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vendredi, 26 octobre 2007

Un oiseau dans / dans la main

Crumb Begging Baghead des Babyshambles : c’est très bien, mais tout à fait un décalque – riffs, rythmes et déconstruction – du premier album des Pink Floyd (époque Syd Barrett), quarante ans après. Curieux, d’ailleurs, comme j’ai laissé aux étudiants de mon séminaire de sémiotique (master 1) la possibilité de choisir, pour le devoir final, le ou les textes et – notamment – de proposer une analyse de paroles de chansons, ils se sont engouffrés dans cette possibilité, et qui de vouloir étudier un texte des Beatles, qui une chanson du Velvet Underground... autrement dit, alors que je m’attendais à ce qu’ils me fassent découvrir des artistes pop récents (« de leur âge », pourrait-on dire vieuxschnockement), ils me servent la soupe qu’écoutaient mes parents quand j’étais au berceau (et même avant).


 

Au demeurant, ça ne me gêne pas : dans le cadre du séminaire, on aura étudié e.e. cummings, Dana Gioia, Gerard Manley Hopkins, un extrait des Falls de Peter Greenaway, un texte de Richard Le Gallienne, et même un extrait du premier discours officiel de Gordon Brown premier ministre (!), et toujours, jusqu’à présent, avec leur participation enthousiaste et de nombreuses remarques perspicaces, car je crois tenir là une oligarchie très ramassée d’étudiants fins.


 

Sinon, je découvre avec un an de retard – et en même temps que je lis le Dylan de François Bon – le dernier album du grand Bob, Modern Times (2006), que je trouve excellent. Ce que je vais dire – la raison pour laquelle j’ai ouvert ce troisième paragraphe – rejoint mes éternelles préoccupations de sémiotique. En effet, je constate une fois encore que la bizarrerie de certaines formules désarçonne, déroute au point de passer à l’as pour une majorité d’auditeurs/lecteurs : ainsi, dans la quasi-totalité des versions disponibles sur le Net, les transcripteurs du très mélancolique Ain’t Talkin’ proposent, pour le dernier vers du huitième refrain

Walkin’ with an ache in my heel

 

alors que Dylan dit, de toute évidence (et ce que confirme la version du site Expecting Rain) :

Walkin’ with a toothache in my heel


Que le marcheur puisse, à ce moment précis, dire – littéralement – qu’il marche avec un mal de dents aux talons, c’est bizarre... mais c’est ce qu’il dit. Dylan, jamais banal, ne dit pas qu’il a mal aux talons, ni qu’il a mal aux talons et aux dents. Je ne sais s’il faut comprendre qu’il a, en marchant, mal aux dents au point d’en ressentir une douleur aux talons, ou que la douleur qui lui monte des talons est semblable aux élancements gingivaux, ou autre chose encore. Mais je sais qu’on ne doit pas banaliser un texte étrange.

Essai scénographique avec tirets proliférants, & thème anglais

Onze heures, à peu près.

Par les baies vitrées de la salle 128, je contemple – de l’autre côté du puits d’air – le va-et-vient des étudiants entre les amphithéâtres de l’Extension et deux cages d’escalier. La salle où je me trouve – à surveiller un partiel – est située à l’entresol, ce qui fait que mon regard surplombe légèrement le proscenium des amphithéâtres 2 et 3, tandis que je dois lever les yeux pour apercevoir ce qui se passe devant les amphithéâtres 4 et 5. Accessoirement, je suis censé surveiller – mais les étudiants sont à un par table, à peu près, et la triche, sur ce genre de devoir, est impossible ou, après coup, criante – ce partiel de thème dont le sujet est tiré de cet article :


Chasseurs d’eau à Sydney
La sécheresse, de plus en plus présente dans les villes australiennes, contraint les citadins à aménager leur quotidien pour préserver l’eau.

Elles ont des rondeurs et des couleurs de berlingots. Dans cet entrepôt d’une banlieue de Sydney, sont exposées des dizaines de citernes que viennent acheter les habitants de la ville pour conserver l’eau de pluie. Non pas des forcenés de l’environnement mais des gens convaincus qu’il est désormais impossible d’échapper à la sécheresse qui semble s’être installée de façon tendantielle en Australie depuis plusieurs années. Une calamité évoquée presque tous les jours par la presse australienne.
«Vous avez vu la télé, hier soir ?» Frances frissonne encore au souvenir de ces moutons, bondissant comme des lapins enragés, se piétinant pour envahir un champ et dévorer des herbes jaunes sous les yeux d’un fermier épuisé : «Ma récolte de blé est foutue, alors autant que les moutons en profitent…»
(Florence Decamp. Libération, 23.10.2007.)

 

Les étudiants de 3ème année ont une heure pour composer, ce qui est bien généreux de ma part si on considère que je viens, pour ma part, de traduire ce texte en sept minutes. ---- Cliquer ici pour une proposition de corrigé avec ajout de variantes et de 3 notes pour expliquer les jeux de mots. ----

On considère en général que l’enseignant doit pouvoir faire le sujet en 2/3 du temps imparti aux candidats pour les concours, et en 1/3 pour les examens de troisième année. À cette aune, j’aurais dû leur laisser vingt-cinq minutes : j’aurais eu droit à une belle révolution... !

 

Un agent passe le balai éponge près des baies du deuxième étage, tandis que deux garçons – l’un très chevelu – échangent des propos fort vifs, et sans doute d’une haute teneur intellectuelle – politique ou historique –, devant l’amphithéâtre 2. Le plus maigre agite son écharpe, puis rit.

Il y a, dans la salle 128, trente et un étudiants – sept garçons et vingt-quatre filles. Un gaucher et quatre gauchères. (La proportion de gauchers est supérieure, dans ce groupe, aux 8-12% habituellement observés.) Le ballet des stylos, des feuilles, des glissements du blanco sur le papier, et des yeux posés à la dérobée sur les montres – ou les écrans des téléphones portables, qui devraient être éteints –, est d’une irrégularité qu’aucun chorégraphe ne saurait imiter.

Dans la cage d’escalier, le balai embrase l’espace.

 

15:00 Publié dans WAW | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Ligérienne