu’il joue, à onze mois, son père aurait le temps d’écrire autant ?
Des voitures s’arrêtent, se garent, repartent. Je guette C. d’une oreille, son retour du travail, du collège où elle enseigne le français. Collège dit sensible, et ce n’est pas un vain mot ; c’est même un euphémisme.
Les jours où C. travaille, vers l’heure du retour, je guette son retour. A., lui, se penchant puis se redressant, continue de balancer les inserts ronds (le rose et le jaune) à travers les barreaux du parc, tout ça d’un air canaille.
Cela avance vite, un journal, mine de rien, cela avance.
Mine de rien, se pose alors la question du style.
18:30 Publié dans Ecrits intimes anciens, Le Livre des mines | Lien permanent | Commentaires (7)
A Boy and a Bicycle
C’est le titre d’un excellent court métrage (de 25 minutes environ) que Ridley Scott tourna en 1965. Je ne connais pas tellement les films de Ridley Scott, à l’exception de cette navrante idiotie qui a fait date (Alien) et de Thelma et Louise, que j’avais bien aimé. (Mes souvenirs en sont vagues.) Mais celui-ci donne furieusement envie d’en voir plus !
Tout est beau : plans d’une grande originalité, noir et blanc à la fois terne et lumineux, longs aplats de lumière pour détailler le décor, alternance de point de vue interne et de vision extérieure, voix off du seul personnage, collusion des images de la scène finale dans la bicoque du clochard et de celles qui ouvrent le film (chambre de l’adolescent)…
Pour résumer à grands traits l’intrigue innarrable d’A Boy and a Bicycle, je vois un lycéen qui s’éveille lentement en écoutant les bruits domestiques, part en bicyclette puis sèche les cours avant d’errer le long de la jetée, puis de pénétrer dans un lieu imprécis, bicoque de vagabond où il retrouve des objets familiers – ou qui lui paraissent tels.
Le soleil est cendreux, l’océan morose. Les rayons de la bicyclette sont le cercle où se perd la parole déglinguée de l’oisif.
16:30 Publié dans Tographe | Lien permanent | Commentaires (3)
Diary, 11 juin 2002 (autres extraits)
Il faudrait utiliser la maniabilité merveilleuse de cet outil pour travailler. En même temps, de façon hachée, soit je prends des notes (c’est du travail), soit j’écris (c’est du fragment).
A. joue avec ses cubes, le jaune avec insert rond (pommier) et le rose avec insert rond (cochon). Il emboîte très bien ces inserts ronds (les plus faciles du lot : il y a des formes plus biscornues, tarabiscotées, des canards en forme de canard etc.)
Il faudrait aussi que j’en profite pour lancer des chantiers d’écriture plus ambitieux, mon « roman » en anglais par exemple. Ou Mar Yann. Il faudrait…
A. joue avec son bavoir « À nous l’an 2000 » et sa tortue-tambour. Par quel hasard un enfant né en juillet 2001 se retrouve-t-il avec un pareil rossignol, vieux tissu célébrant l’an 2000 et bradé sans doute en supermarché (c’est C. qui avait acheté ce bavoir) ?
[...]
A., qui s’était rétamé à plat ventre, s’est rassis tout seul. Le dictionnaire de Word2000 ne refuse pas rétamer, qui doit avoir un sens concret, technique, que j’ignore mais devine.
A. geignote. (Refusé !)
Je suis allé lui redonner ses cubes.
15:20 Publié dans Ecrits intimes anciens | Lien permanent | Commentaires (0)
Temps de chien (Nganang)
Temps de chien s'inscrit dans une tradition africaine clairement balisée : il y est question d'un quartier populaire et misérable, Madagascar, situé dans les faubourgs de Yaoundé, et de la vie de ses habitants. Les thématiques habituelles du roman suburbain s'y trouvent : misère, alcoolisme, mélodrames hauts en couleur, corruption politique. C'est, par ailleurs, un conte philosophique ; on y trouve un narrateur candide et observateur, dont le regard s'affine progressivement jusqu'à devenir cynique. Pris entre ces deux traditions (réalisme social, conte philosophique), Nganang ne tranche jamais, ce qui fait la force de son livre.
En donnant la parole à un chien, Nganang prenait de nombreux risques, mais le roman évite les écueils en ne sombrant jamais ni dans l'anthropomorphisme, ni dans des jeux linguistiques faciles. Tout en accordant une grande importance à la palabre, Nganang ne multiplie pas les “indigénismes”. Tout, dans l'écriture, est question de dosage : à cet égard, ce livre est un modèle.
Bref, Temps de chien, qui avait tout, a priori, pour être un roman raté, est un roman merveilleusement réussi.
Le narrateur est un être à part, à l'identité indéterminée ; il erre et déambule dans les “sous-quartiers” ; il vit dans un monde où la violence politique fait incessamment irruption… Autant le dire, et malgré les différences majeures séparant ces deux livres, Temps de chien fait penser à La Route de la faim de Ben Okri. Certes, il manque la dimension imaginaire et épique, si caractéristique du romancier nigérian, mais Nganang développe la même approche des questions politiques. Ainsi, dans le premier chapitre, la scène du suicidaire appelle la comparaison : même regard pseudo-objectif, même mythification. Mimi Minor rappelle Madame Koto. Mboudjak est, comme Azaro, partagé entre l'identification au “Nous” de la foule et l'aventure en solitaire : “Mes aboiements embaumaient le chaos des hommes. Je ne savais plus ce que je disais. J'étais pris dans le mouvement, moi aussi.” (p. 64). Ainsi, le texte, vertueux et voltairien, tombe incidemment dans le délire, dans la parole folle, les “étiennements bancals” (p. 71). Le discours policé de Mboudjak, chien philosophe et observateur cynique, est sans cesse gagné par une langue subversive et envahissante.
Le discours canin se développe alors dans l'interstice périlleux qui sépare, d'un cheveu, la raison de l'exubérance. Romancier, le chien Mboudjak voudrait se garder des mots, notamment de ceux de Panthère, un vieillard palabreur et hâbleur. Pari-paradoxe difficile à tenir :
Réalisme garder : c'est le mot d'ordre. Mais, quand le matériau vire au désordre, ‘on va faire comment, alors?’ (c'est la traduction, proposée en note dans le roman, de “bia boya alors?”).
Je recherchais dans la viande du monde la dureté de l'os, la partie la plus sûre du festin de la vie, et il faisait danser ses hallucinations dans la rue. Réaliste, il me fallait être: réaliste. Et il inventait visiblement la réalité des choses selon sa convenance! Un manipulateur du réel, le petit vieux était. Mais voilà: bia boya alors? Avec ce petit vieux, oui, surtout avec lui, la cour du bar de mon maître devenait une natte de paroles, un entrecroisement de commentaires, un bouillonnement d'emphases, une explosion continuelle de superlatifs, un perpétuel défi de grandeur, oui: une somme de mille folies s'entrechoquant. (p. 110)
Se méfier des discours ne signifie pas, pour autant, abandonner le style. Au contraire. Nganang invente une palette étonnante de variations stylistiques, de l'usage immodéré et savoureux des notes (qui deviennent par instants partie intégrante du récit, cf p. 78) à la construction d'échos secrets :
Des rires fusèrent ci et là. Parfois une voix admiratrice crissait. Je n'y prêtais pas attention. Je me voyais nu dans la rue. Ma maîtresse, elle, devait être aux nues. Elle avait sa vengeance sur tous ceux-là qui jamais n'avaient vu en elle rien d'autre qu'une vendeuse de beignets, me disais-je. (p. 103)
Temps de chien pose, comme tous les grands romans africains, la question de la fiabilité des signifiants. Perdu, au début du livre II, dans les sous-quartiers, Mboudjak cherche son maître, Massa Yo. Un coq lui apprend alors qu'il y a “des milliers de Massa Yo dans Yaoundé, et que lui seul en connaissait déjà six” (p. 189).
De façon plus intéressante, lors d'une altercation entre une femme et un vendeur d'arachides, les mots du lexique sont réduits (ou élevés?) à un sens performatif, sans aucun rapport avec leur signifié :
“ — Toi, tu es une bordelle de ton état, dit le vendeur d'arachides.
— Energumène, dit la femme en sevrant son gosse pour mieux répondre.
— Bordelle ! dit encore le vendeur d'arachides.
— Abracadabra ! dit la femme.
— Bordelle ! ” insista le vendeur d'arachides.
Et l'autre sortit le mot du siècle : “Anticonstitutionnellement ! ” (p. 221)
Le mot du siècle n'est pas seulement le plus long du dictionnaire : il prend un tout autre écho dans un contexte de dictature…!
Nganang multiplie ainsi les scènes à mi-chemin du burlesque et de la satire politique, comme lors de la tentative de suicide d'une femme sous un bus à l'arrêt (pp. 204-206), ou du retournement de situation invraisemblable qui permet à un homme pourchassé par tous de devenir “le miraculé du marché” (pp. 228-229). Le roman se termine pourtant sur une note forte, puisque c'est l'assassinat de Takou, gamin des rues et fils du Docta, par le Commissaire, qui donne le signal de l'émeute, “main de rage” (p. 293) et “rumeur régicide de la rue” (p. 295). La dimension mythique, que l'on croyait bannie du récit, prend alors le relais pour s'imposer et donner a posteriori tout leur sens à plusieurs scènes-clefs du livre. Ainsi, les personnages, miteux ou pathétiques, sont transfigurés le temps de l'émeute, en particulier le Docta, devenu père “soudain avec la mort de ce gamin qui lui avait été jadis abandonné” (p. 286).
Temps de chien est un grand roman critique, tant du point de vue de la satire politique — toujours judicieuse, jamais appuyée — que de la liberté laissée au lecteur : de nombreuses pistes restent ouvertes, et c'est au lecteur, in fine, d'opter pour le point de vue “réaliste” — maintes fois réaffirmé, quoique de façon ambiguë — ou pour une lecture plus idéologique. En des temps où le roman contemporain s'abîme souvent dans un collage superficiel saluant “la fin des idéologies”, c'est faire œuvre salutaire que de proposer, comme Nganang, un livre de cette trempe, qui n'est ni un pamphlet ni une belle coquille vide.
NGANANG, Patrice. Temps de chien. Paris, Le Serpent à plumes, 2001, 304 pp.
(Article originalement publié en 2001 sur le site Exigence Littérature.)
10:55 Publié dans Affres extatiques, Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (8)
A Novella Fuck You
Je viens de retrouver, dans les fichiers de notre antépénultième ordinateur, ou plutôt sur une disquette, le texte d’un bref roman amorcé puis avorté, inspiré par les écrits les moins abordables de Gertrude Stein. Cette novella, qui s’intitule A Novella Fuck You, fut écrite en quelques jours de désoeuvrement, en janvier 2003. (Je constate avec amusement, d’ailleurs, que la date de dernière modification du fichier est le 29 janvier 2003 ; cela ne s’invente pas.)
Je publierai les brefs chapitres de cette novella, chaque matin à sept heures, puis, si l’humeur m’en reprend, en écrirai la suite.
06:55 Publié dans Gertrude oder Wilhelm | Lien permanent | Commentaires (6)
Propos de garçonnet, 21
Le château de Fleur d'Amande a été construit par Winnicott puis Louis XIV, et le château de Fleur de Yaourt par un bandicoot lapin et par Marco Polo.
01:10 Publié dans ... de mon fils | Lien permanent | Commentaires (1)